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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/14557/2021

ACPR/804/2023 du 16.10.2023 sur OCL/436/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ESCROQUERIE;SOUPÇON
Normes : CPP.319; CP.146; CP.251

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/14557/2021 ACPR/804/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 16 octobre 2023

 

Entre

A______, dont le siège sis ______, Ukraine, représentée par Me T______, avocat,

recourante,

contre l'ordonnance de classement rendue le 27 mars 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 11 avril 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 27 mars précédent, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a classé la procédure.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public pour complément d'instruction, en particulier par des actes d'enquête qu'elle énumère.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 3'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.A______ se présente comme ______ banque d'Ukraine. B______ et C______ en étaient les hauts dirigeants et les actionnaires majoritaires jusqu'à la ______, en décembre 2016.

b. Le 21 juillet 2021, A______ a déposé plainte, pour escroquerie et faux dans les titres, contre D______ ______ SUISSE SA (ci-après: D______ SUISSE) et E______ SA, sises à Genève, actives notamment dans le commerce et le négoce de denrées agricoles et de matières premières, ainsi que certains des employés ou dirigeants de ces sociétés, à savoir notamment F______, chef du département de "Structured trade finance" (ci-après: STF) chez D______ SUISSE depuis 2012; G______, "Chief Financial Officier" de E______ SA depuis 2010, H______, membre du conseil d'administration et directeur en charge du "physical commodities trading" chez E______ SA depuis sa création et I______, Directeur général de E______ SA depuis 2011.

Résumé de la plainte

À la suite de sa ______, la banque a découvert plusieurs infractions commises à son préjudice par B______ et C______, sous couvert de transactions commerciales portant sur l'achat et la vente de marchandises. Les fonds détournés, soit plusieurs centaines de millions de dollars, l'avaient été en faveur de la société offshore J______ LTD, sise aux îles Vierges britanniques, dont ses anciens dirigeants précités étaient les ayants droit économiques "indirects". Ces transactions commerciales, en réalité fictives, avaient été mises en place avec le concours de D______ SA, E______ SA et leurs animateurs, lesquels avaient créé de faux contrats permettant de donner l'apparence de transactions effectives. Au total, le préjudice s'élevait à USD 31'507'890'483.

Les agissements dénoncés

Treize de ces transactions "fictives", intervenues entre 2015 et 2016, sont mises en exergue dans la plainte. Pour en illustrer le mode opératoire, identique pour chacune des transactions, A______ en résume l'une d'elles en quatre étapes:

i) D______ ______ ASIA PTE LTD (ci-après: D______ ASIA ou D______ SINGAPORE) concluait un contrat de vente ("Sale Contract") de matières premières agricoles avec D______ SUISSE, pour un prix fixe (contrat 1). D______ SUISSE concluait, à son tour, un contrat de vente, au même prix, pour ces mêmes marchandises avec J______ LTD, en prévoyant un paiement différé d'une année (contrat 2). Enfin, J______ LTD concluait un contrat de vente avec D______ ASIA, au prix d'achat initial, moins 3.5% (contrat 3).

ii) Concomitamment, K______, banque lettone au sein de laquelle A______ détenait une participation majoritaire jusqu'en février 2016, émettait une lettre de crédit ("Letter of Credit") portant sur les montants prétendument dus par D______ SUISSE à D______ ASIA, en vertu du contrat 1.

De son côté, A______ concluait un contrat de garantie ("Guarantee Agreement") avec K______, par lequel elle garantissait la créance de D______ SUISSE issue de la lettre de crédit.

iii) Le flux financier découlant de ce schéma se réalisait comme suit:

- en vertu du contrat de garantie, A______ déposait des espèces, pour un montant égal au prix de vente prévu dans le contrat 1, sur un compte auprès de K______;

- comme prévu dans la lettre de crédit, K______ versait une somme équivalente, moins 1.9% de frais, à titre de paiement immédiat pour D______ ASIA et facturait 0.1% à D______ SUISSE, créancier de la lettre de crédit;

- D______ ASIA versait à J______ LTD le prix de vente du contrat 3, soit le prix initial moins 3.5%.

iv) Au moment d'émettre la lettre de crédit et de reverser à D______ ASIA des fonds équivalant au prix initial du contrat 1, moins 1.9%, K______ concluait avec D______ SUISSE un contrat de libération des obligations ("Discharge of Obligations Agreement") pour libérer cette dernière de la dette prévue dans la lettre de crédit. En contrepartie, D______ SUISSE cédait à K______ sa créance à l'égard de J______ LTD découlant du contrat 2.

Le groupe E______ et, plus particulièrement, E______ SA, occupait le même rôle que le groupe D______, respectivement D______ SUISSE dans les étapes détaillées pour les transactions les impliquant.

Événements de décembre 2016

En sus de ce qui précède, A______ explique qu'à la veille de la ______, B______ et C______ avaient mis en place un "dernier schéma frauduleux", lié directement aux transactions dénoncées plus haut. Des écritures "fictives" avaient été introduites dans la comptabilité de la banque. Elles avaient eu pour effet de libérer, une seconde fois, D______ SUISSE et E______ SA, de leurs obligations de rembourser K______ à teneur des lettres de crédit. Dans un courrier du 16 décembre 2016, probablement reçu par D______ SUISSE et E______ SA, la banque avait ainsi demandé à K______ de solder les dettes des deux sociétés précitées en utilisant les fonds déposés en exécution des accords de garantie (cf. étape 2 supra).

Parallèlement, des "obligations fictives correspondantes (d'une valeur identique)" avaient été créées pour faire de J______ LTD sa débitrice. Ainsi, par des contrats de prêt ("Loan Agreements") "falsifiés et antidatés", J______ LTD s'était engagée à lui [A______] verser une somme égale aux garanties utilisées indûment par K______. Elle s'était ainsi retrouvée avec des créances "fictives" à faire valoir contre J______ LTD, laquelle ne présentait aucune garantie quant à ses capacités de rembourser les sommes concernées.

Le caractère fictif des transactions

Dans sa plainte, A______ estime que les "contrats circulaires" de vente ne reflétaient aucune réalité, car plusieurs éléments faisaient douter de la véracité des transactions. Notamment, le prix d'achat et les quantités de marchandises étaient déterminés avec "une précision extrême" alors qu'il était courant, dans ce domaine, de conserver une marge sur ces aspects. La documentation contractuelle était "très sommaire" et ne prévoyait pas d'inspection de la marchandise par une entreprise tierce, alors que tel était souvent le cas dans les contrats de commerce de matières premières. Par ailleurs, J______ LTD n'offrait aucune garantie ou sûreté à D______ SUISSE ou E______ SA. Il était ainsi surprenant que ces sociétés acceptassent le paiement différé d'un an de montants substantiels, à une société offshore, s'exposant au risque de ne pas pouvoir recouvrer leurs créances. Ce montage paraissait servir l'unique but de faire bénéficier J______ LTD, pendant une année, d'un prêt portant sur des montants "pharamineux". Le schéma utilisé pouvait s'expliquer par la législation ukrainienne, limitant la possibilité pour une banque de faire un prêt à une entité liée.

Les avantages indus de D______ SUISSE et E______ SA

Sur la base des contrats de libération des obligations, D______ SUISSE et E______ SA se voyaient libérées de leurs obligations découlant des lettres de crédit signées avec K______, s'enrichissant indument dans cette mesure. Les avantages ainsi obtenus étaient de USD 133'662'138.61 pour D______ SUISSE et USD 181'239'687.19 pour E______ SA. En outre, le "groupe D______" et le "groupe E______" percevaient 1.5% (3.5% - 1.9% - 0.1%) du prix initial (contrat 1) sur chaque opération, ce qui donnait, pour les treize transactions dénoncées, un total de USD 2'004'932.08 pour le premier et de USD 271'859'531 pour le second.

Les documents contractuels

Dans la plus grande majorité des transactions dénoncées, les différents contrats impliquant D______ SUISSE avaient été signés par F______ et ceux impliquant E______ SA par H______, G______ ou I______.

c. Lors d'audiences tenues les 29 septembre et 8 décembre 2021, A______, soit pour elle L______, en charge du département juridique, a expliqué que la ______ de la banque était intervenue, par nécessité, après de grandes pertes de capital. Les analyses effectuées a posteriori visaient à connaître les raisons de ces pertes. Certains résultats avaient démontré l'existence d'un schéma visant à faire sortir des fonds en faveur de J______ LTD, société qu'elle soupçonnait appartenir à B______ et C______. Le "schéma d'escroquerie" existait depuis longtemps, soit 2013. Toutefois, J______ LTD avait remboursé certains des montants découlant des lettres de crédit et les montants déposés à titre de garantie sur les comptes de K______ n'avaient pas été utilisés. Ces transactions antérieures n'étaient donc pas mentionnées dans la plainte. J______ LTD détenait un compte ouvert en les livres de la filiale chypriote de la banque.

Juste avant la ______, "l'ancien Président du conseil d'administration" avait adressé une lettre à la banque lettone donnant l'autorisation à cette dernière d'utiliser les fonds déposés à titre de garantie pour rembourser les montants dus par D______ SUISSE et E______ SA. L'ancienne direction avait ainsi remplacé dans la comptabilité de la banque l'obligation de rembourser des deux sociétés précitées par des contrats de prêt en faveur de J______ LTD. Un tribunal ukrainien avait jugé que ces contrats de prêt n'étaient pas valides. En conséquence, J______ LTD n'avait plus aucune obligation envers la banque.

d.a. Le Ministère public a ordonné l'apport de la procédure CP/1______/2020, ouverte à la suite d'une demande d'entraide reçue des autorités ukrainiennes. Ladite demande visait à saisir la documentation contractuelle de E______ SA et D______ SUISSE, ainsi qu'à l'audition de leurs représentants notamment, sur la base du même complexe de faits que celui dénoncé dans la plainte de A______.

Dans ce cadre, la police a procédé à l'audition de F______, G______, I______ et H______.

d.b. F______ a expliqué que son poste consistait à organiser et structurer des opérations de financement au profit de clients, qui étaient soit des banques, soit des sociétés commerciales. Les opérations de STF étaient pratiquées par tous les négociants en matières premières depuis vingt-cinq ans. Elles avaient pour but de produire un revenu complémentaire pour les négociants sur les transactions en question. D______ SUISSE dégageait une marge bénéficiaire entre le financement obtenu pour le client et le financement payé par celui-ci, sous la forme d'un intérêt et/ou d'une commission.

Les financements structurés étaient toujours adossés à des flux de marchandises réels. Les opérations étaient dites "circulaires" car elles étaient basées sur des flux de marchandises appartenant au groupe D______. Les termes du contrat conclu entre D______ ASIA et D______ SUISSE prévoyaient l'émission, par K______, d'une lettre de crédit dont la première était la bénéficiaire, avec un paiement différé de trois-cent-soixante jours. Dès que D______ ASIA présentait les documents d'expédition à K______, D______ SUISSE avait l'obligation de verser à la banque lettone le montant prévu dans la lettre de crédit, dans un délai de trois-cent-soixante jours également. Simultanément, D______ SUISSE, sur instruction de K______, vendait la marchandise et facturait à J______ LTD le prix de vente avec un délai de paiement identique. Immédiatement après, J______ LTD revendait la marchandise à D______ ASIA contre un paiement immédiat. J______ LTD, qui devait, pour sa part, payer sa facture sous trois-cent-soixante jours, bénéficiait ainsi d'un financement de la durée et du montant de la lettre de crédit.

Dès l'origine de chaque transaction, D______ SUISSE concluait un "discharge agreement" avec K______, à teneur duquel la société cédait sa créance contre J______ LTD, en paiement de la lettre de crédit. En d'autres termes, K______ s'engageait à être payée par J______ LTD, en lieu et place de D______ SUISSE. Le groupe D______ procédait de la sorte car il ne souhaitait pas prendre le risque d'un défaut de paiement par J______ LTD. Il en allait de même pour tous les financements structurés similaires, sans égard pour l'entité financée. À teneur du "discharge agreement", D______ SUISSE s'engageait toutefois, à titre de "collection agency", à recevoir le paiement de sa facture adressée à J______ LTD et à reverser le montant à K______.

L'objectif de cette opération était de permettre à K______ de financer J______ LTD, les deux entités ayant un actionnariat commun et la première détenant et contrôlant la seconde selon les documents "KYC" internes à la société. K______, qui intervenait ainsi comme cliente, sollicitait D______ SUISSE en stipulant à quelle hauteur elle souhaitait un financement. D______ SUISSE confirmait alors la disponibilité des flux de marchandises, à savoir la possibilité de conclure la transaction. Le travail de préparation de la documentation était réalisé par M______, une courtière d'une société indépendante. Ensuite, les documents, soit les trois contrats de vente, la lettre de crédit et le "Discharge of Obligations Agreement" étaient envoyés à D______ SUISSE et K______ pour vérifications et signature.

En 2015, D______ SUISSE avait temporairement cessé de conclure des lettres de crédit avec K______, en raison d'une lettre de la N______, versée au dossier, au sujet des contrats de garantie mis en place entre la banque lettone et A______. Au début de l'année 2016, D______ SUISSE avait reçu la visite de représentants de A______, qui se voulaient rassurants à propos de ce courrier et qui souhaitaient la reprise des transactions avec K______.

D______ SUISSE connaissait l'existence mais n'était pas partie prenante aux contrats de garantie conclus entre K______ et A______. Lesdits contrats couvraient le "risque de repaiement sur une journée", dans l'hypothèse où D______ SUISSE ne reversait pas le montant reçu de J______ LTD. Cette hypothèse ne s'était jamais réalisée, D______ SUISSE ayant toujours exécuté l'ensemble de ses obligations. D______ SUISSE avait reçu copie d'un courrier de A______ à K______. Ledit courrier lui avait appris que le paiement dû à K______ par J______ LTD se ferait par appel des garanties données par A______. Aucune réponse n'avait été donnée, D______ SUISSE n'étant partie ni aux contrats de garanties, ni au processus d'appels de celles-ci. Si, avant la ______, D______ SUISSE apparaissait comme débitrice de A______ dans les comptes de cette dernière, avec pour fondement les garanties octroyées à K______, tel n'aurait pas dû être le cas car les dettes de D______ SUISSE à l'égard de K______ étaient éteintes. Dès la cession des créances (via les contrats de libération des obligations), la comptabilité de K______ aurait dû mentionner que la débitrice des lettres de crédit était J______ LTD, et non D______ SUISSE. Il n'y avait donc aucune raison d'appeler une garantie couvrant des défauts de paiements de D______ SUISSE.

d.c. G______ a déclaré être chargé du département de STF. E______ SA avait été mis en relation avec K______ par le biais de M______, pour des opérations qui devaient se faire avec J______ LTD, contrôlée par K______. Le but était de financer J______ LTD, par le biais d'opérations circulaires. E______ ASIA achetait des marchandises et les vendait à E______ SA, avec un délai de paiement de trois-cent-soixante jours. K______ ouvrait, pour E______ SA, des lettres de crédit avec un paiement différé de trois-cent-soixante jours également, dont la bénéficiaire était E______ ASIA. Simultanément, E______ SA vendait la marchandise à J______ LTD, avec un délai de paiement différé d'une même durée. Enfin, J______ LTD revendait la marchandise à E______ ASIA, avec un paiement immédiat. Cette opération permettait de financer J______ LTD au moyen d'une opération commerciale. Dès le début, la proposition pour le groupe E______ était de fournir son "trade flow" de marchandises pour permettre à K______ de financier J______ LTD. Il était convenu dès le départ que E______ SA réglerait ses obligations par la cession de créance qu'elle détenait à l'encontre de J______ LTD. Les marchandises dont il était question dans les contrats étaient réelles et les livraisons avaient été effectuées. M______ avait remis à E______ SA un document selon lequel A______, K______ et J______ LTD appartenaient au même groupe. E______ SA intervenait comme "collection agency", en ce sens que malgré la cession de créance, J______ LTD versait les montants dus à K______ sur les comptes de E______ SA, laquelle les transférait ensuite à la banque lettone.

Il ignorait l'existence des contrats de garantie entre A______ et K______ conclus à titre de sûretés. Dans les lettres de crédit signées avec la banque lettone, il y avait un paragraphe qui faisait référence à de tels contrats entre les deux banques. M______ avait expliqué que K______ était une petite structure avec un capital limité et que le support de A______ s'avérait nécessaire pour prêter des montants de plusieurs centaines de millions de dollars. Habituellement, il n'y avait pas de telle structure de garantie; il s'agissait-là d'un "petit point" auquel il n'avait pas spécifiquement fait attention. Il n'avait jamais vu la lettre du 16 décembre 2016 par laquelle A______ ordonnait le débit de ses fonds placés sur les comptes de K______, sur la base des contrats de garantie, pour remplir les obligations de E______ SA envers la banque lettone. À cette date, toutes les créances consécutives aux lettres de crédit avaient déjà été cédées à K______, de sorte que les dettes de E______ SA étaient éteintes.

Durant son audition, G______ a fourni plusieurs adresses électroniques appartenant à M______, ainsi que son numéro de téléphone portable.

d.e. I______ a expliqué ignorer le détail des accords conclus entre E______ SA et K______ ou A______. Si sa signature se trouvait sur certaines lettres de crédit dénoncées dans la plainte, il n'avait jamais lu leur contenu avec attention. G______ avait toute discrétion pour conclure tout contrat de "trade finance". En général, il se fiait complètement aux vérifications entreprises par la personne responsable du contrat en question.

d.f. H______ a déclaré ne pas connaître le détail des transactions effectuées avec K______, lesquelles relevaient du département de G______. Ce dernier devait savoir ce qu'il y avait dans les contrats de garantie entre A______ et K______.

e. Le Ministère public a, derechef, entendu F______ et G______ les 8 décembre 2021, 4 février, 30 mars et 28 septembre 2022.

- F______ a confirmé ses précédentes déclarations et précisé que les transactions STF avaient été avalisées par l'auditeur de D______ SUISSE à l'époque. Deux réglementations internes principales encadraient ces activités, soit les "disclosure policy", qui traitaient de la reconnaissance, par chaque partie, de la nature de la transaction, et la "third party policy", qui s'attachait à la sélection des contreparties. La structure de financement mise en place par A______ avait été validée à l'interne par le département juridique, le secteur des taxes, la comptabilité, le secteur du crédit et la compliance. Les transactions pour lesquelles D______ SUISSE était intervenue portaient sur des marchandises réelles, détenues par le groupe D______. La vente intragroupe, par le biais de contrats circulaires, s'expliquait par le fait que ce type d'opérations ne visaient pas à vendre les marchandises. Cela était clair dès le début pour tous les partenaires. Les contrats de vente intragroupe mentionnés dans la plainte avaient été établis par son équipe et signés de sa main à Genève. Le document "Discharge of obligations agreement" était signé dès le début de la transaction. Ce contrat permettait à D______ SUISSE de ne pas être exposée aux risques de crédit de la contrepartie J______ LTD. Cette dernière devait devenir la débitrice dans les livres de comptabilité de K______. Dans le cadre de ces chaînes de contrats, D______ ASIA était rémunérée, par un pourcentage de la transaction. En interne, D______ SUISSE percevait une partie reversée "intragroupe".

Les intérêts des protagonistes dans une opération de STF variaient. Pour le prêteur, soit K______, il s'agissait d'une opération de financement commerciale, réputée peu risquée. Pour l'emprunteur, soit J______ LTD, il obtenait des conditions de crédit plus favorable que celles d'un prêt standard. Pour le groupe D______, qui mettait à disposition les flux commerciaux, cela lui permettait de dégager une marge ou une commission, correspondant à un pourcentage convenu à l'avance.

Concernant le courrier reçu de la N______, son contenu était confus et mêlait d'autres sociétés. Ces éléments avaient poussé D______ SUISSE à cesser toute transaction. À l'époque, la société avait fait l'objet de "pressions" de la part de A______ pour ne pas répondre à ce courrier.

- G______ a déclaré que les transactions STF avaient été validées par l'auditeur de E______ SA. Des informations reçues de M______ notamment, il était convaincu que K______ était une filiale de A______, complètement contrôlée par celle-ci. Dans le cadre d'opérations circulaires, l'existence de la marchandise était importante et celle-ci était la propriété du groupe E______. Il était courant, dans ce genre d'opérations, que les contrats d'achat et de vente soient signés le même jour. Les documents signés par la société étaient rédigés, puis signés, par des personnes travaillant au siège genevois.

La justification commerciale derrière ce processus était que, via la lettre de crédit, la banque obtenait un instrument pouvant facilement être refinancé sur le marché. Pour les banques des pays émergents, l'accès à des prêts en dollars pouvait être compliqué. Avec le STF, cela devenait possible à des taux intéressants.

E______ SA n'avait pas demandé que ses activités soient garanties par A______ auprès de K______. En revanche, le "discharge of obligations agreement" était un document clé puisque E______ SA ne voulait pas prendre le risque d'un éventuel non-paiement de J______ LTD. Pour lui, ce n'était pas le rôle de E______ SA de vérifier si les banques en général se conformaient à leurs obligations dans leur pays de siège ou non. Intervenant comme contrepartie commerciale, E______ SA n'était pas en mesure de vérifier cela.

f. Par avis de prochaine clôture, notifié exclusivement à A______, le Ministère public l'a informée de son intention de classer la procédure.

g. Par courrier du 26 janvier 2023, A______ s'est opposée au classement et a sollicité la production, par D______ SUISSE et E______ SA, de nombreuses pièces, l'obtention, par S______ SA, de documents bancaires de E______ SA, ainsi que l'audition de plusieurs personnes, la plupart employées par D______ SUISSE ou E______ SA, ainsi que l'audition de M______.

A______ a joint à son courrier un avis de droit de la Professeure O______, qui a analysé les questions suivantes: "(1) la participation des organes de la banque à un schéma frauduleux à l'encontre de cette dernière empêche-t-elle la réalisation de l'infraction d'escroquerie, en ce sens que la banque serait alors réputée avoir consenti à la lésion ? (2) le dessein d'enrichissement illégitime constitue-t-il un critère de rattachement territorial fondant la compétence du juge suisse ? (3) les divers documents fondant les transactions qui font l'objet de l'enquête pénale constituent-ils des titres au sens de l'art. 110 al. 4 CP, respectivement bénéficient-ils d'une valeur probante accrue ? (4) un document ne contenant pas à proprement parler des informations fausses mais qui est destiné à camoufler la réalité peut-il être considéré comme un faux au sens de l'art. 251 CP ?".

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public rejette, d'abord, les réquisitions de preuves de A______. Les personnes les mieux à même d'expliquer le complexe de faits sous enquête avaient déjà été entendues. Il n'était donc pas nécessaire d'entendre d'autres employés de D______ SUISSE ou E______ SA. Le rôle de M______ était établi et son audition ne permettrait pas d'élucider les faits. Les flux de fonds dénoncés n'ayant pas été remis en cause par F______ et G______, il n'était pas nécessaire d'obtenir la documentation bancaire de E______ SA. Enfin, les documents sollicités de D______ SUISSE et E______ SA étaient superflus car les moyens de preuves déjà administrés suffisaient.

S'agissant de l'escroquerie, les faits dénoncés par A______ dans sa plainte avaient été "infirmés sans équivoque" par F______ et G______. Les transactions circulaires s'inscrivaient dans des opérations STF courantes et celles incriminées avaient été avalisées par les réviseurs de D______ SUISSE et E______ SA, ainsi que par leur structure interne. Le circuit financier et commercial décrit était conforme à la législation en vigueur et visait à alimenter J______ LTD, ce qui était évident pour toutes les parties concernées, y compris A______. L'instruction n'avait pas mis en évidence que la prétendue ignorance de cette dernière quant à la finalité de l'opération était due à une tromperie commise à son préjudice. En tout état, il appartenait à A______ de mener une due diligence approfondie sur l'opération avant d'octroyer des garanties à K______.

Les transactions exposées dans la plainte n'étaient pas fictives. Elles correspondaient à une réalité économique sous-jacente, connue des parties. Les différents contrats conclus dans le cadre des étapes successives ne pouvaient donc être considérés comme faux. En outre, rien ne permettait de conclure que ces contrats auraient été falsifiés, altérés ou modifiés. En tout état, ils ne revêtaient pas une force probante accrue, n'étant entourés d'aucune garantie objective de véracité et aucune personne ne revêtant la position de garant vis-à-vis de A______.

D. a. Dans son recours, A______ soutient que les conditions des infractions d'escroquerie (art. 146 CP) et de faux dans les titres (art. 251 CP) sont réalisées.

Sur la base des déclarations de F______ et G______, qui avaient confirmé la totalité des faits dénoncés, le Ministère public avait estimé, à tort, que leur comportement était légal et conforme à la règlementation. L'autorité précédente avait insuffisamment instruit cet aspect pour se forger une opinion valable. Que la pratique commerciale de D______ SUISSE et E______ SA fût licite ou non, celles-ci ne pouvaient pas prêter leur concours à la mise en place, à la signature et à la mise en circulation de documents contractuels "trompeurs" sans s'assurer de leur usage ultérieur. D'autant moins que de nombreux "voyants rouges" auraient dû attirer leur attention. Le Ministère public ne pouvait se limiter à affirmer que la pratique décrite par F______ et G______ existait depuis de nombreuses années pour en déduire sa légalité. Il était également incorrect de retenir qu'elle connaissait le but des transactions – soit le financement de J______ LTD –, les agissements de ses anciens organes, B______ et C______, n'empêchant pas la réalisation d'une infraction à son encontre, comme expliqué par la Professeure O______ dans son avis de droit. Une enquête interne au sein de la banque était d'ailleurs en cours pour identifier les employés ayant été amenés à approuver, à leur insu, le dépôt des garanties, pour chaque transaction, sur les comptes de K______.

En ignorant les signaux d'alerte, D______ SUISSE et E______ SA, ainsi que leurs représentants, s'étaient accommodés du fait que les contrats et documents signés de leurs mains pouvaient être utilisés à mauvais escients. Parmi ces "voyants rouges", il y avait les contrats de garantie avec K______ portant sur leurs créances issues des lettres de crédit. Ce "cadeau", mentionné dans lesdites lettres, aurait dû conduire D______ SUISSE et E______ SA à s'interroger sur le véritable créancier et le rôle joué par la banque [A______]. Les sociétés précitées devaient également connaître l'interdiction générale des banques de prêter de l'argent, directement ou indirectement, à leurs ayants droit économiques. Néanmoins, elles n'avaient pas hésité à participer au schéma mis en place pour financer J______ LTD et à intervenir comme "collection agent". Par ailleurs, au moment de recevoir le courrier du 19 décembre 2016 de K______ les informant de l'utilisation des garanties fournies et de l'extinction de leurs dettes, alors même que celles-ci l'étaient depuis plusieurs mois, D______ SUISSE et E______ SA ne pouvaient plus ignorer l'utilisation frauduleuse des contrats dénoncés.

L'infraction d'escroquerie avait ainsi permis "l'enrichissement des groupes E______ et D______ (1.5% du montant de la transaction)" mais également la libération de leurs dettes envers K______, soit un gain sous la forme d'un "non-appauvrissement".

Concernant l'infraction visée par l'art. 251 CP, la Professeure O______ avait conclu qu'un document ne devait pas nécessairement contenir un élément inexact pour être qualifié de faux; il suffisait qu'il donnât une image trompeuse de la réalité. Par ailleurs, les lettres de crédit et les documents composant la comptabilité commerciale jouissaient d'une valeur probante accrue. Dans ce contexte, le schéma dénoncé nécessitait "des Letters of Credit, des Sale Contracts, des Discharge of Obligations Agreements, des Assignment Letters et des Notices of Assignment", soit les documents signés par D______ SUISSE, respectivement E______ SA, dans les treize transactions mises en exergue dans la plainte. En outre, le Ministère public retenait à tort que les documents n'étaient pas trompeurs. F______ et G______ avaient admis que les prétendus achats/ventes de marchandises n'avaient pour réel but que le financement de J______ LTD. Le schéma de transactions n'était – par essence – pas conforme à la réalité.

b. Dans ses observations, le Ministère public constate qu'avant de garantir des montants substantiels, A______ avait sans doute procédé à une analyse détaillée du système concerné. Il était donc "inconcevable" qu'elle ait ignoré les schémas décrits. Si des informations devaient avoir été soustraites à sa vue par ses anciens dirigeants, l'intégralité des éléments constitutifs de l'infraction d'escroquerie aurait été réalisée en Ukraine, écartant de la sorte la compétence des autorités suisses. A______ tentait d'attraire D______ SUISSE, E______ SA et leurs représentants respectifs, dans le cercle des personnes impliquées pour créer un lien juridique avec la Suisse. Or, F______ et G______ avaient expliqué que les transactions étaient licites, connues et autorisées par les organismes de régulation et les réviseurs. Ces auditions suffisaient ainsi pour comprendre que les faits dénoncés n'étaient pas constitutifs d'escroquerie et qu'aucune personne n'avait été trompée. Pour cette raison, entendre d'autres représentants ou employés de D______ SUISSE ou E______ SA s'avérerait vain. Quant à M______, il était impossible de la localiser et son audition, sollicitée par A______, était superflue du fait que les transactions dénoncées étaient admises et établies. L'obtention des comptes de E______ SA et des pièces figurant en annexe du courrier de A______ du 26 janvier 2023 n'était pas nécessaire. Nul ne contestait que les transactions avaient pour but de générer un profit supplémentaire à leur avantage. Les autres pièces sollicitées n'étaient d'aucune aide pour établir une éventuelle fraude au sein de A______.

c. Dans sa réplique, A______ reproche au Ministère public d'ignorer la possibilité qu'elle fût victime d'infractions commises par, ou sur instructions de, ses anciens dirigeants, B______ et C______. En tant qu'entité juridiquement distincte, elle n'avait pas pu procéder à une analyse du système qu'elle avait garanti puisqu'elle avait été trompée par les précités. Dans ce contexte, D______ SUISSE, E______ SA et leurs représentants avaient joué un rôle essentiel. Après plus de deux ans d'instruction, le Ministère public soulevait soudainement l'incompétence des autorités suisses alors que ce point avait été traité dans l'avis de droit de la Professeure O______, laquelle avait retenu que l'enrichissement et le non-appauvrissement de D______ SUISSE et E______ SA s'étaient produits en Suisse, fondant un critère de rattachement suffisant pour l'infraction d'escroquerie. Des informations pour contacter M______ étaient aisément accessibles sur internet. Face à une situation factuelle complexe et détaillée, les réquisitions de preuve s'avéraient indispensables et le Ministère public ne pouvait pas se limiter à accepter le récit de D______ SUISSE et E______ SA. D'autant moins que ces sociétés étaient citées dans une affaire judiciaire à l'étranger, présentant des similitudes avec la situation dénoncée dans la plainte.

À l'appui de sa réplique, A______ produit notamment un extrait du profil P______ [réseau social] de M______ et des articles internet du "Q______" et de "R______".

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).

1.2.1. Seule la partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation d'un prononcé est habilitée à quereller celui-ci (art. 382 al. 1 CPP).

1.2.2. Selon l'art. 118 al. 1 CPP, on entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale.

Le lésé est celui dont les droits ont été touchés directement par une infraction (art. 115 al. 1 CPP). Lorsque la norme protège un bien juridique individuel, la qualité de lésé appartient au titulaire de ce bien (ATF 138 IV 258 consid. 2.3; 129 IV 95 consid. 3.1; 126 IV 42 consid. 2A; 117 Ia 135 consid. 2a). Pour être directement touché, le lésé doit subir une atteinte en rapport de causalité directe avec l'infraction poursuivie, ce qui exclut les dommages par ricochet (arrêts 6B_1014/2020 du 10 février 2021 consid. 3.2; 6B_608/2020 du 4 décembre 2020 consid. 3.1; 6B_1239/2020 et 6B_1240/2020 du 2 décembre 2020 consid. 5.1). La déclaration de partie plaignante doit avoir lieu avant la clôture de la procédure préliminaire (art. 118 al. 3 CPP), soit à un moment où l'instruction n'est pas encore achevée. Dès lors, tant que les faits déterminants ne sont pas définitivement arrêtés sur ce point, il y a lieu de se fonder sur les allégués de celui qui se prétend lésé ainsi que sur les éléments de preuve déjà disponibles pour déterminer si tel est effectivement le cas. Celui qui entend se constituer partie plaignante doit toutefois rendre vraisemblable le préjudice et le lien de causalité entre celui-ci et l'infraction dénoncée (arrêt du Tribunal fédéral 1B_104/2013 du 13 mai 2013 consid. 2.2).

Lorsqu'une infraction est perpétrée au détriment du patrimoine d'une personne morale, seule celle-ci subit un dommage et peut donc prétendre à la qualité de lésée, à l'exclusion des actionnaires d'une société anonyme, des associés d'une société à responsabilité limitée, des ayants droit économiques et des créanciers desdites sociétés (ATF 141 IV 380 consid. 2.3.3; 140 IV 155 consid. 3.3.1). 

1.2.3. L'art. 251 CP protège, en tant que bien juridique, d'une part, la confiance particulière placée dans un titre ayant valeur probante dans les rapports juridiques et, d'autre part, la loyauté dans les relations commerciales (ATF 142 IV 119 consid. 2.2). Le faux dans les titres peut également porter atteinte à des intérêts individuels, en particulier lorsqu'il vise précisément à nuire à un particulier (ATF 140 IV 155 consid. 3.3.3; 119 Ia 342 consid. 2b). Tel est le cas lorsque le faux est l'un des éléments d'une infraction contre le patrimoine, la personne dont le patrimoine est menacé ou atteint ayant alors la qualité de lésé (ATF 119 Ia 342 consid. 2b; arrêts 6B_1185/2019 du 13 janvier 2020 consid. 2.2; 6B_655/2019 du 12 juillet 2019 consid. 4.3.3). 

1.2.4. En l'espèce, la recourante allègue avoir été victime d'une escroquerie pour l'équivalent de plusieurs centaines de millions de francs.

De ses explications, il ressort en substance que les premiers responsables derrière les agissements incriminés seraient ses anciens dirigeants, lesquels auraient néanmoins bénéficié de l'assistance des sociétés prévenues et de leurs représentants. Ceux-ci auraient prêté leur concours au travers d'un schéma de transactions simulées, dans le but ultime de permettre aux anciens dirigeants de la banque de détourner des montants substantiels vers une société sise aux îles Vierges britanniques, dont ils seraient les réels ayants droit économiques. Pour favoriser la mise en place du schéma frauduleux et pour tromper les intervenants nécessaires à la validation et la mise en exécution des transactions litigieuses, les sociétés prévenues, respectivement leurs représentants, auraient créé des contrats "fictifs" ne reflétant aucune réalité économique. Ces contrats, en particulier les ventes "circulaires" et les lettres de crédit, auraient finalement mené à une perte massive de son capital.

Ces faits – à supposer qu'ils soient avérés – pourraient avoir causé un dommage personnel et direct à la recourante, matérialisé par les fonds de son capital remis à titre de garanties à la banque lettone et qui auraient été indûment utilisés. Le schéma frauduleux et trompeur dépeint dans sa plainte impliquerait, par ailleurs, la création et l'usage des contrats dénoncés comme "fictifs", lesquels s'inscriraient donc, selon la recourante, comme moyens utiles et nécessaires à l'escroquerie ayant conduit à son dommage.

Dans ces circonstances, il peut être retenu, en l'état, que la recourante est lésée, au sens de l'art. 115 CPP, par les infractions dénoncées, ce qui lui octroie un intérêt juridiquement protégé à agir (art. 382 al. 1 CPP) contre leur non-entrée en matière.

Partant, le recours est recevable.

1.3. Les pièces nouvelles produites devant la juridiction de céans sont également recevables, la jurisprudence admettant la production de faits et de moyens de preuve nouveaux en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.2).

2.             2.1. Selon l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public classe la cause lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a), respectivement quand les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

Cette disposition s’applique conformément au principe "in dubio pro duriore", selon lequel un classement ne peut être prononcé que si la situation factuelle et juridique est claire. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_33/2021 du 12 juillet 2021 consid. 2).

2.2. Le ministère public classe également la cause lorsque des empêchements de procéder sont apparus (art. 319 al. 1 let. d CPP), par exemple l'absence de for en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 6B_266/2020 du 27 mai 2020 consid. 2).

2.3. Selon l'art. 146 al. 1 CP, se rend coupable d'escroquerie quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, induit astucieusement en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou la conforte astucieusement dans son erreur et détermine de la sorte la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers.

2.4. Selon l'art. 251 ch. 1 CP, se rend coupable de faux dans les titres quiconque, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d’autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, crée un titre faux, falsifie un titre, abuse de la signature ou de la marque à la main réelle d’autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constate ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou, pour tromper autrui, fait usage d’un tel titre.

2.5. En l'espèce, le Ministère public exclut la réalisation d'une quelconque infraction au motif que les deux prévenus entendus ont, globalement, admis et confirmé les faits dénoncés. Selon les intéressés, le schéma décrit dans la plainte correspondait, en réalité, à leur activité usuelle et réglementée. Les treize transactions mises en exergue avaient porté sur des marchandises réelles et la finalité de l'opération – voulue et connue des intervenants – était de permettre à la banque lettone de financier la société offshore. Ils ont même expliqué pourquoi des banques de pays émergents pouvaient parfois recourir à de telles structures et quels intérêts en retirait chaque partie.

En se fondant sur la plainte uniquement, la cause présente une complexité manifeste et les enjeux de la procédure portent sur une prétendue escroquerie commise au détriment d'une banque ukrainienne aujourd'hui ______, pour plusieurs centaines de millions de francs. Il s'ensuit que le choix du Ministère public de rendre une ordonnance de classement sur la base d'une instruction succincte, axée principalement sur les auditions de deux prévenus, est difficilement compréhensible. Surtout que des zones d'ombres subsistent, en particulier sur un élément central des faits dénoncés, à savoir les garanties déposées par la recourante sur les comptes de la banque lettone.

À ce propos, il ressort des déclarations des prévenus entendus que l'existence de contrats de garantie, dont ils avaient une connaissance plus ou moins directe, présentait, dans le cas d'espèce, un trait particulier. Pour l'un, il n'était pas courant de mettre en place une telle structure de sûreté dans le cadre de ses activités liées au STF; il n'avait toutefois pas prêté attention à ce "petit point". Pour l'autre, il a admis que la société qu'il représentait avait reçu un courrier de la N______ au sujet de ces garanties, que cela avait temporairement mis fin aux relations commerciales avec la banque lettone et que des "pressions" avaient été reçues de la recourante de ne pas répondre à ce courrier. Ils ont, tous les deux, également constaté que la libération de leurs obligations auprès de la banque lettone, survenue en décembre 2016 grâce aux fonds de garantie, n'avait pas lieu d'être puisque l'ensemble de leurs dettes étaient alors éteintes.

Pour la recourante, c'est notamment par l'utilisation indue de ces fonds de garantie que s'est matérialisé son dommage. Dès lors, il s'avère nécessaire de savoir si, et, par hypothèse, dans quelle mesure, les prévenus connaissaient l'arrière-plan économique dans lequel s'inscrivaient les transactions. Ces dernières eussent-elles été licites sur le principe, il n'empêche que les prévenus ne pouvaient y prêter leurs concours s'ils savaient – ou pouvaient savoir – qu'un risque de malversations latent en découlait.

En outre, toujours selon la recourante, le système des contrats circulaires, auquel les sociétés prévenues prenaient pleinement part, a permis d'offrir un contexte au dépôt de ces garanties et de les justifier. Or, les prévenus entendus ont expliqué que lesdits contrats étaient, en règle générale, créés et signés à Genève. En cela, il ne peut être exclu qu'un rattachement avec le territoire suisse existe.

Un acte d'instruction simple pourrait en outre amener des éléments utiles à l'enquête concernant ce point, à savoir l'audition de M______. Celle-ci semble avoir été l'intermédiaire entre les sociétés prévenues et la banque lettone, de sorte que ses explications pourraient permettre d'en apprendre plus sur le contexte du financement mis en place. En outre, l'un des prévenus entendus a déclaré avoir discuté avec la précitée de ces contrats de garantie dans l'opération financière.

Les arguments avancés par le Ministère public pour écarter cet acte d'enquête tombent à faux. L'audition de M______ conserve tout son intérêt compte tenu de ce qui précède et l'autorité dispose de plusieurs moyens concrets pour la contacter. Si une demande d'entraide devait, enfin, s'avérer nécessaire, elle n'apparaîtrait pas disproportionnée au regard des enjeux de la procédure.

Par ailleurs, d'autres actes simples pourraient être ordonnés par le Ministère public pour avoir une vision plus éclairée de la situation. On pense ainsi à l'obtention des rapports d'audits – ou, si nécessaire, du témoignage de leurs auteurs – concernant les transactions dénoncées. Les deux prévenus entendus ont, en effet, expliqué que leurs auditeurs respectifs avaient examiné, et validé, les opérations de financement.

En résumé, le classement apparaît prématuré en l'état, dans la mesure où les seules déclarations – intéressées – des prévenus ne sauraient suffire à exclure tout soupçon et que des actes d'instruction proportionnés apparaissent utiles à l'enquête.

3.             Fondé, le recours doit être admis; partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction.

Dans ce cadre, il sera loisible à la partie plaignante de solliciter, devant la Procureure, l’administration des preuves qu’elle estimera utiles.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 4 CPP). Les sûretés versées par la recourante lui seront donc restituées.

5.             5.1. La recourante, partie plaignante qui obtient gain de cause, a droit à une indemnité pour ses frais de défense (art. 433 al. 1 let. a cum 436 al. 1 CPP).

Elle conclut, à ce titre, au versement d'une indemnité de CHF 8'100.-, correspondant à 18h d'activité au tarif horaire de CHF 450.-.

5.2. L'indemnité n'est due qu'à concurrence des dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable des droits de procédure du prévenu (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1303, p. 1313 ; J. PITTELOUD, Code de procédure pénale suisse - Commentaire à l'usage des praticiens, Zurich/St-Gall 2012, n. 1349 p. 889). Le juge ne doit ainsi pas avaliser purement et simplement les notes d'honoraires qui lui sont le cas échéant soumises, mais, au contraire, examiner si l'assistance d'un conseil était nécessaire puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conforme au tarif pratiqué, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (cf. ACPR/675/2020 du 24 septembre 2020 consid. 6.2).

5.3. En l'espèce, même si la cause présente une complexité manifeste, une activité de 18h paraît excessive. Le recours de trente-neuf pages reprend en grande partie les explications factuelles contenues dans la plainte. À cela s'ajoute une réplique de sept pages. L'indemnité allouée, à la charge de l'État, sera ainsi fixée à CHF 2'700.- correspondant à 6h d'activité, au tarif horaire usuel de CHF 450.-. Cette indemnité lui sera accordée, hors TVA vu son domicile à l'étranger (ATF 141 IV 344 consid. 4).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance de classement du 27 mars 2023 et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède au sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite le service financier du Pouvoir judiciaire à restituer les sûretés versées.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 2'700.- TTC.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Oriana BRICENO LOPEZ, greffière.

 

La greffière :

Oriana BRICENO LOPEZ

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).