Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites
DCSO/467/2024 du 07.10.2024 ( PLAINT ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE A/3212/2024-CS DCSO/467/24 DECISION DE LA COUR DE JUSTICE Chambre de surveillance DU LUNDI 7 OCTOBRE 2024 |
Plainte 17 LP (A/3212/2024-CS) formée en date du 30 septembre 2024 par A______ SA, représentée par Me Patrick MOUTTET, avocat.
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Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du 7 octobre 2024
à :
- A______ SA
c/o Me MOUTTET Patrick
ATHENA Avocats
Boulevard des Tranchées 16
1206 Genève.
- CAISSE DE COMPENSATION B______
c/o Me MOTTARD Jacqueline
Kooger & Mottard
Rue Pedro-Meylan 1
Case postale 6203
1211 Genève 6.
- Office cantonal des poursuites.
A. a. A______ SA, société anonyme ayant son siège à Genève et active en qualité d'entrepreneur général, est débitrice d'arriérés impayés de cotisations envers CAISSE DE COMPENSATION C______, CAISSE DE COMPENSATION D______, CAISSE PARITAIRE DE PREVOYANCE E______, FONDATION F______, CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES E______ et COMMISSION PARITAIRE G______ (ci-après : les CAISSES).
Pour les mois de décembre 2023 à mars 2024, l'arriéré s'élève à 228'406 fr. 05 et porte essentiellement sur des cotisations AVS/AI/APG, assurance-chômage (AC), assurance-maternité, allocations familiales, prévoyance professionnelle, contributions paritaires aux commissions paritaires et contributions à la formation professionnelle.
b. Les CAISSES ont entrepris diverses poursuites ordinaires en mars et mai 2024 pour les décomptes mensuels de cotisations et contributions des mois de décembre 2023, janvier et février 2024. Pour chaque décompte mensuel, deux poursuites ont été intentées, la première visant les cotisations AVS/AI/APG/AC, la seconde visant les autres cotisations et contributions "conventionnelles".
La poursuite visant les cotisations AVS/AI/APG/AC de décembre 2023 est parvenue au stade de l'avis de saisie le 2 juillet 2024.
c. Les CAISSES et A______ SA ont conclu le 6 juin 2024 une convention de paiement portant sur les arriérés susmentionnés.
A______ SA s'engageait à les régler à raison d'acomptes mensuels entre juin 2024 et mai 2025, en sus des cotisations courantes.
La convention contenait une clause d'exigibilité prévoyant qu'un retard de plus de 5 jours dans le paiement des acomptes entraînerait l'exigibilité immédiate de l'intégralité du solde encore dû ainsi que des intérêts moratoires, frais de sommation et honoraires.
A______ SA s'est également engagée à signer un billet à ordre de 228'000 fr. valable jusqu'au 10 juillet 2025, ce qu'elle a fait le 6 juin 2024.
d. Les CAISSES ont requis la poursuite pour effets de change de A______ SA pour le montant de 228'000 fr. plus intérêts à 6 % l'an dès le 6 juin 2024, plus frais de protêt en 408 fr. 85 et d'une commission d'un tiers pourcent au sens de l'art. 1045 al. 1 ch. 4 CO en 760 fr.
e. L'Office cantonal des poursuites (ci-après l'Office) a établi le 24 septembre 2024 un commandement de payer, poursuite pour effets de change n° 1______, qui a été notifié à A______ SA le 25 septembre 2024.
B. a. Par acte enregistré dans le système MyPost 24 le 30 septembre 2024, A______ SA a formé une plainte auprès de la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et faillites (ci-après la Chambre de surveillance) contre la notification de ce commandement de payer et conclu à l'annulation de la poursuite n° 1______ au motif que la poursuite pour effets de change n'était pas ouverte en l'occurrence. Elle concluait préalablement à l'octroi de l'effet suspensif.
1. 1.1 Une plainte manifestement mal fondée ou irrecevable peut être écartée sans instruction préalable par une décision sommairement motivée (art. 72 LPA, applicable par renvoi de l'article 9 al. 4 LaLP).
En l'occurrence, la Chambre de surveillance rendra une décision sans instruction compte tenu de l'issue certaine de la plainte au vu des faits allégués et des griefs exposés.
1.2 En matière de poursuite pour effets de change, l'autorité de surveillance est tenue de statuer dans les 5 jours (art. 20 LP).
2. Déposée dans le délai utile de 5 jours (art. 17 al. 2 et 20 LP) et dans les formes prévues par la loi (art. 9 al. 1 et 2 LALP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicables par renvoi de l'art. 9 al. 4 LALP), auprès de l'autorité compétente pour en connaître (art. 6 al. 1 et 3 LALP; art. 17 al. 1 LP), à l'encontre d'une mesure de l'Office pouvant être attaquée par cette voie (art. 17 al. 1 LP) et par une partie potentiellement lésée dans ses intérêts (ATF 138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3), la plainte est recevable.
3. La plaignante conteste que la voie de la poursuite pour effets de change soit ouverte en l'occurrence, la créance en poursuite étant partiellement constituée de créances de droit public n'autorisant que la poursuite par voie de saisie (art. 43 LP).
3.1 A teneur de l'art. 177 LP, le créancier qui agit en vertu d'un effet de change ou d'un chèque peut requérir la poursuite pour effets de change, lorsque le débiteur est sujet à la poursuite par voie de faillite.
Saisi d'une réquisition de poursuite pour effets de change, l'Office doit, avant d'établir puis de notifier le commandement de payer, vérifier que les conditions d'une telle poursuite apparaissent prima facie réunies (art. 178 al. 1 LP). Cet examen porte sur les conditions relevant du droit de la poursuite, en particulier celui de savoir si le débiteur est ou non soumis à la poursuite par voie de faillite, ainsi que sur les légitimations formelles du créancier et du débiteur, mais non sur les questions de droit matériel (Dallèves, Commentaire Romand, Poursuite et faillite, 2005, n° 2 et 4 ad art. 178 LP).
Une poursuite pour effets de change dirigée contre une personne non soumise à la poursuite par voie de faillite est nulle (Talbot, Kommentar zum SchKG, 2017, Kren Kostkiewicz, Vock [éd.], n° 6 ad art. 177 LP).
Le critère pour savoir si un débiteur est soumis à l'exécution forcée par la voie de la faillite au sens de l'art. 177 LP est celui de son inscription au Registre du commerce prévu par l'art. 39 LP (Dallèves, op. cit., n° 13 ad art. 177 LP).
En matière de droit cambiaire, les effets de change doivent revêtir une forme stricte d'où il résulte l'apparence d'un droit à laquelle un porteur peut se fier; ils incorporent une créance abstraite qui se superpose aux rapports de droit matériel établis entre les parties (Dallèves, op. cit., n° 1 ad art. 177 LP). Quiconque se prétend titulaire d'une créance abstraite exigible incorporée dans un effet de change et détient le titre peut requérir une poursuite pour effets de change contre le débiteur cambiaire (Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, n° 6 ad art. 177 LP).
En tant que reconnaissance de dette au sens de l'art. 17 CO, le billet à ordre incorpore avant tout un engagement inconditionnel et irrévocable de payer au créancier une somme déterminée, sans énoncer la cause de l'obligation. La reconnaissance de dette n'est pas abstraite dans le sens où elle serait détachée de la relation juridique lui servant de fondement, mais seulement d'un point de vue formel et strictement documentaire, son caractère abstrait s'épuisant dans le renversement du fardeau de la preuve, obligeant le débiteur à rapporter la preuve de l'inexistence de la dette reconnue. Le billet à ordre se distingue d'une simple reconnaissance de dette dans la manière dont la dette qu'il incorpore peut être recouvrée. Ainsi, en vertu de l'art. 177 LP, le créancier qui agit en vertu d'un billet à ordre peut requérir la poursuite pour effets de change, lorsque le débiteur est sujet à la poursuite par voie de faillite (ATF 142 IV 119 consid. 2.3).
La créance pour laquelle la poursuite pour effets de change est exercée est fondée sur la lettre de change, respectivement le billet à ordre. Il s’agit de la créance dérivant du titre lui-même et non de la créance dérivant du rapport de base. Dans le cadre d'une poursuite pour effets de change, il faut examiner le rapport de base car si la loi exclut la poursuite par voie de faillite pour la créance du rapport de base, il en va de même pour la créance résultant de la lettre de change, respectivement du billet à ordre. À cet égard, il y a une exception à l’abstraction de la créance résultant de la lettre de change, respectivement du billet à ordre. Aucune poursuite pour effets de change ne peut donc être intentée pour une créance de droit public, notamment fiscale, même si le débiteur a émis un billet à ordre à l’intention de l’autorité fiscale (art. 43 LP). Pour les cotisations AVS/AI/APG/AC, des exceptions sont toutefois prévues à l'application de l'art. 43 LP aux art. 15 al. 2 LAVS, 3 al. 2 LAI, 27 al. 3 LAPG et 6 LACI, qui prévoient que les cotisations sont "en règle générale" recouvrées par la voie de la saisie, réservant ainsi des dérogations. Une telle dérogation est réalisée lorsque la caisse de compensation se fait remettre un effet de change (Bauer, Basler Kommentar, Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, 2021, n° 25 ad art. 177 LP et les références citées, soit autorité de surveillance de Genève, in SJZ 1927/28, 329 n° 289 et autorité de surveillance de Berne, in BlSchK 1957, 104 ss).
3.2 En l'espèce, l'objection à la poursuite pour effets de change émise par la plaignante ne saurait donc être retenue, les cotisations AVS/AI/APG/AC n'étant pas obligatoirement soustraites à la voie de la faillite par l'application de l'art. 43 LP. Le fait qu'elle a souscrit un billet à ordre en faveur des CAISSES implique qu'elle a renoncé à cette règle conformément aux principes rappelés ci-dessus. La plainte est par conséquent infondée et sera rejetée.
La Chambre de céans observe de surcroît que l'art. 43 LP vit ses derniers mois puisqu'il a été abrogé avec effet au 31 décembre 2024. Aussi, même si la Chambre était parvenue à une solution inverse dans la présente décision, une poursuite pour effets de change aurait pu être intentée dès le 1er janvier 2025 sur la base du billet à ordre du 6 juin 2024 qui est présentable jusqu'au 10 juillet 2025.
4. La procédure de plainte ayant été d'emblée purgée, la requête d'effet suspensif est devenue sans objet.
5. La procédure devant l'autorité de surveillance est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP; art. 61 al. 2 let. a OELP) et ne donne pas lieu à l'allocation de dépens (art. 62 al. 2 OELP).
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PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :
A la forme :
Déclare recevable la plainte du 30 septembre 2024 de A______ SA contre la poursuite pour effets de change n° 1______.
Au fond :
La rejette.
Siégeant :
Monsieur Jean REYMOND, président; Madame Ekaterine BLINOVA et Monsieur Anthony HUGUENIN, juges assesseurs; Madame Elise CAIRUS, greffière.
Le président : Jean REYMOND |
| La greffière : Elise CAIRUS |
Voie de recours :
Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.