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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/5/2024

ACPR/37/2024 du 22.01.2024 ( PSPECI ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : EXÉCUTION DES PEINES ET DES MESURES;PRINCIPE DE LA BONNE FOI;ACTE MATÉRIEL;MISE EN LIBERTÉ DÉFINITIVE
Normes : CEDH.3; CEDH.5; RRIP.1; Cst.5.al3

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/5/2024 ACPR/37/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 22 janvier 2024

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de Champ-Dollon, représenté par Me B______, avocate,

recourant,

contre l'ordre d'exécution émis le 9 janvier 2024 par le Service de l'application des peines et mesures,

 

LE SERVICE DE L'APPLICATION DES PEINES ET MESURES, case postale 1629, 1211 Genève 26,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié par messagerie sécurisée le 11 janvier 2024, A______ recourt contre l'ordre d'exécution émis le 9 janvier 2024 par le Service de l'application des peines et mesures (ci-après : SAPEM).

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens chiffrés : sur mesures provisionnelles, à sa mise en liberté immédiate; sur le fond : au constat de l'illicéité de sa détention actuelle, au constat de la violation des art. 3 et 5 CEDH, à l'annulation de la révocation de l'ordre d'exécution du 14 décembre 2023, à sa mise en liberté immédiate et à ce qu'un délai au 26 juin 2024 lui soit accordé pour s'acquitter du solde de ses condamnations.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Entre 2020 et 2022, A______ a été définitivement condamné, dans les procédures P/1______/2019, P/2______/2021, P/3______/2021 et P/4______/2021, à des peines pécuniaires et des amendes converties en peines privatives de liberté de substitution.

b. Les 5, 26, 31 octobre et 7 novembre 2023, le SAPEM a été saisi par le Service des contraventions (ci-après : SdC) d'injonctions d'exécuter lesdites peines, totalisant 194 jours.

c. Par plis des 11 octobre, 1, 8 et 15 novembre 2023, le SAPEM a imparti à A______ un délai au 11 novembre, respectivement au 2, 9 et 16 décembre 2023, pour s'acquitter de ses condamnations, à défaut de quoi son arrestation par la police en vue de son incarcération immédiate en détention ordinaire à la prison de Champ-Dollon serait ordonnée.

d. Le 14 décembre 2023, A______ s'est rendu au SAPEM, où il s'est acquitté de CHF 500.- (correspondant à 16 jours de peine privative de liberté de substitution, imputés sur la P/4______/2021).

e. Le même jour, le SAPEM lui a, en relation avec les procédures P/1______/2019, P/2______/2021, P/3______/2021 et P/4______/2021, notifié un courrier intitulé "ordre d'exécution", par lequel il le convoquait le mercredi 26 juin 2024 à l'Hôtel de police de Carl-Vogt en vue de son entrée en détention à Champ-Dollon. Il était spécifié que ce document faisait office d'ordre d'exécution en vue d'une incarcération immédiate à Champ-Dollon et qu'un paiement complet (des peines privatives de liberté de substitution) en faveur du SAPEM annulerait la présente convocation.

f. A______ a été arrêté provisoirement le 5 janvier 2024 à la suite de soupçons d'abus de confiance, subsidiairement d'utilisation frauduleuse d'un ordinateur, au préjudice de C______, dans le cadre de la P/5______/2023.

g. Par ordonnance du 7 janvier 2024, le Tribunal des mesures de contrainte a refusé sa mise en détention et ordonné sa mise en liberté immédiate sous mesures de substitution (obligation de déférer aux convocations et interdiction de tout contact avec notamment le lésé).

h. Par courriel du même jour, le SAPEM a informé la prison de Champ-Dollon que A______ devait rester incarcéré pour y subir sa peine "malgré la convocation qui lui avait été adressée pour une entrée en détention en juin 2024".

C. Le 9 janvier 2024, le SAPEM a émis un ordre d'exécution à l'endroit de A______, dans le cadre des procédures P/1______/2019, P/2______/2021, P/3______/2021 et P/4______/2021, pour un solde total de 178 jours.

À la demande du défenseur d'office du précité dans la P/5______/2023, il le lui a communiqué par courriel du 10 janvier 2024.

D. a. À l'appui de son recours, A______ reproche au SAPEM d'avoir, par l'ordre d'exécution du 9 janvier 2024, unilatéralement révoqué le délai au 26 juin 2024 qui lui avait été octroyé pour le paiement de ses condamnations et converti le solde de ses peines pécuniaires en peines privatives de liberté de substitution. Ce faisant, le SAPEM avait transgressé l'assurance donnée, concrétisée par l'ordre d'exécution rendu le 14 décembre 2023, qu'il disposait d'un délai au 26 juin 2024 pour s'acquitter du solde de ses peines, se comportant ainsi de manière contraire à la bonne foi. Sa détention actuelle violait en outre l'art. 5 CEDH. Ensuite, il exécutait actuellement sa détention à Champ-Dollon, soit dans un établissement inadapté et selon les modalités strictes de la détention avant jugement, ce qui constituait un traitement inhumain selon l'art. 3 CEDH.

b. Dans ses observations, le SAPEM conclut au rejet du recours. Il expose que l'ordre d'exécution du 14 décembre 2023 ne constituait en rien un délai supplémentaire octroyé pour procéder au paiement des montants dus. La date prévue "relativement lointaine" relevait d'un aspect purement organisationnel, les placements en détention étant dépendants des entrées et sorties de la prison de Champ-Dollon. Ainsi, l'ordre d'exécution émis le 9 janvier 2024 n'était ni une révocation de délai, ni même une conversion du solde de peines dans la mesure où ces dernières avaient fait l'objet d'une conversion par le SdC au préalable. Il ne pouvait lui être reproché d'avoir confirmé à la prison de Champ-Dollon le maintien en détention de l'intéressé, dès lors qu'il était compétent pour faire exécuter les peines privatives de liberté de substitution. Pour éviter une détention, il appartenait à l'intéressé de s'acquitter des peines pécuniaires et amendes concernées à l'issue des invitations à payer qui lui avaient été signifiées, ce qu'il n'avait pas fait. L'ordre d'exécution du 9 janvier 2024 était fondé sur des condamnations définitives et exécutoires; sa légalité, sous l'angle de l'art. 5 CEDH, était incontestable. Enfin, le règlement sur le régime intérieur de la prison n'excluait pas la détention, à Champ-Dollon, de personnes en exécution de peine.

c. A______ a répliqué.

EN DROIT :

1. Le recours est dirigé contre l'ordre d'exécution émis par le SAPEM le 9 janvier 2024 en tant qu'il a pour effet de maintenir en détention le recourant. La question de sa recevabilité se pose donc.

2. 2.1. Selon la doctrine et la jurisprudence de la Chambre de céans, l'ordre d'exécution d'une sanction – soit l'injonction adressée au condamné tendant à la mise en oeuvre du prononcé pénal entré en force sans entraîner de modification de sa situation juridique, telle la convocation auprès d'un établissement pour y subir une sanction privative de liberté – ne lésant pas les droits du condamné au-delà de ce qui a été arrêté dans le prononcé pénal, est un acte matériel ("Realakt") dont l'objet n'est pas de produire un effet juridique, mais bien la modification d'un état de fait. Un tel ordre d'exécution n'est ainsi pas sujet à recours, faute pour son destinataire de pouvoir faire valoir un intérêt juridique, c'est-à-dire un intérêt actuel et direct à l'annulation ou à la modification de l'injonction (ACPR/396/2016 du 29 juin 2016; ACPR/443/2014 du 30 septembre 2014; ACPR/552/2013 du 17 décembre 2013 et ACPR/472/2013 du 10 octobre 2013).

Une exception à l'irrecevabilité d'un recours contre un ordre d'exécution d'une sanction doit cependant être admise lorsque cet ordre met en cause des droits constitutionnels inaliénables ou imprescriptibles ou lorsque la décision est frappée de nullité absolue. Peuvent ainsi être critiqués l'application manifestement inexacte des dispositions sur la prescription de la peine, l'arbitraire dans la fixation de la date d'incarcération et la violation de l'art. 3 CEDH ou l'atteinte portée à un droit ou à une liberté reconnus par la CEDH (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, Bâle 2019, n. 35-36 ad art. 439; cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_533/2018 du 6 juin 2018 consid. 1.1 et les références citées).

2.2. Aux termes de l'art. 5 al. 3 Cst., les organes de l'État et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi. De ce principe général découle notamment le droit fondamental de toute personne d’être, dans ses relations avec l'État, traitée sans arbitraire et conformément aux règles de la bonne foi, tel que consacré à l'art. 9 Cst. (ATF 138 I 49 consid. 8.3.1 p. 53). Le principe de la bonne foi est également concrétisé en procédure pénale à l'art. 3 al. 2 let. a CPP (ATF 144 IV 189 consid. 5.1; 143 IV 117 consid. 3.2).

Selon ce principe constitutionnel, toute autorité doit s'abstenir de procédés déloyaux et de comportements contradictoires (ATF 111 V 81 consid. 6; arrêts du Tribunal fédéral 1B_640/2012 du 13 novembre 2012 consid. 3.1 et les arrêts cités; 6B_481/2009 du 7 septembre 2009 consid. 2.2; ACPR/336/2012 du 20 août 2012). À certaines conditions, le citoyen peut ainsi exiger de l'autorité qu'elle se conforme aux promesses ou assurances précises qu'elle lui a faites et ne trompe pas la confiance qu'il a légitimement placée dans ces dernières (ATF 128 II 112 consid. 10b/aa; 118 Ib 580 consid. 5a). De la même façon, le droit à la protection de la bonne foi peut aussi être invoqué en présence, simplement, d'un comportement de l'administration susceptible d'éveiller chez l'administré une attente ou une espérance légitime (ATF 129 II 361 consid. 7.1; 126 II 377 consid. 3a et les références citées; ACPR/125/2014 du 6 mars 2014).

2.3. En l'occurrence, l'acte matériel dont est recours se fonde sur des peines pécuniaires et amendes converties en peines privatives de liberté de substitution définitives et exécutoires. Le recourant ne s'en étant pas acquitté, le SdC a enjoint au SAPEM de procéder à leur exécution. La conversion n'a ainsi jamais été le fait du SAPEM, qui agit uniquement en tant qu'autorité d'exécution. Le SAPEM a alors imparti au recourant des délais pour procéder au paiement en l'informant qu'à défaut, son incarcération immédiate en détention ordinaire serait ordonnée. Seul un paiement partiel étant survenu, le SAPEM a émis, le 14 décembre 2023, un ordre d'exécution.

Le recourant soutient qu'à teneur de ce document, il disposait d'un ultime délai au 26 juin 2024 pour s'acquitter du solde de ses peines, son entrée en détention à la prison de Champ-Dollon étant fixée à cette date.

Le SAPEM le réfute. Ce délai était purement organisationnel.

S'il est établi qu'à la date où le recourant a été arrêté provisoirement, le 5 janvier 2024, puis mis en liberté sous mesures de substitution, le surlendemain, dans une autre affaire, il ne s'était toujours pas acquitté du solde de ses peines converties dans les procédures P/1______/2019, P/2______/2021, P/3______/2021 et P/4______/2021, il n'en demeure pas moins que le seul ordre d'exécution en vigueur à ce moment était celui émis le 14 décembre 2023. Si ce document stipule qu'il fait office d'ordre d'exécution pour une incarcération immédiate à Champ-Dollon, il prévoit aussi qu'un paiement complet en annulera les effets. Compte tenu de la date d'entrée en détention fixée au 26 juin 2024, le recourant pouvait ainsi comprendre qu'un paiement jusqu'à cette date restait possible. Or, le SAPEM, informé de la détention provisoire du recourant dans la P/5______/2023 puis de sa mise en liberté sous mesures de substitution, le 7 janvier 2024, en a profité pour émettre, subséquemment, un nouvel ordre d'exécution pour maintenir l'intéressé en détention. Ce revirement, contraire à l'assurance qu'a pu percevoir le recourant, est contraire aux règles de la bonne foi et consacre un arbitraire. Il ne saurait dès lors mériter protection. Partant, il tombe sous le coup de l'une des exceptions à l'irrecevabilité du recours évoquées plus haut. 

L'ordre d'exécution du 9 janvier 2024 sera dès lors annulé et la mise en liberté immédiate de l'intéressé ordonnée.

Il n'appartient pas à la Chambre de céans d'impartir au recourant un délai pour s'acquitter du solde de ses condamnations, étant relevé qu'à ce stade, l'ordre d'exécution du 14 décembre 2023 reste en vigueur.

3. Le recourant invoque que sa détention subie serait illicite et violerait son droit à la liberté, tel que prévu à l'art. 5 CEDH.

Toute injonction d'exécuter une peine privative de liberté a précisément pour effet de priver le condamné de sa liberté. En tant que cette atteinte découle spécifiquement de l'art. 1 CP, qui consacre le principe de la légalité des délits et des peines selon l'adage nullum crimen, nulla poena sine lege, elle est conforme à la Constitution et à la CEDH.

La légalité des jugements condamnatoires à l'origine des peines privatives de liberté à exécuter étant incontestable, c'est à tort que le recourant se prévaut de son droit à la liberté garanti par l'art. 5 CEDH.

La détention ainsi subie à compter de sa mise en liberté dans le cadre de la P/5______/2023, le 7 janvier 2024, sera au demeurant imputée sur son solde de peines à exécuter (art. 51 CP).

4. Le recourant allègue enfin une violation de l'art. 3 CEDH, qui prohibe la torture ainsi que les traitements inhumains ou dégradants, en tant que sa détention subie depuis le 7 janvier 2024 le serait à Champ-Dollon sous le régime de la détention avant jugement.

4.1. L'art. 1 al. 1 et 2 du règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (ci-après : RRIP) spécifie que la prison de Champ-Dollon est en particulier réservée aux prévenus en détention préventive ou en exécution de peine jusqu'à trois mois. Cependant, l'al. 3 let. b de cette disposition prévoit que Champ-Dollon peut exceptionnellement accueillir des condamnés autres que les personnes mentionnées à l'al. 1 et 2.

4.2. En l'espèce, le simple début d'exécution des peines du recourant à Champ-Dollon peut être considéré comme justifié au sens de l'art. 1 al. 3 let. b RRIP, de sorte qu'on ne décèle ici aucun traitement inhumain ou dégradant.

5. Le présent arrêt rend la demande de mesures provisionnelles sans objet.

6. Le recours est partiellement admis.

7. Son admission ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

8. Le recourant, qui a partiellement gain de cause, a droit à une indemnité pour ses frais de défense (art. 436 al. 1 cum 429 al. 1 let. a CPP).

Il conclut au versement d'une indemnité de CHF 4'500.- (10 heures d'activité de son conseil au tarif horaire de CHF 450.-) pour la rédaction du recours.

Eu égard à l'activité déployée (un recours et une réplique), au peu de difficulté de la cause, au fait que le recourant succombe partiellement et que son écriture de recours n'est pas exempte de redites, une indemnité correspondant à une heure trente d'activité apparaît justifiée, au tarif horaire de CHF 450.-.

Un montant de CHF 729,70, TVA (8.1%) incluse, sera ainsi alloué.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet partiellement le recours.

Annule l'ordre d'exécution émis le 9 janvier 2024 par le Service de l'application des peines et mesures.

Ordonne la mise en liberté immédiate de A______, s'il n'est pas détenu dans une autre cause que les procédures P/1______/2019, P/2______/2021, P/3______/2021 et P/4______/2021.

Rejette le recours pour le surplus.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 729,70, TVA (8.1%) incluse, pour l'instance de recours.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Service de l'application des peines et mesures.

Le communique pour information au Ministère public.

Communique le dispositif du présent arrêt à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).