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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/24284/2022

ACPR/97/2023 du 07.02.2023 sur ONMMP/4491/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ESCROQUERIE;SOUPÇON;ACTE DE RECOURS;DÉLAI;NOTIFICATION IRRÉGULIÈRE
Normes : CPP.85.al2; CP.146; CP.310

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24284/2022 ACPR/97/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 7 février 2023

 

Entre


A
______ SÀRL, domiciliée ______, comparant par Me Guy ZWAHLEN, avocat, rue Monnier 1, case postale 205, 1211 Genève 12,

recourante,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 14 décembre 2022 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte prétendument remis dans une boîte aux lettres de la Poste le lundi 26 décembre 2022 à 17h et expédié le lendemain (selon cachet postal), A______ SÀRL recourt contre l'ordonnance du 14 décembre 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur sa plainte pénale à l'encontre de B______.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de ladite ordonnance et la mise en accusation du précité.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 30 août 2022, C______, associé-gérant et représentant de la société A______ SÀRL, a déposé plainte pénale contre inconnu au poste de police de Carouge pour escroquerie.

En substance, le 16 mars 2022, un homme qu'il ne connaissait pas s'était présenté dans son établissement – lequel est habilité à vendre de l'alcool – afin de procéder à l'achat de 386 bouteilles de Vodka E______ pour un montant total de CHF 10'000.-. Les deux hommes s'étaient mis d'accord oralement. Plusieurs semaines plus tard, l'individu n'arrivant pas à écouler la marchandise, il lui avait rendu la moitié des bouteilles et fait la promesse qu'il procéderait au paiement du reste de celle-ci, d'un montant total de CHF 5'400.-, dès que possible. Le temps passant, il avait relancé à plusieurs reprises par téléphone l'individu qui, à chaque fois, repoussait l'échéance. L'homme n'avait ensuite plus répondu au téléphone.

b. L'individu en question, identifié en la personne de B______ grâce à son numéro de téléphone, a été entendu par la police le 1er novembre 2022.

Il a déclaré avoir contacté l'entreprise A______ SÀRL à la suite d'une annonce sur Instagram dans laquelle elle proposait à la vente des bouteilles de vodka E______, très prisées au Cap-Vert. Il avait rencontré le vendeur, qui se faisait appeler "D______", dans son salon de coiffure, au début 2022. Il lui avait acheté 3 cartons de vodka qu'il avait payés comptant et revendus dans sa famille en France. Ses proches lui en ayant redemandé, car ce produit était introuvable en France, il avait décidé de lui acheter 365 bouteilles. Les cartons étaient restés chez le vendeur et il allait les chercher au fur et à mesure. Il n'y avait pas eu de contrat écrit mais il s'était engagé oralement à acheter la marchandise. En raison de désistements, il n'avait finalement pas réussi à les vendre. Il avait alors restitué à "D______" une quinzaine de cartons contenant chacun 12 bouteilles. Plusieurs proches lui avaient pris des bouteilles qu'ils n'avaient pas payées, 168 au total pour un montant de CHF 4'400.-. Il avait demandé à "D______" de lui laisser du temps pour que les gens le paient, tout en lui promettant de payer de sa poche s'il n'arrivait pas à récupérer l'argent. Il avait toutefois eu des problèmes personnels qui l'avaient empêché de régler sa dette. Il s'engageait à payer son dû.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public constate qu'aucun élément du dossier ne permet de retenir une quelconque tromperie, sauf à considérer que toute inexécution contractuelle serait assimilable à une tromperie, ce qui ne saurait être le cas. La condition de l'astuce faisant ainsi défaut, l'infraction d'escroquerie n'était pas réalisée. Au surplus, les faits dénoncés s'inscrivaient dans un contexte de nature purement civile.

D. a. À l'appui de son recours, A______ SÀRL allègue avoir déposé son acte dans le délai de 10 jours à compter de la notification de l'ordonnance querellée, étant précisé que les 24 et 25 décembre 2022 étaient respectivement un samedi et un dimanche.

Au fond, elle considérait que le fait de promettre l'exécution du contrat en n'étant pas sûr d'y parvenir, en l'occurrence payer les bouteilles, réalisait l'infraction d'escroquerie au moins par dol éventuel. La promesse de payer et ne pas s'exécuter constituait bien une tromperie.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1. 1.1. À teneur de l'art. 396 al. 1 CPP, le recours contre les décisions notifiées par écrit ou oralement est motivé et adressé par écrit, dans le délai de dix jours, à l'autorité de recours.

Les autorités pénales notifient leurs prononcés par lettre signature ou par tout autre mode de communication impliquant un accusé de réception (art. 85 al. 2 CPP).

Les délais fixés en jours commencent à courir le jour qui suit leur notification (art. 90 al. 1 CPP). Si le dernier jour du délai est un samedi, un dimanche ou un jour férié selon le droit fédéral ou cantonal, le délai expire le premier jour ouvrable qui suit (art. 90 al. 2 CPP). Le délai est réputé observé si l'acte de procédure est accompli auprès de l'autorité compétente au plus tard le dernier jour du délai (art. 91 al. 1 CPP). Les écrits doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai à l'autorité pénale, à la Poste suisse ou à une représentation consulaire ou diplomatique suisse (art. 91 al. 2).

1.2. En l'espèce, à teneur du tampon figurant sur l'enveloppe contenant l'acte de recours, celui-ci a été expédié par la Poste le mardi 27 décembre 2022, soit le lendemain du jour que le recourant considère comme le premier jour ouvrable suivant l'expiration du délai de 10 jours. À cette aune, le recours semble tardif.

Rien ne permet par ailleurs d'affirmer que le recourant aurait effectivement déposé le pli recommandé dans une boîte aux lettres de la Poste le lundi 26 décembre 2022 à 17h00, faute notamment de mention signée par un témoin, au dos de l'enveloppe du pli (cf. arrêt du Tribunal fédéral 5A_267/2008 du 16 octobre 2008 consid. 2 et 3), une photo montrant le pli inséré dans une boîte postale n'apparaissant pas suffisante.

L'ordonnance litigieuse ayant toutefois été communiquée par pli simple, on ignore à quelle date le recourant l'a effectivement reçue, lui-même ne le précisant pas. On ne peut dès lors inférer que le dernier jour du délai pour recourir tombait le samedi 24 décembre 2022 ou le dimanche 25 décembre 2022, reporté au lundi 26 suivant.

Partant, faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP, le recours sera considéré comme ayant été déposé dans le délai légal.

Le recours est recevable au surplus pour avoir été déposé selon la forme prescrite (art. 385 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2. La recourante reproche au Ministère public d'avoir rendu une ordonnance de non-entrée en matière alors qu'il existait des soupçons suffisants d'escroquerie.

2.1. Selon l'art. 310 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Le principe "in dubio pro duriore" découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 19 al. 1 et 324 CPP ; ATF 138 IV 86 consid. 4.2 p. 91). Il signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le Ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le Ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'infraction grave (ATF 138 IV 86 consid. 4.1.2 p. 91 ;
137 IV 285 consid. 2.5 p. 288 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_112/2012 du 6 décembre 2012). En d'autres termes, il doit être certain que l'état de fait ne remplit les conditions d'aucune infraction pénale, ce qui est, par exemple, le cas des contestations de nature purement civile (ATF 137 IV 285 consid. 2.3 p. 287).

2.2. En vertu de l'art. 146 CP, se rend coupable d'escroquerie celui qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura astucieusement induit en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou l'aura astucieusement confortée dans son erreur et aura de la sorte déterminé la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers.

Pour qu'il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit pas. Il faut encore qu'elle soit astucieuse. Il y a tromperie astucieuse, au sens de l'art. 146 CP, lorsque l'auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu'il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l'auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu'elle renoncera à le faire en raison d'un rapport de confiance particulier (ATF 147 IV 73 consid. 3.2).

De jurisprudence constante, celui qui promet une prestation sans avoir l'intention de l'exécuter agit astucieusement, parce qu'en promettant il donne le change sur ses véritables intentions, ce que sa victime est dans l'impossibilité de vérifier. Toutefois, l'astuce doit être niée lorsque les vérifications qui étaient faisables sans trop de difficultés auraient révélé que l'auteur n'était pas capable d'exécuter son obligation (ATF 118 IV 359 consid. 2; TRECHSEL, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Kurzkommentar, 2ème éd., no 9 ad art. 148 CP; cf. aussi AARP/174/2015 consid. 3.1).

L'astuce n'est toutefois pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d'attention ou éviter l'erreur avec le minimum de prudence que l'on pouvait attendre d'elle. Il n'est pas nécessaire, pour qu'il y ait escroquerie, que la dupe ait fait preuve de la plus grande diligence et qu'elle ait recouru à toutes les mesures de prudence possibles; la question n'est donc pas de savoir si elle a fait tout ce qu'elle pouvait pour éviter d'être trompée. L'astuce n'est exclue que lorsque la dupe est coresponsable du dommage parce qu'elle n'a pas observé les mesures de prudence élémentaires qui s'imposaient. (ATF 128 IV 18 consid. 3a et les références citées).

Pour apprécier si l'auteur a usé d'astuce et si la dupe a omis de prendre des mesures de prudence élémentaires, il ne suffit pas de se demander comment une personne raisonnable et expérimentée aurait réagi à la tromperie. Il faut prendre en considération la situation particulière de la dupe, telle que l'auteur la connaissait et l'a exploitée, par exemple une faiblesse d'esprit, l'inexpérience ou la sénilité, mais aussi un état de dépendance, d'infériorité ou de détresse faisant que la dupe n'est guère en mesure de se méfier de l'auteur (ATF 135 IV 76 consid. 5.2 ; ATF 128 IV 18 consid. 3a). L'astuce ne peut donc être niée que si la tromperie pouvait être empêchée par des précautions qui peuvent être qualifiées d'élémentaires dans la situation de la dupe. Le principe de coresponsabilité ne saurait cependant être utilisé pour nier trop aisément le caractère astucieux de la tromperie (ATF 128 IV 18 consid. 3a).

2.3. En l'espèce, le mis en cause admet s'être engagé oralement à acheter 365 bouteilles de vodka E______ au recourant (386 bouteilles selon ce dernier, pour un montant de CHF 10'000.-). N'ayant finalement pas réussi à écouler toute la marchandise, il en a restitué la moitié au recourant, ce que ce dernier admet. Le solde de la marchandise, totalisant CHF 4'400.- selon le mis en cause et CHF 5'400.- selon le recourant, n'a pas été réglé.

Si le caractère civil de la transaction litigieuse ne fait aucun doute, reste à examiner si le recourant a été astucieusement trompé par son cocontractant, cette condition étant nécessaire pour qu'il y ait escroquerie au sens de l'art. 146 CP.

Or, on constate que le recourant a accepté de vendre et livrer au mis en cause, qu'il ne connaissait pas, un stock conséquent de bouteilles de vodka pour plusieurs milliers de francs, sans procéder à la moindre vérification sur son identité, qu'il ignorait même, ou sur sa solvabilité. Au surplus, aucun document écrit n'a été établi, tels que contrat ou reconnaissance de dette. Ces précautions élémentaires pouvaient difficilement échapper au recourant qui, de par son activité professionnelle, est rompu aux affaires.

Par ailleurs, le fait que le mise en cause lui restitue la moitié de la marchandise quelques semaines plus tard semble démontrer qu'il avait bien pour intention initiale de la vendre en totalité et de s'acquitter du prix. Il n'aurait sûrement pas agi de la sorte s'il avait voulu l'escroquer.

On peine ainsi à voir dans le comportement du mis en cause une volonté délibérée d'avoir voulu d'emblée s'affranchir de ses obligations.

Faute d'astuce, c'est dès lors à bon droit que le Ministère public a considéré que les conditions de l'infraction d'escroquerie n'étaient pas réalisées.

3. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

4. Vu l'issue du recours, la Chambre pénale de recours pouvait décider d'emblée de le traiter sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

5. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 1'000.-. (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ SÀRL, soit pour elle son associé-gérant et représentant C______, aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/24284/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

-

CHF

Total

CHF

1'000.00