Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites
DCSO/447/2024 du 19.09.2024 ( PLAINT ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE A/1786/2024-CS DCSO/447/24 DECISION DE LA COUR DE JUSTICE Chambre de surveillance DU JEUDI 19 SEPTEMBRE 2024 |
Plainte 17 LP (A/1786/2024-CS) formée en date du 24 mai 2024 par A______ SARL, représenté par Me Rayan Houdrouge, avocat.
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Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du ______ à :
- A______ SARL
c/o Me HOUDROUGE Rayan
Walder Wyss
Rue du Rhône 14
Case postale
1211 Genève 3.
- B______
______
______ [VD].
- Office cantonal des poursuites.
A. a. B______ a travaillé pour A______ SA en Belgique de mai 2012 à octobre 2015.
b. Après son retour en Suisse, elle a régulièrement entrepris des démarches en vue d'être engagée par A______ SARL en Suisse.
c. En juillet 2022, elle a assigné cette dernière par devant la juridiction des prud'hommes en paiement de 2'851'147 fr. 83 à titre de prétentions salariales pour les années 2016 à 2043.
Sa demande a été déclarée irrecevable par le Tribunal des prud'hommes le 17 mai 2023 en raison de sa non-conformité aux exigences formelles de procédure civile.
Dans le cadre de cette procédure, B______ a recouru auprès de la Chambre d'appel des prud'hommes contre l'ordonnance du Tribunal du 21 juillet 2022 l'invitant à déposer une demande en justice conforme, puis auprès du Tribunal fédéral contre les deux ordonnances d'avance de frais de la Chambre d'appel des prud'hommes et contre l'arrêt d'irrecevabilité du recours pour non versement de l'avance requise. Elle n'a en revanche pas contesté la décision prononçant l'irrecevabilité de sa demande.
B. a. Le 9 avril 2024, B______ a engagé une poursuite à l'encontre de A______ SARL pour la somme de 2'851'147 fr.
Dans la rubrique "titre et date de la créance", la poursuivante a indiqué : "Dédommagement salarial pour la période 2016-2044, 2'851'147.83 CHF; dommages et intérêts pour tort moral et professionnel, sabotage et injures verbales; dont la valeur estimée est de 51'147 CHF brut 2016-2044; perte de bonus annuel 5'000 CHF brut/an x 28 = 140'000 CHF brut 2016-2044; perte de salaire annuel sur base de salaire contractuel équivalent; 95'000 CHF brut/an x 28 = 2'660'000 CHF brut 20166-2044; documents manquants = 0 CHF".
b. Le commandement de payer, poursuite n° 1______, a été notifié le 14 mai 2024 à A______ SARL, qui y a formé opposition.
B. a. Par acte expédié le 24 mai 2024, A______ SARL a formé une plainte au sens de l'art. 17 LP auprès de la Chambre de surveillance contre ce commandement de payer, concluant à la constatation de la nullité de ce commandement de payer, subsidiairement à son annulation.
Elle expose que la poursuivante cherche depuis 2017 à obtenir un poste de travail au sein de A______ SARL et que face au refus de cette dernière, la poursuivante multiplie les démarches judiciaires pour des sommes exorbitantes et infondées. La plaignante sollicite ainsi la constatation de la nullité, respectivement l'annulation du commandement de payer, qui consiste en un nouveau procédé abusif par lequel la poursuivante cherche à lui porter préjudice.
b. Par pli expédié le 31 mai 2024, B______ a retourné à la Chambre de surveillance le courrier que celle-ci lui a adressé le 29 mai 2024 pour lui transmettre la plainte de A______ SARL et lui fixer un délai pour se déterminer.
c. Dans son rapport du 14 juin 2024, l'Office s'en est rapporté à justice, indiquant qu'il n'était en l'état de la procédure pas en mesure de se déterminer sur le caractère abusif de la poursuite litigieuse.
d. Les parties ont été informées que la cause était gardée à juger par avis du 18 juin 2024.
1. La plainte est recevable pour avoir été déposée auprès de l'autorité compétente (art. 17 al. 1 LP; 6 al. 1 et 3 LaLP), par une partie lésée dans ses intérêts (ATF 138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3), dans le délai utile de dix jours (art. 17 al. 2 LP) et selon la forme prescrite par la loi (art. 9 al. 1 et 2 LaLP, 65 al. 1 et 2 LPA, applicables par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), à l'encontre d'une mesure de l'Office – en l'espèce la notification d'un commandement de payer – sujette à plainte.
2. 2.1 Sont nulles les poursuites introduites en violation du principe de l'interdiction de l'abus de droit, tel qu'il résulte de l'art. 2 al. 2 CC (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1). La nullité doit être constatée en tout temps et indépendamment de toute plainte par l'autorité de surveillance (art. 22 al. 1 LP).
La nullité d'une poursuite pour abus de droit (art. 2 al. 2 CC) ne peut être admise par les autorités de surveillance que dans des cas exceptionnels, notamment lorsqu'il est manifeste que le poursuivant agit dans un but n'ayant pas le moindre rapport avec la procédure de poursuite ou pour tourmenter délibérément le poursuivi; une telle éventualité est, par exemple, réalisée lorsque le poursuivant fait notifier plusieurs commandements de payer fondés sur la même cause et pour des sommes importantes, sans jamais requérir la mainlevée de l'opposition, ni la reconnaissance judiciaire de sa prétention, lorsqu'il procède par voie de poursuite contre une personne dans l'unique but de détruire sa bonne réputation, lorsqu'il reconnaît, devant l'office des poursuites ou le poursuivi lui-même, qu'il n'agit pas envers le véritable débiteur ou lorsqu'il un montant totalement surfait est mis en poursuite à des fins de harcèlement (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1; 115 III 18 consid. 3b; arrêts 5A_1020/2018 du 11 février 2019; 5A_317/2015 du 13 octobre 2015 consid. 2.1, in Pra 2016 p. 53 n° 7; 5A_218/2015 du 30 novembre 2015 consid. 3).
La procédure de plainte des art. 17 ss LP ne permet en revanche pas d'obtenir l'annulation de la poursuite lorsque l'abus de droit est invoqué à l'encontre de la réclamation litigieuse, la décision à ce sujet étant réservée au juge ordinaire. En effet, c'est une particularité du droit suisse que de permettre l'introduction d'une poursuite sans devoir prouver l'existence de la créance; le titre exécutoire n'est pas la créance elle-même ni le titre qui l'incorpore éventuellement, mais seulement le commandement de payer passé en force (ATF 113 III 2 consid. 2b; cf. ég., parmi plusieurs: arrêts 5A_838/2016 du 13 mars 2017 consid. 2.1).
L'abus de droit ne peut être sanctionné que s'il est «manifeste» (art. 2 al. 2 CC); partant, un tel moyen doit être admis avec retenue (ATF 144 III 407 consid. 4.2.3).
2.2 En l'espèce, la plaignante se prévaut de la nullité de la poursuite intentée à son encontre, arguant de ce que l'intimée cherche à lui porter préjudice en multipliant les démarches judiciaires pour des montants exorbitants et infondés.
Il ressort des pièces au dossier que l'intimée a, avec beaucoup d'insistance, demandé à être engagée par la société plaignante et qu'elle a par la suite entrepris différentes démarches judiciaires en vue d'obtenir des montants qu'elle estime lui être dus en lien avec un poste de travail auquel elle estime avoir droit jusqu'en 2043. Elle a ensuite, après que sa demande en paiement déposée devant la juridiction des prud'hommes a été déclarée irrecevable le 17 mai 2023, engagée la poursuite litigieuse contre la plaignante le 9 avril 2024. Ces éléments font certes ressortir que l'intimée fait valoir des prétentions dont le fondement est difficile à cerner; il n'appartient toutefois pas aux offices des poursuites, ni aux autorités de surveillance de se prononcer sur le bien-fondé matériel de la créance déduite en poursuite, qui relève exclusivement de la compétence du juge ordinaire.
Les démarches entreprises par l'intimée contre la plaignante, soit le dépôt d'une action au fond devant la juridiction des prud'hommes puis, dans un second temps, la réquisition d'une poursuite, apparaissent s'inscrire dans une logique tendant à l'obtention des prétentions qu'elle estime avoir envers la plaignante. Aucun élément ne permet, à ce stade, de retenir que la poursuite qu'elle a engagée à l'encontre de la poursuite poursuivrait un objectif autre que celui d'obtenir les sommes qu'elle considère lui être dues : il s'agit en effet de la première poursuite qu'elle a engagée contre la plaignante, et les montants mis en poursuite, certes importants, présentent néanmoins une certaine cohérence avec les sommes qu'elle a réclamées dans sa demande déposée au Tribunal des prud'hommes. Ces circonstances ne permettent pas, en l'état, de retenir que l'intimée a commis un abus de droit manifeste en engageant une poursuite contre la plaignante, étant ici relevé qu'il en irait vraisemblablement différemment si l'intimée devait multiplier ses réquisitions de poursuite sans procéder au préalable aux actes permettant la continuation de la poursuite.
Il s'ensuit que la poursuite engagée le 9 avril 2024 par l'intimée à l'encontre de la plaignante n'est pas nulle, ni ne doit être annulée.
La plainte doit en conséquence être rejetée.
3. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il n'est pas alloué de dépens (62 al. 2 OELP).
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PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :
A la forme :
Déclare recevable la plainte formée le 24 mai 2024 par A______ SARL contre le commandement de payer notifié le 14 mai 2024 dans la poursuite N° 1______.
Au fond :
La rejette.
Siégeant :
Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Messieurs Luca MINOTTI et Anthony HUGUENIN, juges assesseurs ; Madame Elise CAIRUS, greffière.
La présidente : Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI |
| La greffière : Elise CAIRUS |
Voie de recours :
Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.