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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/21350/2020

ACPR/445/2023 du 13.06.2023 sur ONMMP/4692/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE
Normes : CPP.310; CPP.8

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/21350/2020 ACPR/445/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 13 juin 2023

 

Entre

 

A______, domicilié ______, France,

B______, domicilié ______, France,

tous deux comparant par Me E______, avocat, ______, Genève,

recourants,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 22 décembre 2022 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 30 décembre 2022, A______ et B______ recourent contre l'ordonnance du 22 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a renoncé à entrer en matière sur leur plainte.

Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à l'ouverture d'une instruction.

b. Les recourants ont versé les sûretés en CHF 1'500.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 28 octobre 2020, A______, son frère, B______, et leur mère, C______, ont déposé plainte, auprès du Ministère public de Genève, contre D______ pour abus de confiance (art. 138 CP), escroquerie (art. 146 CP), faux dans les titres (art. 251 CP) et gestion déloyale (art. 158 CP).

En substance, ils lui reprochaient d'avoir, en qualité de gérant de fortune indépendant à Genève, transféré l'héritage reçu de feu E______, leur père, respectivement époux, initialement déposé sur des comptes en Suisse, vers l'étranger, afin de rendre la gestion du patrimoine plus opaque et d'avoir effectué des virements douteux sans leur accord, ainsi que des investissements à haut risque, leur occasionnant de la sorte un dommage d'au moins EUR 4'452'392.-.

Parmi les pièces jointes figurait une plainte déposée par A______, B______ et C______, en France, le 15 juillet 2019, contre D______ notamment, pour ces mêmes faits.

b. Le 13 mai 2022, le Ministère public a demandé aux consorts A______/B______/C______ des nouvelles sur l'avancement de la procédure française.

En réponse, ils ont expliqué qu'un Juge d'instruction avait été nommé mais qu'à leur connaissance, il n'avait été procédé à aucun acte d'enquête.

c. Le 5 juillet 2022, le Ministère public s'est adressé au Tribunal judiciaire de Paris, et plus particulièrement audit Juge d'instruction, pour connaître le stade de la procédure française, les éventuels actes d'instruction entrepris et la suite réservée.

Aucune réponse ne figure au dossier en main de la Chambre de céans.

d. C______ est décédée le ______ 2022.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public constate que les faits dénoncés faisaient l'objet d'une poursuite de la part des autorités françaises, ce qui justifiait d'appliquer l'art. 8 al. 3 et 4 CPP.

D. a. Dans leur recours, B______ et A______ invoquent une violation du principe de la bonne foi et de l'art. 8 al. 3 CPP.

Même si la procédure ne présentait aucune urgence, le Ministère public avait rendu l'ordonnance querellée le 22 décembre 2022, alors qu'aucun acte d'enquête n'avait été entrepris depuis deux ans et qu'aucune réponse n'avait été obtenue des autorités françaises. La procédure française ne progressant pas et vu la gravité des faits dénoncés, ils disposaient d'un intérêt prépondérant à l'ouverture d'une instruction en Suisse.

b. Dans ses observations, le Ministère public conteste toute violation du principe de la bonne foi et s'en réfère, pour le surplus, à son ordonnance.

c. B______ et A______ répliquent.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner des plaignants qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Les recourants contestent le bienfondé de l'ordonnance querellée.

2.1. Le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les conditions mentionnées à l'art. 8 CPP imposent de renoncer à l'ouverture d'une poursuite pénale (art. 310 al. 1 let. c CPP).

2.2. Conformément à l'art. 8 al. 3 CPP, le ministère public et les tribunaux peuvent renoncer à engager une poursuite pénale lorsqu'aucun intérêt prépondérant de la partie plaignante ne s'y oppose et que l'infraction fait déjà l'objet d'une poursuite de la part d'une autorité étrangère ou que la poursuite est déléguée à une telle autorité.

Cette disposition opte pour une formule facultative, la direction de la procédure pouvant renoncer à poursuivre si aucun intérêt de la partie plaignante ne s'y oppose et pour autant que des poursuites aient été engagées à l'étranger ou que la délégation des poursuites à l'étranger ait eu lieu (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire du CPP, Bâle 2016, n. 12 ad art. 8).

L'art. 8 al. 3 CPP paraît toutefois problématique dans la mesure où, une fois la poursuite classée en application de l'art. 8 al. 4 CPP, la procédure ne peut être reprise qu'aux conditions particulières de l'art. 323 CPP, soit uniquement en cas de moyens de preuve ou de faits nouveaux, non décelable sur la base du dossier alors en mains du ministère public. Or, logiquement, les motifs de reprise d'une procédure classée en raison d'une poursuite pénale étrangère parallèle devraient essentiellement se rapporter à l'issue (ou la non-issue) de celle-ci, "insatisfaisante" au regard de l'ordre juridique suisse; mais, vu les conditions de l'art. 323 CPP, la poursuite ne peut être reprise pour un motif tiré de la procédure étrangère. Pour éviter une telle situation, l'autorité peut dans un premier temps recourir au mécanisme de la suspension de l'instruction au sens de l'art. 314 al. 1 let. b CPP, qui correspond matériellement à un classement provisoire. Ensuite, une fois connue l'issue effective, voire prévisible, de la procédure étrangère, le ministère public décidera de classer la procédure sur la base de l'art. 8 CPP ou de la reprendre librement conformément à l'art. 315 CPP (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 39a ad art. 8 CPP).

2.3. En l'espèce, le Ministère public a motivé sa décision par l'existence d'une procédure pénale instruite par les autorités françaises.

S'il est admis que deux plaintes ont été déposées par les recourants – l'une en Suisse et l'autre en France – pour les mêmes faits, l'instruction de celle occupant le parquet parisien paraît n'être qu'à un stade préliminaire, avec la seule nomination d'un magistrat. À défaut de réponse du Tribunal judiciaire de Paris figurant au dossier, on ignore si des actes d'enquête ont été effectués par les juridictions françaises, ni quelle suite elles entendent donner à la plainte des recourants. Ces derniers, parties plaignantes à la présente procédure, disposent donc, en l'état, d'un intérêt prépondérant à ce que celle-ci ne fasse pas l'objet d'une non-entrée en matière.

Compte tenu de ce qui précède, nul n'est besoin d'examiner l'autre grief des recourants.

3.             Fondé, le recours doit être admis; partant, l'ordonnance querellée sera annulée.

4.             L'admission du recours ne donnant pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP), les sûretés versées par les recourants leur seront restituées.

5.             5.1. Les recourants, parties plaignantes assistées du même avocat et qui obtiennent gain de cause, ont droit à une indemnité pour leurs frais de défense, à la charge de l'État (art. 433 al. 1 let. a cum 436 al. 1 CPP; ACPR/675/2020 du 24 septembre 2020 consid. 6.2 et les arrêts cités).

L'indemnité n'est due qu'à concurrence des dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable des droits de procédure du prévenu (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1303, p. 1313 ; J. PITTELOUD, Code de procédure pénale suisse - Commentaire à l'usage des praticiens, Zurich/St-Gall 2012, n. 1349 p. 889). Le juge ne doit ainsi pas avaliser purement et simplement les notes d'honoraires qui lui sont le cas échéant soumises, mais, au contraire, examiner si l'assistance d'un conseil était nécessaire puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conforme au tarif pratiqué, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (cf. ACPR/140/2013 du 12 avril 2013).

5.2. En l'espèce, les recourants sollicitent l'octroi de dépens totalisant CHF 4'239.-, correspondant à 2h10 d'activité au tarif horaire de CHF 450.- pour un chef d'étude, 6h d'activité au tarif horaire de CHF 350.- pour un collaborateur et 7h45 d'activité au tarif horaire de CHF 150.- pour un avocat-stagiaire.

Ces durées paraissent excessives pour un recours de onze pages, page de garde et conclusions comprises, dont quatre seulement sont consacrées à des développements juridiques pertinents pour la cause. Le temps consacré par le collaborateur paraît en outre faire doublon avec l'activité déployée par l'avocat-stagiaire et la relecture d'un acte, qui ne présente pas de complexité, par un seul avocat breveté devrait suffire.

Ainsi, en tenant encore compte de la réplique d'une page entière, l'indemnité sera ramenée à CHF 1'275.- correspondant à 3h d'activité pour un collaborateur et 0h30 d'activité pour un chef d'étude, sans TVA compte tenu du domicile à l'étranger des recourants.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours et annule l'ordonnance querellée.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Ordonne aux Services financiers du Pouvoir judiciaire la restitution des sûretés versées en CHF 1'500.-.

Alloue à B______ et A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'275.- TTC pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants, soit pour eux leur conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).