Skip to main content

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
PM/687/2023

ACPR/755/2023 du 29.09.2023 sur JTPM/563/2023 ( TPM ) , ADMIS

Descripteurs : LIBÉRATION CONDITIONNELLE;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;RÉPARATION DU VICE DE PROCÉDURE
Normes : CP.86

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PM/687/2023 ACPR/755/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 29 septembre 2023

 

Entre

A______, actuellement détenu à B______, représenté par Me C______, avocat,

recourant,

contre le jugement rendu le 18 août 2023 par le Tribunal d'application des peines et des mesures,

et

LE TRIBUNAL D'APPLICATION DES PEINES ET DES MESURES, rue des Chaudronniers 9, case postale 3715, 1211 Genève 3,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


Vu :

-          le jugement du 18 août 2023, notifié le 23 suivant, par lequel le Tribunal d'application des peines et des mesures (ci-après : TAPEM) a refusé la libération conditionnelle de A______;

-          le recours expédié par le précité le 1er septembre 2023;

-          les observations du Service de l'application des peines et mesures (ci-après : SAPEM) du 6 septembre 2023;

-          les observations du TAPEM du 12 septembre 2023;

-          la détermination du Ministère public du 18 septembre 2023;

-          la réplique de A______ du 22 septembre 2023.

Attendu que :

-          selon le préavis négatif du SAPEM du 6 juillet 2023, la situation du condamné s'était considérablement détériorée depuis le dernier refus de la libération conditionnelle [JTPM/517/2022 du 26 juillet 2022], de par ses comportements colériques et détestables envers ses interlocuteurs ainsi que ses attitudes extrêmement revendicatives. Ainsi, le 14 mars 2023, l'intéressé avait été sanctionné par l'établissement pénitentiaire de D______ pour menaces et insulte envers un membre du personnel. Son placement en milieu fermé avait été ordonné et ses sortie et congé du 9 mars 2023 révoqués [par arrêt du 11 juillet 2023, la Chambre de céans a annulé la décision révoquant le passage en milieu ouvert ainsi que le placement en milieu fermé (ACPR/528/2023)]. Il avait ainsi été transféré à la prison de G______, puis à B______. Des discussions entre l'intéressé et les intervenants de D______ avaient ensuite eu lieu visant la réintégration du précité au sein de l'établissement; elles n'avaient pas abouti. Le 5 mai 2023, B______ a rapporté une sanction pour refus de travailler, tout en indiquant que le comportement de l'intéressé se révélait poli et discret. Selon des informations reçues oralement, à fin mai 2023, A______ avait été hospitalisé 2 jours au sein de l'Unité E______, où il aurait menacé plusieurs infirmières de viol et utilisé et assemblé du matériel médical pour constituer des outils. Ce comportement inquiétant aurait précipité son retour à l'Unité F______ de G______, où il avait ainsi séjourné du 26 au 29 mai 2023 avant de réintégrer B______. Un rapport avait été sollicité auprès de la direction de E______. Le 30 juin 2023, le prénommé avait été sanctionné notamment pour violation des dispositions sécuritaires de l'établissement et mise en danger des codétenus et du personnel. Son tempérament explosif et les incidents rapportés inquiétaient et nécessiteraient des évaluations plus poussées dans les mois à venir. En tout état, la libération conditionnelle était largement prématurée;

-          dans son jugement, le TAPEM rappelle la sanction dont a fait l'objet A______ en mars 2023, qualifiant son comportement d'inadmissible. S'agissant du pronostic, il considère que les évènements récents démontrent que le comportement du condamné ne s'est pas amélioré, bien au contraire. En outre, manquaient toujours des sorties non accompagnées (lesquelles n'avaient pas été nombreuses en raison du retour de l'intéressé en milieu fermé à la suite des évènements de mars 2023 – les sorties précédentes de l'automne 2021 et de février 2023, s'étant, elles, bien passées –), un comportement irréprochable et un projet de sortie concret;

-          dans son recours, A______ conclut, sous suite de frais et dépens chiffrés, à sa libération conditionnelle immédiate, assortie de l'obligation de résider chez son fils avant de trouver un logement indépendant et d'exercer une activité professionnelle dans les meilleurs délais. Il conteste les faits rapportés par le SAPEM lorsqu'il était hospitalisé à E______ en mai dernier et repris par le TAPEM dans son jugement sous lettre Z. de l'état de fait. Il était étranger au dysfonctionnement du système Sprinkler, qui avait donné lieu à sa sanction du 30 juin 2023. Il reproche ensuite au TAPEM de s'être appuyé largement sur les évènements de D______ de mars 2023 ayant donné lieu à la révocation de son passage en milieu ouvert, faisant fi de l'arrêt du 11 juillet 2023 annulant cette décision. Si le SAPEM n'avait à tort pas révoqué son passage en milieu ouvert, il aurait pu exercer les congés qui lui avaient été octroyés. Or, ses précédentes sorties s'étaient bien passées. Enfin, il avait des projets d'emploi et de domicile à sa sortie (son fils, à la tête d'une PME, était prêt à l'engager), ce dont il avait attesté par pièces au SAPEM (chargé, pces 4 et 5);

-          dans ses observations, le SAPEM indique, s'agissant des évènements survenus lors de l'hospitalisation du recourant en mai 2023, avoir adressé un préavis complémentaire au Ministère public le 17 juillet 2023, annexant un courriel du responsable de E______ dont le contenu "atténuait grandement la gravité des évènements intervenus lors de l'hospitalisation précitée". S'agissant des autres griefs, il s'en rapportait à justice;

-          le TAPEM indique que le point Z. de son état de fait se bornait à résumer le préavis du SAPEM. Il n'avait pas tenu ces faits pour établis et n'en avait d'ailleurs pas tenu compte dans son raisonnement en droit;

-          le Ministère public rappelle que les conditions posées par le TAPEM le 26 juillet 2022 pour la libération conditionnelle de l'intéressé n'étaient pas remplies. Le comportement irascible et agressif du recourant avait provoqué son expulsion du pénitencier de D______. Il était également à l'origine d'une sanction au sein de B______ et de son placement à F______ en lieu et place de E______. Le recourant ne semblait pas intéressé par l'offre d'emploi faite par son fils, dès lors qu'il indiquait qu'à sa sortie, il ferait des recherches d'emploi. À l'exception du logement, le projet de sortie n'était pas concret. Le recourant ne montrait aucune capacité d'introspection et méprisait les règles. Il y avait ainsi lieu de craindre qu'il ne commette de nouveaux crimes ou délits à sa sortie. Le jugement querellé était fondé;

-          dans sa réplique, A______ allègue une violation de son droit d'être entendu. Il avait appris par les observations du SAPEM que cette autorité avait adressé un préavis complémentaire au Ministère public le 17 juillet 2023, préavis qui ne lui avait pas été soumis, tout comme le courriel du responsable de E______ dont le contenu atténuerait grandement la gravité des évènements. Le jugement attaqué, sous sa lettre Z., se basait ainsi sur un état de fait erroné en évoquant des prétendues menaces de viol. Le préavis complémentaire et le courriel précités n'y étaient pas mentionnés. Quant au point du jugement synthétisant la position du Ministère public, il n'y faisait pas non plus référence, de sorte qu'il se demandait si le Ministère public avait bien reçu ce préavis, étant précisé que dans ses observations, le Ministère public n'en faisait également pas mention. Il ajoute qu'à sa sortie, il travaillerait pour l'entreprise de son fils, puis dans un deuxième temps, dans l'agriculture, domaine dans lequel il avait des compétences;

-          les deux-tiers de la peine que le recourant exécute actuellement sont intervenus le 22 décembre 2019, la fin de peine étant, elle, fixée au 22 avril 2025.

Considérant que :

-          le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 42 al. 2 LaCP cum 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision judiciaire ultérieure indépendante au sens de l'art. 363 al. 3 CPP (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1463/2017 du 29 mai 2018 consid. 3 et 6B_158/2013 du 25 avril 2013 consid. 2.1) rendue par le TAPEM (art. 41 al. 1 LaCP), ordonnance sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 42 al. 1 let. b LaCP cum ATF 141 IV 187 consid. 1.1; art. 393 al. 1 let. b CPP), et émaner du condamné, qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée (art. 382 al. 1 CPP);

-          le droit d'être entendu, garanti par l'art. 3 al. 2 let. c CPP et 29 al. 2 Cst., comprend notamment le droit pour le justiciable de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d'obtenir l'administration des preuves pertinentes et valablement offertes, de participer à l'administration des preuves essentielles et de se déterminer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 II 218 consid. 2.3; 140 I 285 consid. 6.3.1);

-          la violation du droit d'être entendu doit entraîner l'annulation de la décision, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 135 I 187 consid. 2.2; 122 II 464 consid. 4a). Une violation du droit d'être entendu, pour autant qu'elle ne soit pas particulièrement grave, peut être considérée comme réparée lorsque la partie concernée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours disposant d'un pouvoir d'examen complet quant aux faits et au droit. Par ailleurs, même si la violation du droit d'être entendu est grave, une réparation du vice procédural devant l'autorité de recours est également envisageable si le renvoi à l'autorité inférieure constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, ce qui serait incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1; ATF 137 I 195 consid 2.3.2 = SJ 2011 I 347 ; 136 V 117 consid. 4.2.2.2; 133 I 201 consid. 2.2);

-          en l'occurrence, il ressort des observations du SAPEM du 6 septembre 2023 que, s'agissant des évènements survenus lors de l'hospitalisation du recourant en mai 2023, il avait adressé un préavis complémentaire au Ministère public le 17 juillet 2023, annexant un courriel du 7 juillet 2023 du Dr H______, responsable de [l'unité] E______, à son attention, à teneur duquel, après enquête du service de sécurité, le patient concerné ne pouvait pas être accusé d'avoir préparé des objets contondants, aucun élément de preuve ne l'incriminant. À teneur du dossier, le Ministère public a transmis ces documents – qui figurent au dossier – au TAPEM par pli du 24 juillet 2023. Il n'apparaît cependant pas que le TAPEM les ait ensuite communiqués au recourant. Partant, ce dernier n'a pas pu se déterminer sur leur teneur, ce qui viole son droit d'être entendu;

-          le TAPEM indique n'avoir pas tenu les évènements de mai 2023 pour établis et n'en avoir d'ailleurs pas tenu compte dans son raisonnement en droit;

-          or, il les mentionne tout de même dans son état de fait, sous lettre Z., sans faire aucune référence au courriel précité qui, comme le relève le SAPEM dans ses observations, "atténu[e] grandement la gravité des évènements intervenus lors de l'hospitalisation [du recourant]";

-          si, dans sa décision, le TAPEM s'attarde effectivement sur la sanction infligée au condamné en mars 2023 par l'établissement pénitentiaire de D______, il considère in fine que les "événements récents" démontraient que son comportement ne s'est pas amélioré, bien au contraire (jugement, consid. 3, p. 11). Partant, il n'est pas exclu que les évènements postérieurs de mai 2023 décrits dans l'état de fait et non rectifiés à la lumière du courriel du 7 juillet 2023 susvisé – sur lequel le recourant ne s'est pas prononcé – aient également joué un rôle dans cette appréciation;

-          la violation du droit d'être entendu qui en découle est trop grave pour être réparée devant l'instance de recours;

-          si une garantie procédurale n'a pas été respectée, il convient, autant que possible, de remettre la personne lésée dans la situation qui aurait été la sienne si l'exigence en cause n'avait pas été méconnue. Lorsqu'il s'agit d'une violation du droit d'être entendu, comme en l'espèce, la réparation consiste à renvoyer le dossier à l'autorité intimée pour qu'elle rende une nouvelle décision après avoir donné à la personne intéressée l'occasion de s'exprimer (arrêt du Tribunal fédéral 1B_85/2010 du 19 avril 2010 consid. 4.2);

-          un rapport ayant été sollicité par le SAPEM auprès de la direction de E______, il conviendra également, le cas échéant, de compléter l'instruction sur ce point, le courriel du 7 juillet 2023 ne faisant aucune allusion à de prétendues menaces de viols;

-          le recours sera admis, le jugement entrepris annulé et le dossier, renvoyé au TAPEM pour nouvelle décision;

-          les frais de la procédure de recours seront laissés à la charge de l’État;

-          le recourant plaide par un avocat nommé d'office;

-          il conclut à des dépens en sa faveur, chiffrés à CHF 827.80, TVA 7.7% comprise, pour l'instance de recours;

-          conformément à l'art. 29 al. 3 Cst., toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes a droit à l'assistance judiciaire gratuite, à moins que sa cause paraisse dépourvue de toute chance de succès; elle a droit en outre à l'assistance judiciaire gratuite d'un défenseur, dans la mesure où la sauvegarde de ses droits le requiert (arrêt du Tribunal fédéral 1B_74/2013 du 9 avril 2013 consid. 2.1 avec référence aux ATF 128 I 225 consid. 2.5.2 p. 232 s. = JdT 2006 IV 47; 120 Ia 43 consid. 2a p. 44);

-          en l'espèce, eu égard à l'activité déployée, il sera fait droit à cette demande.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Admet le recours.

Annule le jugement du TAPEM du 18 août 2023 et renvoie la cause à cette autorité pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à Me C______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 827.80 (TVA à 7.7% incluse) pour l'instance de recours.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, au Tribunal d'application des peines et des mesures et au Ministère public.

Le communique pour information au Service de l'application des peines et mesures.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).