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Décisions | Tribunal pénal

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P/24778/2018

JTDP/1571/2021 du 14.12.2021 sur OPMP/9267/2020 ( OPOP ) , JUGE

Normes : CP.320
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

pouvoir judiciaire

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL DE POLICE

Chambre 18


14 décembre 2021

 

MINISTÈRE PUBLIC

contre

Monsieur A_____ , né le ______ 1984, domicilié, prévenu, assisté de Me Marc LIRONI


CONCLUSIONS FINALES DES PARTIES :

Le Ministère public conclut à un verdict de culpabilité du chef de violation du secret de fonction, s'en remet à l'appréciation du Tribunal s'agissant de la mesure de la peine à prononcer, conclut à ce que les frais de la procédure soient mis à la charge du prévenu et à ce qu'il soit débouté de ses conclusions en indemnisation.

A_____ conclut à son acquittement, à la destruction des pièces issues de son téléphone portable datant d'une période excédant celle allant du 5 au 11 décembre 2018. Il persiste dans ses conclusions en indemnisation des 3 et 10 décembre 2021 s'agissant des frais de défense, il les amplifie, en extrapolant jusqu'à ce jour les montants mentionnés dans sa requête du 3 décembre 2021, et conclut au paiement de CHF 4'115.05 de frais médicaux et de CHF 26'452.80 de perte de gain pour les séances au Conseil municipal. Au total, il conclut au versement d'une indemnité de CHF 1'157'395.60 et à ce que les frais de la procédure soient laissés à la charge de l'Etat.

*****

Vu l'opposition formée le 25 novembre 2020 par A_____ à l'ordonnance pénale rendue par le Ministère public le 16 novembre 2020;

Vu la décision de maintien de l'ordonnance pénale du Ministère public du 12 février 2021;

Vu l'art. 356 al. 2 et 357 al. 2 CPP selon lequel le tribunal de première instance statue sur la validité de l'ordonnance pénale et de l'opposition;

Attendu que l'ordonnance pénale et l'opposition sont conformes aux prescriptions des art. 352, 353 et 354 CPP;

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DE POLICE

statuant sur opposition :

Déclare valables l'ordonnance pénale du 16 novembre 2020 et l'opposition formée contre celle-ci par A_____ le 25 novembre 2020.

statuant à nouveau

EN FAIT

Vu le rapport d'audit de conformité en lien avec les frais professionnels du personnel de la Ville de Genève du 5 décembre 2018, rendu par le contrôle financier de la Ville de Genève (CFI);

Vu l'échange de message du 10 décembre 2018 entre A_____ et B_____ retranscrit dans l'ordonnance pénale du 16 novembre 2020;

Vu les articles parus dans la Tribune de Genève et dans le Courrier le 11 décembre 2018;

Vu la plainte de la Ville de Genève du 13 décembre 2018;

Vu les déclarations de A_____, D_____ et E_____ à la police, et celles de A_____ au Ministère public, ressortant de l'ordonnance pénale;

Vu les déclarations de A_____ et des témoins entendus par le Tribunal de police figurant au procès-verbal de l'audience du 10 décembre 2021;

Vu l'ordonnance de classement partiel du 16 novembre 2020 et l'arrêt de la Chambre pénale de recours du 24 août 2021 (ACPR/564/2021);

Vu la requête d'indemnisation de A_____ du 3 décembre 2021, amplifiée le 10 décembre 2021, en CHF 1'157'395.60, et les pièces produites les 3 et 10 décembre 2021.

EN DROIT

1. 1.1.1 I Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves.

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, ce principe signifie qu'il incombe à l'accusation d'établir la culpabilité de l'accusé, et non à ce dernier de démontrer son innocence. Il est violé lorsque le juge rend un verdict de culpabilité au seul motif que l'accusé n'a pas prouvé son innocence mais aussi lorsqu'il résulte du jugement que, pour être parti de la fausse prémisse qu'il incombait à l'accusé de prouver son innocence, le juge l'a condamné parce qu'il n'avait pas apporté cette preuve (ATF 127 I 38 consid. 2a; 120 Ia 31 consid. 2c et d).

Comme règle de l'appréciation des preuves, le principe in dubio pro reo signifie que le juge ne peut se déclarer convaincu d'un état de fait défavorable à l'accusé, lorsqu'une appréciation objective de l'ensemble des éléments de preuve laisse subsister un doute sérieux et insurmontable quant à l'existence de cet état de fait (ATF 127 I 38 consid. 2a; ATF 124 IV 86 consid. 2a; 120 Ia 31 consid. 2c).

1.2.1 Selon l'art. 320 ch. 1 CP, celui qui aura révélé un secret à lui confié en sa qualité de membre d'une autorité ou de fonctionnaire, ou dont il avait eu connaissance à raison de sa charge ou de son emploi, sera puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire. Les conditions objectives sont ainsi un auteur fonctionnaire (1), un secret (2), appris dans la charge de sa fonction (3), révélé (4) et, en lien de causalité (5), la prise de connaissance par un tiers non autorisé (6). La révélation demeure punissable alors même que la charge ou l'emploi a pris fin.

L'art. 320 ch. 2 prévoit que la révélation n'est pas punissable si elle est faite avec le consentement écrit de l'autorité supérieure.

1.2.2 L'art. 320 CP constitue un délit propre pur, qui ne peut être commis que par un fonctionnaire ou le membre d'une autorité. La notion de fonctionnaire est celle de l'art. 110 al. 3 CP (ATF 142 IV 65 consid. 5.1 p. 68). Le devoir de confidentialité résulte de la situation particulière du membre de l'autorité, respectivement du fonctionnaire (ATF 142 IV 65 consid. 5.2 p. 68 et 69; CORBOZ, op. cit., N 21ss ad art. 320). Une base légale spéciale, non pénale, n'est ainsi pas nécessaire dans la législation déterminant l'exercice de la fonction (ATF 142 IV 65 consid. 5.2 p. 68 et 69; CORBOZ, op. cit., N 23 ad art. 320 CP).

1.2.3 La définition de l'infraction repose sur une conception matérielle du secret (NIGGLI/WIPRÄCHTIGER, Basler Kommentar Strafrecht II, 2013, N 8 ad art. 320 CP; STRATENWERTH/BOMMER, Schweizerisches Strafrecht, Besonderer Teil II: Straftaten gegen Gemeininteressen, 7e éd., Berne 2013, § 61 N 5). Il n'est dès lors pas nécessaire que le fait concerné ait été présenté par les autorités compétentes comme étant secret. Seul est déterminant qu'il s'agisse d'un fait qui n'est à l'évidence ni public ni généralement accessible sans difficulté à toute personne souhaitant en prendre connaissance (ATF 114 IV 44 consid. 2 p. 46; arrêt 6B_105/2020 du 3 avril 2020 consid. 1.1), qui n'est connu que d'un cercle restreint de personnes et à l'égard duquel le détenteur du secret n'a pas seulement un intérêt légitime, mais aussi une volonté affichée, expresse ou tacite, au maintien du secret (ATF 142 IV 65 consid. 5.1; 116 IV 56 consid. II/1.a p. 65; CORBOZ, op. cit., N 13 ad art. 320 CP). Cet intérêt peut être celui de la collectivité publique (Confédération, canton ou commune) ou celui de particuliers. Il ne peut s'agir d'un fait ayant déjà été rendu public ou qui est accessible sans difficulté à toute personne souhaitant en prendre connaissance (ATF 114 IV 44 consid. 2).

En ce qui concerne les collectivités publiques, la volonté de tenir une information secrète résulte de dispositions de droit public, applicables à l'autorité ou au fonctionnaire concerné, des dispositions cantonales et communales, ou découlent d'instructions données par l'autorité supérieure. La volonté de tenir une information secrète peut résulter d'instructions générales ou spéciales données par une autorité supérieure ou de la nature de l'information, compte tenu des intérêts en jeu et de l'usage qui doit en être fait (ATF 116 IV 56 consid. II.1a p. 65 = JdT 1991 IV 5 ; Michel DUPUIS / Laurent MOREILLON / Christophe PIGUET / Séverine BERGER / Miriam MAZOU / Virginie RODIGARI [éds], op. cit., n. 19 ad art. 320 ; Bernard CORBOZ, op. cit., n. 15 ad art. 320 ; Günter STRATENWERTH / Felix BOMMER, op. cit., § 61 n. 6).

A teneur de l'art. 15 al. 1 du règlement de la Ville de Genève sur le contrôle interne, l'audit interne et la révision des comptes annuels en Ville de Genève (LC 21 191, ci-après : règlement sur l'audit interne), les rapports d'audit ne sont pas publics. Ils sont remis, munis du sceau de la confidentialité, au chef du département dont dépend l'entité auditée (let. a), au responsable de l'entité auditée (let. b) et au conseil administratif en la personne de son président (let. c). Le second alinéa de cette disposition précise que le conseil administratif peut transmettre ou publier ces rapports en procédant aux adaptations nécessaires aux fins de protection de la personnalité des collaborateurs.

1.2.4.1 L'application de l'art. 320 ch. 1 CP exige que le secret ait été confié à l'auteur en sa qualité de membre d'une autorité ou de fonctionnaire ou qu'il en ait eu connaissance à raison de sa charge ou de son emploi (ATF 115 IV 233 consid. 2c/aa p. 236; arrêt 6B_572/2018 du 1er octobre 2018 consid. 3.3.1 et les références citées; CORBOZ, op. cit., N 17 ad art. 320 CP).

En principe tout secret confié à un membre de l'autorité ou à un fonctionnaire en vertu de sa qualité ou dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de sa fonction est soumis au devoir de confidentialité, même si aucune base légale du droit réglementant la fonction publique ou de toute autre loi ne le prévoit (ATF 142 IV 65 c. 5.2 in JdT 2016 IV 362 et les références citées). Selon la doctrine, il faut que le membre de l'autorité ou le fonctionnaire ait appris le secret en raison de sa fonction officielle. L'information lui a été confiée parce qu'il revêt cette charge publique ou il l'a apprise en exerçant sa tâche officielle, par exemple en lisant des rapports ou des dossiers.

1.2.4.2 En vertu de l'art. 10 du règlement d'application de la loi sur l'administration des communes (RAC), le règlement du conseil municipal précise dans quelles circonstances les conseillers municipaux sont tenus au secret de fonction.

Le règlement du Conseil municipal de la Ville de Genève mentionne le secret de fonction en son article 9. En effet, les membres du Conseil municipal prêtent le serment suivant : "Je jure ou je promets solennellement [ ] de garder le secret de fonction sur toutes les informations que la loi ne me permet pas de divulguer" (cf. art. 8 al. 2 LAC également). L'art. 45 al. 3 RCM prescrit également que les membres du Conseil municipal sont tenu-e-s de garder le secret sur les délibérations intervenues à huit clos.

1.2.4.3 L'auteur doit apprendre le fait ès qualités, c'est-à-dire en tant que membre d'une autorité ou fonctionnaire. (CORBOZ, op.cit., N 17 ad art. 320 CP). Il faut examiner les circonstances concrètes du cas pour dire si des informations ont été acquises dans le cadre d'une fonction. La connaissance des faits doit être en rapport avec l'activité officielle du fonctionnaire concerné. Il doit exister un lien direct avec la fonction officielle, et non pas un lien lointain dû au hasard. Celui qui lit un rapport reçu par la voie de service dans l'exercice de sa fonction apprend les informations qui y sont contenues en tant que fonctionnaire. Le fait n'a en revanche pas été appris ès qualités si le membre de l'autorité ou le fonctionnaire en prend connaissance comme un simple particulier ou en dehors de sa fonction officielle (CORBOZ, op. cit, N 18 ad art. 320 CP). Par ailleurs, le fonctionnaire qui révèle des faits dont il a eu connaissance à raison de sa charge, après en avoir été informé ou avoir reçu confirmation par d'autres sources ou qui aurait eu le droit d'en être informé à raison d'une autre activité non officielle, ne se rend pas coupable de violation du secret de fonction (ATF 115 IV 233 c. 2c in JdT 1991 IV 91; DUPUIS et al. [éds], op. cit., N 24 ad art. 320 CP).

1.2.5 Le maître du secret est en principe l'autorité et non un particulier. Cette disposition a pour objectif en premier lieu le respect d'intérêts officiels, à savoir le fonctionnement harmonieux de l'administration et de la justice. Dans la mesure où le secret de fonction concerne un fait devant être maintenu secret appartenant à la sphère privée d'un particulier, l'art. 320 CP protège également l'intérêt au maintien du secret du particulier (ATF 142 IV 65 c. 5.1 in JdT 2016 IV 362; arrêts 6B_1192/2014 du 24 avril 2015 c. 4.3 et 6B_28/2012 du 11 décembre 2012 c. 1.4.3 et les références citées). Les biens juridiques protégés par cette disposition sont tant le bon fonctionnement des institutions que la protection de la sphère privée des particuliers (ATF 142 IV 65 consid. 5.1 p. 67 s.; arrêt 6B_572/2018 du 1er octobre 2018 consid. 3.1 et les références citées).

1.2.6 L'acte délictueux consiste à révéler un secret. Révèle un secret au sens de l'art. 320 ch. 1 CP celui qui le confie à un tiers non habilité à le connaître ou qui permet que ce tiers en prenne connaissance (ATF 142 IV 65 consid. 5.1 p. 67 s. et les références citées).

1.2.7 Le consentements de l'autorité supérieure prévu à l'art. 320 ch. 2 CP est un fait justificatif spécial impliquant l'impunissabilité de l'infraction (VERNIORY. Op.cit. no 38 ad art. 320 CP).

1.2.8 Sur le plan subjectif, l'infraction réprimée par l'art. 320 CP est intentionnelle. Le dol éventuel suffit et doit porter sur tous les éléments objectifs (arrêt du Tribunal fédéral 6B_599/2015 du 25 février 2016 consid. 2.3) et la négligence n'est pas punissable. L'auteur doit avoir conscience de son devoir de garder le secret (ATF 114 IV 46 consid. 2).

2. 2.1.1 En l'espèce, s'agissant des conditions objectives de l'infraction de violation du secret de fonction, la qualité de membre d'une autorité du prévenu, la prise de connaissance du rapport dans le cadre de ses fonctions, la prise de connaissance par la Tribune de l'audit et le lien de causalité entre la transmission - le cas échéant par le prévenu ou un tiers - et la prise de connaissance, ne prêtent pas à discussion et ne seront donc pas examinés.

Sont contestés le caractère secret du rapport et le fait que ce soit le prévenu qui l'ait transmis à la Tribune.

2.1.2 Le 10 décembre 2018, le rapport en question était un secret. Il s'agissait d'un fait qui n'était ni public ni accessible sans difficulté à toute personne souhaitant en prendre connaissance, il n'était connu que du cercle relativement restreint des personnes auxquelles il a été distribué. De plus, le détenteur du secret, soit le conseil administratif de la Ville de Genève, avait à ce moment-là un intérêt légitime au secret, ne serait-ce que le temps de débattre des résultats de l'audit et de prendre les premières mesures et il avait de surcroit marqué une volonté expresse au maintien du secret, dès lors que le rapport était frappé du sceau "CONFIDENTIEL, NE PAS COPIER". Ainsi, lors de la parution du rapport le 5 décembre 2018 et sa transmission à diverses personnes, entre le 6 et le 10 décembre 2018, le conseil administratif n'avait pas pris la décision de le rendre public, alors que cette prérogative lui est réservée de par la loi. De plus, si le rapport ne désignait pas nommément les personnes ayant fait les dépenses critiquées, il mentionnait le nom des chefs des services ayant fait l'objet de l'audit de conformité. Aussi, l'intérêt privé des chefs des services audités à ce que leur identité ne soit pas divulguée à des tiers, notamment aux médias, était patent.

L'intérêt marqué des élus et de la presse pour le résultat de l'audit alors qu'il était encore en cours, ce qui ne pouvait pas rester totalement discret au vu du périmètre des audités, et le fait que plusieurs conseillers municipaux pressaient le conseil administratif pour l'obtenir, n'est en rien déterminant sur le caractère secret de ce rapport. De même, le fait que des fonctionnaires audités ou des élus aient communiqué à A_____ ou à d'autres des éléments de l'audit bien avant la publication du rapport, ne prive pas celui-ci de son caractère secret dans la mesure où ni l'intégralité de son contenu, ni les conclusions, ni les recommandations n'étaient connues avant le 5 décembre 2018. D'ailleurs, ce rapport était considéré comme une bombe et sa divulgation devait provoquer une déflagration selon un témoin entendu.

Il était ainsi d'intérêt public que les informations contenues dans ce rapport ne soient pas divulguées à des tiers non autorisés ou transmises à la presse. A tout le moins, il était d'intérêt public que ces informations ne soient pas divulguées à ce moment-là et sans que la procédure prévue à l'art. 15 du règlement sur l'audit interne ait été appliquée au préalable, soit une décision du conseil administratif et l'adaptation du contenu de manière à protéger la personnalité des audités.

Il ressort de ce qui précède qu'au moment où les conseillers administratifs, les 3 conseillers municipaux, dont A_____, de même que les 42 chefs de services mentionnés en première page du rapport, ont pris connaissance de celui-ci, celui-ci n'était pas public. Qu'il le soit devenu ultérieurement, au terme de la procédure prévue par la LIPAD, un an plus tard et moyennant mesures d'anonymisation, n'y change rien.

2.1.3 Est plus délicate la question de la personne qui a remis tout ou partie du rapport d'audit à la Tribune de Genève entre le 6 et le 10 décembre 2018.

2.1.3.1 Certes, l'échange de messages du 10 décembre 2018 entre 9h15 et 9h30 entre A_____ et B_____ est incriminant. Les termes eux-mêmes démontrent que A_____ a alors accepté de faire en sorte que le contenu du rapport fuite à la Tribune afin que celle-ci publie un article avant la séance de la commission des finances du lendemain, le mercredi 12 décembre 2018, pour prendre de court le conseil administratif de la Ville de Genève. On comprend aussi qu'il serait plus prudent d'attendre encore un jour possiblement pour que le nombre de personnes ayant reçu le rapport soit trop important pour parvenir à découvrir qui l'a communiqué à la presse.

Cependant, les explications de A_____ sur son allégeance à B_____ et son incapacité à lui refuser ce qu'il demandait ne sont pas dénuée de sens et le fait qu'il en ait parlé seulement lors de l'audience de jugement n'est pas étonnant au vu du climat ayant prévalu durant l'instruction. Le fait que l'échange commence par une demande de confirmation de B_____ sur la fuite ne permet pas d'affirmer que A_____ était le décideur dans cette affaire, au contraire, puisque la confirmation demandée implique qu'il y a nécessairement eu des échanges antérieurs à ce sujet entre les deux hommes. Ainsi, affirmer que l'on s'occupe de faire en sorte qu'un rapport fuite ne signifie pas nécessairement qu'on le fera. Cela étant, les explications quant au sens de cet échange données par A_____ au Ministère public, selon lesquelles son rôle consistait à vérifier auprès de la Tribune si celle-ci était en train de traiter du sujet ne convainquent pas. Toutefois, les explications dénuées de sens d'un prévenu ne suffisent pas pour l'incriminer.

Par contre, il est possible que A_____ ait effectivement constaté que la Tribune avait déjà reçu le rapport lors de ses contacts. D'ailleurs, il ressort de l'échange de message que la fuite était prévue pour le lendemain, soit le mardi 11 décembre 2018, mais que A_____ préférait que cela se fasse le mercredi 12 décembre 2018. Il a toutefois ajouté "je peux le faire pour demain en fin de journée aussi", B_____ concluant alors "en version électronique mardi en fin d'après-midi et papier mercredi matin?", ce que A_____ a accepté. Or, l'article de la Tribune est paru le mardi matin 11 décembre 2018 déjà en version papier, soit plus tôt que ce qu'avaient convenu les deux hommes selon l'échange de messages en question.

Les explications de A_____ sur ses occupations entre le soir du 7 décembre et le matin du 10 décembre 2018 sont sans pertinence car il pouvait fort bien se munir au matin du 10 décembre 2018 du rapport laissé durant le weekend chez sa mère et le remettre à la Tribune le jour-même. Cela étant, il n'a pas été possible de déterminer quand et comment ce rapport aurait été transmis par A_____ à la Tribune, à défaut de trace de courriel dans son ordinateur, de trace d'appel ou de sms dans son téléphone fixant un rendez-vous à cet effet.

2.1.3.2 S'agissant de la motivation à cette fuite, A_____ a admis qu'il s'agissait alors surtout de faire diversion pour B_____ et de déplacer les projecteurs braqués sur lui en direction du conseil administratif de la Ville de Genève, cas échéant aussi de mettre à mal politiquement la majorité au conseil administratif au élections suivantes, afin de favoriser la candidature de A_____. Il paraîtrait au surplus logique, mais pas certain, que la fuite ait été le fait d'une personne n'appartenant pas au bord politique de la majorité du conseil administratif. Au demeurant, d'autres personnes du même côté de l'échiquier politique que A_____ et ayant donc un intérêt similaire ont reçu ce rapport. Il n'est pas non plus exclu qu'un chef de service irréprochable, agacé par les dépenses de ses collègues, fasse fuiter ce rapport. Les motivations de B_____ et de A_____ ne permettent pas en soi de désigner un coupable. On en veut pour exemple que l'arrêt de la Chambre pénale de recours du 24 août 2021 statuant sur les indemnités demandées par A_____ pour le volet qui a été classé a fait l'objet d'un article dans le Temps le 27 août 2021, sans que l'on puisse sans aucun doute déterminer, après examen des intérêts des uns et des autres, qui le lui a communiqué.

2.1.3.3 Les déclarations de A_____ ont été peu précises et ambiguës s'agissant de savoir s'il a transmis effectivement ce rapport à la Tribune et il est étonnant qu'il ne s'en souvienne plus lors de son audition à la police du 6 juin 2019 déjà. Toutefois, il a été constant sur le fait qu'il avait des contacts très fréquents avec les média et que les journalistes avec lesquels il avait parlé semblaient avoir déjà connaissance du rapport. De plus, certains éléments qui figureront effectivement ensuite dans le rapport lui avaient été communiqués durant la période où l'audit était en cours, soit bien avant la sortie dudit rapport.

Or, le témoin F_____ a confirmé que les media cherchaient alors déjà à obtenir des informations sur ce rapport en cours d'élaboration et que certains éléments de l'audit avaient fuité. Selon elle, C_____, seul conseiller administratif de droite, avait communiqué à A_____ des informations confidentielles durant l'audit. Il est ainsi possible que A_____ ne se souvenait plus avec certitude lors de ses auditions de la teneur de ses nombreux contacts avec les journalistes avant et après la sortie du rapport, notamment s'agissant des renseignements obtenus de C_____ ou que, sachant qu'il avait transmis ou confirmé alors à la presse des informations sensibles, il ait préféré rester vague. Les questions posées par la police le 6 juin 2019 pouvaient à cet égard prêter à confusion et il ne fait pas de doute que cette audition a été difficile pour A_____. Comme il l'a dit lors de l'audience de jugement, A_____ a préféré déclarer durant la procédure qu'il ne se souvenait pas s'il avait ou non transmis des informations confidentielles à la presse, pour éviter d'être accusé de mensonges – cas échéant concernant ses révélations à la presse avant la sortie du rapport – sachant qu'il y aurait une enquête. A_____ avait peut-être à l'esprit le séisme politique causé par les mensonges de B_____, situation qu'il ne pouvait pas se permettre en pleine campagne pour l'élection au conseil administratif.

2.1.3.4 Au surplus, le rapport d'audit a été communiqué aussi le soir du 7 septembre 2018 au conseiller municipal MCG D_____, lequel a exigé la mise sous scellés de son téléphone portable empêchant toute recherche, alors que A_____ a autorisé la fouille de son appareil. Les conseillers municipaux D_____ et E_____ ont certes catégoriquement exclu avoir diffusé le rapport lors de leur audition à la police, alors que A_____ n'a jamais nié, mais il y a des coupables qui nient catégoriquement et des innocents qui s'empêtrent dans leurs explications. A cet égard, la réaction apparemment démesurée de A_____, en larmes dans son bureau et en incapacité de travail durant deux semaines, après son audition du 6 juin 2019, s'explique pour partie par sa fragilité particulière mais certainement aussi par cette première audition.

Il faut tout de même noter que celle-ci a duré 3 heures, dont une partie sans son avocat, alors que les deux autres conseillers municipaux, suspects potentiels, ont été entendus entre 30 et 45 minutes assistés de leur avocat. Il est ainsi possible que la police ait ce jour-là cherché à obtenir de A_____ des renseignements incriminant B_____, dans la mesure où les quelques questions et réponses ressortant du procès-verbal n'expliquent pas la durée de l'audition. D'ailleurs, lorsque A_____ est retourné à la police le 27 juin 2019 pour récupérer son téléphone, il s'est fait accompagner d'un collègue par peur d'être maltraité et cela bien avant son interpellation du 13 décembre 2019, ce qui tend à confirmer qu'il a fort mal vécu son audition du 6 juin 2019 déjà. Cette forte réaction ne peut ainsi pas être interprétée comme étant celle du coupable qui s'est fait attraper.

De même, le rapport a été communiqué à l'ensemble du conseil administratif, alors que selon le témoin F_____, l'un d'eux avait déjà fait fuiter certains éléments durant l'audit, et à plus de 40 cadres, chefs de service de l'administration communale de la Ville de Genève le soir du 6 décembre 2018 par courriel déjà. Comme déjà dit, on ne peut pas exclure que l'un d'eux avait un intérêt politique ou personnel à faire fuiter ce rapport et l'ait ainsi communiqué à la Tribune.

Finalement, un journaliste du Courrier s'est adressé à A_____ le 10 décembre 2018 à 10h52 pour tenter d'obtenir ce rapport et il a publié son article le 11 décembre 2018 à 0h18 sur le rapport qu'il avait alors reçu, tandis que la Tribune a publié son article seulement à 7h23. A cet égard, le Ministère public ne prétend pas que A_____ serait aussi l'auteur de la fuite en faveur du Courrier, car il est en effet possible qu'il y ait eu plusieurs fuites de provenances diverses.

Le Tribunal retient donc que A_____ a en tout cas annoncé à B_____ qu'il ferait fuiter le rapport au profit de la Tribune, qu'il est fort possible qu'il ait eu réellement l'intention de le faire, voire même qu'il l'ait effectivement fait. Toutefois, au vu de l'ensemble des éléments retenus, il subsiste un doute sérieux et insurmontable que tel soit le cas.

Dans le doute, le prévenu sera donc acquitté du chef de violation du secret de fonction.

3. 3.1.1. L'art. 423 al. 1 CPP prescrit que les frais de procédure sont en principe mis à la charge de la Confédération ou du canton qui a conduit la procédure.

3.1.2. Selon l'art. 429 al. 1 let. a CPP, le prévenu qui est au bénéfice d'une ordonnance de classement ou qui est acquitté totalement ou en partie a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (let. a), une indemnité pour le dommage économique subi au titre de sa participation obligatoire à la procédure pénale (let. b) et une réparation du tort moral subi en raison d'une atteinte particulièrement grave à sa personnalité, notamment en cas de privation de liberté (let. c).

La question de l'indemnisation du prévenu doit être traitée en relation avec celle des frais. Si le prévenu supporte les frais en application de l'art. 426 al. 1 ou 2 CPP, une indemnité est en règle générale exclue. En revanche, si l'Etat supporte les frais de la procédure pénale, le prévenu a en principe droit à une indemnité selon l'art. 429 CPP (ATF 137 IV 352 consid. 2.4.2). La question de l'indemnisation doit être tranchée après la question des frais. Dans cette mesure, la décision sur les frais préjuge de la question de l'indemnisation (arrêts du Tribunal fédéral 6B_620/2016 du 17 mai 2017 consid. 2.2.1 et les références ; 6B_792/2016 du 18 avril 2017 consid. 3.3).

S'agissant de l'indemnité pour les frais de défense, celle-ci concerne les dépenses du prévenu pour un avocat de choix (ATF 138 IV 205 consid. 1 p. 206), à condition que le recours à celui-ci procède d'un exercice raisonnable des droits de procédure. Pour fixer cette indemnité, l'autorité doit tenir compte de la nature et de l'importance de la cause, des difficultés particulières que celle-ci peut présenter en fait et en droit, du temps que l'avocat lui a consacré, de la qualité de son travail, du nombre des conférences, audiences et instances auxquelles il a pris part, du résultat obtenu ainsi que de la responsabilité assumée (arrêt du Tribunal fédéral 6B_810/2010 du 25 mai 2011 consid. 2 et les références citées).

3.2.1. En l'espèce, vu l'acquittement prononcé, les frais de la procédure seront laissés à la charge de l'Etat.

3.2.2 S'agissant des indemnités demandées par A_____, le Tribunal fait siens les arguments et conclusions de l'arrêt du 24 août 2021 de la Chambre pénale de recours.

D'une part, pour certains postes, le dommage n'est pas démontré, soit le remplacement du téléphone, la reconstitution du matériel informatique, le loyer payé pour un logement rarement occupé, sans faire face à d'autre frais de loyer, de même que l'essentiel des frais médicaux non prouvés par pièces et qu'il n'est pas question d'extrapoler. Pour les frais médicaux dont la Chambre pénale de recours a estimé qu'ils étaient en lien de causalité avec les faits, le seul montant dont il est démontré qu'il a été à la charge de A_____, soit CHF 651.55, a déjà été alloué par la Cour.

D'autre part, il n'y a pas de lien de causalité entre la procédure pénale et les autres postes du dommage allégué, en particulier la perte de gain en raison de l'absence aux séances de commission du conseil municipal, dans la mesure où A_____ était capable, jusqu'à son échec à l'élection au conseil administratif, de siéger en plénière.

Par contre, le prévenu a partiellement été empêché de participer à la séance du conseil municipal du 14 décembre 2019, pour la partie allant de 10h20 à 12h35, en raison de son audition au Ministère public de 11h15 à 13h10 concernant le volet jugé aujourd'hui, alors qu'il pouvait participer à celle du matin à 8h et reprendre pour celle de l'après-midi à 14h00. Cela étant, le prévenu produit des exemples de relevés de jetons de présence qui permettent de déterminer approximativement le montant des jetons de présence versés pour cette séance consacrée au budget du 14 décembre 2019, mais non pas quelle part est versée au parti ou au conseiller municipal, de sorte qu'il sera aussi débouté pour ce poste, ne démontrant pas le montant de son dommage.

Au-delà, il n'est ni démontré que A_____ serait empêché de prendre part au séances du conseil municipal et des commissions pour des raisons médicales, ni démontré que son état de santé actuel, plus de 2 ans après ses auditons de juin et septembre 2019, serait encore en lien de causalité avec les faits et cette procédure, compte tenu de sa fragilité préexistante et de son échec à l'élections au conseil administratif. Il n'y a donc pas lieu de l'indemniser pour ces séances, ni pour les frais médicaux dont le montant n'est de plus pas prouvé.

Au demeurant, comme le relève la motivation détaillée de l'arrêt de la Chambre pénale de recours, il n'y a pas de lien de causalité entre la procédure et la perte de gain consécutive à la non élection de A_____ au conseil administratif de la Ville.

Ainsi, A_____ se verra allouer les montants suivants:

- CHF 200.- de tort moral pour un jour de détention, ce montant étant usuellement admis en cas de détention de courte durée, ce qui est le cas ici;

- CHF 2'000.- de tort moral pour la fouille subie en décembre 2019, corolairement à ce que la Chambre pénale de recours a décidé pour le volet classé;

- CHF 12'277.80 pour les dépenses nécessaires à sa défense, sur la somme de CHF 41'507.20 réclamée. Seules les activités déployées en lien avec le volet jugé aujourd'hui seront retenues, ce qui exclut les actes liés au diverses procédures connexes, notamment les mémoires. De même, les heures consacrées aux contacts avec la presse et les tiers ne seront pas pris en compte. Au surplus le nombre d'heures consacrées par le conseil du prévenu à l'examen du dossier, aux conférences avec son client, à la préparation de l'audience de jugement et aux correspondances excède de loin ce qui est nécessaire à sa défense au vu de l'ampleur très limitée de la procédure concernant le volet jugé aujourd'hui et de l'intervention du conseil à l'audience. Ainsi 28h30 d'activité seront admises sur les 82 heures ressortant des notes d'honoraire produites. Par ailleurs, le tarif horaire de CHF 400.- sera appliqué conformément à ce qui ressort de la note d'honoraire produite dans la cadre du volet classé de la procédure dans la mesure où A_____ a confirmé qu'il n'avait pas convenu avec son conseil d'augmenter le tarif horaire de 400.- à 450.-. A cet égard, si la jurisprudence fixe la limite supérieure de ce tarif à CHF 450.-, c'est bien le tarif effectivement convenu et appliqué qui doit être retenu. La TVA sera ajoutée.

A_____ sera ainsi débouté de ses conclusions pour le surplus, par identité de motifs avec ceux retenus par la Chambre pénale de recours.

 

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DE POLICE

statuant contradictoirement:

Acquitte A_____ de violation du secret de fonction (art. 320 ch. 1 CP).

Condamne l'Etat de Genève à verser CHF 12'277.80 à A_____, à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (art. 429 al. 1 let. a CPP).

Condamne l'Etat de Genève à verser CHF 2'200.- à A_____, à titre d'indemnité pour la réparation du tort moral subi (art. 429 al. 1 let. c CPP).

Rejette les conclusions en indemnisation de A_____ pour le surplus (art. 429 CPP).

Ordonne la restitution à A_____ des documents figurant sous chiffre 5 de l'inventaire no 3 (C-151) et sous chiffres 2 à 4 de l'inventaire no 4 (C-152) du 13 décembre 2019 (art. 267 al. 3 CPP).

Laisse les frais de la procédure à la charge de l'Etat (art. 423 al. 1 CPP).

Ordonne la communication du présent jugement aux autorités suivantes : Casier judiciaire suisse, Service des contraventions (art. 81 al. 4 let. f CPP).

Informe les parties que, dans l'hypothèse où elles forment un recours à l'encontre du présent jugement ou en demandent la motivation écrite dans les dix jours qui suivent la notification du dispositif (art. 82 al. 2 CPP), l'émolument de jugement fixé sera en principe triplé, conformément à l'art. 9 al. 2 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale (RTFMP; E 4.10.03).

 

La Greffière

Karin CURTIN

La Présidente

Sabina MASCOTTO

 

Voies de recours

Les parties peuvent annoncer un appel contre le présent jugement, oralement pour mention au procès-verbal, ou par écrit au Tribunal pénal, rue des Chaudronniers 9, case postale 3715, CH-1211 Genève 3, dans le délai de 10 jours à compter de la communication du dispositif écrit du jugement (art. 398, 399 al. 1 et 384 let. a CPP).

Selon l'art. 399 al. 3 et 4 CPP, la partie qui annonce un appel adresse une déclaration écrite respectant les conditions légales à la Chambre pénale d'appel et de révision, Place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, CH-1211 Genève 3, dans les 20 jours à compter de la notification du jugement motivé.

Si le défenseur d'office ou le conseil juridique gratuit conteste également son indemnisation, il peut interjeter recours, écrit et motivé, dans le délai de 10 jours dès la notification du jugement motivé, à la Chambre pénale d'appel et de révision contre la décision fixant son indemnité (art. 396 al. 1 CPP).

L'appel ou le recours doit être remis au plus tard le dernier jour du délai à la juridiction compétente, à la Poste suisse, à une représentation consulaire ou diplomatique suisse ou, s'agissant de personnes détenues, à la direction de l'établissement carcéral (art. 91 al. 2 CPP).

 

Etat de frais

Frais du Ministère public

CHF

6585.00

Convocations devant le Tribunal

CHF

45.00

Frais postaux (convocation)

CHF

14.00

Emolument de jugement

CHF

800.00

Etat de frais

CHF

50.00

Total

CHF

7'494.00 à la charge de l'Etat

==========

 

Notification postale à A_____, soit pour lui à son conseil

Notification postale au Ministère public