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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/22813/2018

ACPR/13/2024 du 11.01.2024 sur OCL/820/2023 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 07.02.2024, rendu le 07.02.2024, RECOURS TF, 7B_153/2024
Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU;CONSULTATION DU DOSSIER;RÉCUSATION;EXPERT;LÉSION CORPORELLE PAR NÉGLIGENCE;MÉDECIN;LIEN DE CAUSALITÉ
Normes : CPP.3; CPP.58; CPP.319; CP.125; CP.12; CP.11

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/22813/2018 ACPR/13/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 11 janvier 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______ [GE], représentée par Me Marine GIRARDIN, avocate, GROSS & ASSOCIES AVOCATS, avenue des Mousquines 20, case postale 805,
1001 Lausanne,

recourante,

contre l'ordonnance de classement rendue le 8 juin 2023 par le Ministère public,

et

B______, domicilié ______, France, représenté par Me Michel BERGMANN, avocat, PONCET TURRETTINI AVOCATS, rue de Hesse 8, case postale, 1211 Genève 4,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 19 juin 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 8 juin 2023, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a classé la procédure ouverte contre B______ du chef de lésions corporelles par négligence, laissé les frais à la charge de l'État et alloué au prévenu une indemnité de CHF 7'084.80 pour ses frais d'avocat.

Elle conclut à l'annulation de cette ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public pour complément d'instruction.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 19 novembre 2018, A______, alors âgée de 37 ans, a déposé plainte pénale contre inconnu notamment pour lésions corporelles graves par négligence, en exposant ce qui suit:

Dans la nuit du samedi 5 au dimanche 6 mai 2018, elle avait ressenti de fortes douleurs à la tête et n'était pas parvenue à se lever. Le lendemain, l'amie avec laquelle elle avait rendez-vous, C______, lui avait dit s'être inquiétée de son absence et l'avait trouvée son domicile, cherchant désespérément une aspirine. Elle lui avait donné de l'Irfen en lui disant qu'elle repasserait en fin d'après-midi. Durant celle-ci, son amie lui avait rapporté avoir tenté à plusieurs reprises de la joindre par téléphone, sans succès. Lorsqu'elle était revenue, elle lui avait donné un Aspégic 1000 et avait fait appel à D______ SA [consultations à domicile 24 heures sur 24].

Vers 18h00, B______, médecin, s'était présenté et C______ lui avait expliqué la situation. Elle-même avait dit à plusieurs reprises au praticien qu'elle ne voyait plus sur sa droite. Celui-ci lui avait fait lever les bras l'un après l'autre; or, elle avait levé les bras en même temps, puis en les intervertissant, s'attirant ses reproches. Elle avait réagi par des mots d'enfant ("méchant") et se souvenait avoir indiqué que tout bougeait quand elle marchait.

À la suite de cet examen, B______ lui avait fait une injection de Tramal, en recommandant à C______ de la surveiller et de l'amener à l'hôpital si son état ne s'améliorait pas dans les deux heures. L'antalgique avait annihilé ses douleurs et elle s'était endormie profondément moins d'une heure après le départ du médecin. Après avoir appelé la mère de son amie, E______, pour prendre le relais, C______ était rentrée chez elle.

Le lendemain, 7 mai 2018, elle n'avait plus mal à la tête, mais continuait d'avoir des problèmes de vision, ce qui avait incité sa mère, chez qui elle avait passé la nuit, à recontacter D______ SA. Le Dr F______ s'était présenté à cette suite. Après avoir dans un premier temps évoqué une sinusite, il avait immédiatement changé de diagnostic lorsqu'elle avait dit qu'elle ne savait plus lire, avait recommandé à E______ d'amener immédiatement sa fille à l'hôpital en vue d'un bilan complet et avait rédigé une note à l'intention des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG).

Arrivées aux urgences, elles avaient remis le mot du Dr F______ aux réceptionnistes-infirmiers mentionnant la nécessité d'un examen complet. Ceux-ci, faute d'indication d'urgence, leur avaient demandé de patienter, malgré les tentatives d'explications de sa mère pour une prise en charge immédiate. En insistant auprès des infirmières, et compte tenu du degré de douleur ressenti (10 sur une échelle de 10), l'une d'elles lui avait fait prendre de la morphine par voie orale.

Peu après, son état s'était péjoré et elle avait commencé à avoir de la fièvre. Après 10 heures d'attente, elle avait enfin été prise en charge. Les médecins, qui avaient tout d'abord pensé à une méningite, avaient procédé à une ponction lombaire et lui avaient administré des antibiotiques dans l'attente des résultats de l'analyse. Ceux-ci s'étant révélés négatifs, un scanner cérébral avait été effectué à 21h04, qui avait mis en évidence une lésion ischémique aiguë.

Vers minuit, elle avait été transférée au service de neurologie. Un IRM cérébral pratiqué le lendemain, 8 mai 2018, avait permis de diagnostiquer un infarctus temporo-pariéto-occipital gauche, d'origine encore indéterminée. Elle était restée hospitalisée jusqu'au 15 mai 2018, puis avait rejoint le service de neuro-rééducation pour des bilans et une rééducation interdisciplinaire, où elle était restée jusqu'au 13 juin 2018.

Elle avait ensuite été suivie quotidiennement par le même service, en ambulatoire, jusqu'au 21 septembre 2018, et avait poursuivi ces soins dans l'espoir d'une potentielle reprise professionnelle. Son état de santé n'avait toutefois plus évolué favorablement et elle demeurait soumise à des très nombreuses limitations, l'empêchant de lire, conduire, ou d'avoir des activités physiques à forte intensité visuelle.

Elle reprochait aux deux médecins de D______ SA, ainsi qu'aux HUG, une prise en charge incorrecte, dès lors que l'accident vasculaire cérébral (AVC) n'avait pas été immédiatement diagnostiqué, alors qu'elle en présentait, dès le premier jour, quatre des cinq symptômes décrits par la Fondation suisse de cardiologie. Une prise en charge immédiate aurait permis d'éviter les lésions graves dont elle souffrait.

b. À l'appui de sa plainte, A______ a produit, entre autres:

b.a. Le rapport médical établi par le Dr B______ le 8 mai 2013, mentionnant qu'elle souffrait depuis la veille au soir d'une céphalée latérale gauche, avec une sensation de flou visuel droit, sans fièvre et sans hémianopsie (i.e. atteinte du champ visuel) franche, désorientation temporo-spatiale ou syndrome neuro-méningé.

b.b. Le rapport médial du Dr F______ du 8 mai 2013, faisant état d'une consultation en urgence le 7 mai au matin, pour un "état de céphalée type hémicrânie gauche avec des vertiges rotatoires" présent depuis 36 heures. Une certaine lenteur d'idéation et l'amputation du champ visuel du côté droit commandaient une hospitalisation.

b.c. Une lettre de transfert du "Stroke Center" des HUG du 15 mai 2018, faisant la synthèse du séjour de A______, laquelle rapporte que celle-ci avait présenté, le 5 mai 2018 aux alentours de minuit, une hémicrânie gauche brutale, inhabituelle, constrictive, associée à un flou visuel de l'hémichamp droit et à une grande asthénie. Le lendemain, son état général s'était péjoré, avec l'apparition d'une confusion et d'un ralentissement psychomoteur. Inquiète, une amie lui avait donné une aspirine et avait appelé par la suite D______ SA, qui avait dispensé un traitement antalgique, sans franche amélioration. À son arrivée aux urgences, devant un tableau clinique regroupant des troubles neurologiques et un état fébrile, l'hypothèse d'une méningite avait été envisagée, avant qu'un angioscanner et un IRM confirment l'existence d'une lésion ischémique (i.e. par arrêt de l'apport en sang) aiguë temporo-pariéto-occipitale gauche.

b.d. Un extrait du site de la Fondation suisse de cardiologie, énumérant les symptômes d'une attaque cérébrale, symptômes pouvant parfois être précédés de troubles circulatoires fugaces du cerveau, de quelques minutes, signes d'une mini attaque (attaque ischémique transitoire, ou AIT).

b.e. La brochure relative à l'accident vasculaire cérébral éditée par les HUG, listant les mêmes symptômes et soulignant la nécessité d'une prise en charge d'urgence.

b.f. Une attestation de C______ confirmant les propos de A______ et le fait qu'à l'arrivée de B______, elle lui avait décrit les symptômes frappant son amie.

c. L'enregistrement des deux appels à la centrale de D______ SA a été versé au dossier :

- le 6 mai 2018, A______ mentionne avoir "super mal à la tête et au ventre depuis hier" et ne signale rien d'autre de particulier. Elle paraît cohérente et parvient à donner son adresse, le code d'entrée de l'immeuble et la manière de parvenir à son appartement.

- le 7 mai 2018, sa mère, E______, décrit une amélioration par rapport à la veille, mais toujours de forts maux de tête, des vertiges et des troubles de la vision. Malgré les recommandations du Dr B______, sa fille refusait de se rendre à l'hôpital, de peur d'y attendre "des heures et des heures".

d.a. La feuille de tri des HUG mentionne des céphalées depuis le samedi soir du côté gauche et une vision trouble de l'œil droit, amenant à orienter la patiente vers la salle d'attente, en urgence de degré 3.

d.b. Les notes de suite des HUG concernant l'hospitalisation de A______ font état de l'apparition, le 5 mai 2018 vers minuit, de céphalées aiguës hémicrâniennes gauches, associées à un flou visuel de l'hémichamp droit, d'apparition brutale mais pas très intense, et à une grande asthénie. La patiente avait été retrouvée le lendemain par son amie, vers midi, confuse et ralentie, toujours avec des céphalées. Ce n'était toutefois que le 7 mai 2018, face à la persistance des symptômes et sur insistance de sa mère, que A______ s'était finalement rendue aux urgences où, hormis un pic fébrile à 38°, ses paramètres étaient dans la norme.

e.a. A______ ayant fait part de sa frustration quant à sa prise en charge, tant par D______ SA – qui n'avait pas diagnostiqué l'AVC – que par les urgences – qui avaient tardé à s'occuper d'elle –, le service de neurologie lui a expliqué le 21 septembre 2018, lors d'un entretien, la difficulté de reconnaître, lors de l'apparition de céphalées brutales et d'une sensation de trouble de la lecture, les premiers symptômes d'un AVC. En effet, dans cette configuration, il était très difficile, même pour un médecin spécialisé, d'envisager un diagnostic d'AVC chez une patiente présentant des céphalées en premier lieu. Par ailleurs, à son arrivée aux urgences, une prise en charge endovasculaire n'était plus envisageable.

e.b. Interpellé en décembre 2018 par A______, le ______ [fonction] du service des urgences, G______, a précisé que, d'une manière générale, tout symptôme neurologique inférieur à 12 heures était considéré comme une situation devant être prise en charge sans délai car, en cas d'AVC, les possibilités d'intervention et de traitement se situaient dans cette fenêtre de temps. En l'espèce, au vu des symptômes décrits par A______ à son arrivée aux urgences, le fait qu'ils étaient apparus plus de 24 heures auparavant et que la mesure des paramètres vitaux était dans la norme, l'infirmière de tri l'avait considérée comme une situation semi-urgente (degré 3). Dans cette hypothèse, l'objectif était de prendre en charge le patient dans les deux heures suivantes; tel n'avait pas pu être le cas de l'intéressée, en raison d'une surcharge du service résultant davantage d'un manque de place que d'insuffisance de personnel médico-soignant. Cela étant, le diagnostic d'AVC n'était pas si évident au départ; au moment de sa prise en charge, compte tenu de ses symptômes, le diagnostic différentiel était large, comprenant notamment une hémorragie intra-cérébrale, un accident vasculaire cérébral ischémique, une méningo-encéphalite, voire un processus expansif d'origine tumorale, et le doute diagnostique n'avait été levé qu'après la réalisation de l'IRM.

f. Entendu par la police le 4 mars 2019, puis par le Ministère public le 20 septembre 2022, B______ a exposé avoir reçu l'appel de sa centrale le 6 mai 2018 à 17h55 et être arrivé sur place à 18h09. A______, qui était au lit, avait décrit un mal de tête à gauche depuis la veille au soir, avec une espèce de flou visuel complet de manière intermittente du côté droit.

En présence de céphalées, il recherchait systématiquement des critères de gravité, qu'il n'avait pas décelés en l'occurrence.

g. Entendu à son tour par la police le 12 mars 2019, F______ a expliqué que la mère de la patiente avait appelé la centrale à 10h08; il était arrivé à son domicile – où se trouvait sa fille – à 10h32. Il avait constaté que E______ intervenait fréquemment dans la conversation, car sa fille construisait ses réponses de manière lente; elle se plaignait de maux de tête depuis 36 heures, accompagnés de vertiges rotatoires. À l'examen, ses constantes étaient satisfaisantes, et les résultats dans la norme. Le passage de ses doigts devant les yeux de la patiente avait toutefois montré une amputation du champ visuel droit. Joint à la lenteur d'idéation, cela l'avait amené à penser qu'il s'agissait d'un problème neurologique nécessitant une hospitalisation immédiate. Les signes d'AVC dépendaient de sa localisation; figuraient au nombre de ceux-ci les maux de tête, les troubles du comportement, les troubles moteurs, les troubles de la sensibilité et l'amputation du champ visuel. Lui-même n'avait aucun moyen d'accélérer la prise en charge aux urgences; dans le cas d'un AVC, l'écoulement d'un délai de 36 heures entre le début des symptômes et l'intervention ne permettait malheureusement pas de récupérer le tissu cérébral détruit.

h.a. Le 19 février 2020, le Ministère public a confié au Centre Universitaire Romand de Médecine Légale (CURML) une expertise visant à déterminer si des violations des règles de l'art avaient été commises par les Drs B______ et F______, ou par le service des urgences des HUG et, dans l'affirmative, si elles avaient eu pour effet de causer de graves lésions à A______.

Cette expertise a été exécutée conjointement par le Dr H______, médecin-assistant, sous la supervision de Dr I______, ______ [fonction auprès du] CURML, le Dr J______, ______ [fonction auprès du] service des urgences du CHUV, et le Dr K______, médecin ______ [fonction auprès du] service de neurologie du CHUV.

Les experts se sont fondés sur les pièces du dossier, en demandant notamment à leur unité d'imagerie et d'anthropologie forensiques une réinterprétation des trois examens radiologiques réalisés aux HUG. A______ s'est par ailleurs soumise à un nouvel examen neurologique, le 8 juillet 2020 et a rappelé, par courrier du 13 suivant, s'être réveillée dans la nuit du 5 mai 2018 vers 23h00, puis à nouveau vers 4h00 ou 5h00, se sentant peu bien, avec une difficulté à respirer. Au matin, elle avait tenté de répondre aux téléphones de son amie, mais des palpitations cardiaques l'avaient empêchée de se lever. Lorsqu'elle avait enfin pu décrocher, son discours était décousu, elle répétait ses propres propos et ressentait une intense fatigue, ce qui avait suffisamment alarmé son interlocutrice pour qu'elle se rende à son chevet. À ce moment-là, elle souffrait de très intenses maux de tête – beaucoup plus importants que les migraines qu'elle avait parfois – et avait réalisé, en cherchant de l'aspirine, qu'elle présentait un flou visuel droit et une difficulté à lire.

h.b. Aux termes de leur rapport, daté du 23 septembre 2020, les experts ont retenu que la lésion aiguë observée sur les images issues du scanner le 7 mai et de l'IRM le 8 mai 2018 étaient en rapport avec la symptomatologie aiguë ayant débuté le soir du 5 mai 2018. La transformation hémorragique secondaire ainsi que la nécrose corticale laminaire avaient compliqué l'AVC ischémique constitué.

Ils ont précisé que les AVC ischémiques regroupaient les AVC par infarctus cérébraux et les AIT, qui étaient des épisodes brefs et spontanément résolutifs de dysfonctionnement neurologique, dont les symptômes cliniques duraient en général moins de 5 minutes, sans preuve d'infarctus aigu à l'imagerie cérébrale, et sans séquelle neurologique permanente (p. 50 et 54). Les signes d'un AVC, souvent une altération dans les fonctions cérébrales normales (motrices, sensitives, atteintes visuelles ou cognitives, etc.), étaient d'apparition brutale ou très rapidement progressive. En revanche, la majorité des AVC ischémiques survenaient sans maux de tête (p. 54). En présence d'un tel AVC, le déficit neurologique du patient était en lien avec la fonction et l'étendue du secteur touché; le début des symptômes pouvait être soudain ou graduel et le déficit neurologique transitoire ou permanent (p. 51). L'on était en présence d'un AVC évolutif lorsque le déficit neurologique progressait dans les minutes ou heures suivant le début des symptômes (p. 54).

Le temps était essentiel dans l'évaluation de la phase aiguë des patients ayant subi un AVC et il fallait donc déterminer la période d'apparition des symptômes avec le plus de précision possible, afin de pouvoir évaluer l'admissibilité d'un traitement médicamenteux (la thrombolyse était le seul à cet égard susceptible d'améliorer le pronostic) ou chirurgical (par thrombectomie endovasculaire), lesquels ne pouvaient intervenir que dans une fenêtre de 4 ou 6 heures après la survenance de l'AVC (p. 58 et 59). Lorsque le délai d'apparition n'était pas fiable, le début des symptômes était défini comme le moment où le patient avait été connu pour la dernière fois comme étant à l'état normal, d'un point de vue symptomatique (p. 57).

Les experts ont conclu que B______ avait commis une erreur de diagnostic en attribuant l'ensemble des symptômes rencontrés à une migraine, sans exclure le diagnostic différentiel d'AVC. Il n'y avait toutefois pas de lien de causalité entre cette erreur et l'état de santé actuel de A______. En effet, vu les symptômes présentés dans la nuit du 5 au 6 mai 2018, l'AVC était déjà constitué lorsque le médecin était intervenu et le délai pour une prise en charge curative largement dépassé. Cette erreur avait eu pour seule conséquence de différer la prise en charge permettant de limiter le risque de récidive et de commencer la rééducation. Cela étant, il n'y avait en l'occurrence pas eu de récidives et une recherche d'étiologie et une rééducation plus rapide n'auraient pas changé l'évolution de l'état de santé de A______. En ce qui concernait F______ et les HUG, les experts n'avaient décelé aucune violation des règles de l'art dans leur prise en charge de la patiente.

h.c. Dans un complément d'expertise daté du 6 janvier 2021, les experts ont précisé qu'il était peu probable que A______ eût souffert d'un AVC ischémique évolutif, d'un AIT suivi d'un AVC ischémique, ou d'une succession de plusieurs AVC. Ils retenaient donc qu'elle avait été atteinte par un AVC ischémique unique, d'installation brutale, dont les différents déficits avaient été découverts successivement, comme c'était habituellement le cas. L'engagement d'une ambulance n'était pas justifié, n'aurait pas eu d'implication thérapeutique et n'aurait pas modifié la prise en charge, dès lors que le délai de traitement était largement dépassé lorsque le Dr B______ était intervenu et que les paramètres vitaux de la patiente étaient stables et dans la norme.

h.d.a. A______ a pris position le 30 septembre 2021, faisant valoir que les experts de l'unité d'imagerie et anthropologie forensiques du CURML retenaient uniquement une lésion "compatible" avec une symptomatologie aiguë ayant débuté le soir du 5 mai 2018, mais ne disaient pas qu'elle ne pouvait pas être plus récente, de 24 ou 48 heures. Rien ne permettait dès lors de dire que l'AVC ischémique l'ayant frappée n'avait pas été précédé d'un ou plusieurs AIT. La conclusion des experts, excluant toute progression de la lésion et toute aggravation progressive, était par ailleurs contestée, dans la mesure où selon son récit, corroboré par celui de sa mère et de C______, elle avait tout d'abord présenté une forte migraine, puis indiqué, le lendemain 6 mai 2018, qu'elle avait des troubles de la vision, pour enfin ajouter, le 7 mai 2018, qu'elle n'avait plus mal à la tête, mais n'arrivait plus à lire. Cette progression était d'ailleurs corroborée par la description contenue dans la lettre de transfert du 15 mai 2018.

h.d.b. Dans un nouveau complément d'expertise du 22 décembre 2021, rendu après avoir à nouveau soumis les images radiologiques de A______ à leurs spécialistes en radiologie et en neuroradiologie diagnostique et interventionnelle, les experts ont expliqué que le scanner réalisé le 7 mai 2018 à 21h04 avait permis de visualiser un important oedème accompagnant la lésion ischémique, indiquant un AVC remontant à au moins 48 heures. La survenance d'un AIT durant la nuit du 5 au 6 mai 2018 avait été exclue car ce dernier se traduisait, contrairement à l'AVC, par une symptomatologie transitoire, non persistante et rapidement régressive en quelques minutes, avec récupération complète de la fonction cérébrale après l'événement. Or, les déficits rencontrés par A______ étaient continus, sans phase de régression complète; ils étaient par ailleurs associés, à l'imagerie, à une lésion ischémique cérébrale unique, dans un seul territoire vasculaire, sans signe de lésions d'âges différents. Les experts ont précisé que les constatations du scanner et de l'IRM variaient selon le délai de survenue de l'AVC, de "hyper aigus" dans un délai de 0 à 6 heures (stade précoce) puis de 6 à 24 heures (stade tardif), à "signes aigus" dans un délai de 24 heures à une semaine, puis "subaigus" et "chroniques"; si ces signes étaient parfois difficiles à détecter au scanner au stade précoce, la lésion devenait habituellement visible au stade hyper aigu tardif et bien visible au stade aigu et subaigu. En l'occurrence, les images étaient compatibles avec un épisode survenu durant la nuit du 5 au 6 mai 2018, sans plus de précision quant à l'heure exacte.

Il n'y avait pas non plus d'indice pour retenir un AVC évolutif, soit une aggravation clinique. En particulier, du point de vue radiologique, il n'y avait pas d'argument pour une progression de la lésion tel que cela aurait pu être observé dans le contexte d'un AVC ischémique évolutif. Les remaniements hémorragiques observés étaient trop minimes pour engendrer une aggravation clinique et la progression radiologique observée le 30 mai 2018 faisait partie de l'évolution naturelle d'une lésion, sans traduction clinique d'aggravation. L'évolution de la symptomatologie décrite par A______ était ainsi en rapport avec les mises en évidence successives des signes cliniques des mêmes atteintes neurologiques par les praticiens intervenus dans sa prise en charge.

Ils confirmaient qu'au vu du délai d'installation, l'AVC de A______ n'était plus, au moment de sa prise en charge au HUG, une urgence de degré 1 ou 2, mais de degré 3, c'est-à-dire modérée.

h.e. Entendus le 7 juin 2022 par le Ministère public, les experts ont confirmé leurs conclusions, notamment que l'AVC de A______ était survenu durant la nuit du 5 au 6 mai 2018, soit à tout le moins au moins 48 heures avant que le scanner soit effectué. La notion d'AVC aurait dû apparaître dans le diagnostic différentiel posé par B______, mais pas la notion d'AVC aigu. Dès le moment de la survenance de l'AVC, la fenêtre d'intervention pour dissoudre le caillot vasculaire et ainsi diminuer les lésions cérébrales était de 4h30 à 5h00. Si le médicament était administré plus tard, le risque était de causer une hémorragie cérébrale. Au-delà de cette fenêtre, le traitement avait donc pour objectif d'éviter une récidive et traiter les éventuelles conséquences et sources de l'AVC ainsi que d'initier la rééducation.

Ils avaient basé leurs conclusions non seulement sur les symptômes listés dans les différents documents – étant précisé que ceux décrits par A______ pour la nuit du 5 au 6 mai 2018 n'étaient pas spécifiques d'un AVC, qu'ils pouvaient néanmoins accompagner –, mais également sur l'analyse de l'imagerie médicale.

i.a. En réponse à un courrier du Ministère public du 16 mars 2022 lui demandant si elle sollicitait des actes d'instruction supplémentaires, A______ a rappelé que la détermination du moment de la survenance de l'atteinte neurologique était déterminante. Les experts s'étaient fondés sur le fait qu'il s'agissait vraisemblablement d'un AVC unique, non transitoire et non évolutif, intervenu dans la nuit du 5 au 6 mai 2018. Or, une lecture attentive du dossier montrait que les symptômes présentés durant cette nuit n'étaient pas clairement établis, puisqu'il n’était fait mention que de céphalées, les autres symptômes (flou visuel, nausées) n'étant apparus qu'ultérieurement, sans que le moment de la survenance de ceux-ci soit précisé.

Elle sollicitait donc son audition – qui a eu lieu le 20 septembre 2022 –, celle de C______ et celle de B______, requête qu'elle a réitérée le 2 août 2022 puis, de manière plus circonstanciée, le 3 février 2023, remettant en cause l'indépendance des experts du CURML, ce centre étant intégré au département de médecine de premier recours des HUG, et donc placé sous la même direction générale. À cette dernière occasion, A______ a également sollicité l'audition du Dr L______, spécialiste en médecine générale et membre de l'association "M______", ainsi qu'une nouvelle expertise, voire une expertise complémentaire, visant à déterminer le moment de survenance de l'atteinte neurologique l'ayant frappée.

i.b. À l'appui de ses requêtes, A______ a notamment produit l'analyse de son dossier médical faite par le Dr L______ le 23 janvier 2023, concluant à ce que sa prise en charge par le Dr B______, puis par les HUG, n'avait pas été effectuée dans les règles de l'art. Tardive, elle avait en effet retardé le diagnostic et la mise en route du traitement, assombrissant le pronostic de cet AVC, étant précisé que, selon le médecin, en cas d'AVC constitué, le patient devait rester allongé au moins 48 heures, afin d'éviter des variations de pression artérielle qui pourraient aggraver la pathologie.

j. Par ordonnance du 8 février 2023, le Ministère public a refusé de mettre en œuvre les réquisitions de preuve sollicitées par A______, estimant que le témoignage de C______ n'était pas susceptible d'apporter des éléments nouveaux et pertinents, et que l'avis du Dr L______ s'apparentait à une contre-expertise privée et n'était pas à même de jeter le doute sur les conclusions des experts judiciaires.

k. Parallèlement, le Ministère public a informé les parties qu'il considérait l'instruction comme terminée et entendait classer la procédure.

C. Le Ministère public a justifié la décision querellée par le fait qu'il n'existait pas de lien de causalité entre l'erreur de diagnostic commise par B______ et les conséquences graves de l'AVC subi par A______, le délai de prise en charge curative étant largement dépassé lors de l'intervention du médecin. Les éléments constitutifs de l'art. 125 al. 1 et 2 CP n'étaient dès lors pas réalisés.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir retenu que l'AVC était survenu durant la nuit du 5 au 6 mai 2018. À la lecture des éléments du dossier, il apparaissait que le moment exact de l'AVC sur lequel s'étaient basés les experts, était tout sauf fondé sur des faits objectivement établis. Le Dr J______ avait admis que les symptômes présentés durant la nuit n'étaient pas spécifiques d'un AVC. Rien ne permettait non plus de situer les troubles visuels ou cognitifs déjà à ce moment-là. Au contraire, elle ne les avait pas évoqués lors de son appel à la centrale de D______ SA et s'était montrée cohérente dans ses propos, ce qui n'aurait pas pu être le cas si l'AVC aigu s'était installé la nuit précédente. Le rapport médical du Dr B______ démontrait que ces troubles visuels n'étaient survenus que durant la journée du 6 mai, puisqu'il ne parlait, dans son anamnèse, que de céphalées sans autre anomalie et que la sensation de flou visuel ne ressortait que de l'examen clinique. De même, la feuille de tri des urgences n'indiquait aucune fenêtre temporelle pour les troubles de la vision, et le rapport médical du service des urgences du 10 mai 2018 confirmait leur apparition postérieurement aux céphalées. La lettre de transfert du 15 mai 2018 mentionnait expressément une péjoration des symptômes dans la journée du 6 mai 2018, mettant à mal la conclusion qu'un AVC unique non transitoire et non évolutif serait intervenu durant la nuit précédente.

Son droit d'être entendue avait par ailleurs été violé, le Ministère public s'étant refusé à lui transmettre copie des deux enregistrements de ses appels à la centrale de D______ SA, malgré ses demandes répétées. Les refus opposés à ses réquisitions de preuve (audition de C______ et de L______) violaient également ses droits.

La cause devait dès lors être renvoyée au Ministère public pour complément d'expertise, visant à définir la fenêtre de prise en charge, à confier à de nouveaux experts, l'indépendance de ceux du CURML apparaissait compromise.

b. Dans ses observations, le Ministère public fait valoir que les conclusions de l'expertise étaient claires et qu'en application du principe in dubio pro reo, le doute quant à l'heure de la survenance de l'AVC devait profiter à B______. La mise en œuvres d'actes d'enquête supplémentaires était dès lors inutile.

c. B______ a rappelé qu'en cas d'AVC, la fenêtre pour administrer un médicament susceptible de dissoudre le caillot était de 4h30 à 5h00, délai qui était largement dépassé lorsqu'il avait vu la patiente. Contrairement à ce que cette dernière soutenait dans son recours, d'autres symptômes que les céphalées étaient apparus dans la nuit du 5 à 6 mai 2018, puisqu'elle avait mentionné dans sa plainte avoir voulu se lever et n'y être pas parvenue, avoir eu de la difficulté à lire en cherchant de l'aspirine en raison d'un flou visuel, s'être répétée au téléphone, à 11h00, avec son amie. Les experts avaient d'ailleurs confirmé qu'elle avait souffert durant la nuit d'un AVC, et non d'un AIT. Il contestait toute violation des règles de l'art, étant relevé que les informations que A______ lui avaient communiquées lors de sa consultation n'étaient pas les mêmes que celles transmises aux experts.

d. La cause a été gardée à juger à réception des sûretés.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue, en ce sens que l'enregistrement des appels à la centrale de D______ SA figurant au dossier ne lui a pas été communiqué, malgré ses demandes.

Le droit d'être entendu garanti par l'art. 3 al. 2 let. c CPP, qui a la même portée que l'art. 29 al. 2 Cst. (arrêt du Tribunal fédéral 6B_80/2012 du 14 août 2012 consid. 1.1), comprend la consultation des pièces au siège de l'autorité, la prise de notes et la délivrance de photocopies, pour autant qu'il n'en résulte pas un surcroît de travail excessif pour l'autorité. En revanche, il ne confère pas le droit de se voir notifier à domicile les pièces du dossier ni des copies de celui-ci (art. 102 et 107 CPP; ATF 122 I 109 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_382/2022 du 12 septembre 2022 consid. 2.2).

Le grief de la recourante tombe donc à faux et sera rejeté.

3.             La recourante remet par ailleurs en cause l'impartialité des experts.

Ce grief doit également d'emblée être écarté, d'une part car la recourante ne l'a soulevé qu'après avoir constaté que les conclusions des experts ne servaient pas sa position, soit tardivement (cf. art. 58 al. 1 CPP), d'autre part parce qu'elle n'avance aucun élément qui permettrait de douter de la fiabilité de leurs constats et de penser qu'ils auraient cherché à protéger leurs confrères (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1B_424/2014 du 23 février 2015 consid. 2.3; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 17 ad art. 189).

4.             La recourante estime que l'instruction doit être complétée.

4.1. Conformément à l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure notamment lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a) ou que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

Cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage in dubio pro duriore. Celui-ci, qui découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et qui s'impose également à l'autorité de recours, signifie qu'en principe, un classement ne peut être prononcé que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2).

4.2. L'art. 125 CP réprime le comportement de celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé.

4.2.1. Pour qu'il y ait négligence (art. 12 al. 3 CP), il faut que l'auteur ait, d'une part, violé les règles de prudence que les circonstances lui imposaient pour ne pas excéder les limites du risque admissible et, d'autre part, qu'il n'ait pas déployé l'attention et les efforts que l'on pouvait attendre de lui pour se conformer à son devoir (arrêt du Tribunal fédéral 6B_170/2017 du 19 octobre 2017 consid. 2.2).

L'auteur viole les règles de la prudence s'il omet, alors qu'il occupe une position de garant (art. 11 al. 2 et 3 CP) – à l'instar du médecin et du personnel soignant à l'égard de leur patient (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1065/2013 du 23 juin 2014 consid. 1.1) – et que le risque dont il doit empêcher la réalisation vient à dépasser la limite de l'admissible, d'accomplir une action dont il devrait se rendre compte, de par ses connaissances et aptitudes personnelles, qu'elle était nécessaire pour éviter un dommage (arrêt du Tribunal fédéral 6B_170/2017 précité, consid. 2.2).

4.2.2. Pour déterminer concrètement l'étendue du devoir de prudence du médecin, il faut partir du devoir général qu'a le praticien d'exercer l'art de la guérison selon les principes reconnus de la science médicale et de l'humanité, de tout entreprendre pour guérir le patient et d'éviter tout ce qui pourrait lui porter préjudice. Les exigences que le devoir de prudence impose au médecin dépendent des circonstances du cas d'espèce, notamment du genre d'intervention ou de traitement, des risques qui y sont liés, du pouvoir de jugement ou d'appréciation laissé au médecin, des moyens à disposition et de l'urgence de l'acte médical (ATF 130 IV 7 consid. 3.3). Comme l'état de la science médicale lui confère souvent une latitude de jugement, tant en ce qui concerne le diagnostic que les mesures thérapeutiques ou autres, il ne manque donc à son devoir de diligence que si un diagnostic, une thérapie ou un autre acte médical n'apparaît plus défendable selon l'état général des connaissances de la branche, par exemple s'il ne discerne pas les symptômes typiques d'une maladie grave, prépare de manière insuffisante une opération qui ne s'impose pas, ou ne fait pas appel à un spécialiste (ATF 133 III 121 consid. 3.1; 113 II 429 consid. 3a; arrêts du Tribunal fédéral 6B_999/2015 du 28 septembre 2016 consid. 5.1 et 6B_170/2017 précité, consid. 2.2 et 2.3).

4.3. S'il y a eu violation des règles de la prudence, encore faut-il que celle-ci puisse être imputée à faute, c'est-à-dire que l'on puisse reprocher à l'auteur, compte tenu de ses circonstances personnelles, une inattention ou un manque d'effort blâmable (ATF 135 IV 56 consid. 2.1; 134 IV 255 consid. 4.2.3).

4.4. Il faut ensuite qu'il existe un rapport de causalité entre la violation fautive du devoir de prudence et les lésions subies par la victime. En cas de violation du devoir de prudence par omission, il faut procéder par hypothèse et se demander si l'accomplissement de l'acte omis aurait, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, évité la survenance du résultat qui s'est produit, pour des raisons en rapport avec le but protecteur de la règle de prudence violée. Pour l'analyse des conséquences de l'acte supposé, il faut appliquer les concepts généraux de la causalité naturelle et de la causalité adéquate. L'existence de cette causalité dite hypothétique suppose une très grande vraisemblance; autrement dit, elle n'est réalisée que lorsque l'acte attendu ne peut pas être inséré intellectuellement dans le raisonnement sans en exclure, très vraisemblablement, le résultat. La causalité est ainsi exclue lorsque l'acte attendu n'aurait vraisemblablement pas empêché la survenance du résultat ou lorsqu'il serait simplement possible qu'il l'eût empêché (arrêt du Tribunal fédéral 6B_170/2017 précité, consid. 2.2).

4.5. En l'espèce, les experts mis en œuvre ont estimé que l'intimé avait commis une erreur de diagnostic en n'envisageant pas, au vu des symptômes décrits, d'autre hypothèse qu'une migraine.

Ils ont toutefois aussi clairement conclu que cette omission n'avait pas eu d'effet sur l'état de santé de la recourante, du fait du temps écoulé entre la survenance de l'AVC et la consultation médicale, délai trop important pour une quelconque prise en charge médicamenteuse curative.

Certes, ils ont admis que le moment de l'AVC ne pouvait être déterminé avec exactitude. Il n'en demeure pas moins qu'ils n'ont laissé planer aucun doute quant au fait qu'au moment de l'intervention de l'intimé, l'AVC était installé depuis plus de 6 heures, soit hors du délai pour administrer le seul médicament propre à limiter les effets de la lésion. Au vu des symptômes présentés par la recourante dès la nuit du 5 au 6 mai 2018 et de l'imagerie médicale, ils ont par ailleurs exclu que ceux-ci puissent correspondre à un AIT, à plusieurs AVC consécutifs ou à un AVC progressif.

En affirmant qu'il existerait une incertitude quant à la survenance de l'AVC déjà durant la nuit du 5 au 6 mai 2018, la recourante soutient une position qui ne trouve pas d'assise concrète dans le dossier. Le fait que les maux de tête ne soient pas spécifiques à l'AVC ne signifie pas qu'ils n'y soient pas associés; il s'agit d'ailleurs de l'un des cinq symptômes listés par la Fondation suisse de cardiologie et par la brochure éditée par les HUG. Le fait qu'elle n'ait pas évoqué de troubles visuels ou cognitifs lors de son appel à la centrale de D______ SA n'implique pas non plus qu'elle n'en souffrait pas à ce moment-là. Au contraire, il ressort des différents rapports médicaux et des déclarations initiales de la recourante qu'elles s'était sentie peu bien dès le 5 mai 2018 vers 23h00, avait tenté de se lever vers 4h00 ou 5h00, n'avait pu répondre aux téléphones de son amie durant la matinée et que lorsqu'elle y était parvenue, son discours était suffisamment décousu pour inciter C______ à se rendre à son chevet et à l'aider à trouver une aspirine, car elle souffrait d'un flou visuel droit et de difficultés à lire. Ce descriptif a amené le corps médical à situer le début des symptômes à "la veille au soir" (soit le 5 mai 2018) pour l'intimé, "36 heures auparavant" pour le Dr F______, qui l'a vue le 7 mai à 10h30, "le 5 mai 2018 vers minuit" pour les HUG et à "au moins 48 heures auparavant", pour les experts qui ont analysé les images du scanner réalisé le 7 mai 2018 à 21h04. Ils ont par ailleurs expliqué qu'il était usuel que les différents déficits entraînés par la lésion soient découverts successivement, que l'on ne pouvait en tirer la conclusion que les dommages causés par l'AVC s'étaient aggravés avec l'écoulement du temps et que les remaniements hémorragiques observés en l'occurrence étaient trop minimes pour engendrer une péjoration clinique.

Dans ces conditions, l'hypothèse selon laquelle l'AVC ne serait survenu que durant la journée du 6 mai 2018, soit suffisamment tardivement pour qu'un diagnostic immédiat et correct de l'intimé fût susceptible d'exercer une influence efficace sur ses conséquences, n'est pas plausible et ne peut être retenue.

L'on ne voit par ailleurs pas qu'une expertise médicale supplémentaire pourrait dater la survenance de l'AVC avec davantage de précision. Or, aux dires des experts, lorsque ce moment n'est pas fiable, il convient de se référer au moment où le patient a été connu pour la dernière fois comme étant à l'état normal, d'un point de vue symptomatique. Dans le cas présent, il s'agirait de la fin de la soirée du 5 mai 2018, soit un laps de temps excluant un quelconque impact bénéfique d'une intervention de l'intimé sur les lésions entraînées par l'AVC.

L'analyse à laquelle a procédé le Dr L______ ne permet pas non plus de remettre en cause cette appréciation et ne fait pas apparaître l'expertise judiciaire et ses compléments comme incomplets, peu clairs ou inexacts (cf. art. 189 let. a et c CPP; arrêt du Tribunal fédéral 6B_698/2018 du 26 octobre 2018 consid. 1.1).

S'il rejoint les experts sur l'existence d'une violation des règles de l'art dans la prise en charge de la patiente, il ne conteste, en revanche, pas le temps d'intervention de moins de 6 heures après la survenance de l'AVC et ne détaille pas quels traitements auraient dû être "mis en route" et auraient permis, selon lui, de ne pas "assombrir le pronostic de cet AVC". Il n'appuie pas non plus sur de la littérature son affirmation selon laquelle, en cas d'AVC constitué, le patient devrait impérativement rester allongé 48 heures, faute de quoi sa pathologie en serait aggravée, ni n'explique, en l'occurrence, quel aurait été cet impact sur l'état de la recourante.

Compte tenu de ce qui précède et au vu de la clarté des conclusions des experts, le refus d'entendre C______ ou le Dr L______ ne viole pas le droit à la preuve de la recourante, dès lors que leurs déclarations ne seraient pas susceptibles de remettre en cause les éléments figurant déjà au dossier (ATF 144 II 427 consid. 3.1.3 ; 141 I 60 consid. 3.3 ; 136 I 229 consid. 5.3).

5. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

6. La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

7.             Selon l'art. 429 al. 1 let. a CPP, le prévenu a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure, cette indemnisation visant les frais de la défense de choix (M. NIGGLI / M. HEER / H.  IPRÄCHTIGER (éds), Strafprozessordnung - Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2ème éd., Bâle 2014, n. 12 ad art. 429).

Dans la mesure où l'intimé, prévenu, n'a pas chiffré ses prétentions, mais où l'autorité pénale examine d'office ce poste (art. 429 al. 2 CPP), un montant de CHF 800.- lui sera par conséquent alloué, correspondant à 2h00 d'activité au tarif horaire de CHF 400.-, ce qui parait en adéquation avec le travail fourni.

Ce montant s'entend hors TVA, vu le domicile de l'intimé à l'étranger (ATF
141 IV 344 consid. 4).

La partie plaignante qui succombe devant l'autorité de recours n'ayant pas à supporter les frais de défense du prévenu lorsque la décision attaquée est une ordonnance de classement (ATF 139 IV 45 consid. 1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_357/2015 du 16 septembre 2015 consid. 2.2), cette indemnité sera mise à la charge de l'État.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, qui seront fixés en totalité à CHF 1'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Alloue à B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 800.- TTC.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux parties, soit pour elles leurs conseils, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/22813/2018

ÉTAT DE FRAIS

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

 

- délivrance de copies (let. b)

CHF

 

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

905.00

Total

CHF

1'000.00