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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/10821/2022

ACPR/168/2024 du 06.03.2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : SUSPENSION DE LA PROCÉDURE;POUVOIR D'APPRÉCIATION
Normes : CP.55a

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10821/2022 ACPR/168/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 6 mars 2024

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], représenté par Me B______, avocat,

recourant,

contre la décision rendue le 5 janvier 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 18 janvier 2024, A______ recourt contre la décision du 5 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé de prononcer la suspension de la procédure au sens de l'art. 55a CP.

Le recourant conclut, sous suite de frais, à l'annulation de cette décision et, principalement, à la suspension de la procédure pour une durée de six mois; subsidiairement, au renvoi de la cause au Ministère public pour qu'il ordonne ladite suspension.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. À teneur du rapport d'interpellation du 16 mai 2022, la police est intervenue au domicile de A______, après avoir entendu des cris en provenance de l'appartement.

b.a. Entendue par la police, C______ a expliqué que, tandis que son compagnon, rentré ivre, était allé se coucher, elle avait fouillé le téléphone de celui-ci et découvert qu'il avait une maîtresse. Il s'était réveillé et avait nié. Elle l'avait empêché de prendre le téléphone en le mettant dans le canapé. Elle voulait des explications mais il avait répondu qu'il allait dormir. Sur le coup de la colère, elle l'avait saisi au cou et avait serré des deux mains. Il lui avait tiré les cheveux et mordu le bras droit; puis, il lui avait donné un coup de genou au visage. Ils n'avaient eu qu'un seul conflit par le passé, en "2013", lors duquel, lorsqu'elle avait voulu entrer dans l'appartement, ils s'étaient empoignés et son compagnon lui avait donné un coup de couteau au-dessus du sein gauche. Elle s'était rendue aux HUG, où elle avait subi trois points de suture, avant de regagner son domicile quelques heures plus tard. Aucune intervention de la police n'avait eu lieu; elle n'avait pas voulu porter plainte. À l'époque, A______ buvait beaucoup et pouvait être violent. Elle était en couple avec ce dernier depuis "2013" et habitait avec lui depuis "2014".

b.b. Entendu en qualité de personne appelée à donner des renseignements, A______ a confirmé qu'alors qu'il dormait sur le canapé, sa copine l'avait réveillé en hurlant et tenant son téléphone dans la main. L'appareil avait glissé dans les coussins du canapé. Sa compagne l'avait alors saisi, des deux mains, à la gorge. N'arrivant pas à respirer et à se défaire de son étreinte, il lui avait tiré les cheveux et mordu le bras pour qu'elle le lâche; il lui avait également donné un coup. En "2013", alors qu'il était ivre, il avait confondu C______ avec un intrus et lui avait asséné un coup de couteau, lui causant une plaie de quelques centimètres. Avec la précitée, ils s'étaient rendus aux HUG, sans faire appel à la police. Il avait emménagé avec C______ en "2012" et ils avaient eu un enfant en 2015.

b.c. Entendu derechef en qualité de prévenu, A______ a confirmé ses précédentes déclarations. Au sujet du coup de couteau, l'évènement avait dû avoir lieu lors d'une soirée en "2012", alors qu'il était en couple avec C______ depuis "quelques mois". Le soir des faits, alors qu'il était seul chez lui et ivre, il avait entendu quelqu'un insérer les clés dans la serrure de la porte d'entrée; ne se sentant pas en sécurité, il s'était saisi d'un petit couteau pointu. Alors qu'il levait le bras, la personne commençant à entrer dans le logement, il avait planté le couteau dans le haut de la poitrine de l'intrus et s'était rendu compte qu'il s'agissait de C______, à qui il avait oublié avoir remis un jeu de clé.

b.d. Aucune des deux parties n'a souhaité déposer plainte pour les faits précités.

c.a. Lors de l'audience du 17 mai 2022 par-devant le Ministère public, A______, mis au bénéfice de la défense d'office, a été prévenu de tentative de meurtre (art. 111 CP cum 22 CP), lésions corporelles simples (art. 123 CP) et voies de fait (art. 126 CP) pour avoir dans l'appartement sis à D______ [GE]:

- "à une date indéterminée de l'année 2013", tenté de tuer C______ en agitant un couteau, par une porte entrouverte, et en la blessant, au niveau de la poitrine, lui causant des lésions ayant nécessité trois points de suture;

- le 16 mai 2022, vers 4h50, tiré les cheveux et mordu le bras de C______, puis, une fois qu'elle était à terre, lui avoir donné un coup de genou au visage et des coups de poings à la tête, lui causant des douleurs et des hématomes.

c.b. A______ a expliqué être en couple avec C______ depuis "2011" et vivre officiellement avec elle depuis "2012" environ. Ensemble, ils avaient eu un enfant, alors âgé de sept ans.

c.c. À l'issue de son audition, le Ministère public a remis en liberté A______ avec des mesures de substitution confirmées, le lendemain, par le Tribunal des mesures de contrainte, soit en particulier l'obligation d'entreprendre un traitement psychothérapeutique contre la violence et les addictions. Cette mesure a été prolongée jusqu'au 16 janvier 2024 et n'a pas fait l'objet d'une requête ultérieure en prolongation.

d. Le 27 octobre 2022, le Procureur a prévenu C______ – laquelle ne s'était pas présentée à l'audience du 22 septembre précédent – de lésions corporelles simples, voire voies de fait, sur A______ pour les faits survenus le 16 mai précédent. N'étant pas assistée d'un avocat, la prévenue ne s'est pas exprimée sur les faits reprochés tout en déclarant souhaiter que son compagnon revienne au domicile.

e. Le 12 décembre 2022, C______ a déclaré vivre en couple avec A______ depuis "2013" et cohabiter avec lui depuis "2014". Au sujet de l'altercation de "2013", le prévenu, qui l'avait piquée avec un couteau, ne s'était même pas rendu compte qu'il l'avait blessée. Elle a précisé qu'il n'y avait pas eu d'autres évènements de violence hormis ceux de "2013" et du 16 mai 2022.

f. Le 15 décembre 2022, les HUG ont informé le Ministère public ne disposer d'aucune trace d'un passage de C______ pour l'année 2013. En revanche, des documents médicaux existaient en lien avec une prise en charge à la suite "d'éventuel(s) coup(s) porté(s)" le 30 mars 2014.

g. Par courrier du 23 janvier 2023, C______ a expliqué au Ministère public que les événements litigieux remontaient à plus de dix ans, qu'elle continuait à vivre avec A______, lequel suivait son traitement et évoluait positivement, et qu'elle préférait que leur enfant commun puisse vivre avec son père plutôt que ce dernier ne soit en prison. A______ assumait d'ailleurs l'essentiel de leur entretien avec son salaire. Elle sollicitait ainsi une "suspen[s]ion du dossier".

h. Le 21 février 2023, A______, sous la plume de son conseil, a également demandé la suspension de la procédure.

i. Par courrier du 20 novembre 2023, A______ a réitéré sa demande, précisant qu'il était devenu un "père de famille équilibré et loyal". À titre subsidiaire, lui et C______ devaient être entendus derechef pour que le Ministère public constatât la sincérité de leurs propos.

j. Par avis du 5 janvier 2024, le Ministère public a avisé les parties qu'il entendait rendre une ordonnance de classement concernant C______ et dresser un acte d'accusation à l'encontre de A______ pour les faits du 30 mars 2014 et ceux du 16 mai 2022.

C. Dans la décision querellée, le Ministère public ne remet pas en cause la volonté des parties de suspendre la procédure. L'intérêt de la poursuite pénale primait cependant celui de C______. Dans la procédure, A______ était soupçonné de violence à l'égard de la précitée, lors de deux épisodes distincts. Dans l'un d'eux, le prévenu avait agi avec un couteau, blessant "la victime". Ces faits pouvaient être qualifiés de lésions corporelles simples. Ainsi, au vu des actes reprochés et de la nature de ceux-ci, en particulier s'agissant de l'épisode de 2014, il n'entendait pas ordonner la suspension de la procédure au sens de l'art. 55a CP.

D. a. Dans son recours, A______ plaide, en premier lieu, la recevabilité de son recours, soutenant bénéficier d'un intérêt juridiquement protégé à la suspension de la procédure, dans la perspective d'obtenir plus rapidement, et avant le renvoi en jugement, une ordonnance de classement. En outre, même si le Tribunal pénal pourrait être saisi par la suite d'une nouvelle demande de suspension émanant de C______, ce qui était "hautement probable", il n'avait pas la "maîtrise de cette formalité procédurale". Il disposait ainsi d'un intérêt à ce que l'autorité saisie, "actuellement et concrètement", d'une telle requête statuât de "manière conforme au droit", sans devoir s'en remettre "ultérieurement à la formulation par une tierce partie d'une nouvelle requête devant le juge de fond".

Pour le surplus, la cause correspondait à "un cas d'école d'application du mécanisme prévu par l'art. 55a CP". Les faits de 2022 étaient le résultat d'un "malentendu", durant lesquels il s'était "contenté de repousser les attaques" de C______. Cette dernière avait exprimé, volontairement et sans pression de sa part, son souhait de voir la procédure suspendue et sa situation à lui, tant personnelle que professionnelle, s'était stabilisée. Ainsi, les "conditions de l'art. 55a al. 1 CP [étaient] bien réalisées". Le Ministère public "fond[ait] son refus de classer la procédure sur le fait qu'il existerait une infraction préalable – non encore jugée – qui [était] désormais qualifiée de lésions corporelles simples potentiellement commise en 2014". À supposer que ce complexe de faits devait conduire à une condamnation, cela ne suffirait pas pour justifier "une exclusion des mécanismes prévus par l'art. 55a CP". En effet, les conditions de l'art. 55a al. 3 CP n'étaient pas réalisées puisqu'il n'était pas contesté qu'à l'époque, leur relation ne se trouvait qu'à ses prémisses, sans faire encore "ménage commun". Ainsi, dans l'hypothèse d'une condamnation pour les faits de 2014, l'acte punissable n'aurait pas été commis au détriment d'une victime au sens de l'art. 55a al. 1 let. a CP, comme l'exigeait l'art. 55a al. 3 let. c CP.

Enfin, selon l'avis de prochaine clôture, le Ministère public entendait classer la procédure à l'égard de C______. Or, dans la mesure où il n'était pas contestable que cette dernière s'était elle-même "rendue coupable de lésions corporelles simples" à son égard, un tel classement ne pouvait pas reposer "logiquement que sur une application – sans suspension préalable – de l'art. 55a CP" en faveur de la précitée. Il existait ainsi une différence de traitement manifeste entre les deux parties et le refus de suspendre la procédure consacrait une violation de l'art. 8 Cst.

b. Dans ses observations, le Ministère public considère que la demande de suspension devait s'examiner à l'aune de l'ensemble des faits reprochés à A______. Par ailleurs, la situation des deux concubins différait, de sorte qu'il se justifiait de les traiter différemment, sans violer le principe de l'égalité de traitement.

c. Dans sa réplique, A______ soutient – de façon peu claire – que le Ministère public semblait "vouloir fonder le refus de suspendre la procédure conformément aux mécanismes de l'art. 55a CP et, in fine, de classer la procédure sur le complexe de faits du 16 mai 2022 exclusivement sur le fait selon lequel [il] serait par ailleurs prévenu de lésions corporelles simples – qualification désormais retenue par le Ministère public lui-même – en raison du complexe de faits du 30 mars 2014". Or, "l'existence d'une autre prévention ne pouvait pas fonder le refus de classer les faits du 16 mai 2022 en application de l'art. 55a CP". En effet, aucune des conditions de l'art. 55a al. 3 CPP n'était réunie.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été interjeté selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans les délais prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP). Il émane du prévenu, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP).

1.2.1. Le recours est recevable contre les décisions et les actes de la police, du ministère public et des autorités pénales compétentes en matière de contraventions (art. 393 al. 1 let. a CPP).  

À la différence de l'art. 393 al. 1 let. b CPP qui réserve, s'agissant des décisions des tribunaux de première instance, les actes de la direction de la procédure, c'est-à-dire ceux qui concernent le déroulement de la procédure, l'art. 393 al. 1 let. a CPP s'étend à l'ensemble des décisions et des actes de procédure du ministère public (arrêt du Tribunal fédéral 1B_451/2017 du 7 décembre 2017 consid. 2.1). Sauf exceptions prévues expressément par la loi, toutes les décisions de procédure sont ainsi susceptibles de recours (ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_415/2018 du 19 septembre 2018 consid. 3).

1.2.2. À défaut de dispositions contraires, il peut dès lors être conclu qu'une décision du ministère public prononçant la suspension d'une procédure au sens de l'art. 55a CP, ou refusant de le faire, est sujette à recours (art. 393 al. 1 let. a CPP).

1.3. Reste la question de l'existence d'un intérêt juridiquement protégé à agir (art. 382 al. 1 CPP).

1.3.1. À ce sujet, la doctrine semble adopter des positions antagonistes. La première, alémanique, reconnaît au prévenu un intérêt à recourir contre le refus de la suspension de la procédure (M. NIGGLI/ H. WIPRÄCHTIGER, Basler Kommentar Strafrecht, 4ème éd., Bâle 2019, n. 167 ad art. 55a [qui se fonde néanmoins sur le droit en vigueur avant le 1er juillet 2020]; S. TRECHSEL / M. PIETH, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, 4e éd., Zurich 2021, n. 8 ad art. 55a [qui renvoie à la référence précitée]). La seconde, romande, dénie au prévenu tout intérêt à recourir, que ce soit en cas de suspension ou de reprise de la procédure (L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), Commentaire romand, Code pénal I, art. 1-110 CP, 2ème éd., Bâle 2021, n. 33 ad art. 55a).

1.3.2. Il n'apparaît pas nécessaire de trancher cette controverse en l'occurrence, dès lors que le recours s'avère, en tout état, infondé.

2.             Le recourant conteste le refus du Ministère public de suspendre la procédure au sens de l'art. 55a CP.

2.1. À teneur de l’art. 55a al. 1 CP, en cas de lésions corporelles simples, de voies de fait réitérées, de menace ou de contrainte, le ministère public ou le tribunal peut suspendre la procédure si la victime est le partenaire ou ex-partenaire hétérosexuel ou homosexuel de l’auteur et que l’atteinte a été commise durant la période de ménage commun ou dans l’année qui a suivi la séparation (let. a ch. 3), si la victime le requiert (let. b), et si la suspension semble pouvoir stabiliser ou améliorer la situation de la victime (let. c).

2.2.1. En dehors des couples mariés, la protection spéciale de la victime ne se justifie qu'en présence d'une communauté de vie. Celle-ci suppose la réunion de deux conditions: d’une part, l’auteur doit être le partenaire hétéro- ou homosexuel de la victime. D’autre part, l’auteur doit faire ménage commun avec la victime pour une durée indéterminée ; la communauté de vie doit être destinée à durer toute la vie, ou au moins une assez longue période, ce qui exclut les relations passagères ou tout autre rapport d’avance limité dans le temps (M. DUPUIS / L. MOREILLON/ C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal -Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2017, n. 6 ad art. 55a).

2.2.2. Le nouveau droit, entré en vigueur au 1er juillet 2020, pose toujours, comme postulat, que la victime ou, lorsqu’elle n’a pas l’exercice des droits civils, son représentant légal, doit initier cette démarche. Cependant, afin d’éviter de mettre cette dernière sous pression, il faut encore (cumulativement) que la suspension semble (aux yeux de l’autorité de poursuite) pouvoir stabiliser et améliorer la situation de la victime (L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), op. cit., n. 10 ad art. 55a).

Cette révision de l'art. 55a CP visait ainsi à soulager la victime et accorder à l'autorité (le tribunal ou le ministère public) une plus grande marge d'appréciation et, partant, une plus grande responsabilité. La décision de suspendre, de reprendre ou de classer la procédure ne doit plus être laissée à la seule victime et l'autorité ne doit plus être tenue de suivre la volonté de cette dernière sans examen. Dorénavant, l'intérêt public à la poursuite pénale, d'autant plus en cas d'infraction poursuivie d'office, prévaut sur la position de la victime (arrêt du Tribunal fédéral 6B_563/2022 du 29 septembre 2022 consid. 1.3.3; Message du Conseil fédéral du 11 octobre 2017 [17.062] concernant la loi fédérale sur l'amélioration de la protection des victimes de violences, FF 2017 6913, p. 6975). La suspension constitue désormais l'exception et non plus la règle (arrêt du Tribunal fédéral 6B_563/2022 précité, consid. 1.1.3 in fine).

2.2.3. Pour déterminer si la suspension pourrait entraîner une stabilisation ou une amélioration de la situation de la victime, l’autorité devra prendre en compte un certain nombre d’éléments, parmi lesquels le fait que la victime, qui prend une telle initiative, a bel et bien réfléchi sur les conséquences de la procédure, le fait que le prévenu lui-même s’est auto-dénoncé, les raisons pour lesquelles la victime demande une telle suspension, l’appréciation cas échéant du remord ou du repentir dont fait d’ores et déjà preuve le prévenu, la compréhension, par celui-ci, de sa propre initiative des démarches pour changer son comportement, une réflexion objective entre la victime et lui sur la résolution du conflit, l’augmentation ou la diminution du risque d’une nouvelle agression de sa part, l’exposition des enfants à des actes de violence au sein du couple, la gravité de l’acte reproché, le nombre d’interventions policières, le nombre de plaintes précédemment déposées mais suivies d'un retrait (L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), op. cit., n. 13 ad art. 55a)

2.2.4. L'art 55a al. 1 let. c CP doit encore être interprété à l'aune du principe de la proportionnalité. La suspension de la procédure doit apparaître comme le moyen approprié de stabiliser ou d'améliorer la situation de la victime (FF 2017 6913, p. 6977).

2.3. Selon l'art. 55a al. 3 CP, la procédure ne peut pas être suspendue si le prévenu a été condamné pour un crime ou un délit contre la vie, l’intégrité corporelle, la liberté ou l’intégrité sexuelle (let. a); si une peine ou une mesure a été ordonnée à son encontre (let. b); et si le prévenu a commis l’acte punissable contre une victime au sens de l’al. 1, let. a. (let. c).

2.4. En l'espèce, tous les développements du recourant sur la non-réalisation des conditions de l'art. 55a al. 3 CP doivent être d'emblée écartés.

Ils partent, sans que l'on comprenne pourquoi, du postulat que le Ministère public fonderait sa décision de refuser la suspension de la procédure sur cet alinéa. Or, cela ne ressort nulle part du dossier, en particulier pas de la décision entreprise ni des observations subséquentes.

L'exclusion de la suspension selon cette disposition constitue une exception aux mécanismes prévus par l'art. 55a al. 1 CP. Elle suppose entre autres conditions, comme le recourant le souligne d'ailleurs, l'existence d'une condamnation préalable, ce qui n'est en l'occurrence pas le cas et qui n'a jamais été allégué par l'autorité précédente.

Il est ainsi manifeste que le refus du Ministère public de suspendre la procédure se fonde sur l'art. 55a al. 1 CP uniquement et s'inscrit dans la marge d'appréciation que lui confère cette disposition.

À ce propos, l'autorité précédente a pris acte de la volonté de la plaignante de suspendre la procédure. Elle a toutefois considéré que l'intérêt public primait cette requête, au vu de la gravité des faits, en particulier ceux du 30 mars 2014.

À titre liminaire, se pose la question de savoir s'il peut être tenu compte de cet épisode avec un couteau dans le cadre de l'art. 55a al. 1 CP. Même s'il n'invoque pas ce point sous cet angle, le recourant soutient néanmoins qu'en 2014, lui et la plaignante ne partageaient pas encore une relation stable, ce qui signifierait que sa concubine ne pourrait pas être considérée comme une victime au sens de la norme visée.

Force est toutefois de constater la mémoire vacillante du couple au sujet des événements. Ils ont ainsi daté l'incident en cause en 2012 ou 2013, alors que, selon toute vraisemblance, il est survenu en 2014. En outre, selon ses propres déclarations, le recourant a emménagé avec sa concubine en 2012 déjà. Cette dernière a donné une chronologie différente, situant le début de leur vie sous le même toit tantôt en 2013, tantôt en 2014. Il n'est enfin pas contesté qu'ils ont eu un enfant ensemble en 2015. Ces éléments permettent de retenir qu'ils faisaient ménage commun au moment de l'incident impliquant le couteau.

Dès lors, le Ministère public pouvait valablement examiner la question de la suspension de la procédure à l'aune de l'ensemble des faits reprochés au recourant.

2.5. Ces faits peuvent être constitutifs de lésions corporelles simples, voire de voies de fait. En outre, la plaignante – victime – a sollicité la suspension de la procédure. À l'instar du recourant, les conditions de l'art. 55a al. 1 CP sont donc remplies.

Néanmoins, depuis la révision de cette disposition, la volonté de la victime n'est plus exclusive et l'autorité de poursuite doit encore examiner si la suspension semble pouvoir stabiliser ou améliorer la situation de celle-là (let. c).

En l'occurrence, le Ministère public a estimé que tel n'était pas le cas et ce raisonnement ne prête pas le flanc à la critique.

Les faits reprochés au recourant revêtent une certaine gravité, l'un des épisodes impliquant une plaie causée au niveau de la poitrine avec un couteau. Les parties ne s'entendent pas sur le contexte entourant cet incident. Le prévenu allègue, en outre, être devenu un père de famille "équilibré et loyal" depuis 2014. Pour autant, lors de sa première audition, sa concubine a expliqué qu'il buvait beaucoup à l'époque et qu'il pouvait se montrer violent, avant de se dédire dans ses déclarations ultérieures. Dans tous les cas, l'épisode du 16 mai 2022, même s'il relèverait d'un "malentendu", marquerait un nouvel excès de violence dans leur relation, durant lequel des coups ont été vraisemblablement échangés de part et d'autre.

À l'appui de sa demande de suspension de la procédure, la plaignante a expliqué qu'elle souhaitait que leur fils grandisse avec son père, plutôt que ce dernier ne soit en prison. Entre le 17 mai 2022 et le 16 janvier 2024, le recourant a fait l'objet de mesures de substitution, dont l'obligation de suivre un traitement psychothérapeutique. Selon les dires de sa concubine, ce suivi a montré des résultats positifs, de sorte que la suspension totale de la procédure n'apparaît pas comme le seul moyen de stabiliser ou d'améliorer la situation.

Compte tenu de ce qui précède, il n'y a pas lieu de remettre en cause l'appréciation du Ministère public selon laquelle l'intérêt public à la poursuite prime celui de la plaignante.

L'égalité de traitement n'offre aucune assise au recourant pour contester cette décision, dès lors que sa situation diffère de celle de sa concubine par le simple fait, déjà, que sa mise en prévention ne se limite pas aux événements du 16 mai 2022. Le Ministère public serait néanmoins bien inspiré d'achever rapidement la procédure d'instruction.

3.             Justifiée, la décision entreprise sera donc confirmée.

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03). En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).

5.             La procédure n'étant pas terminée, il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade (cf art. 135 al. 2 CPP) le défenseur d'office.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/10821/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

-

CHF

Total

CHF

900.00