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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/18608/2021

ACPR/359/2024 du 15.05.2024 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : TÉMOIN;INTÉRÊT JURIDIQUEMENT PROTÉGÉ;CONSULTATION DU DOSSIER;SECRET D'AFFAIRES;SPHÈRE PRIVÉE;TIERS APPELÉ À FOURNIR DES RENSEIGNEMENTS
Normes : CPP.382; CPP.161; CPP.178; CPP.108

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/18608/2021 ACPR/359/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 15 mai 2024

 

Entre

A______ SA sis ______ [GE] et B______, domicilié ______ [FR], agissant en personne,

recourants,

 

contre la décision rendue le 20 décembre 2023 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 12 janvier 2024, A______ SA (ci-après, A______ ou le fiduciaire) et B______ recourent contre la décision du 20 décembre 2023, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a dit que leur lettre du 11 décembre 2023 aurait vocation à être versée à la procédure.

Les recourants concluent, préalablement, au prononcé de mesures provisionnelles et, principalement, à ce que les points 2 et 3 de leur lettre du 11 décembre 2023, en tant qu'ils relevaient de la sphère privée de B______, respectivement, du secret des affaires de la société, ne soient pas versés au dossier.

b. Par ordonnance du 15 janvier 2024 (OCPR/3/2024), la Direction de la procédure a accordé l'effet suspensif au recours et dit que la lettre litigieuse ne serait pas versée au dossier jusqu'à droit jugé sur le recours.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le ______ 2019, C______ et D______ ont fondé à Genève E______ SA – aujourd'hui en liquidation –, société vouée à la technologie financière ("fintech").

Celle-ci a émis des jetons "F______/1______" et "F______/2______", lesquels ont été échangés sur diverses plateformes d'échanges de crypto-monnaies, dont G______.

b. H______ SA est une société, constituée à Genève le ______ 2021, active dans le secteur des technologies financières.

D______ en est le fondateur et l'administrateur.

Entre les 18 juillet 2022 et 30 mars 2023, B______ disposait d'une procuration collective à deux dans la société.

c. A______ – dont le précité est l'administrateur – est une société genevoise, active dans les services fiduciaires, y compris comptabilité, fiscalité et révision.

d. Par contrats conclus les 13 mai 2020 et 22 septembre 2021, A______ s'est notamment engagée à la mise en place de la comptabilité, ainsi qu'à la préparation des comptes annuels, de E______ SA et H______ SA (PP 500'688 à 500'693).

Par ailleurs, B______ a occupé les fonctions de "Head of Compliance" et de responsable LBA au sein de la dernière citée (PP 3'100'691 et 3'100'693).

e. À la suite de plaintes pénales de C______, et de nombreux investisseurs/ clients de E______ SA et H______ SA, le Ministère public instruit, depuis le 5 mai 2022, une enquête contre D______ des chefs d'abus de confiance (art. 158 CP), escroquerie (art. 146 CP), gestion déloyale (art. 158 CP), utilisation frauduleuse d'un ordinateur (art. 147 CP), faux dans les titres (art. 251 CP), obtention d'une constatation fausse (art. 253 CP) et fausse communication aux autorités du registre du commerce (art. 153 CP).

En substance, il est reproché au prévenu d'avoir, à Genève, à des fins d'enrichissement personnel et en vue d'obtenir un avantage indu au préjudice des plaignantes:

- utilisé des fonds détenus par E______ SA pour financer son train de vie;

- transmis aux investisseurs potentiels des informations et assurances erronées quant à la solvabilité de la société précitée;

- le 17 septembre 2021, retiré de la plateforme d'échange G______ 110'027 jetons F______/2______ – convertis en ETH 349.45 – d'une valeur d'USD 994'214, sans concertation des utilisateurs et investisseurs concernés, faisant ainsi chuter le cours du jeton de 99% et, cela fait, transféré sur une wallet personnel, ETH 5,22 (USD 14'835.-), et sur une wallet de H______ SA, ETH 349,45 (USD 994'214), lesquels ont constitué l'apport en capital de la société précitée;

- à une date indéterminée, sans contrepartie financière, transféré les autres actifs et applications informatiques de E______ SA à sa nouvelle société et

- détourné des avoirs que des clients ont déposés, via l'application mobile de H______ – respectivement qu'ils ont versés aux fins de placement dans un jeton de valeur "I______", développé et recommandé par la société précitée –.

f. Dans le cadre de l'enquête, le Ministère public a procédé à la demande de pièces, à des perquisitions – dont une, à la suite d'une ordonnance du 4 septembre 2023, dans les locaux de A______ –, et à des séquestres, à l'envoi de commissions rogatoires internationales et à des auditions et confrontations de D______ avec des parties plaignantes, dont C______.

g. Par mandats de comparution des 21 septembre, 25 octobre et 24 novembre 2023, B______ a été convoqué à des audiences fixées les 6 octobre, 22 novembre et 20 décembre 2023, lors desquelles il allait être entendu en qualité de personne appelée à donner des renseignements (art. 178 let. d CPP) "en lien avec E______ SA et H______".

Lors des deux premières audiences, dûment informé du droit de refuser de déposer (art. 158 al. 1 CPP), B______ a, en substance, déclaré avoir racheté A______ le 1er avril 2020 et avoir eu plusieurs clients, qu'il a nommés. Le mandat avec E______ SA consistait en la réalisation des comptes provisoires de liquidation, mais ni D______ ni C______ ne lui avaient fourni des données comptables en lien avec l'activité de la société. Le mandat avec H______ SA était beaucoup plus important, dans la mesure où A______ y engageait jusqu'à six employés, fournissait des services comptables et administratifs – y compris en lien avec les ETH 349.45, correspondant à l'apport en capital –, s'occupait des activités de compliance, et accompagnait le mandataire auprès de ses partenaires financiers, à l'instar de J______ et K______, en préparant les documents nécessaires aux ouvertures de relations. Le fiduciaire avait également participé à la mise en place d'une filiale de son mandataire à Singapour, alors que les deux filiales aux Îles Caymans, malgré la demande de D______, n'avaient finalement pas été créées. Il disposait d'une procuration collective à deux dans H______ SA pour aider et décharger le prévenu dans le cadre des tâches administratives, mais ni A______ ni lui-même n'avaient accès à l'ensemble des transactions financières, ni ne s'impliquaient dans les décisions organisationnelles, stratégiques et techniques. A______ avait mis un terme au mandat en raison des problèmes rencontrés par son mandataire avec ses organismes et partenaires, ainsi que pour des motifs financiers.

h. Par courrier du 11 décembre 2023, B______ – agissant en son propre nom et pour le compte de A______ – a informé le Ministère public qu'il ne pouvait pas être présent pendant toute la durée de l'audience du 20 suivant, pour des raisons médicales qu'il a détaillées (ci-après, point 2 du courrier du 11 décembre 2023). En outre, il convenait de tenir compte de la situation économique de A______ – laquelle avait été touchée par le COVID-19 et la guerre en Ukraine en termes de clients, nombre d'employés et chiffre d'affaires – dans la tenue des prochaines audiences (ci-après, point 3 du courrier du 11 décembre 2023). Par ailleurs, il devait être entendu en qualité de témoin et non pas en tant que personne appelée à donner des renseignements, dès lors que A______ et lui-même avaient, contrairement à d'autres prestataires, "collaboré minoritairement" avec les clients. Enfin, les informations contenues dans la missive – relevant de sa sphère privée, respectivement du secret commercial de l'entreprise – ne devraient pas être consultables par les autres parties.

i. Par réponse du 14 décembre 2023, le Ministère public a annulé l'audience du 20 suivant et en a fixé une nouvelle, au 10 janvier 2024. Le statut de personne appelée à donner des renseignements de B______ serait toutefois maintenu, dans la mesure où les éléments au dossier ne permettaient pas d'autre conclusion. Enfin, il convenait de verser le courrier du 11 décembre 2023 à la procédure, dès lors que les conditions de l'art. 108 CPP n'étaient pas réalisées.

j. Par lettre du 19 décembre 2023, B______ a expliqué que les données contenues dans le courrier du 11 précédent n'étaient pas pertinentes pour la procédure. Par ailleurs, il souhaitait collaborer pleinement à l'instruction de la cause, mais le statut qui lui avait été accordé n'était pas conforme au droit.

C. Dans la décision querellée, le Ministère public considère que dans la mesure où le motif de l'annulation de l'audience du 20 décembre 2023 trouvait son fondement dans le courrier du 11 précédent, ce dernier devait être versé à la procédure. Les conditions de l'art. 108 CPP n'étaient dès lors pas réalisées. La teneur du courrier du 14 décembre 2023 était confirmée pour le surplus.

D. Il ressort du procès-verbal de l'audience du 10 janvier 2024 que B______ – convoqué en tant que personne appelée à donner des renseignements et dûment informé de son droit de refuser de déposer (art. 158 al. 1 CPP) – a refusé de répondre aux questions posées, estimant que des données personnelles le concernant, ainsi que sa société, avaient été versées, à tort, au dossier.

E. a. Dans leurs recours, A______ et B______ reprochent au Ministère public d'avoir ordonné une perquisition dans les locaux de la première nommée en lieu et place d'un ordre de dépôt. Par ailleurs, en ayant refusé de caviarder les points 2 et 3 du courrier litigieux, l'autorité intimée avait violé le principe de la proportionnalité et porté atteinte à leur sphère privée. Ce d'autant que l'avocat d'une des parties à la procédure était en même temps le conseil d'un de leurs clients. Enfin, leur droit d'être entendu avait été violé, dès lors que le Ministère public n'expliquait pas pourquoi le second nommé était entendu en qualité de personne appelée à donner des renseignements.

b. Dans ses observations, le Procureur conclut à l'irrecevabilité du recours en tant qu'il vise l'ordonnance de perquisition des locaux de A______ du 4 septembre 2023 et le statut procédural de B______, et à son rejet pour le surplus. La qualité en laquelle le précité était convoquée relevait des prérogatives et de la seule appréciation du Ministère public, étant précisé qu'un changement de statut pourrait intervenir ultérieurement en fonction de l'avancement de la procédure. Il consentait toutefois à caviarder le point 2 du courrier du 11 décembre 2023. En revanche, les informations mentionnées au point 3 dudit courrier n'étaient pas couvertes par un secret d'affaires. En tout état de cause, la situation d'emploi de A______ et le rôle de son administrateur dans la marche des affaires étaient directement en lien avec les faits de la cause.

c. Les recourants n'ont pas répliqué.

 

 

 

EN DROIT :

1.             1.1. En tant que le recours porte sur la décision du Ministère public de verser le courrier du 11 décembre 2023 à la procédure, il est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP; ACPR/442/2023 du 12 juin 2023, consid. 1; ACPR/515/2022 du 2 août 2022, consid. 1) et émaner des tiers touchés par des actes de la procédure (art. 105 al. 1 let. f CPP), qui ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de ladite décision (art. 105 al. 2 et 382 al. 1 CPP).

1.2. En revanche, la décision querellée ne traitant pas l'ordonnance de perquisition du 4 septembre 2023, le recours est irrecevable sur ce point.

1.3. Reste à déterminer si le recours est recevable en tant que B______ conteste son audition en qualité de personne appelée à donner des renseignements.

1.3.1. La décision sur le statut procédural de la personne entendue est sujette à recours, qu'elle soit prise par le ministère public en procédure préliminaire ou par le tribunal de première instance (ACPR/286/2018 du 24 mai 2015 consid. 2.1 ; A.  KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds.), Commentaire romand: Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, N. 32 ad art. 178). Celle-ci doit être rendue en même temps que la convocation de la personne à être entendue devant l'autorité, conformément à l'art. 201 al. 2 let. b CPP (A. DONATSCH / V. LIEBER / S. SUMMERS / W. WOHLERS (éds.), Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung StPO, 3ème éd., Zurich 2019, n. 13 ad art. 178).

1.3.2. Selon l'art. 382 al. 1 CPP, toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision a la qualité pour recourir contre celle-ci. L'existence d'un intérêt de pur fait ne suffit pas. Le recours d'une partie qui n'est pas concrètement lésée par la décision est irrecevable (ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1).

1.3.3. En l'espèce, le recourant B______ a été convoqué pour être entendu en qualité de personne appelée à donner des renseignements par mandats de comparution des 21 septembre, 25 octobre et 24 novembre 2023. Son grief relatif à ce statut, invoqué pour la première fois dans le courrier du 11 décembre 2023, paraît dès lors tardif. Ce grief, pour être recevable, aurait dû être soulevé à réception des mandats de comparution, qui constituent des actes sujets à recours. Les courriers ultérieurs du Ministère public, des 14 et 20 décembre 2023, ont eu pour seul effet de maintenir le statut procédural sous lequel l'intéressé a déjà été entendu et ne sont pas des décisions ni des actes de procédure, au sens de l'art. 393 al. 1 let. a CPP. Enfin, le recourant n'explique pas en quoi son audition en qualité de personne appelée à donner des renseignements lui causerait un préjudice juridique, ce d'autant qu'il a été dûment informé de son droit de refuser de déposer (art. 158 al. 1 CPP).

Il s'ensuit que son recours est irrecevable, sous cet aspect.

1.3.4. Eût-il été recevable, que le grief aurait dû être rejeté, au vu des considérants qui suivent.

1.3.4.1. À teneur de l'art. 162 CPP, on entend par témoin toute personne qui n'a pas participé à l'infraction, qui est susceptible de faire des déclarations utiles à l'élucidation des faits et qui n'est pas entendue en qualité de personne appelée à donner des renseignements.

Est entendu en qualité de personne appelée à donner des renseignements, quiconque, sans être soi-même prévenu, pourrait s'avérer être soit l'auteur des faits à élucider ou d'une infraction connexe, soit un participant à ces actes (art. 178 let. d CPP). Le cas de figure prévu par l'art. 178 let. d CPP est donc très étroit : pour y correspondre, la personne entendue doit être suspectée, mais pas suffisamment pour comparaître en qualité de prévenu. La personne entendue n'est pas concrètement suspectée, mais pourrait toutefois entrer en ligne de compte comme participant ou auteur de l'infraction. Pratiquement, le soupçon ne doit pas encore être concrétisé par des actes de l'autorité pénale affectant la situation de la personne interrogée, et celle-ci ne doit pas être le sujet des actes de procédure entrepris (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 18 ad art. 178).

Il revient à celui qui mène l'audition, c'est-à-dire à l'autorité pénale compétente, de décider en quelle qualité une personne doit être entendue. La décision y relative est prise au regard de l'état de fait et de la situation juridique au moment de l'audition et l'autorité compétente ne dispose d'aucun pouvoir d'appréciation, en ce sens que si la constellation correspond aux art. 162 ou 178 CPP, la personne doit impérativement être interrogée en qualité de témoin ou de personne appelée à donner des renseignements (ATF 144 IV 97 consid. 2.1.3; A. DONATSCH / V. LIEBER / S. SUMMERS / W. WOHLERS (éds.), op. cit. N. 11 ad art. 178).

1.3.4.2. En l'espèce, B______ s'est chargé de l'établissement des comptes de E______. Or, il ressort du rapport du commissaire provisoire au sursis (PP 6'200'108) que les prescriptions en matière de comptabilité de cette société n'ont pas été respectées et que les états financiers communiqués étaient sujets à caution. Par ailleurs, de ses propres aveux, le mandat de B______ auprès de H______ SA était beaucoup plus important, dès lors qu'il bénéficiait d'un pouvoir de procuration à deux, occupait la fonction de Compliance officer, participait aux formalités d'ouvertures de relations auprès de prestataires de services financiers étrangers et avait créé, sur instruction du prévenu, des filiales dans d'autres pays. Compte tenu de ce qui précède, les conditions d'une audition en qualité de personne appelée à donner des renseignements sont remplies, car il y a lieu de déterminer sa potentielle implication dans les faits reprochés à D______.

2. Les recourants reprochent au Ministère public un défaut de motivation, faute d'avoir expliqué le statut procédural retenu pour B______.

2.1. La garantie du droit d'être entendu, déduite de l'art. 29 al. 2 Cst., impose à l'autorité de motiver ses décisions, afin que les parties puissent les comprendre et apprécier l'opportunité de les attaquer, et que les autorités de recours soient en mesure d'exercer leur contrôle (ATF 141 III 28 consid. 3.24; 136 I 229 consid. 5.2 et 135 I 265 consid. 4.3).

Une violation du droit d'être entendu peut être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours qui jouit d'un plein pouvoir d'examen. Cela vaut également en présence d'un vice grave lorsqu'un renvoi à l'instance précédente constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, incompatible avec l'intérêt de ladite partie à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1135/2021 du 9 mai 2022 consid. 1.1).

2.2. En l'occurrence le Ministère public a expliqué, dans le cadre de ses observations, que la qualité en laquelle B______ était convoqué relevait de ses prérogatives et de sa seule appréciation. Ainsi, dès lors que ce dernier a pu, à son tour, se déterminer sur ces observations et que la Chambre de céans dispose d'un plein pouvoir de cognition, en droit et en fait (art. 392 al. 2 CPP), l'éventuelle violation du droit d'être entendu sera considérée comme réparée.

3. Les recourants s'opposent à la consultation par les autres parties des points 2 et 3 de leur lettre du 11 décembre 2023.

3.1. Le droit d'être entendu, consacré à l'art. 29 al. 2 Cst., permet au justiciable de consulter le dossier avant le prononcé d'une décision. Il est concrétisé, en procédure pénale, par les art. 101 al. 1 et 107 al. 1 let. a CPP, qui fondent le droit des parties de consulter le dossier de la procédure pénale. Ce droit comprend la consultation des pièces au siège de l'autorité, la prise de notes et la délivrance de photocopies (ATF 122 I 109 consid. 2b). Il concrétise également le principe de l'égalité des armes, lequel suppose notamment que les parties aient un accès identique aux pièces versées au dossier (ATF 137 IV 172 consid. 2.6 ; 122 V 157 consid. 2b). Le droit de consulter les pièces du dossier n'est toutefois pas absolu et peut être limité pour la sauvegarde d'un intérêt public prépondérant, dans l'intérêt d'un particulier, voire même dans l'intérêt du requérant lui-même (ATF 122 I 153 consid. 6a; arrêt du Tribunal fédéral 1B_112/2019 du 15 octobre 2019 consid. 3.1).

Ainsi, conformément à l'art. 108 al. 1 CPP, les autorités pénales peuvent restreindre le droit d'une partie à être entendue, et partant à consulter le dossier, lorsqu'il y a de bonnes raisons de soupçonner que cette partie abuse de ses droits (let. a) ou lorsque cela est nécessaire pour assurer la sécurité de personnes ou pour protéger des intérêts publics ou privés au maintien du secret (let. b). Des restrictions au droit de consulter doivent toutefois être ordonnées avec retenue et dans le respect du principe de la proportionnalité (arrêts du Tribunal fédéral 1B_112/2019 du 15 octobre 2019 consid. 3.1; 1B_245/2015 du 12 avril 2016 consid. 5.1; 1B_315/2014 du 11 mai 2015 consid. 4.4). Dans la mesure où l'accès au dossier – et, par conséquent, à des données personnelles – constitue un inconvénient potentiel inhérent à l'existence d'une procédure pénale (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1B_344/2019 du 16 janvier 2020 consid. 2.1; 1B_399/2018 du 23 janvier 2019 consid. 2.1; 1B_261/2017 du 17 octobre 2017 consid. 2), l'intérêt du prévenu doit en principe passer au second plan par rapport à celui de la partie plaignante à pouvoir valablement exercer son droit d'être entendue, garanti notamment par les art. 6 § 1 CEDH et 29 al. 2 Cst. (arrêts du Tribunal fédéral 1B_112/2019 du 15 octobre 2019 consid. 3.2.3 et 1B_344/2019 du 16 janvier 2020 consid. 2.1).

Il en va de même en tant que des documents versés au dossier sont couverts par le secret bancaire, celui-ci n'étant pas susceptible d'empêcher les parties d'exercer leur droit d'être entendues, à tout le moins lorsqu'il s'agit de la consultation de pièces versées à un dossier pénal (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1B_112/2019 du 16 octobre 2019 consid. 3.2.3).

La présence au dossier de pièces de cette nature présuppose que la mise en balance avec les intérêts de la poursuite pénale a déjà été effectuée par les autorités, de sorte que leur non-communication subséquente devrait s'avérer exceptionnelle (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 6 ad art. 108). Il appartient toutefois à celui qui se prévaut d'un intérêt au maintien du secret supérieur à celui à la manifestation de la vérité de le rendre vraisemblable (ATF 145 IV 273 consid. 3.3).

3.2. En l'espèce, les explications fournies par les recourants au point 3 de leur lettre du 11 décembre 2023 ne permettent pas de retenir qu'elles seraient couvertes par un secret d'affaires. En effet, il n'y est fait mention d'aucun nom de client, ni d'indications permettant de les isoler. Que l'avocat d'une des parties à la procédure soit en même temps le conseil d'un des clients du fiduciaire ne permet pas de parvenir à une autre conclusion, dès lors que les avocats sont soumis à un secret professionnel. Qui plus est, B______ a lui-même évoqué, lors des audiences devant le Ministère public, des noms de clients, sans pour autant en demander le caviardage. Il en va de même de la baisse du chiffre d'affaires, respectivement du nombre des employés, en raison de la pandémie de COVID-19 et de la guerre en Ukraine, dans la mesure où ces circonstances ne relèvent pas du secret d'affaires. En tout état de cause, comme le soutient le Ministère public, la situation d'emploi au sein du fiduciaire, ainsi que le rôle de son administrateur dans la marche des affaires, sont pertinents pour l'enquête, au vu des mandats exercés pour E______ et H______ SA.

Il s'ensuit que le recours sera rejeté sur ce point.

En revanche, dans la mesure où le Ministère public, dans ses observations, s'est déclaré d'accord de caviarder le point 2 du courrier du 11 décembre 2023, le recours sera admis sur cet aspect.

4. Les recourants, qui succombent dans une large mesure, supporteront les trois quarts des frais de la procédure, fixés en totalité à CHF 1'000.-, soit CHF 750.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03), le solde étant laissé à la charge de l'État.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet très partiellement le recours, dans la mesure de sa recevabilité.

Invite le Ministère public à caviarder le point 2 de la lettre du 11 décembre 2023 de A______ SA et B______.

Rejette le recours pour le surplus.

Condamne B______ et A______ SA, conjointement et solidairement, aux trois quarts des frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-, soit CHF 750.-, le solde étant laissé à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/18608/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

905.00

Total

CHF

1'000.00