Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites
DCSO/580/2024 du 28.11.2024 ( PLAINT ) , ADMIS
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE A/3519/2023-CS DCSO/580/24 DECISION DE LA COUR DE JUSTICE Chambre de surveillance DU JEUDI 28 NOVEMBRE 2024 |
Plainte 17 LP (A/3519/2023-CS) formée en date du 26 octobre 2023 par A______ SA, représentée par Me Cyrus SIASSI, avocat.
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Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du 28 novembre 2024 à :
- A______ SA
c/o Me ZELLWEGER Christophe
Zellweger & Associés
Rue de la Fontaine 9
Case postale 3781
1211 Genève 3.
- B______ LTD
c/o Me TROLLER Alexander
Lalive SA
Rue de la Mairie 35
Case postale 6569
1211 Genève 6.
- Office cantonal des poursuites.
A. a. A______ SA est une société anonyme ayant son siège rue 1______ no. ______, [code postal] Genève. Elle a pour administrateur unique C______.
b. Le 1er septembre 2023, B______ LTD a requis la poursuite de A______ SA, en paiement d'une créance nominale de 227'469 fr. 83, plus intérêts à 12% dès le 8 juin 2023.
c. Le 5 septembre 2023, l'Office cantonal des poursuites (ci-après: l'Office) a établi un commandement de payer, poursuite n° 2______, qui reprend les indications figurant dans la réquisition de poursuite.
d. Le 28 septembre 2023, le commandement de payer a été notifié à A______ SA, en mains de D______, désignée comme étant une employée de la débitrice. Sur l'exemplaire pour le débiteur du commandement de payer, figure une étiquette avec l'indication "A______ SA, rue 3______ no. ______, [code postal] Genève".
L'Office n'a enregistré aucune opposition à la poursuite, dans le délai de dix jours dès sa notification.
e. Le 16 octobre 2023, C______, en sa qualité de représentant de A______ SA, a formé opposition à la poursuite.
f. Par décision du 17 octobre 2023, l'Office a refusé de tenir compte de l'opposition, au motif qu'elle était tardive, le délai d'opposition étant arrivé à échéance le 9 octobre 2023.
g. B______ LTD ayant requis la continuation de la poursuite, l'Office a notifié à A______ SA, le 27 novembre 2023, une commination de faillite, remise à C______, fondé de procuration. Sur l'exemplaire pour le débiteur de la commination de faillite, figure l'indication "A______ SA, rue 3______ no. ______, [code postal] Genève".
B. a. Par acte du 26 octobre 2023, A______ SA a formé plainte auprès de la Chambre de surveillance contre la décision de rejet d'opposition du 17 octobre 2023 dans la poursuite n° 2______, qu'elle a reçue le 23 octobre 2023. C______ était la seule personne habilitée à représenter la société débitrice. Or, il était absent de Genève au moment de la notification du commandement de payer.
b. Dans sa détermination du 6 novembre 2023, B______ LTD a exposé que la notification d'un commandement de payer à une personne morale obéissait aux règles de l'art. 65 LP. En cas d'absence d'un représentant de la société dans les locaux de celle-ci (art. 65 al. 1 LP), l'acte de poursuite pouvait être notifié à un autre fonctionnaire ou employé (art. 65 al. 2 LP). Dans le cas d'espèce, le commandement de payer avait été notifié à une employée de la société, dans les bureaux de celle-ci, ce qui était correct. La notification n'était donc pas viciée et l'opposition était par conséquent tardive.
c. Dans son rapport, l'Office a conclu au rejet de la plainte. La notification était correctement intervenue en mains d'une employée de la société poursuivie, alors que l'administrateur unique était absent.
d. Par courriers des 28 février et 8 mars 2024, A______ SA a en substance fait valoir que D______, qui était domiciliée rue 3______ no. ______, [code postal] Genève, n'était pas l'une de ses employées.
e.a. A l'audience du 24 avril 2024, C______ a exposé que le bureau de A______ SA se trouvait à la rue 3______ no. ______. Il avait donné pour instruction à la poste de rediriger à la rue 3______ le courrier adressé à la rue 1______. La société n'avait pas d'employés et il travaillait seul depuis un an. Il connaissait D______, qui vivait dans le même immeuble, au 2ème étage, alors que le bureau de la société se trouvait au 4ème étage. Elle avait accès à la clé du bureau, qui se trouvait dans un boîtier sur la porte d'entrée, sécurisé par un code dont elle avait le numéro. Elle passait parfois faire des photocopies ou scanner des documents. C'était un arrangement qui avait été convenu avec un ancien employé de la société. Au moment de la remise du commandement de payer à D______, il était absent de Genève, et ce jusqu'au 14 ou 15 octobre 2023. Il avait pris connaissance du commandement de payer à son retour.
e.b. D______, entendue comme témoin en présence d'un traducteur de langue anglaise, a indiqué qu'elle n'avait jamais travaillé pour A______ SA. Elle était une amie d'un ancien employé de la société. Elle se trouvait dans le bureau de la société pour faire des photocopies lorsqu'elle avait entendu sonner à la porte. L'agent postal lui avait demandé s'il s'agissait bien des locaux de A______ SA et elle avait répondu par l'affirmative. Elle avait indiqué son nom mais pas qu'elle travaillait pour la société. De mémoire, elle avait ensuite appelé son ami pour lui dire qu'elle avait laissé le document sur la machine à photocopier. L'agent postal ne parlait pas anglais.
f. Dans sa détermination du 17 mai 2024, A______ SA a persisté dans ses conclusions, observant que la notification du commandement de payer était viciée et que la société s'y était opposée en temps utile le 16 octobre 2023.
g. B______ LTD a conclu au rejet de la plainte.
1. Déposée en temps utile (art. 17 al. 2 LP) et dans les formes prévues par la loi (art. 9 al. 1 et 2 LALP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicables par renvoi de l'art. 9 al. 4 LALP), auprès de l'autorité compétente pour en connaître (art. 6 al. 1 et 3 LALP; art. 17 al. 1 LP), à l'encontre d'une mesure de l'Office pouvant être attaquée par cette voie (art. 17 al. 1 LP) et par une partie potentiellement lésée dans ses intérêts (ATF 138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3), la plainte est recevable contre la décision de rejet de l'opposition formée au commandement de payer.
La plaignante n'était pas contrainte de former opposition et de déposer simultanément une plainte contre la notification viciée (ATF 104 III 12 consid. 2 in JdT 1979 II 123; Neuenschwander, Opposition au commandement de payer tardive ou non enregistrée à l’office des poursuites: Demande de restitution du délai ou plainte LP ?, BlSchK 2017 p. 177, 181-182). En effet, si l’office des poursuites refuse de prendre en compte l’opposition du débiteur au motif qu’elle est tardive, alors une plainte pourra être déposée afin de faire constater par l’autorité de surveillance que l’opposition a été faite dans le délai légal, compte tenu de la notification irrégulière du commandement de payer (Neuenschwander, op. cit., BlSchK 2017 p. 177, 182).
2. 2.1.1 Un commandement de payer est un acte de poursuite qui doit faire l'objet d'une communication revêtant la forme qualifiée de la notification (art. 72 LP). Cette notification consiste en la remise de l'acte en mains du poursuivi ou, en l'absence de ce dernier, en mains d'une personne de remplacement désignée par la loi et aux lieux prévus par la loi (art. 64, 65 et 66 al. 1 à 3 LP). La notification est opérée par le préposé ou un employé de l'Office ou par la Poste (art. 72 al. 1 LP); dans cette dernière hypothèse, l'employé postal agit en qualité d'auxiliaire de l'Office, auquel ses actes sont imputables (ATF 119 III 8 cons. 3b). La notification d'un commandement de payer fait courir le délai de dix jours pour y former opposition (art. 74 al. 1 LP).
L'art. 65 LP dresse une liste des personnes qui sont réputées être les destinataires directs autorisés à recevoir des actes de poursuite dirigés contre les personnes morales ou les sociétés. Le but de cette disposition est, compte tenu des lourdes conséquences attachées à la notification d'un acte de poursuite, de garantir une notification effective à l'un ou l'autre des représentants autorisés afin qu'il puisse, par exemple pour le commandement de payer, examiner l'opportunité d'y former opposition en pleine connaissance de cause (ATF 118 III 10 consid. 3a, JdT 1994 II 119; 117 III 10 consid. 5a; 116 III 8 consid. 1b).
S'agissant des sociétés anonymes, l'art. 65 al. 1 ch. 2 LP prescrit que les actes de poursuite doivent être notifiés à leur représentant, c'est-à-dire à un membre de l'administration, à un directeur ou à un fondé de procuration. Est déterminant à cet égard le fait que le représentant soit inscrit ès qualités au registre du commerce, sans qu'il soit nécessaire qu'il dispose d'un pouvoir de signature individuel (Jaques, De la notification des actes de poursuite, in BlSchK 2011 pp. 177 ss., § 4.3).
A titre subsidiaire, soit lorsqu'aucun représentant de la personne morale au sens de l'art. 65 al. 1 LP ne peut être trouvé dans les bureaux de celle-ci, l'agent notificateur peut notifier l'acte de poursuite à un employé de la poursuivie ou de la société domiciliaire qui l'héberge (art. 65 al. 2 LP; Jaques, op. cit., in BlSchK, 2011, pp. 177 ss., pp. 185-186, § 5.2 et les références citées; ATF 117 III 10 consid. 5a; 96 III 4 consid. 1). Par bureaux au sens de cette disposition, il faut entendre l'endroit où à tout le moins un représentant autorisé de la société accomplit régulièrement ses tâches pour le compte de la personne morale (ATF 88 III 12 consid. 2).
C'est à l'Office qu'incombe le fardeau de la preuve de la notification régulière de l'acte, et en particulier, dans le cas d'une notification à une personne de remplacement au sens de l'art. 65 al. 2 LP, de l'échec de la tentative de notification à un représentant au sens de l'art. 65 al. 1 ch. 2 LP (ATF 117 III 10 consid. 5d).
2.1.2 Un vice affectant la procédure de notification entraîne la nullité de cette dernière si l'acte notifié n'est pas parvenu à la connaissance du débiteur (ATF 110 III 9 consid. 2). Si en revanche, malgré ce vice, le débiteur a connaissance de l'acte notifié ou de son contenu essentiel, la notification n'est qu'annulable (ATF 128 III 101 consid. 2). Le délai pour former une plainte (art. 17 al. 2 LP), comme celui pour former opposition si l'acte notifié était un commandement de payer, commence alors à courir au moment de cette prise de connaissance (ATF 128 III 101 consid. 2).
2.2 En l'espèce, le commandement de payer, poursuite n° 2______, a été distribué dans les locaux utilisés par la société en mains de D______. Il ressort des déclarations de cette dernière, entendue comme témoin dans la procédure, et des explications de la plaignante, que D______ n'est pas une représentante de la société inscrite au registre du commerce, ni une employée de la société, ni même une personne au bénéfice d'une procuration l'autorisant à retirer les envois recommandés (en particulier les actes de poursuite) destinés à la plaignante. Le commandement de payer n'a donc pas été notifié dans les bureaux de la poursuivie à une personne de substitution désignée par la loi. En d'autres termes, l'acte a été remis à une personne non habilitée à recevoir un commandement de payer dirigé contre la plaignante. La notification du 28 septembre 2023 n'a donc pas été accomplie conformément à l'art. 65 LP et est donc viciée.
L'administrateur de la plaignante a déclaré en audience qu'il était absent de Genève jusqu'au 14 ou 15 octobre 2023 et qu'il aurait pris connaissance du commandement de payer à son retour à Genève. Quand bien même les explications de la plaignante sur les circonstances exactes de cette réception ne sont pas précises et documentées, force est de constater qu'aucun élément du dossier ne permet de situer la prise connaissance du commandement de payer à une date antérieure au 14 octobre 2023, étant précisé qu'en tout état, la preuve d'une éventuelle prise de connaissance de l'acte avant cette date incombait à l'Office.
Par conséquent, en admettant que le délai d'opposition de l'art. 74 al. 1 LP a commencé à courir le 14 octobre 2023, force est de constater qu'il n'avait pas expiré au moment où la plaignante a transmis sa déclaration d'opposition à l'Office. Aussi, la décision attaquée, qui s'avère mal fondée, sera annulée et il sera ordonné à l'Office d'enregistrer l'opposition formée à la poursuite n° 2______ et de remettre à la poursuivante un exemplaire de l'acte faisant état de cette opposition (art. 76 al. 1 et 2 LP).
La nullité des mesures entreprises par l'Office en continuation de la poursuite n° 2______, en particulier la commination de faillite notifiée le 27 novembre 2023, sera par ailleurs constatée (cf. ATF 130 III 657 consid. 2.2.2; 109 III 53 consid. 2b).
3. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et ne donne pas lieu à l'allocation de dépens (art. 62 al. 2 OELP).
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La Chambre de surveillance :
A la forme :
Déclare recevable la plainte formée le 26 octobre 2023 par A______ SA contre la décision de l'Office cantonal des poursuites du 17 octobre 2023 refusant d'enregistrer l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 2______.
Au fond :
Annule cette décision.
Ordonne à l'Office cantonal des poursuites d'enregistrer l'opposition formée le 16 octobre 2023 par A______ SA à la poursuite n° 2______ et de remettre à B______ LTD un exemplaire rectifié du commandement de payer faisant état de cette opposition.
Constate la nullité de la commination de faillite notifiée à A______ SA le 27 novembre 2023 dans la poursuite n° 2______, ainsi que de toute autre éventuelle mesure diligentée par l'Office en continuation de cette poursuite.
Siégeant :
Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, présidente; Madame Ekaterine BLINOVA et Monsieur Denis KELLER, juges assesseurs; Madame Véronique AMAUDRY-PISCETTA, greffière.
La présidente : La greffière :
Verena PEDRAZZINI RIZZI Véronique AMAUDRY-PISCETTA
Voie de recours :
Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.