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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/27638/2023

ACPR/370/2024 du 17.05.2024 sur ONMMP/93/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : RÉSERVE DE PROPRIÉTÉ;VOL(DROIT PÉNAL);APPROPRIATION ILLÉGITIME;ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE
Normes : CPP.310.al1.leta; CPP.393; CP.137; CP.139

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/27638/2023 ACPR/370/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 17 mai 2024

 

Entre

A______, représenté par Me Sandrine GIROUD, avocate, Lalive SA, rue de la Mairie 35, case postale 6569, 1211 Genève 6,

recourant,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 10 janvier 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 22 janvier 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 10 janvier 2024, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 18 décembre 2023 contre B______ pour vol (art. 139 CP), subsidiairement appropriation illégitime (art. 137 CP).

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance entreprise et au renvoi de la cause au Ministère public pour l'ouverture d'une procédure pénale.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 2'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. C______ LIMITED, HONG KONG (ci-après : C______ LTD) est une société dont le but est le commerce, le conseil et l'intermédiation dans le domaine de l'art et qui dispose d'une succursale inscrite le ______ 2015 au Registre du commerce de Genève.

D______ en est le directeur.

b. Le 9 juillet 2018, A______ a acquis le tableau "E______", peint en 1881 par F______.

c. Par contrat du 14 novembre 2018, C______ LTD a chargé la société G______ SA, spécialisée en stockage d'œuvres d'art, d'entreposer l'œuvre précitée. Le client s'engageait à verser mensuellement la somme de CHF 2'498.75, pour le dépôt, l'assurance et autres frais divers.

La rubrique "tiers propriétaire (selon nom client ci-dessus ou préciser si autre :)", sous "objet du contrat", est restée vide. L'extrait du même jour de l'inventaire de G______ SA mentionnait C______ LTD comme propriétaire du tableau.

d. Par contrat de courtage du 11 janvier 2021, A______ a confié à C______ LTD la mission de trouver un acheteur pour ladite œuvre.

e. Le 30 mars 2022, C______ LTD a informé B______, acheteur potentiel avec qui elle était en pourparlers contractuels, que le propriétaire de l'œuvre avait accepté de la vendre pour le prix net de EUR 12'500'000.-. Elle lui a adressé une facture "proforma", précisant que la propriété ne serait transférée qu'après paiement intégral du prix de vente, elle-même soumise au droit de Hong Kong.

f. Par courriel du 2 avril 2022, B______ a émis une offre ferme d'acquérir l'œuvre pour le prix précité.

g. Le 8 avril 2022, D______ a remercié G______ SA pour le "viewing" de la veille (soit l'inspection de l'œuvre), et l'a informée qu'elle devait conserver le tableau dans ses entrepôts, sous réserve d'une instruction précise et écrite de l'avocat de C______ LTD, à faire ensuite valider par lui-même.

h. Le 22 avril 2022, D______ a donné instruction à G______ SA de transférer l'œuvre d'art à B______, qui prendrait contact avec elle.

i. Le 2 juin 2023, B______ a indiqué à D______ avoir reçu de la banque H______ (ci-après : H______) la menace d'une réalisation du tableau, considéré par elle comme un gage ("collateral"), faute d'avoir remboursé un prêt de EUR 2'000'000.-, ajoutant la phrase : "Como bien sabes, el banco tiene la dispoción de vender o subastar la obra" (trad. libre : "Comme tu le sais, la banque a la possibilité de vendre ou de mettre l'œuvre aux enchères ").

j. Par courrier du 9 juin 2023, A______ a exigé de G______ SA la "restitution" immédiate du tableau, dont il était l'unique propriétaire. Il ne l'avait jamais vendu ni mis en gage. G______ SA n'était donc pas autorisée à le déplacer.

k. Le 12 juin 2023, G______ SA a répondu à A______ n'être engagée qu'à l'égard de l'entreposant, à savoir C______ LTD, ce d'autant que cette dernière n'avait jamais mentionné intervenir pour le compte d'un tiers. Or, C______ LTD avait communiqué le 22 avril 2023 que l'œuvre "avait été vendue et devait être transférée au nom d'un nouvel entreposant", instruction qu'elle avait suivie.

l. Les 20 et 30 juin 2023, A______ a exigé de H______ la restitution du tableau, désormais enregistré au nom de cette dernière au sein du dépôt de G______ SA. Elle a expliqué que C______ LTD avait donné l'instruction de transférer l'œuvre à B______ mais que, ce dernier n'ayant pas versé le prix de vente, il restait son seul et unique propriétaire.

m. Par courriels des 26 et 31 juillet 2023, B______ a, par son conseil, indiqué n'avoir jamais eu de relations contractuelles avec A______ dans le cadre de la vente de l'œuvre litigieuse. L'emprunt auprès de H______ et le nantissement de ladite œuvre avaient été effectués avec l'accord de la venderesse, soit C______ LTD, qui avait requis le transfert de la possession du tableau dans le but de procéder à son nantissement en faveur de H______. Or, selon ses informations, A______ était, avec deux autres personnes, représentant et associé de la société C______ LTD à Hong Kong, de sorte qu'il n'était pas crédible d'affirmer qu'il n'avait pas eu connaissance du projet de nantissement de l'œuvre au moment où C______ LTD s'en était dessaisi.

n. Le 2 août 2023, A______ a rappelé que B______, faute d'avoir payé le tableau, n'avait pas pu en acquérir la propriété ni le mettre en gage. Sa propre situation d'actionnaire et de directeur de C______ LTD n'y changeait rien.

o. Par courriers des 4 septembre et 19 octobre 2023 à A______, H______ a relevé que C______ LTD avait accepté le transfert du tableau à B______, créant ainsi l'apparence que ce dernier en était devenu le propriétaire. Cette apparence était renforcée par le fait que A______, en plus d'être étroitement lié à C______ LTD, ne s'était jamais plaint, durant plus d'une année, de la disparition du tableau ni ne s'était inquiété du paiement des frais d'entreposage et d'assurance, pris en charge par la banque et par B______.

H______ a notamment accompagné son courrier du 19 octobre 2023 d'un courriel du 7 avril 2022 de B______ remerciant l'expert d'avoir examiné le même jour l'œuvre ; d'échanges de courriels intervenus entre les 22 et 26 avril 2022 entre B______ et G______ SA afin d'organiser le transfert de propriété de l'œuvre en faveur de H______ ; et d'une attestation d'assurance du 19 avril 2022 à son nom portant sur l'œuvre litigieuse.

p. Le 18 décembre 2023, A______ a déposé une plainte pénale contre B______ pour vol (art. 139 CP), subsidiairement appropriation illégitime (art. 137 CP).

B______, qui n'avait pas eu l'intention de payer le prix de vente, avait profité d'un transfert provisoire du tableau en vue de son examen pour procéder à son nantissement en faveur de H______, qui n'avait pas procédé aux "vérifications élémentaires" sur la propriété de l'œuvre et avait ainsi fait preuve de "négligence coupable". B______ avait commis un acte intentionnel de soustraction, subsidiairement d'appropriation, sans droit, afin de s'enrichir à son détriment. Dans la mesure où l'œuvre se trouvait à Genève avant son transfert à B______ et qu'elle s'y trouvait encore, le dommage avait eu lieu à Genève, ce qui fondait la compétence des autorités de poursuite pénales genevoises.

A______ a, en outre, requis le séquestre du tableau litigieux auprès de G______ SA et de la documentation relative au prêt octroyé par H______ à B______, ainsi que l'audition de B______, D______, I______ et J______, administrateurs de H______.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public retient qu'il n'existait pas de for en Suisse s'agissant des faits dénoncés. A______ était, selon le certificat établi le 26 octobre 2023 par K______, toujours le propriétaire de l'œuvre, laquelle se trouvait à Genève, de sorte qu'aucun acte d'appropriation ou de soustraction n'avait eu lieu en Suisse. Seul le nantissement du tableau en faveur de H______ était susceptible de constituer un acte d'appropriation ou de soustraction. Or, un tel acte avait été commis à l'étranger, probablement en Allemagne, siège de la banque, ou en Croatie, lieu du domicile du mis en cause. En outre, le tableau n'ayant pas changé d'emplacement, il ne pouvait être considéré que le résultat des faits dénoncés se serait produit en Suisse. Indépendamment du for, les faits dénoncés concernaient une mauvaise exécution du contrat de vente de l'œuvre d'art et la validité du nantissement du tableau par l'acheteur en faveur de H______, ce qui relevait exclusivement du droit civil, de nature à assurer une protection suffisante. Enfin, les réquisitions de preuve de A______, qui n'étaient pas propres à modifier l'appréciation juridique du Ministère public, devaient être rejetées.

D. a. Dans son recours, A______ soutient que le Ministère public a établi les faits de manière inexacte en retenant que le tableau était physiquement resté en mains de C______ LTD, au sein de l'entrepôt de G______ SA. L'œuvre avait en effet été déplacée dans le dépôt loué par H______ à G______ SA en vue de son inspection, empêchant C______ LTD et lui-même d'y exercer une quelconque maîtrise, ce qui avait brisé sa possession sur le bien litigieux. Le déplacement de l'œuvre hors du dépôt sous la maîtrise de C______ LTD, en vue de procéder prétendument à une expertise, visait en réalité à la nantir en faveur de H______. Par cette mise en scène, B______ avait astucieusement trompé C______ LTD. Le nantissement du tableau constituait un acte de disposition sans droit, commis intentionnellement à une fin d'enrichissement illégitime, B______ n'ayant jamais eu l'intention de s'acquitter du prix de vente. Un tel comportement était constitutif de vol (art. 139 CP), subsidiairement d'appropriation illégitime (art. 137 CP). Le précité avait, de surcroît, produit des documents auprès de la banque qui différaient de ceux en sa possession, susceptibles d'être des faux, ce qui constituerait les infractions de faux dans les titres (art. 251 CP). L'infraction d'escroquerie (art. 146 CP) était également réalisée au vu des apparences ainsi créées, qui s'ajoutaient à l'exploitation du lien de confiance qui liait B______ à C______ LTD, avec laquelle un tel lien existait déjà. Par ailleurs, B______ avait déjà agi de la sorte avec une précédente acquisition auprès de C______ LTD, l'œuvre acquise – un tableau de L______ - ayant été nantie afin de garantir un prêt destiné à payer le prix d'achat dudit tableau. En outre, le Ministère public avait fait application de l'art. 310 al. 1 let. a CPP sans motiver le caractère "manifeste" de l'absence de réalisation des éléments constitutifs d'une infraction, la référence au caractère civil du litige étant insuffisante.

Enfin, s'agissant du for, la rupture de sa possession sur l'œuvre et la création d'une nouvelle possession en faveur de H______ – soit les deux résultats typiques de l'infraction de vol – avaient eu lieu en Suisse. Bien que le contrat de nantissement eût été signé à l'étranger, un transfert de possession était nécessaire (cf. art. 884 CC), faisant dudit transfert un résultat de l'infraction consistant en la soustraction, par nantissement, du tableau litigieux. Le même raisonnement relatif à la rupture et à la création d'une nouvelle possession valait sous l'angle de l'appropriation illégitime. L'infraction d'escroquerie fondait également un for en Suisse, le lieu d'appauvrissement et celui où se trouvait la dupe au moment de l'erreur y étant situés.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

2.             2.1. Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP).

2.2. Conformément à l’art. 393 al. 1 CPP, la juridiction de recours traite uniquement les problématiques ayant fait l’objet d’une décision préalable.

2.3. À bien le comprendre, le recourant considère que le Ministère public aurait dû examiner d'office si les conditions d'une éventuelle escroquerie, voire de l'infraction de faux dans les titres, étaient réalisées. Or, dans sa plainte pénale du 18 décembre 2023, le recourant a entendu dénoncer exclusivement les infractions de vol et d'appropriation illégitime, sans expliquer en quoi les éléments constitutifs de l'escroquerie ou du faux dans les titres pouvaient être réalisés, ni alléguer les faits topiques pour l'examen desdites infractions.

Aussi la Chambre de céans ne peut-elle traiter cette problématique, pour la première fois, au stade du recours (art. 393 al. 1 let. a CPP). Le recours est donc irrecevable en tant qu’il porte sur les art. 146 et 251 CP, en lien avec les faits mentionnés par le recourant dans sa plainte. À cela s'ajoute que le grief relatif à l'art. 251 CP fait l'objet d'une simple mention dans le recours, sans aucun développement, le rendant irrecevable pour ce motif également (art. 385 al. 1 CPP).

2.4. En tant qu'il vise le refus d'entrer en matière sur les infractions de vol et d'appropriation illégitime, le recours concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane du plaignant, qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP). Il est ainsi recevable à cet égard.

2.5. Il en va de même des pièces nouvelles produites devant la juridiction de céans, la jurisprudence admettant la production de faits et de moyens de preuve nouveaux en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).


 

3.             Le recourant déplore une constatation incomplète et erronée des faits.

Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP ; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Procureur auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.

Partant, ce grief sera rejeté.

4.             Le recourant conteste l'appréciation du Ministère public, selon laquelle il n'existe pas de for en Suisse pour poursuivre les infractions dénoncées. Cette question peut toutefois souffrir de rester ouverte au vu des considérations qui suivent.

5.             Le recourant reproche au Ministère public d'avoir insuffisamment motivé son raisonnement quant à l'application de l'art. 310 al. 1 let. a CPP.

5.1. Le droit d'être entendu, garanti par l'art. 3 al. 2 let. c CPP et 29 al. 2 Cst., implique pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse la comprendre, la contester utilement s'il y a lieu et que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. Pour répondre à ces exigences, il suffit que l'autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 139 IV 179 consid. 2.2). Elle n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à ceux qui, sans arbitraire, peuvent être tenus pour pertinents (ATF 143 III 65 consid. 5.2 ; 142 III 433 consid. 4.3.2). La motivation peut être implicite et résulter des différents considérants de la décision. Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté, même si la motivation présentée est erronée (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_16/2020 du 24 juin 2020 consid. 2.1).

5.2. En l'espèce, le Ministère public retient que les faits dénoncés ont trait à une mauvaise exécution du contrat de vente et à la validité du nantissement du tableau, ce qui relève exclusivement d'un litige civil. Une telle motivation – fondée sur l'existence d'un contrat susceptible de justifier l'acte de disposition du mis en cause – est suffisante, étant rappelé que le motif qui fonde la décision peut être implicite et ressortir de différents considérants ou parties de la décision. En effet, malgré l'absence apparente d'examen des éléments constitutifs des infractions dénoncées, le recourant était parfaitement en mesure de comprendre que le Ministère public n'avait retenu ni dessein d'enrichissement, a fortiori illégitime, ni acte de soustraction ou d'appropriation illégitime.

Ce grief sera donc rejeté.

6.              Le recourant reproche au Ministère public de n'être pas entré en matière sur les infractions d'appropriation illégitime, voire de vol.

6.1. Le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (art. 310 al. 1 let. a CPP).

Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 ; ATF 138 IV 86 consid. 4.1 ; ATF 137 IV 219 consid. 7).

6.2. Se rend coupable d'appropriation illégitime au sens de l’art. 137 ch. 1 CP celui qui, pour se procurer ou procurer à un tiers un enrichissement illégitime, se sera approprié une chose mobilière appartenant à autrui. L'art. 139 ch. 1 CP punit, du chef de vol, quiconque, pour se procurer ou procurer à un tiers un enrichissement illégitime, soustrait une chose mobilière appartenant à autrui dans le but de se l'approprier.

Ces deux infractions supposent l'existence d'une chose mobilière appartenant à autrui, c'est-à-dire qu'une autre personne que l'auteur doit avoir un droit de propriété sur la chose volée (ATF 124 IV 102 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_524/2019 du 24 octobre 2019 consid. 3.1)

6.2.1. Déterminer qui est le propriétaire de cette chose se résout à la lumière du droit civil (ATF 132 IV 5 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_524/2019 précité, consid. 3.1).

6.2.2. En matière de vente mobilière, l’obtention de la propriété suppose, outre l’existence d’une convention valable, une opération d’acquisition, elle-même constituée d’un acte de disposition et du transfert de la possession de l’objet concerné (art. 714 al. 1 CC ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1056/2018 du 29 janvier 2019 consid. 2.3.4). L’acte de disposition est un contrat réel, par lequel l’aliénateur et l’acheteur manifestent leur volonté de transférer (hic et nunc) la propriété de la chose, en exécution de la convention de vente (P.-H. STEINAUER, Les droits réels, tome I, 6ème éd., Berne 2019, n. 2959 ainsi que 2997 et s.). Ce contrat peut être conditionnel. Ainsi en va-t-il quand le vendeur se réserve la propriété de la chose jusqu’au règlement du prix convenu (P.-H. STEINAUER, op. cit., n. 2959 ainsi que 2997 et s.). Pour être valable, ce pacte dit de réserve de propriété doit être inscrit dans le registre public ad hoc (art. 715 al. 1 CC). Avant cette inscription, il ne sortit aucun effet réel, que ce soit entre les parties ou envers les tiers; l’acquéreur peut donc valablement disposer de l’objet, même en faveur d’une personne qui connaît l’existence du pacte (P.-H. STEINAUER, op. cit., n. 3010). Si l’inscription est effectuée après que l’acquéreur est entré en possession de la chose, la propriété fait alors (sans effet rétroactif) retour à l’aliénateur, l’acheteur étant lui, dans l’intervalle, propriétaire sous condition résolutoire (P.-H. STEINAUER, op. cit., n. 3007).

Selon ces principes, le Tribunal fédéral a jugé, dans trois arrêts publiés aux ATF 106 IV 254 (consid. 2), 90 IV 190 (consid. 1) et 90 IV 180 (consid. 1), que l’acheteur qui revendait un bien à un tiers avant, d’une part, que la réserve de propriété prévue dans le contrat de vente initial n’ait été inscrite au registre topique et, d’autre part, qu’il n’ait lui-même payé l’intégralité du prix convenu, était devenu propriétaire dudit bien dès sa remise. Ainsi, faute d’avoir disposé d’une "chose appartenant à autrui", les infractions des art. 137 ss CP ne pouvaient pas être réalisées.

6.3. En l'espèce, l'acte ayant consisté à déplacer le tableau du dépôt de C______ LTD au dépôt du mis en cause a été accompli sur l'instruction écrite (cf. courriel du 22 avril 2022 produit sous pièce 23 à l'appui de la plainte) du directeur de la déposante, après des échanges de courriels entre les parties à la vente du tableau susceptibles de constituer des manifestations de volonté réciproques et concordantes. Dans le courriel en question, l'entreposante a renvoyé l'entrepositaire aux instructions à venir du mis en cause. Une telle indication confirme que l'instruction de transfert constituait un acte de disposition visant à l'exécution d'un contrat de vente. Cela n'a d'ailleurs fait aucun doute pour l'entrepositaire, qui s'est aussitôt engagée dans des échanges avec le mis en cause en vue d'établir le contrat d'entrepôt du tableau au nom de la banque, ainsi que la modification du contrat d'assurance.

Même à retenir sa validité, la réserve de propriété stipulée dans la facture "proforma" constituait une condition suspensive à la convention de droit réel passée entre les parties, laquelle ne produit d’effets (réels) qu'à partir de son inscription au registre des pactes de réserve de propriété. Or, rien n'indique qu'une telle inscription ait eu lieu. Le recourant ne l'allègue d'ailleurs pas. Par conséquent, le mis en cause est devenu propriétaire de l'œuvre lors du transfert de la possession, et ce indépendamment du paiement du prix de vente. Il était ainsi libre d'en disposer, par exemple en procédant à son nantissement. À tout le moins était-il fondé à le croire, sans que l'acte de nantissement révèle une intention d'appropriation sans droit ou d'enrichissement illégitime.

Sur ce point, la thèse du recourant, qui soutient que le déplacement de l'œuvre ordonné le 22 avril 2022 par son courtier n'était que provisoire, n'est corroborée par aucun élément au dossier. D'une part, il ressort du courriel du 8 avril 2022 de l'entreposante qu'un examen de l'œuvre avait eu lieu en début du mois d'avril ; un éventuel second examen n'impliquait donc pas nécessairement le transfert d'un dépôt à un autre. D'autre part, ladite société – dont le recourant est l'un des actionnaires et directeurs – avait déjà, par le passé, conclu un contrat de vente avec le mis en cause portant sur une autre œuvre dont le nantissement avait – au su de la venderesse – servi à l'obtention d'un prêt auprès de la même banque, utilisé pour s'acquitter du prix de ladite œuvre, avec la même mention de réserve de propriété. Au vu de cet antécédent, il n'est pas crédible que le recourant et son courtier aient tout ignoré de la manière dont le mis en cause prévoyait de s'acquitter du prix de vente du tableau litigieux. Même à retenir que le pacte de réserve de propriété ait valablement déployé des effets réels, ce dernier motif permet également d'écarter toute intention d'appropriation (a fortiori de soustraction) sans droit de l'œuvre par le mis en cause.

En définitive et comme l'a relevé le Ministère public, le litige porte sur la propriété du tableau et la validité de la clause de réserve de propriété stipulée entre les parties, ce qui est de nature purement civile.

Il s’ensuit que c'est conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP que le Ministère public n'est pas entré en matière sur la plainte du recourant.

7.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

8.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 2'000.- pour l'instance de recours (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours dans la mesure de sa recevabilité.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 2'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/27638/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'915.00

Total

CHF

2'000.00