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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/24001/2021

ACPR/300/2024 du 25.04.2024 sur OMP/22429/2023 ( MP ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE);SUPPRESSION(EN GÉNÉRAL);DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ;INTÉRÊT JURIDIQUEMENT PROTÉGÉ;PERSONNE MORALE
Normes : CPP.382

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24001/2021 ACPR/300/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 25 avril 2024

 

Entre

A______, domicilié ______, représenté par Me B______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de refus de levée de séquestre rendue le 28 novembre 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 11 décembre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 28 novembre 2023, notifiée le 30 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé de lever partiellement le séquestre prononcé sur le compte bancaire n° IBAN 1______ auprès de [la banque] C______, au nom de D______ SÀRL.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance précitée et, cela fait, à la levée partielle dudit séquestre à concurrence d'un montant de CHF 120'000.- ; subsidiairement au renvoi de la cause au Ministère public pour qu'il rende une nouvelle décision dans le sens des considérants.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 1er décembre 2021, E______ a déposé plainte contre A______, représentant et seul propriétaire de la société F______ SÀRL, pour banqueroute frauduleuse (art. 163 ch. 1 CP) et diminution effective de l'actif au préjudice des créanciers (art. 164 ch. 1 CP).

Elle a expliqué que cette société, active dans le courtage en assurance, l'avait employée entre le 28 mars et le 30 novembre 2016. Le 22 novembre 2017, elle avait saisi la juridiction prud'homale pour un montant total de l'ordre de CHF 92'000.- lié à diverses créances du chef de ses rapports de travail. Par jugement du 20 novembre 2019 du Tribunal des prud'hommes, tel que modifié le 16 juillet 2021 par la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice, F______ SÀRL avait été condamnée à lui verser la somme de CHF 44'355.75, plus intérêts à 5% dès le 1er décembre 2016. Le 18 novembre 2019, F______ SÀRL avait été déclarée en faillite et, à la même période, A______ avait créé une entreprise en raison individuelle, puis avait fait inscrire au Registre du commerce, le ______ 2020, la société D______ SÀRL, dont le but social était similaire à celui de F______ SÀRL.

b. Les 11 et 25 mai 2022, ainsi que les 13 et 14 juillet 2022, K______ et G______, H______, I______ et J______ ont déposé plainte contre A______, se constituant demandeurs au pénal et au civil, en lien avec des créances contre F______ SÀRL du chef de leurs rapports de travail.

c. Le 15 mai 2023, le Ministère public a ouvert une instruction contre A______ pour banqueroute frauduleuse (art. 163 ch. 1 CP), diminution effective de l'actif au préjudice des créanciers (art. 164 ch. 1 CP), usure (art. 157 CP), abus de confiance (art. 138 ch. 1 al. 2 CP), faux dans les titres (art. 251 ch. 1 CP) et emploi d'étrangers sans autorisation (art. 117 al. 1 LEI).

Il lui était reproché d'avoir, à tout le moins en 2019, provoqué délibérément la faillite de F______ SÀRL, dont il était le seul associé et gérant, afin d'échapper frauduleusement à ses obligations envers ses créanciers, notamment en vidant les comptes de la société et en s'appropriant son matériel de bureau, alors qu'il ne pouvait ignorer que la société allait tomber en faillite, ainsi qu'en dissimulant des valeurs patrimoniales, voire en tenant la comptabilité de ladite société de manière frauduleuse et en produisant de faux certificats de salaire. Il lui était également reproché d'avoir, de mars à novembre 2016, employé E______, ressortissante française, en qualité d'agent au sein de F______ SÀRL, alors qu'elle était dépourvue d'autorisation de travailler sur le territoire helvétique ; exploité la gêne, la dépendance et l'inexpérience de celle-ci entre mars et novembre 2016, de G______ entre octobre 2015 et septembre 2016, de K______ entre décembre 2015 et octobre 2016, de H______ entre septembre 2016 et octobre 2018, de I______ entre novembre 2016 et juin 2017, et de J______ entre mai 2015 et juin 2017, pour se faire accorder, par le biais de leur travail pour le compte de F______ SÀRL, des avantages pécuniaires en disproportion évidente avec leur rémunération. Enfin, il était reproché à A______ d'avoir, sans droit, employé à son profit la somme de EUR 47'049.63 confiée le 20 janvier 2015 par L______ et destinée à M______.

d. Par courrier du 15 mai 2023, le Ministère public, se référant à la disposition générale de l'art. 263 CPP, a notamment ordonné, les séquestres des comptes dont A______ est ou aurait été titulaire, ayant droit ou fondé de procuration auprès de C______.

e. Le 25 mai 2023, C______ a informé le Ministère public que A______ était titulaire, outre d'une relation bancaire à son propre nom, de 25% ou plus des droits de vote ou du capital de D______ SÀRL, dont le compte en ses livres a été séquestré.

f.a. Le 1er novembre 2023, A______ a requis la levée partielle du séquestre, à concurrence de CHF 120'000.-, du compte C______ de D______ SÀRL, expliquant en être l'administrateur. Le séquestre empêchait ladite société de poursuivre son activité dans le domaine de l'immobilier, la privant de revenus. Sa filiale française, D______ FRANCE SAS, exclusivement financée par D______ SÀRL, s'était engagée à verser un solde de CHF 117'578.- pour acquérir un immeuble. Or, le séquestre de l'intégralité du compte était disproportionné, son solde, de CHF 395'219.72, étant supérieur de près de CHF 135'000.- aux prétentions civiles des époux G______/K______ et de E______, d'une somme totale de CHF 260'004.40. Celles de J______ et de I______, faute d'être étayées, ne devaient pas être prises en compte.

f.b. Le 8 novembre 2023, H______ s'est opposé à la demande de levée partielle du séquestre, au motif que ses prétentions civiles s'élevaient à près de CHF 200'000.- (sans les intérêts), à savoir CHF 171'860.- de salaires impayés durant 26 mois, CHF 6'873.57 d'indemnité pour vacances non prises, CHF 8'000.- de remboursement du compte "caution", CHF 6'994.67 de frais de justice et CHF 3'586.76 pour le dommage causé par la non-délivrance d'un certificat de travail.

f.c. Le 23 novembre 2023, E______ et les époux G______/K______ ont actualisé leurs prétentions civiles, en ce sens que la première les a chiffrées à CHF 69'996.19 et les seconds à CHF 120'201.04 pour K______ et CHF 92'837.96 pour l'époux de cette dernière.

Par ailleurs, ils se sont opposés à la levée partielle du séquestre. Le prévenu ne démontrait pas le besoin de liquidités de D______ FRANCE SAS et il existait un risque concret, au vu des structures de sociétés en place, que le but réel consistât à soustraire des montants à la procédure pénale. À cet égard, la vente d'immeuble invoquée était prévue le 20 octobre 2023, avec un versement au plus tard 48 heures avant la signature de l'acte. Or, la demande de levée partielle de séquestre avait été formée le 1er novembre 2023. De plus, le prévenu avait déjà fait l'objet d'une interdiction en France de gérer une société, et sa faillite personnelle avait été prononcée en 2014. Hormis leurs propres prétentions civiles actualisées de CHF 283'035.19, susceptibles d'être modifiées en cours de procédure, d'autres parties plaignantes avaient formé des prétentions civiles contre le prévenu et il y avait lieu de tenir compte des frais de procédure.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public refuse de lever le séquestre litigieux, au motif que les prétentions civiles des parties plaignantes, à savoir CHF 200'000.- pour H______, CHF 69'996.19 pour E______, CHF 92'837.96 pour G______ et CHF 120'201.04 pour K______, excédaient l'assiette du séquestre.

D. a. Dans son recours, A______ soutient que les prétentions civiles invoquées par H______ à hauteur d'environ CHF 200'000.- étaient "fantaisistes". Elles ne correspondaient pas aux conclusions de sa demande devant le Tribunal de prud'hommes, visant au paiement d'un montant de CHF 22'088.48, dans le cadre de laquelle il avait été assisté d'un avocat.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

2.             Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane du prévenu, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP).

3.             Il convient cependant d'examiner la qualité pour recourir de A______, qui reproche au Ministère public d'avoir refusé une levée partielle du séquestre frappant la relation bancaire dont D______ SÀRL est titulaire.

3.1.1. La question devant être examinée d'office par l'autorité pénale, toute partie recourante doit s'attendre à ce que son recours soit examiné sous cet angle, sans qu'il en résulte pour autant de violation de son droit d'être entendue (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1207/2013 du 14 mai 2014 consid. 2.1).

3.1.2. Selon l'art. 382 al. 1 CPP, a qualité pour recourir toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision. Cet intérêt doit être actuel et pratique ; il doit exister tant au moment du dépôt du recours qu'à celui où l'arrêt est rendu (ATF 137 I 296 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_766/2016 du 4 avril 2017 consid. 1.2).

3.1.3. Le recourant, quel qu'il soit, doit être directement atteint dans ses droits et doit établir que la décision attaquée viole une règle de droit qui a pour but de protéger ses intérêts et qu'il peut, par conséquent, en déduire un droit subjectif. Il doit en outre avoir un intérêt à l'élimination de cette atteinte, c'est-à-dire à l'annulation ou à la modification de la décision dont provient l'atteinte (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 2 ad art. 382). L'intérêt doit être juridique et direct, le but étant de permettre aux tribunaux de ne trancher que des questions concrètes et de ne pas prendre des décisions uniquement théoriques. L'intérêt juridiquement protégé se distingue de l'intérêt digne de protection qui n'est pas, lui, nécessairement juridique mais peut aussi être un pur intérêt de fait ; ce dernier ne suffisant pas à fonder une qualité pour recourir. Ainsi, l'existence d'un intérêt de pur fait ou la simple perspective d'un intérêt futur ne suffit pas (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire CPP, Bâle 2016, 2ème éd., n. 2 ad art. 382 CPP et les références citées).

Le recours d'une partie qui n'est pas concrètement lésée par la décision est en principe irrecevable (arrêt du Tribunal fédéral 1B_669/2012 du 12 mars 2013 consid. 2.3.1).

3.1.4. Selon la jurisprudence, dans le cadre d'un recours contre une ordonnance de séquestre, un intérêt juridiquement protégé doit être reconnu à celui qui jouit sur les objets ou valeurs confisqués d'un droit de propriété ou d'un droit réel limité, comme notamment un droit de gage (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1207/2013 du 14 mai 2014 c. 3.1.2).

La qualité pour recourir est en revanche déniée au détenteur économique (actionnaire d'une société ou fiduciant) d'un compte, dans la mesure où il n'est qu'indirectement touché ; la qualité d'ayant droit économique ne fonde donc pas un intérêt juridiquement protégé (arrêts du Tribunal fédéral 6S_365/2005 du 8 février 2006 consid. 4.2 ; 6S_325/2000 du 6 septembre 2000 consid. 4; 1B_21/2010 du 25 mars 2010 consid. 2 et les références ; 1B_94/2012 du 2 avril 2012 consid. 2.1).

3.1.5. En l'espèce, force est tout d'abord de constater que la décision attaquée porte sur un compte bancaire dont le titulaire n'est pas le recourant, mais D______ SÀRL.

Le recourant, unique gérant de cette entité, ne prétend pas agir au nom de celle-ci, qui dispose d'une existence propre (cf. art. 772 al. 1 CO cum art. 52 CC). Son acte a été déposé en son nom personnel uniquement. Il ne peut pas se prévaloir d'un intérêt juridique propre concernant le sort du compte bancaire séquestré, à défaut d'en être titulaire, respectivement de disposer d'un droit, réel ou personnel, sur les valeurs qui y sont déposées. Même dans l'hypothèse, qu'il n'allègue pas, où le recourant serait ayant droit économique de la société titulaire du compte séquestré, celui-ci ne serait, tout au plus, lésé que de façon médiate, de sorte qu'il ne serait de toute façon pas habilité à former recours contre l'ordonnance querellée.

Il s'ensuit que la qualité pour agir, au sens de l'art. 382 al. 1 CPP, doit lui être déniée. Le statut de prévenu du recourant n'y change rien. L'exigence d'un intérêt juridique s'applique en effet à toutes les parties à la procédure, à l'exception du Ministère public (art. 381 CPP).

4.             Au vu de ce qui précède, le recours de A______ doit être déclaré irrecevable.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Déclare le recours irrecevable.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente ; Mesdames Corinne CHAPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges ; Madame Séverine CONSTANS, greffière.

 

La greffière :

Séverine CONSTANS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/24001/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

Total

CHF

900.00