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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/37/2024

ACPR/467/2024 du 20.06.2024 ( RECUSE ) , REJETE

Descripteurs : RÉCUSATION;VICE DE PROCÉDURE;PRÉSOMPTION D'INNOCENCE
Normes : CPP.56.letf

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/37/2024 ACPR/467/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 20 juin 2024

Entre

A______, représenté par Me B______,

requérant

et

C______, Procureur, p.a. Ministère public, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

cité

 


EN FAIT :

A.           a. Par acte du 10 mai 2024, A______ demande au Procureur C______, qui instruit la procédure pénale P/1______/2018 dirigée contre lui, de se récuser.

b. La requête a été transmise à la Chambre de céans le 13 mai 2024, avec les observations du magistrat visé.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.             Il est notamment reproché à A______ d'avoir, entre janvier 2018 et octobre 2019, à Genève, dans le but de s'enrichir, obtenu sept crédits d'un montant total de CHF 67'300.- de la part de la D______ (ci-après, D______), moyennant la remise en gage de montres contrefaites, notamment de marque E______, et de n'avoir remboursé que partiellement sa dette, le solde dû pour l'ensemble des prêts s'élevant à CHF 36'361.22 en novembre 2023.

b.             Lors de l'audience du 22 novembre 2023, la D______ a expliqué qu’en raison du retard de remboursement pris par A______, client depuis 2015, elle avait voulu vendre deux des montres et décidé de les soumettre (toutes) à une « analyse professionnelle » par un horloger (dont elle donnera le nom et les coordonnées le 30 novembre 2023). Il s'était avéré que les dix objets étaient des contrefaçons.

A______ a expliqué avoir acheté les montres litigieuses dans un magasin à F______ [Émirats Arabes Unis], et non auprès d'un revendeur officiel. Il disposait des factures, qu'il s'engageait à transmettre au Ministère public. Il avait en outre acquis une montre auprès de E______ SA ; toutefois, la pièce, qu'il avait montrée à des tiers pour la revendre, avait peut-être été remplacée par une « fausse » à cette occasion.

c.              Lors de l’audience, C______ a ordonné le séquestre, en main de la D______, des dix montres en question. Il a formalisé sa décision par ordonnance du 24 novembre 2023, qui n'a pas été contestée.

d.             Le 13 février 2024, C______ a écrit à [l'entreprise d'horlogerie] E______ SA pour savoir si elle serait disposée, à titre gracieux, à prendre possession des (trois) montres de la marque gagées par A______, à les examiner et à établir un rapport sur leur authenticité. Il lui demandait aussi de faire un éventuel lien entre ces montres et celles précédemment acquises par le prénommé, ainsi que toutes observations utiles, avant de retourner les montres à la D______. En cas de réponse positive, il prendrait les dispositions nécessaires « pour procéder ».

e.              Après avoir obtenu l’accord E______ SA, C______ a rendu une ordonnance de séquestre, le 29 février 2024, que la Chambre de céans, saisie d’un recours, a qualifiée d’ordonnance d’expertise (ACPR/289/2024 du 24 avril 2024 consid. 1.5.). Ledit recours a été déclaré irrecevable, faute d’intérêt juridique de A______, qui n’avait critiqué ni le principe ni l’utilité ni les modalités de « l’examen » à intervenir, pas davantage que le choix des experts. Cette décision a été notifiée au domicile élu du prénommé le 25 avril 2024.

f.               Dans l’intervalle, le 18 avril 2024, E______ SA a répondu à C______ que les trois montres examinées étaient des contrefaçons.

g.             Le 1er mai 2024, A______ a invité C______ à établir et notifier une ordonnance d’expertise en bonne et due forme.

h.             Le lendemain, C______ a répondu refuser d’agir ainsi « a posteriori », soit pour « valider » les constatations de E______ SA. Il ajoutait que A______ pouvait tenter d’invoquer l’inexploitabilité de celles-ci, mais qu’il n’avait pas contesté la contrefaçon des montres considérées, de sorte qu’une expertise serait « inutile ».

i.               Le 3 mai 2024, A______ a demandé à C______ d’écarter du dossier la lettre de E______ SA du 18 avril 2024. Sans réponse, il lui a envoyé (le 6 mai 2024) une lettre au contenu quasiment identique à sa requête formelle du 10 suivant, avec la précision que, faute de réponse « raisonnable » avant le 8 mai 2024, il demanderait sa récusation.

C. a. Dans cette requête, A______ invoque l’art. 56 let. f CPP. Par son ordonnance du 29 février 2024, C______ avait transmis à un tiers, non partie à la procédure, des informations couvertes par le secret de fonction. En raison de la violation des règles de procédure applicables à toute décision d’expertise, les constatations de E______ SA n’étaient pas exploitables. La transmission des montres au fabricant pour examen avait porté atteinte à sa personnalité. L’erreur procédurale ainsi commise était particulièrement lourde. Un parti pris était manifesté, en ce sens que, dans sa lettre du 2 mai 2024, C______ avait cru pouvoir retenir, mais à tort, que la contrefaçon n’était pas contestée et que l’expertise était en réalité inutile. Or, il n’avait pas obtenu de réponse à ses interrogations sur ces points, avant de recevoir une décision insoutenable et contraire à la bonne foi, qui refusait d’écarter de la procédure les explications données par E______ SA [décision contre laquelle un recours est pendant].

b. C______ conclut au rejet de la requête. Il n’avait pas répondu à A______ parce que celui-ci l’avait menacé de récusation. Il avait maintenu au dossier les réponses de E______ SA parce que A______ cherchait à les éliminer a posteriori, alors qu’il ne s’était pas plaint, dans son recours à la Chambre de céans du mois de mars 2024, qu’un tel examen eût été confié au fabricant.

c. A______ réplique, persistant dans sa requête.

EN DROIT :

1.             Partie à la procédure, en tant que prévenu (art. 104 al. 1 let. a CPP), le requérant a qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP), et la Chambre de céans est compétente pour connaître de sa requête, dirigée contre un membre du Ministère public (art. 59 al. 1 let. b CPP).

2.             2.1. Conformément à l'art. 58 al. 1 CPP, la récusation doit être demandée sans délai, dès que la partie a connaissance du motif de récusation, c'est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, sous peine de déchéance
(ATF 140 I 271 consid. 8.4.3). En matière pénale, n'est pas tardive la requête formée après une période de six ou sept jours (arrêt du Tribunal fédéral 1B_118/2020 du 27 juillet 2020 consid. 3.2 et les arrêts cités).

2.2. En l’occurrence, le requérant considère que l’ordonnance de séquestre du 29 février 2024 représentait une lourde erreur de procédure du cité et que pareil « soupçon » était confirmé par la lettre de celui-ci, du 2 mai 2024, à teneur de laquelle la réalité de contrefaçons n’était pas contestée.

L’erreur de procédure ne peut être apparue comme telle au requérant qu’avec la notification du prononcé de la Chambre de céans du 24 avril 2024, qui convertit l’ordonnance de séquestre en ordonnance d’expertise.

Or, la notification de la décision de l’autorité de recours est intervenue le lendemain, 25 avril 2024.

Il s’ensuit qu’en agissant le 10 mai 2024, le requérant, sur ce point, s’est manifesté au-delà des quelques jours fixés par la jurisprudence. Dans cette mesure, il n’y a pas à entrer en matière sur sa demande.

2.3. En tant qu’il s’en prend à la teneur d’une lettre du cité du 2 mai 2024, puis à l’ordonnance du 6 mai 2024 refusant d’écarter les renseignements obtenus du fabricant de montres, le requérant doit être considéré comme ayant agi dans les jours qui ont suivi ces deux dates.

3.             On chercherait cependant en vain quelle apparence de partialité ou d’inimitié contre lui témoigneraient ces deux écrits.

3.1.       Un magistrat est récusable, selon l'art. 56 let. f CPP, lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil, sont de nature à le rendre suspect de prévention. Cette disposition a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres précédentes. Elle correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 al. 1 Cst. et 6 § 1 CEDH (ATF 144 I 234 consid. 5.2 ; 143 IV 69 consid. 3.2). Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3). En tant que direction de la procédure (art. 61 let. a CPP), l'attitude et/ou les déclarations du procureur ne doivent pas laisser à penser que son appréciation quant à la culpabilité du prévenu serait définitivement arrêtée (art. 6 et 10 CPP ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_430/2015 du 5 janvier 2016 consid. 3.2 = SJ 2017 I 50 ; 1B_384/2017 du 10 janvier 2018 consid. 4.3).

La récusation n'a pas pour finalité de permettre aux parties de contester la manière dont est menée l'instruction et de remettre en cause les différentes décisions incidentes prises par la direction de la procédure. En effet, il appartient aux juridictions de recours normalement compétentes de constater et de redresser les erreurs éventuellement commises dans ce cadre (ATF 143 IV 69 consid. 3.2).

3.2.       En l'espèce, le requérant voit, tout d’abord, une violation du secret de fonction (et une atteinte aux droits de sa personnalité) dans la transmission d’informations sur lui-même au fabricant des trois montres. Or, la procédure de récusation n’est pas la voie par laquelle élever une plainte pénale et faire statuer sur une infraction (ni, non plus, agir en protection de la personnalité). En outre et surtout, pour faire le lien avec l’art. 56 let. f CPP, on chercherait en vain comment la recherche de la vérité – ici, l’existence ou non de trois contrefaçons de marque E______ – pourrait participer chez le magistrat qui est en chargé (art. 6 al. 1 et 16 al. 2 CPP) d’un manquement à l’objectivité ou d’une marque d’inimitié contre le prévenu qui a gagé les objets considérés. La possibilité subsistait en effet que leur examen débouchât sur un constat d’authenticité, quand bien même une première « analyse professionnelle » n’y concluait pas. Que cette possibilité ne se soit pas avérée ne peut pas être corrigé par le détour d’une demande de récusation.

3.3.       Le requérant voit ensuite une violation de sa présomption d’innocence dans la phrase du cité (le 2 mai 2024) selon laquelle il n’aurait pas contesté la contrefaçon desdites montres.

Dans ses observations, le cité estime qu’il n’avait pas à répondre à son interpellation sur ce point, dès lors que le requérant l’avait à cette occasion (le 6 mai 2024) menacé de récusation. Il est vrai que laisser planer une telle menace – à défaut de réponse « raisonnable », c’est-à-dire allant dans un sens bien précis – est un procédé contraire à la bonne foi (ACPR/890/2022 du 21 décembre 2022 consid. 2 ; ACPR/532/2022 du 5 août 2022 consid. 2 ; ACPR/539/2021 du 17 août 2021 consid. 2) : le cité pouvait à bon droit opposer le silence au requérant, sans s’exposer au grief d’inimitié ou de partialité, au sens de l’art. 56 let. f CPP (ACPR/425/2024 du 10 juin 2024 consid. 3). Ce silence, à le supposer injustifié, pouvait et devait être attaqué selon les voies de droit à disposition (cf. art. 393 al. 2 let. a CPP).

Cela étant, le requérant joue sur les mots, lorsqu’il soutient avoir en réalité contesté l’existence de contrefaçons. En effet, l’ordonnance de séquestre du 23 novembre 2023 – qui lui a été dûment notifiée – retient la prévention d’escroquerie pour la mise en gage de dix montres contrefaites (dont les trois [de la marque] E______). Or, comme on l’a vu, le requérant ne l’a pas attaquée. Dans son recours contre l’ordonnance du 29 février 2024, il s’est limité à affirmer, en tout et pour tout, que ce (nouveau) séquestre était dénué de sens, au motif que la décision du 23 novembre 2023 garantissait déjà la mise en sûreté des montres. Au demeurant, à l’audience du 23 novembre 2023 déjà, le requérant lui-même avait caressé, certes fugacement, l’idée qu’une des trois [de la marque] E______ pût avoir été « changée », c’est-à-dire « remplacée » à son insu par une « fausse ». Ce n’est donc pas en violation de la présomption d’innocence que le cité a pu soutenir que le requérant, prévenu, n’avait pas nié l’existence de contrefaçons.

3.4.       Quant à savoir si le cité pouvait, à bon droit, refuser d’écarter du dossier la réponse obtenue du fabricant, le requérant a attaqué par la voie du recours (art. 393 al.1 let. a CPP) la décision qui formalise ce refus. C’est reconnaître que la mise à l’écart d’éventuelles preuves illégales ou inexploitables – qui doit être distinguée de l’annulation d’actes de procédure, au sens de l’art. 60 al. 1 CPP (ACPR/292/2024 du 24 avril 2024 consid. 5) – ne se recherche pas en instance de récusation.

4.             La requête sera par conséquent rejetée, dans la mesure de sa recevabilité.

5.             Le requérant, qui succombe, supportera les frais de la procédure (art. 59 al. 4 CPP), fixés à CHF 1'000.-. En effet, bien qu’il plaide dans la procédure principale sous le régime de la défense d’office, l'autorité de recours est tenue de dresser à son égard un état de frais, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette la requête, dans la mesure de sa recevabilité.

Condamne A______ aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______ (soit, pour lui, son défenseur) et à C______.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente ; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges ; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/37/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur récusation (let. b)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00