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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/6109/2023

ACPR/671/2023 du 25.08.2023 sur ONMMP/1288/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;VIOLATION DE DOMICILE;DOMMAGES À LA PROPRIÉTÉ(DROIT PÉNAL)
Normes : CPP.310; CP.186; CP.144; CP.53; CP.52; CP.14

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6109/2023 ACPR/671/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 25 août 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, représenté par Me Baptiste FAVEZ, avocat, NOMEA Avocats, avenue de la Roseraie 76A, 1205 Genève,

recourant

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 29 mars 2023 par le Ministère public,

 

et

B______, domiciliée ______, représentée par Mes Benjamin BORSODI et Michaël JAKUBOWSKI, avocats, Schellenberg Wittmer, rue des Alpes 15bis, case postale 2088, 1211 Genève 1,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié par messagerie sécurisée le 11 avril 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 29 mars 2023, notifiée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 6 février 2023.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de la décision querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour "suite" de l'instruction.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 900.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. B______ et A______ sont les parents de C______, née le ______ 2011 et donc âgée de 12 ans. Séparés depuis 2018, ils s’opposent depuis lors dans le cadre d’une procédure civile portant sur la garde et les relations personnelles sur leur enfant.

b. Depuis leur séparation, ils vivent dans deux appartements distincts situés dans le même immeuble, sis au chemin 1______ no. ______ - ______, à D______ [GE].

c. Le 14 octobre 2022, A______ a déposé plainte contre B______, lui reprochant, en substance, de lui avoir envoyé des messages WhatsApp menaçants et injurieux le 5 septembre 2022.

Cette plainte a été référencée sous le numéro de procédure P/2______/2022.

d. Le 24 novembre 2022, le prénommé s'est présenté au poste de police afin d'y déposer une nouvelle plainte contre son ex-compagne des chefs de violation de domicile et de dommages à la propriété.

En substance, le 6 novembre précédent, C______, qui se trouvait chez B______, l'avait appelé sur son téléphone portable pour lui dire qu'elle avait peur de sa mère et avait l'intention de se suicider. Après qu'il eut vainement tenté de l'apaiser, sa fille s'était réfugiée chez lui. Son ex-compagne, qui avait d'abord tambouriné à sa porte, était ensuite entrée sans droit dans son jardin et avait tapé contre une vitre de son appartement, avant de regagner le sien. Quelques minutes plus tard, elle avait une nouvelle fois pénétré sans droit sur sa propriété, jeté des outils contre un mur puis arraché des légumes de son potager, avant de les lancer sur leur fille, en la traitant de "traître".

Cette plainte a été enregistrée sous le numéro de procédure P/3______/2022.

e. Les 18 et 29 novembre 2022, B______ a été auditionnée par la police. En substance, elle a admis avoir, sous le coup de l'émotion et de l'énervement, envoyé les messages WhatsApp sus-évoqués. Elle a par ailleurs reconnu avoir pénétré dans le jardin de son ex-compagnon le 6 novembre 2022 et y avoir, sous le coup de la colère, arraché "quelques légumes". Elle avait également lancé un légume sur sa fille en la traitant de traître, car cette dernière la filmait, ce qui l'avait mise "hors d'elle".

f. Le 19 janvier 2023, le Ministère public a ordonné la jonction des procédures P/3______/2022 et P/2______/2022 sous ce dernier numéro.

g. Par ordonnance pénale du 1er février 2023, B______ a été reconnue coupable d'injure, de menaces, de dommages à la propriété et de violation de domicile. Elle a été condamnée à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à CHF 2'500.- le jour, assorti d'un sursis avec un délai d'épreuve de trois ans, ainsi qu'à une amende de CHF 10'000.-.

L'intéressée a formé opposition.

h. Le 6 février 2023, A______ a déposé une nouvelle plainte contre la prénommée des chefs de dommages à la propriété et de violation de domicile.

En substance, il a exposé que, dans la nuit du 10 au 11 décembre 2022, elle avait frappé à sa porte, au motif qu'elle aurait entendu leur fille – dont il avait la garde ce soir-là – crier. En raison de l'état de colère de son ex-compagne, il avait refusé de lui ouvrir, en lui assurant néanmoins que tout allait bien. À la suite de quoi, elle avait pénétré sans droit dans son jardin, s'était mise à crier puis avait tordu trois lamelles d'un store, l'endommageant. Sa fille, qui avait eu très peur, et sa compagne, E______, avaient été témoins des faits. C______ lui avait également indiqué avoir entendu sa mère proférer des menaces et des insultes à son encontre [à lui]. Afin d'éviter toute confrontation, il avait appelé la police, mais à l'arrivée de celle-ci, son ex-compagne était partie.

À l'appui de sa plainte, il a produit deux photographies – prises par la police le soir des faits litigieux – de son store extérieur, dont trois lames horizontales sont tordues et abîmées ; ainsi qu'un e-mail envoyé à son ex-compagne le soir-même, à 1h46, dans lequel il lui reprochait d'avoir une nouvelle fois pénétré sans droit dans son jardin, proféré des insultes, "cassé des volets" et fait peur à leur fille et à sa compagne.

i. Entendue le 10 mars 2023 par la police en qualité de prévenue, B______ a déclaré que les accusations portées contre elle étaient "complètement fau[sses]", admettant néanmoins avoir, dans la nuit du 10 au 11 décembre 2022, pénétré dans le jardin de A______. Elle précisait être locataire de l'appartement occupé par ce dernier, qu'elle mettait gratuitement à sa disposition.

Le soir des faits, vers minuit, il lui semblait avoir entendu des cris et des pas très rapides provenant de l'appartement de son ex-compagnon. Après avoir vainement tenté de le joindre par téléphone, elle avait sonné chez lui, mais personne n'avait répondu. Elle s'était donc rendue à l'orée du jardin ; le portail de celui-ci était ouvert, de sorte qu'elle y était entrée. Elle avait alors aperçu par une fenêtre sa fille dans les bras de E______, qui lui disait "dis-moi C______ ce qu'il s'est passé, dis-moi ce qu'il s'est passé". A______, qui était entré dans la pièce où elles se trouvaient, l'avait vue dans le jardin puis avait baissé le store en l'ignorant. Avant que celui-ci ne soit complètement fermé, elle avait frappé contre la vitre, soulevé une des lames du store – lesquelles étaient "très fines et souples" – avec son index, puis s'était enquis de l'état de sa fille, indiquant à cette dernière qu'elle ne partirait pas sans avoir la certitude que tout allait bien, mais n'avait obtenu aucune réponse. Elle était en colère et surtout inquiète pour le bien-être de sa fille.

Par ailleurs, elle contestait être à l'origine des dégâts constatés sur le store litigieux, précisant être "de toute façon" chargée de payer les factures y relatives, dans la mesure où elle était l'unique titulaire du bail à loyer. Elle s'était d'ailleurs acquittée d'une facture liée au remplacement de trois stores le 6 mars 2023. L'entreprise chargée des travaux lui avait indiqué que ceux-ci étaient très endommagés et que certaines lames manquaient.

À l'issue de son audition, B______ a remis à la police une copie des contrats de bail conclus à son nom, portant sur trois appartements distincts dans l'immeuble concerné ; ainsi qu'une lettre de la régie datée du 29 mai 2017 – valant avenant aux baux précités –, lui confirmant que l'appartement situé au rez-de-chaussée et au premier étage de l'immeuble était désormais destiné à "l'habitation de Monsieur A______ ".

j. Dans le cadre de la P/2______/2022, le Ministère public a convoqué les parties à une audience sur opposition le 27 mars 2023.

j.a. B______ a contesté la peine infligée et les faits reprochés. En ce qui concernait ceux du 6 novembre 2022, elle a expliqué être entrée dans le jardin de A______ afin de récupérer leur fille, dont elle avait la garde ce jour-là. Elle avait sonné à la porte, mais personne ne lui avait répondu. Le portail du jardin était ouvert, raison pour laquelle elle y était entrée. Son ex-compagnon lui avait alors enjoint de quitter les lieux, au motif qu'elle se trouvait sur une propriété privée. Avant de partir, elle avait arraché "quelques salades" dans le potager, car elle était énervée. Elle n'avait pas agi de manière préméditée, mais "sous le coup de l'impulsion".

j.b. A______ a maintenu ses plaintes des 14 octobre et 24 novembre 2022. Il a par ailleurs confirmé que l'appartement dans lequel il réside est mis gratuitement à sa disposition par B______.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public refuse d'entrer en matière sur la plainte du 6 février 2023, considérant ne pas disposer de soupçons suffisants de la commission des infractions dénoncées par A______. Les versions des parties étaient contradictoires, et aucun élément objectif ne permettait de privilégier une version plutôt qu'une autre. Il s'ensuivait que les conditions à l'ouverture d'une action pénale n'étaient pas réunies (art. 310 al. 1 let. a CPP).

Par ailleurs, B______, en sa qualité de locataire, avait payé le coût de réparation du store – "passablement" endommagé – du plaignant. Cet acte pouvait être interprété comme une volonté d'apaisement. De plus, et à supposer que l’intimée eût effectivement contribué aux dégâts constatés, son geste constituerait une réparation du dommage. Or, selon l'art. 52 CP, si la culpabilité de l'auteur et les conséquences de son acte étaient de peu d'importance, il pouvait être renoncé à lui infliger une peine. Cette exemption étant de nature impérative, il s'imposait de ne pas procéder pour ce motif également (art. 310 al. 1 let. c CPP), qui était valable aussi pour "l'hypothétique" violation de domicile, au vu du contexte.

D. a. Par ordonnance pénale du 5 avril 2023, rendue dans le cadre de la P/2______/2022, le Ministère public a déclaré B______ coupable de menaces, d'injure, de dommages à la propriété de peu d'importance et de violation de domicile. Sous l'angle de la culpabilité, il a retenu que les motivations de cette dernière relevaient d'un "comportement colérique mal maîtrisé aux dépens d'autrui".

b. Par ordonnance sur opposition du 26 avril 2023, le Ministère public a maintenu son ordonnance pénale et transmis la cause au Tribunal de police, où elle est actuellement pendante.

E. a. Dans son recours, A______ relève que son ex-compagne ne contestait pas la matérialité des faits qui lui étaient reprochés. Il importait peu que le bail relatif à l'appartement eût été conclu à son nom à elle, puisqu'il bénéficiait de l'usage exclusif du bien. Les conditions d'une violation de domicile étaient réalisées.

S'agissant de l'infraction de dommages à la propriété, l'intéressée avait reconnu avoir soulevé les lames du store avec son index, ce qui confirmait qu'elle était bien l'auteure des dégâts visibles sur les photographies versées au dossier. Elle avait par ailleurs financé la réparation du store, ce qui pouvait être interprété comme un aveu de culpabilité. C'était donc à tort que le Ministère public avait considéré ne disposer d'aucun élément objectif lui permettant de privilégier une version plutôt qu'une autre. De plus, l'audition de sa compagne, témoin directe, aurait permis de confirmer sa version des faits.

Une non-entrée en matière ne se justifiait donc pas.

Les conditions prévues à l'art. 52 CP faisaient, pour le surplus, défaut. Les faits étaient en effet similaires à ceux faisant l'objet de la P/2______/2022, pour lesquels le Ministère public avait condamné son ex-compagne pour violation de domicile et dommages à la propriété, en retenant, sous l'angle de la culpabilité, que ses motivations relevaient d'un comportement colérique mal maîtrisé aux dépens d'autrui. Les faits de la présente cause n'étaient pas moins graves, l’intimée ayant d'ailleurs agi quelques jours seulement après avoir été auditionnée par la police au sujet de sa précédente violation de domicile. Aussi, les dégâts causés au store montraient "le peu de considération" qu'elle avait pour lui. Les conséquences de l'acte n'étaient pas non plus négligeables, puisque sa compagne et lui, épiés à leur domicile durant la nuit, étaient atteints dans leur sphère privée. Les agissements de son ex-compagne avaient également eu des conséquences "dévastatrices" pour leur fille, qui avait assisté aux faits.

L'art. 53 CP ne trouvait pas non plus application. D'une part, la réparation du store ne concernait que l'infraction de dommages à la propriété et non celle de violation de domicile. D'autre part, son ex-compagne contestait la qualification pénale des faits reprochés, ce qu'avait d'ailleurs retenu le Ministère public.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. Il avait rendu, dans le cadre de la P/2______/2022, une ordonnance pénale, au motif que les actes dénoncés, pris dans leur ensemble, revêtaient une "certaine intensité", puisqu'ils étaient mus par la colère. Par contraste, le fait pour une mère de s'introduire brièvement dans un jardin afin de vérifier l'état de sa fille qu'elle aurait entendu crier était d'une gravité toute relative. Pour le surplus, le dommage aux stores litigieux – ou l'ampleur de celui-ci – n'avait pas été démontré, même si l’intimée avait pris en charge les frais de remise en état.

c. Dans ses observations, B______ allègue être entrée dans le jardin du recourant dans l'unique but de s'assurer du bien-être de sa fille. Dans ces circonstances, son comportement visait la défense d'intérêts légitimes, ce qui constituait un fait justificatif, empêchant de retenir une quelconque infraction à son encontre. Pour le surplus, elle conteste avoir endommagé les stores de l'appartement occupé par le recourant. En tout état, elle avait pris en charge leurs frais de remise en état, de sorte que l'éventuel dommage subi par l'intéressé avait été réparé.

À l'appui, elle produit une copie d'une ordonnance pénale du 1er février 2023 rendue dans le cadre d'une autre procédure, reconnaissant A______ – qui l’a frappée d'opposition – coupable de voies de fait sur sa fille en date du 30 mars 2022.

d. A______ persiste dans les termes de son recours, sans formuler d'observations complémentaires.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant fait grief au Ministère public d'avoir refusé d'entrer en matière sur sa plainte pour violation de domicile et dommages à la propriété.

2.1.  Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Selon la jurisprudence, cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage in dubio pro duriore (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1456/2017 du 14 mai 2018 consid. 4.1). Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 ;
138 IV 86 consid. 4.1.2). Face à des versions contradictoires des parties, il peut être exceptionnellement renoncé à une mise en accusation lorsqu'il n'est pas possible d'apprécier l'une ou l'autre version comme étant plus ou moins plausible et qu'aucun résultat n'est à escompter d'autres moyens de preuve (arrêt du Tribunal fédéral 6B_174/2019 du 21 février 2019 consid. 2.2).

2.2.  L'art. 8 al. 1 CPP prévoit que le ministère public peut renoncer à toute poursuite pénale, notamment lorsque les conditions visées aux art. 52 à 54 CP sont remplies.

2.2.1. Selon l'art. 52 CP, si la culpabilité de l'auteur et les conséquences de son acte – conditions cumulatives – sont peu importantes, l'autorité compétente renonce à lui infliger une peine.

L'exemption de peine suppose que l'infraction soit de peu d'importance, tant au regard de la culpabilité de l'auteur que du résultat de l'acte. L'importance de la culpabilité et celle du résultat dans le cas particulier doivent être évaluées par comparaison avec celle de la culpabilité et celle du résultat dans les cas typiques de faits punissables revêtant la même qualification; il ne s'agit pas d'annuler, par une disposition générale, toutes les peines mineures prévues par la loi (Message concernant la modification du code pénal suisse [dispositions générales, entrée en vigueur et application du code pénal] et du code pénal militaire ainsi qu'une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs du 21 septembre 1998, FF 1999 p. 1871). Pour apprécier la culpabilité, il faut tenir compte de tous les éléments pertinents pour la fixation de la peine, notamment des circonstances personnelles de l'auteur, tels que les antécédents, la situation personnelle ou le comportement de l'auteur après l'infraction (ATF 135 IV 130 consid. 5.4).

2.2.2. Aux termes de l'art. 53 CP, lorsque l'auteur a réparé le dommage ou accompli tous les efforts que l'on pouvait raisonnablement attendre de lui pour compenser le tort qu'il a causé, l'autorité compétente renonce à le poursuivre si les conditions du sursis à l'exécution de la peine sont remplies (let. a) et si l'intérêt public et l'intérêt du lésé à le poursuivre pénalement sont peu importants (let. b.).

La première condition à remplir pour que l'art. 53 CP soit appliqué est que le prévenu doit soit avoir réparé le dommage, soit avoir accompli tous les efforts que l'on pouvait raisonnablement attendre de lui pour compenser le tort qu'il a causé. La réparation peut prendre la forme du versement d'un dédommagement, pour autant qu'une réparation en nature soit effectivement possible ou que le dommage puisse être chiffré. D'autres formes de réparation sont envisageables, comme des excuses ou la fourniture d'une prestation au profit de la personne lésée. L'auteur doit en outre avoir admis les faits (let. c). Les aveux ne peuvent porter que sur des faits, et non sur la qualification juridique du comportement de l'auteur. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il faut que les faits à charge aient été établis pour pouvoir renoncer à une mise en accusation ou à la saisie du tribunal. Par conséquent, une interruption de la procédure n'est indiquée que dans des cas très évidents (cf. Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 3 mai 2018 sur l'initiative parlementaire "Modifier l'art. 53 CP", FF 2018 3881).

Dans la perspective de la prévention générale, la confiance de la collectivité peut être renforcée, lorsque l'auteur reconnaît avoir violé une norme pénale et s'efforce de rétablir la paix publique. Ainsi, lorsque l'auteur de l'infraction persiste à nier l'illicéité de son acte, on ne peut conclure, malgré la réparation du dommage, qu'il a reconnu et assumé sa faute dans une mesure telle que l'intérêt public au prononcé d'une sanction serait devenu si ténu que l'on puisse y renoncer. En d'autres termes, pour bénéficier d'un classement ou d'une exemption de peine, le prévenu doit démontrer par la réparation du dommage qu'il assume ses responsabilités et reconnaît notamment le caractère illicite ou du moins incorrect de son acte (ATF 135 IV 12 consid. 3.5.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_130/2016 du 21 novembre 2016 consid.3.1 et 6B_152/2007 du 13 mai 2008 consid. 5.2.3 et 5.2.4).

2.3.  L'art. 186 CP, qui réprime la violation de domicile, vise celui qui, d'une manière illicite et contre la volonté de l'ayant droit, aura pénétré dans une maison, dans une habitation, dans un local fermé faisant partie d'une maison, dans un espace, cour ou jardin clos attenant à une maison, ou dans un chantier, ou y sera demeuré au mépris de l'injonction de sortir à lui adressée par un ayant droit.

La violation de domicile peut revêtir deux formes: soit l'auteur pénètre dans les lieux contre la volonté de l'ayant droit, soit il y demeure au mépris de l'injonction de sortir à lui adressée par l'ayant droit. S'agissant de la première hypothèse, l'infraction est consommée dès que l'auteur s'introduit contre la volonté de l'ayant droit dans le domaine clos, par exemple par une clôture, un mur ou une haie, qui n'a pas besoin d'être infranchissable pourvu qu'on puisse comprendre qu'il ne faut pas pénétrer dans l'espace considéré (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1056/2013 du 20 août 2014 consid. 2.1). Par principe, il est interdit d'entrer dans une maison ou un appartement privés, sous réserve d''une autorisation de l'ayant droit (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal – Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n. 23 ad art. 186 et les références citées). La volonté de l'ayant droit d'autoriser l'accès peut être manifestée oralement, par écrit, par geste ou résulter des circonstances. Dans ce dernier cas, il faut examiner si la volonté de l'ayant droit était suffisamment reconnaissable en fonction des circonstances (pour le tout, ATF 128 IV 81 consid. 4a).

La protection appartient à celui qui a le pouvoir de disposer des lieux ; il s’agit non seulement du propriétaire, mais aussi de toutes les personnes auxquelles celui-ci a cédé la maîtrise des lieux. En effet, cette disposition protège également le droit d'usage, c'est-à-dire le droit de décider de la présence de tiers dans les locaux. Est titulaire du droit d'usage, celui qui détient le droit de disposer des locaux, peu importe que ce soit en vertu d'un droit réel, personnel, contractuel ou de droit public (ATF 128 IV 81 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1056/2013 du 20 août 2014 consid. 1.1).

2.3.1. Pour retenir une violation de domicile, il faut par ailleurs que l'auteur ait agi de manière illicite. Cette exigence a pour but d'exclure l'infraction lorsque l'auteur est lui-même un ayant droit ou lorsqu'il est au bénéfice d'un fait justificatif (B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. I, Berne, 2010, n. 41-42).

2.3.2. Selon l'art. 14 CP, quiconque agit comme la loi l'ordonne ou l'autorise se comporte de manière licite, même si l'acte est punissable en vertu du Code pénal ou d'une autre loi. La jurisprudence et la doctrine admettent l'existence de faits justificatifs extralégaux, en particulier celui de la sauvegarde d'intérêts légitimes. Celle-ci concerne des situations proches de l'état de nécessité et repose sur des conditions relativement analogues (ATF 129 IV 6 consid 3.3.). Ce fait justificatif s'interprète restrictivement et s'envisage comme une ultima ratio (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), op. cit., n. 36 ad art. 14 CP). Il présuppose en principe que les moyens de droit aient été utilisés et les voies de droit épuisées préalablement (ibidem). Un acte en soi typique et ordinairement illicite peut être justifié par la sauvegarde d'intérêts légitimes si le comportement considéré représente un moyen strictement nécessaire et proportionné par rapport au but poursuivi. L'acte considéré doit constituer la seule issue possible et les intérêts lésés ou mis en danger doivent manifestement revêtir une importance moindre face aux intérêts que l'auteur entend sauvegarder
(ATF 134 IV 216 consid. 6.1).

2.4.  Se rend coupable de dommages à la propriété selon l'art. 144 CP celui qui aura endommagé, détruit ou mis hors d'usage une chose appartenant à autrui ou frappée d'un droit d'usage ou d'usufruit au bénéfice d'autrui.

L'infraction peut être commise par le propriétaire lui-même, qui porterait atteinte au droit d'usage – tel que celui conféré par un contrat de bail à loyer – conféré à un tiers (B. CORBOZ, op.cit., n. 9 ad art. 144 CP; A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 4 ad art144).

Sous l'angle subjectif, cette infraction requiert l'intention, mais le dol éventuel suffit (ATF 116 IV 145 consid. b). L'auteur doit avoir conscience, au moins sous la forme du dol éventuel, de porter atteinte à une chose appartenant à autrui et accepter l'éventualité de changer, sans l'autorisation de l'ayant droit, l'état de la chose (B. CORBOZ, op.cit., n. 23 ad art. 144).

2.5.1. En l'espèce, s'agissant des faits potentiellement constitutifs de violation de domicile, le Ministère public considère que les déclarations des parties sont contradictoires et qu'aucun élément objectif ne permet de privilégier une version plutôt qu'une autre.

À teneur des éléments du dossier, cette appréciation ne peut être suivie.

En effet, l’intimée ne conteste pas les faits reprochés, mais leur dénie toute qualification pénale. Lors de son audition par la police du 10 mars 2023, elle a ainsi admis avoir, le soir des faits litigieux, pénétré dans le jardin clos attenant à l'appartement du recourant, sans que ce dernier n'y eût consenti, mais considère ne pas avoir commis d'infraction, en raison du fait qu'elle serait seule titulaire du bail. Elle se prévaut encore d'un fait justificatif au sens de l'art. 14 CP, affirmant être entrée dans ledit jardin dans l'unique but de s'assurer que sa fille se portait bien.

En premier lieu, elle ne prétend pas ni – a fortiori – ne démontre disposer d'un droit d'usage sur le bien concerné ou être autorisée à y pénétrer sans en référer au recourant. Au contraire, il ressort du pli du 29 mai 2017 qui lui a été envoyé par la régie, ainsi que des déclarations des protagonistes, que l’intimée et le recourant sont liés depuis plusieurs années par un contrat de prêt à usage, par lequel la première a cédé gratuitement au second la jouissance de l'appartement et du jardin litigieux. Ainsi, seul le recourant détient la maîtrise effective des lieux et le droit de décider de la présence de tiers en ces lieux.

Or, l’intimée ne conteste pas avoir pénétré dans le jardin du recourant sans avoir obtenu son accord préalable. De plus, il résulte du dossier qu'elle a fait l'objet d'une précédente plainte pour violation de domicile le 24 novembre 2022 et qu'elle a été auditionnée à ce sujet par la police le 29 suivant, soit une dizaine de jours seulement avant les faits litigieux. Ainsi, elle ne pouvait ignorer agir sans autorisation et contre la volonté de son ex-compagnon. Le fait que le portail ait été ouvert au moment des faits n'est pas pertinent, puisque sa simple existence montre que l'espace était clos, au sens de l'art. 186 CP.

Au surplus, il n'est pas établi que l'action de l’intimée constituait le seul moyen pour s'assurer du bien-être de sa fille et qu'elle aurait agi de manière proportionnée. En effet, rien ne démontre qu'elle aurait, par exemple, tenté vainement de joindre le recourant par téléphone, ni qu'elle aurait sonné préalablement, mais en vain, chez lui. Au contraire, le recourant allègue que, s'il avait certes refusé de lui ouvrir la porte – en raison de l'état de colère prétendu de l'intéressée –, il lui aurait néanmoins assuré que leur fille se portait bien. L’ordonnance pénale rendue contre le recourant le 1er février 2023, pour voies de faits sur sa fille, n’y change rien : elle peut, certes, attester des tensions entre les parties, mais elle est largement postérieure à la date des faits visés dans la plainte pénale du 6 février 2023. Mais que celle-ci s’explique, peut-être, par celle-là, en raison de cette concomitance, est sans effet sur les éléments constitutifs objectifs de l’infraction.

Partant, au vu de l'ensemble de ces éléments, il existe une prévention pénale suffisante de violation de domicile à l'encontre de l’intimée, de sorte qu'une décision de non-entrée en matière ne se justifiait pas.

2.5.2. Reste à examiner la motivation subsidiaire retenue par le Ministère public, fondée sur l'art. 310 al. 1 let. c CPP cum 52 CP.

L'infraction potentiellement commise par l’intimée est, certes, d'une gravité relative. Cela étant, une éventuelle faute de sa part ne paraît pas d'emblée bénigne, au vu de ses antécédents. L'intéressée a pénétré dans le jardin du recourant sans avoir son aval, alors qu'elle savait devoir l'obtenir, et cela, quelques jours seulement après avoir été auditionnée par la police au sujet d'une précédente plainte déposée contre elle par le recourant pour une infraction identique. Les conséquences de son acte ne peuvent pas non plus être qualifiées de faibles, sans pondération, étant notamment relevé que les faits se sont déroulés en pleine nuit, au vu et au su de sa fille, mineure. Dans ces circonstances, le Ministère public ne pouvait considérer, en l'état, que les conditions de l'art. 52 CP étaient remplies.

2.6.1. Le raisonnement du Ministère public relatif à l'infraction de dommages à la propriété (art. 144 CP) ne saurait non plus être suivi.

Le recourant allègue que l’intimée aurait, sous le coup de la colère, frappé contre une vitre de son appartement, puis endommagé le store extérieur, en tordant trois de ses lames, ce que l'intéressée conteste.

Si les versions des parties divergent, aucun élément ne permet toutefois, à ce stade de la procédure, de dénier d'emblée et sans équivoque, tout crédit aux déclarations du recourant, respectivement de leur conférer une force probante moindre que celles de l’intimée.

Au contraire, les allégations du recourant sont corroborées par les photographies des stores prises le soir des faits litigieux et versées au dossier. Si l’intimée conteste être à l'origine des dégâts constatés, elle admet néanmoins avoir asséné un coup sur la vitre pendant que le store était en train de descendre, puis soulevé une lame de celui-ci avec son index. Elle reconnaît également avoir pris en charge la réparation dudit store, lequel était, selon ses dires, très endommagé.

À cela s'ajoute que le recourant a allégué dans sa plainte que sa fille et sa compagne auraient assisté aux faits, ce qui ressort également des déclarations de l’intimée à la police.

En définitive, les éléments actuellement au dossier ne permettent pas de retenir, sous l'angle du principe in dubio pro duriore, une absence de prévention de dommages à la propriété, à tout le moins par dol éventuel. Le refus d'entrer en matière était injustifié et prématuré.

2.6.2. L'application de l'art. 52 CP ne saurait, en l'état, être envisagée non plus pour ces faits. L'éventuelle culpabilité de l’intimée ne peut être considérée d'emblée comme de peu d'importance, même si les conséquences – matérielles – de l'acte le sont, et cela pour les mêmes motifs que ceux exposés ci-dessus. Il ne s'agit pas d'un acte unique et isolé, l’intimée ayant reconnu avoir, une dizaine de jours seulement avant les faits litigieux, pénétré dans le jardin du recourant et y avoir, sous le coup de la colère, arraché des légumes, au vu et au su de sa fille mineure.

Les conditions cumulatives à l'application de l'art. 53 CP font également défaut, puisque l’intimée conteste avoir provoqué les dégâts visibles sur le store litigieux. De plus, il résulte de ses déclarations qu'elle s'est acquittée des frais de réparation dudit store, non pas dans le but d'apaiser la situation ou de réparer le dommage causé, mais en raison de ses obligations contractuelles de titulaire du bail.

3.             Fondé, le recours doit par conséquent être admis. Partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

5.             Représenté par un avocat, le plaignant n'a pas chiffré ni justifié de prétentions en indemnité (art. 433 al. 2 cum 436 al. 1 CPP), de sorte qu'il ne lui en sera point alloué (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1345/2016 du 30 novembre 2017 consid. 7.2).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours et annule la décision entreprise.

Renvoie la cause au Ministère public pour instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite le service financier du Pouvoir judiciaire à restituer les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux parties, soit pour elles leurs conseils respectifs, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Oriana BRICENO LOPEZ, greffière.

 

La greffière :

Oriana BRICENO LOPEZ

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).