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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/22992/2015

ACPR/950/2023 du 07.12.2023 sur OCL/1428/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE CLASSEMENT;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;DÉPENS
Normes : CPP.429; Cst.29.al2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/22992/2015 ACPR/950/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 7 décembre 2023

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], représenté par Me B______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de classement rendue le 19 octobre 2023 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 2 novembre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 19 octobre 2023, notifiée le 23 suivant, par laquelle le Ministère public a classé la procédure en sa faveur (chiffre 1 du dispositif querellé), lui a alloué une indemnité de CHF 17'800.- pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (art. 429 al. 1 let. a CPP) (ch. 2) et dit que les frais de la procédure seraient laissés à la charge de l'État (ch. 3).

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation du chiffre 2 du dispositif querellé et à ce qu'une indemnité de CHF 45'098.70 lui soit allouée pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure
(art. 429 al. 1 let. a CPP); subsidiairement, à ce que la cause soit renvoyée au Ministère public pour qu'il statue à nouveau sur sa demande d'indemnité.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. La coopérative C______ (ci-après: la coopérative) bénéficie depuis 2003 d'un droit de superficie distinct et permanent sur un site industriel à D______ [GE], dont elle met les locaux à disposition de ses membres.

B .A______ en a été le directeur du 1er juin 2003 au 31 mai 2012.

c. Depuis lors, les relations entre le prénommé et des membres de la coopérative se sont dégradées et ont donné lieu à plusieurs procédures, civiles et pénales.

d. Ensuite d'une plainte déposée le 30 novembre 2015 par la coopérative contre A______, ce dernier a été prévenu de gestion déloyale.

Le Ministère public reprochait à ce dernier d'avoir, à Genève, de 2007 à 2012 à tout le moins, en sa qualité de directeur de la coopérative, porté atteinte aux intérêts financiers de cette dernière en acquérant en Italie des moteurs de fenêtre au prix d'EUR 50.- l'unité qu'il a ensuite revendus à la coopérative à CHF 486.- pièce, en dissimulant au comité de direction la réalité du bénéfice réalisé par lui-même sur cette opération, leur faisant croire que le montant précité correspondait au prix d'achat. Il lui était aussi reproché d'avoir fait réaliser par des employés de la coopérative, sur leurs heures de travail alors qu'ils étaient rémunérés par cette dernière, des travaux en sa faveur ou celle de connaissances.

e. Entendu par la police le 3 mars 2016, A______ a, en substance, contesté les faits reprochés.

f. Le Ministère public a tenu des audiences les 17 mai, 11 octobre 2016 et 9 février 2017.

À ces occasions, A______ était assisté de Me E______, excusant Me F______.

g. Par ordonnance du 29 juin 2018, la procédure a été suspendue, en raison d'une procédure civile en cours entre les mêmes parties.

h. Par pli du 16 septembre 2020, A______ a informé le Ministère public avoir révoqué le mandat de Me F______ et que son conseil était désormais Me B______.

i. Le 3 décembre 2020, le Ministère public a ordonné la reprise de l'instruction.

j. Le Ministère public a encore tenu des audiences les 25 juin et 4 novembre 2021.

k. Avisés par le Ministère public du prochain classement de la procédure, la coopérative a sollicité l'audition de deux témoins et A______ a requis le versement de dépens totalisant CHF 45'098.70 (art. 429 al. 1 let. a CPP), soit
CHF 12'049.30 pour son premier conseil Me F______ et
CHF 33'049.40 pour le second, Me B______.

La note d'honoraires du premier conseil cité, portant sur la période allant du 23 mars 2016 au 31 décembre 2018, consiste en une liste des opérations ainsi que des dates auxquelles celles-ci ont été fournies. Il n'est, en particulier, pas fait mention du tarif horaire appliqué ni de la durée des activités facturées. Il est également précisé que CHF 204.- de copies et CHF 22.- ont été payés au Pouvoir judiciaire, respectivement les 25 juin 2016 et 20 février 2017.

La note du second conseil cité fait état de CHF 31'695.04 d'honoraires et CHF 950.86 de "frais forfaitaires", TVA incluse. Les tarifs horaires appliqués sont de CHF 450.- et CHF 200.-, suivant les opérations. Enfin, CHF 403.50 de "débours non soumis à TVA" sont ajoutés à ladite note. Cette dernière rubrique comprend les frais d'envoi de courriers, d'extrait des poursuites, de frais de taxis et de copies du dossier.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que les soupçons n'étaient pas établis de sorte que le classement de la procédure s'imposait, ce qui ouvrait le droit de A______ à une indemnité (art. 429 al. 1 let. a CPP).

Cependant, la somme réclamée par ce dernier était "excessive au regard du travail exigé par le dossier pénal et la complexité de la procédure", étant rappelé que les courriers étaient indemnisés de manière forfaitaire et que les frais de secrétariat faisaient partie des frais généraux de l'étude, compris dans les honoraires d'avocat. La durée nécessaire à la préparation d'une audience, bien que dépendant du cas d'espèce, était en moyenne de trente minutes. Les recherches juridiques faisaient partie de la formation continue de l'avocat et n'avaient pas à être prises en charge par l'État. Enfin, "un montant forfaitaire sera[it] également alloué à titre de vacations".

La note d'honoraires en lien avec l'activité de Me B______ contenait de "nombreux" courriers, emails et entretiens téléphoniques, dont certains postes étaient comptabilisés à double et d'autres se rapportaient à des corrections de courriers ou à des échanges internes entre le conseil du prévenu et sa stagiaire. "Ils ne ser[aie]nt donc pas non plus comptabilisés". Les postes de préparation d'audience dépassaient "largement" la durée nécessaire exigée par le dossier pénal.

S'agissant de la note d'honoraires de Me F______, celle-ci ne faisait état que des dates et des prestations effectuées mais non de la durée ni de l'avocat qui les avait fournies. Or, il ressortait de la procédure que A______ avait été assisté, lors de l'ensemble des audiences, par la collaboratrice de l'avocat précité. C'est également cette dernière qui avait consulté le dossier auprès du Ministère public. Ladite note devait donc être réduite en retenant "des préparations d'audience, des entretiens avec le client, le temps effectif des audiences et des consultations au Ministère public. Un forfait supplémentaire pour les courriers et les vacations serait alloué en sus".

"Au vu de ce qui précède, une indemnité réduite ex aequo et bono à CHF 17'800.- (CHF 12'000.- pour l'activité de Me B______ et CHF 5'800.- pour l'activité de MF______), TVA comprise" lui serait par conséquent allouée.

D. a. À l'appui de son recours, A______ reproche au Ministère public une violation de l'art. 429 al. 1 let. a CPP.

Le Ministère public n'avait pas apprécié la nécessité des actes déployés par ses conseils, retenant arbitrairement que la somme réclamée était excessive. Or, il lui appartenait d'exposer et chiffrer les réductions effectuées pour chaque poste allégué. En outre, le forfait appliqué pour les courriers, les préparations d'audience et les vacations, ne trouvait pas application en l'occurrence. Enfin, le Ministère public n'avait pas distingué les honoraires de ses avocats des frais qu'il avait assumés au titre de copies du dossier, débours, ainsi que de la TVA.

L'indemnisation requise était entièrement justifiée et raisonnable, compte tenu de la durée de la procédure et de la complexité de l'infraction en cause. De plus, les faits s'inscrivaient dans un contexte vaste, dès lors que d'autres procédures civiles et pénales demeuraient pendantes entre les parties.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne un point du dispositif d'une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane du prévenu (art. 104 al. 1 let. a CPP), ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant conteste les réductions opérées sur sa demande d'indemnisation pour ses frais de défense.

2.1. Aux termes de l'art. 429 al. 1 let. a CPP, le prévenu acquitté totalement ou en partie ou au bénéfice d'un classement a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure. L'indemnité concerne les dépenses du prévenu pour un avocat de choix (ATF 138 IV 205 consid. 1). Elle couvre en particulier les honoraires de ce conseil, à condition que le recours à celui-ci procède d'un exercice raisonnable des droits de procédure. Selon le message du Conseil fédéral, l'État ne prend en charge les frais de défense que si l'assistance d'un avocat était nécessaire compte tenu de la complexité de l'affaire en fait ou en droit et que le volume de travail et donc les honoraires étaient ainsi justifiés (Message du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2006 1313 ch. 2.10.3.1).

2.2. Le juge ne doit ainsi pas avaliser purement et simplement les notes d'honoraires qui lui sont le cas échéant soumises, mais, au contraire, examiner si l'assistance d'un conseil était nécessaire puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conforme au tarif pratiqué, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (cf. ACPR/140/2013 du 12 avril 2013). Le juge dispose d'une marge d'appréciation à cet égard, mais ne devrait pas se montrer trop exigeant dans l'appréciation rétrospective qu'il porte sur les actes nécessaires à la défense du prévenu (M. NIGGLI/ M. HEER/ H. WIPRÄCHTIGER (éds), Basler Kommentar StPO/JStPO, 3ème éd., Bâle 2023, n. 19 ad art. 429). Les démarches superflues, abusives ou excessives ne sont pas indemnisées
(ATF 115 IV 156 consid. 2d p. 160).

2.3. Le droit d'être entendu, garanti par les art. 3 al. 2 let. c CPP et 29 al. 2 Cst féd., impose à l'autorité l'obligation de motiver sa décision afin, d’une part, que son destinataire puisse l'attaquer utilement et, d’autre part, que la juridiction de recours soit en mesure d’exercer son contrôle (ATF 139 IV 179 consid. 2.2; 138 I 232 consid. 5.1).

La Chambre de céans est habilitée, quand l’absence de motivation (suffisante) d’une décision l’empêche de statuer, à renvoyer d’office la cause au Ministère public (cf. ACPR/177/2022 du 10 mars 2022, consid. 9.2 et 9.3; ACPR/752/2019 du 27 septembre 2019, consid. 2; ACPR/597/2017 du 1er septembre 2017, consid. 4.3).

2.4. En l'espèce, la nécessité, pour le recourant, de disposer d’un avocat n'a pas été remise en cause par le Ministère public. Le principe de l'indemnité est donc acquis.

L'autorité intimée, qui a considéré que la somme réclamée était "excessive au regard du travail exigé par le dossier pénal et la complexité de la procédure", après quelques rappels jurisprudentiels et mise en évidence, dans les grandes lignes, de certains postes figurant sur les notes d'honoraires produites, a fixé l'indemnité due au recourant à CHF 17'800.-, ex aequo et bono.

La décision entreprise est toutefois muette s'agissant aussi bien de la pertinence des postes retenus/admis que des réductions opérées, qui ne sont ni pointées ni chiffrées. La motivation de l'ordonnance attaquée ne permet donc pas de calculer ni de reconstituer a posteriori le nombre d'heures retenu et a fortiori de comprendre comment le Ministère public parvient au montant alloué, fût-ce, comme il le dit, "ex aequo et bono".

La Chambre de céans – qui n’a pas à rechercher d’elle-même ce qu’il en est (cf. à cet égard ACPR/177/2022 précité) – ne peut, dans ces circonstances, exercer son contrôle sur les points soulevés par le recourant (caractère justifié et raisonnable des postes allégués).

2.5. À cette aune, le recours doit être admis, le chiffre 2 du dispositif de l'ordonnance attaquée, annulé, et la cause renvoyée au Ministère public pour qu'il rende une décision motivée sur l'indemnité due au recourant, le cas échéant après avoir obtenu les précisions nécessaires concernant les notes d’honoraires produites. 

Compte tenu de la nature procédurale du vice constaté, il n'était pas nécessaire d'inviter le Procureur à se prononcer, la juridiction de céans n’ayant pas statué sur le fond (cf. par analogie arrêt du Tribunal fédéral 6B_1212/2020 du 9 février 2021 consid. 2. et les références, notamment ATF 133 IV 293 consid. 3.4.2).

Cette admission scelle le sort du recours et dispense la Chambre de céans de se prononcer sur les autres griefs soulevés par le recourant.

3.             Vu l'issue du recours, les frais de recours seront laissés à la charge de l'État (art. 428 al. 4 CPP).

4.             Le recourant, prévenu, obtient gain de cause et a droit à une indemnité pour ses frais de défense (art. 436 al. 1 cum 429 al. 1 let. a CPP).

Il conclut au versement d'une indemnité équitable pour la procédure de recours. Il n'a pas chiffré ses prétentions, mais l'autorité pénale examine d'office ce poste (art. 429 al. 2 CPP).

Eu égard à l'activité déployée, au peu de difficulté de la cause et au motif d'admission du recours, quelle que soit l’ampleur des écritures du recourant, qui ne sont pas exemptes de redites, une indemnité correspondant à une heure trente d'activité apparaît justifiée, au tarif horaire de CHF 450.-.

Un montant de CHF 727.-, TVA (7.7%) incluse, sera ainsi alloué.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule le chiffre 2 du dispositif de l'ordonnance querellée et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 727.- TTC, pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente ; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges ; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).