Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/345/2024 du 08.05.2024 ( RECUSE ) , IRRECEVABLE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE PS/25/2024 ACPR/345/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mercredi 8 mai 2024 |
Entre
A______, représenté par Me Pierre BYDZOVSKY, avocat, Charles Russell Speechlys SA, rue de la Confédération 3-5, 1204 Genève,
requérant,
et
B______, juge au Tribunal correctionnel, rue des Chaudronniers 9, case postale 3715,
1211 Genève 3,
cité.
EN FAIT :
A. a. Par pli déposé le 15 mars 2024 au Tribunal correctionnel, A______ demande la récusation du juge B______, président de la composition appelée à le juger.
b. Cette demande a été transmise le lendemain à la Chambre de céans.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. A______ a été entendu par la police le ______ 2020, comme prévenu de viol, contrainte sexuelle et actes d’ordre sexuel sur une personne incapable de discernement ou de résistance. Le même jour, la police a décerné un mandat pour le prélèvement de son ADN. Le 31 août 2020, B______, alors Procureur au sein du Ministère public, a ordonné l’établissement du profil ADN de l’intéressé.
b. Par acte d’accusation du 21 novembre 2023, A______, qui a eu accès au dossier à tout le moins le 2 octobre 2023 (cf. PP Z-135 et Z-139), a été traduit par-devant le Tribunal correctionnel pour y être jugé principalement des chefs de viol et de contrainte sexuelle.
c. Le 15 janvier 2024, A______ a été cité à comparaître pour son procès, fixé le 25 mars suivant. La citation donne la composition du tribunal (dont n’était pas, alors, B______).
d. Le 16 février 2024, A______ a été avisé que le juge présidant les débats serait B______ (entré en fonction le ______ précédent).
e. Le 15 mars 2024, A______ a requis la récusation de B______, au motif qu’il avait décerné l’ordre d’établir son profil ADN.
f. Le 19 mars 2024, l’audience de jugement a été annulée pour ce motif.
C. a. À l'appui de sa requête, A______, dont l’avocat dit s’être « aperçu » en consultant le dossier en vue de ladite audience que B______ avait signé l’ordre d’établir son profil ADN, se prévaut de la jurisprudence selon laquelle un juge ne peut pas siéger comme juge du fond s’il est intervenu comme procureur dans la même procédure.
b. B______ excipe de tardiveté, faisant valoir qu’à l’annonce du changement de la composition du Tribunal correctionnel, A______ connaissait déjà le motif de récusation qu’il invoquait.
c. A______, qui admet avoir reçu l’avis du Tribunal correctionnel du 16 février 2024 (déterminations du 27 mars 2024, ch. 6), estime inapplicable la condition temporelle prévue à l’art. 58 al. 1 CPP, car le motif qu’il invoquait était fondé sur l’art. 56 let. b CPP, et non sur l’art. 56 let. f CPP. B______ eût dû se récuser d’office, « à tout le moins le 15 mars 2024 », après que son attention eut été attirée sur sa situation.
d. B______ n’a pas répliqué.
e. Le Ministère public s’en est remis à justice.
EN DROIT :
1. 1.1. La récusation des magistrats et fonctionnaires judiciaires au sein d'une autorité pénale est régie expressément par le CPP (art. 56 et ss. CPP).
À Genève, lorsque, comme en l'espèce, le Ministère public est concerné, l'autorité compétente pour statuer sur la requête est la Chambre pénale de recours de la Cour de justice (art. 59 al. 1 let. b CPP et 128 al. 2 let. a LOJ), siégeant dans la composition de trois juges (art. 127 LOJ).
1.2. Partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), le requérant dispose de la qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP).
2. 2.1. La demande de récusation doit être présentée sans délai par les parties dès qu'elles ont connaissance d'un motif de récusation (art. 58 al. 1 CPP).
Même si la loi ne prévoit aucun délai particulier, il y a lieu d'admettre que la récusation doit être formée aussitôt, c'est-à-dire dans les six ou sept jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, à peine de déchéance (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3 pet les arrêts cités). Ces réquisits temporels ne sont en revanche pas observés lorsque la requête est formée trois mois, deux mois, deux à trois semaines ou vingt jours après que son auteur a pris connaissance du motif de récusation (arrêt du Tribunal fédéral 7B_266/2023 du 6 décembre 2023 consid. 3.2.).
La phrase introductive de l’art. 56 CPP pourrait laisser penser que la récusation de la personne concernée est obligatoire et que, comme telle, elle ne dépendrait pas de la requête d’une partie ; mais, même si la cause de récusation invoquée eût dû être relevée par le membre de l’autorité pénale lui-même, la partie qui s’en prévaut doit agir sans tarder (N. SCHMID / D. JOSITSCH, Handbuch des schweizerischen Strafprozessrechts, 4e éd., Zurich 2023, p. 197 n. 524). En d’autres termes, lorsqu’une cause de récusation n’a pas été constatée d’office et est soulevée tardivement, le juge continuera à officier (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n.b.p. 12 ad art. 56).
2.2. En l'espèce, le requérant, qui ne conteste pas avoir reçu l’avis du 15 février 2024 lui annonçant la participation du cité comme juge à son procès, a eu accès au dossier en tout cas le 2 octobre 2023, mais affirme s’être « aperçu » de l’acte de procédure ordonné par le cité en qualité de procureur lorsqu’il était en train de préparer l’audience de jugement, convoquée pour le 25 mars 2024. Il part de l'idée que le délai pour agir en récusation ne s’appliquerait pas lorsqu’est invoquée une autre cause de récusation que l’art. 56 let. f CPP.
À tort. L’art. 58 al. 1 CPP ne distingue pas de délai selon les causes légales de récusation ; cette disposition impose à la partie d’agir dès qu’elle a connaissance « du » motif de récusation, sans distinguer entre les let. a à f de l’art. 56 CPP. La jurisprudence du Tribunal fédéral ne s’exprime pas autrement, et notamment pas dans l’arrêt 1B_283/2022 du 29 novembre 2022 consid. 4.1. dont les parties divergent sur la pertinence (pour le cas d’un procureur devenu juge du siège et le délai pour en demander la récusation sur le fondement de l’art. 56 let. b CPP : arrêt du Tribunal fédéral 1B_13/2021 du 1er juillet 2021 consid. 2).
Sitôt qu’il avait eu connaissance de la participation du cité à la composition de jugement, il incombait donc au requérant de soulever sans délai le motif de récusation qu’il voyait dans l’art. 56 let. b CPP. Or, il ne l’a pas fait dans les six ou sept jours qui suivirent l’avis du 15 février 2024, mais un mois plus tard, le 15 mars 2024, alors qu’il avait eu accès au dossier en tout cas le 2 octobre 2023, soit postérieurement à l’acte d’instruction ordonné, le 31 août 2020, par le cité dans ses fonctions judiciaires précédentes.
Sa demande est par conséquent tardive. Il ne peut pas pallier sa propre inaction en la reportant sur le cité.
3. L'autorité qui constate qu'une demande de récusation est tardive n'entre pas en matière et la déclare irrecevable (arrêt du Tribunal fédéral 1B_367/2021 du 29 novembre 2021 consid. 2.2 in fine ; ACPR/847/2023 du 31 octobre 2023 consid. 3.1. ; ACPR/345/2021 du 26 mai 2021 consid. 2.1. ; ACPR/303/2014 du 18 juin 2014 consid. 1 ; A. DONATSCH / T. HANSJAKOB / V. LIEBER (éds), Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung (StPO), 2e éd., Zurich 2014, n. 4 ad art. 58 CPP ; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Strafprozessordnung / Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 3e éd., Bâle 2023, n. 5 ad art. 58).
Il en ira donc ainsi, en l’espèce.
4. En tant qu'il succombe, le requérant supportera les frais de la procédure (art. 59 al. 4 CPP), fixés en totalité à CHF 900.-, émolument compris (art. 13 let. b du règlement fixant le tarif des frais en matière pénale du 22 décembre 2010,RTFMP ; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Déclare irrecevable la demande de récusation formée le 15 mars 2024 contre B______ dans le cadre de la procédure P/3______/2020.
Condamne A______, aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 900.-.
Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au requérant (soit, pour lui, son défenseur) et à B______.
Le communique pour information au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente ; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Valérie LAUBER, juges ; Monsieur Selim AMMANN, greffier.
Le greffier : Selim AMMANN |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
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Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
PS/25/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur récusation (let. b) | CHF | 815.00 |
Total | CHF | 900.00 |