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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/856/2025

JTAPI/264/2025 du 13.03.2025 ( MC ) , REJETE

Descripteurs : INTERDICTION DE QUITTER UNE RÉGION
Normes : LEI.74; LaLEtr.8
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/856/2025 MC

JTAPI/264/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 13 mars 2025

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Dina BAZARBACHI, avocate

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 

 


EN FAIT

1.             Monsieur A______, soi-disant né le ______ 1986 et prétendument originaire de Guinée est connu des autorités helvétiques sous de multiples alias, notamment A______, né le ______ 1986, originaire de Côte d'Ivoire; B______, né le ______ 1990, originaire de Guinée. Il demeure illégalement en Suisse depuis l'année 2009.

2.             En 2013 et 2014, l'intéressé a été refoulé de Suisse à destination de l'Autriche, vu que sa demande d'asile dans l'espace Dublin-Schengen avait été rejetée par ce dernier pays et que celui-ci avait accepté sa reprise.

3.             En 2020, les autorités suisses n'ont pas pu respecter le délai pour le transfert de l'intéressé en Autriche une troisième fois, en raison de son incarcération de plus de 12 mois. La compétence pour le traitement administratif de M. A______ dans l'espace Dublin-Schengen est ainsi passée à la Suisse.

4.             Le 20 avril 2021, l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a prononcé le renvoi de l'intéressé de Suisse. Le 7 juin 2021, le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) ayant déclaré le recours de M. A______ contre cette décision irrecevable (JTAPI/573/2021) cette dernière est entrée en force.

5.             M. A______ étant démuni de documents d'identité, l'OCPM a requis, en 2021, le soutien administratif du secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) en vue de son identification par un État et l'émission d'un document de voyage temporaire (laissez-passer). Cette demande de soutien a été clôturée et initiée à plusieurs reprises depuis en fonction des disparitions de l'intéressé.

6.             Depuis 2019, M. A______ a fait l'objet de douze condamnations par les instances pénales genevoises pour, notamment, brigandage au sens de l'art. 140 ch. 1 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 al. 1 CP), rupture de ban (art 291 al. 1 CP), non-respect d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 119 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 - LEI - RS 142.20), délits et contraventions à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes - LStup - RS 812.121 - (art. 19 al. 1 et 19a LStup).

Il a également fait l’objet de deux expulsions judiciaires de Suisse prononcées par jugements du Tribunal de police le 24 janvier 2022 (durée : 5 ans, art. 66a bis CP) et le 25 juillet 2024 (durée : 7 ans, art. 66a CP).

7.             Le 30 novembre 2022, l'OCPM a décidé de ne pas reporter l'exécution de l'expulsion judiciaire de l'intéressé, laquelle décision a été confirmée le 6 avril 2023 par arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice.

8.             Le 4 juin 2024, l'intéressé a été incarcéré à la prison de Champ-Dollon en vue de purger diverses peines privatives de liberté.

9.             Entendu le 13 janvier 2025 par la brigade migration et retour, M. A______ a expliqué être venu en Suisse en 2019 pour se faire soigner car il avait de gros soucis médicaux (cirrhose du foie, une anomalie pulmonaire, une hépatite B) et voulait quitter la Suisse seulement si son état de santé le lui permettait. Son passeport et son acte de naissance de Côte d'Ivoire se trouvaient en France, à B______, chez une amie. Il pourrait présenter ces documents aux autorités helvétiques mais il n'avait plus de nouvelles de son amie. Il n'avait aucune autorisation de séjour dans un pays européen.

10.         Le 2 mars 2025, M. A______ a été libéré de la prison de Champ-Dollon et remis aux services de police.

11.         Le 2 mars 2025 toujours, à 13h58, le commissaire de police a prononcé à l’encontre de M. A______ une interdiction de quitter le territoire de la commune de C______, tel que délimité par le plan annexé à ladite décision, pour une durée de douze mois.

Cette décison précisait que les démarches en vue de l'indentification de l'intéressé se poursuivaient. Plus précisément, il devait être présenté à une délégation guinéenne attendue à D______ (BE) pendant le premier semestre de l'année 2025.

Elle précisait également que M. A______ était autorisé à se rendre dans d’autres lieux (médicaux, administratifs, judicaire) pour autant qu’il soit porteur d’une convocation écrite ou d’une carte de rendez-vous.

12.         Par courrier du même jour, l’OCPM a informé M. A______ de son obligation de se rendre une fois par mois, le premier vendredi du mois à 14h00 précises au C______.

13.         Par courrier déposé au greffe universel le 12 mars 2025, M. A______, sous la plume de son conseil, a fait opposition à cette décision.

14.         M. A______ a été dûment convoqué pour l’audience de ce jour devant le tribunal.

15.        Lors de l’audience de ce jour, M. A______ ne s'est ni présenté ni excusé.

Il a été représenté par son conseil, lequel a indiqué qu'il n'avait pas réussi à contacter son client entre hier soir et cet après-midi. Son client souffrait depuis des années d'une cirrhose du foie et souhaitait pouvoir se rendre aux HUG pour son suivi médical. Il n'avait aucun document médical à produire à l'audience : il pourrait les transmettre au tribunal à son retour à l'étude. Il confirmait que le suivi médical de son client était couvert par le point 5 de la décision querellée. Seule demeurait la question d'un accès en tout temps aux HUG. Il renonçait à plaider et confirmait simplement demander qu'un cheminement permettant à son client de se rendre aux HUG lui soit octroyé en tout temps.

Le représentant du commissaire de police a indiqué que M. A______ allait obtenir une place au foyer de C______. En cas d'urgence médicale, M. A______ pourrait se rendre dans une permanence à C______ et, si la situation le nécessitait, aux urgences des HUG. Il n'était pas possible de délivrer un sauf-conduit général pour permettre à M. A______ de se rendre en tout temps aux urgences des HUG. Il a demandé la confirmation de l’interdiction de quitter le territoire assigné prononcé à l’encontre de M. A______ le 2 mars 2025 pour une durée de douze mois.

Au terme de l'audience, le tribunal a accordé au conseil de l'intéressé un délai à ce jour 17h15 pour transmettre par courriel les pièces médicales relatives à ce dernier, lesquelles seraient transmises au représentant du commissaire de police, qui avait indiqué d'ores et déjà renoncer à se déterminer par écrit sur ces pièces.

16.        Par courriel de ce jour à 16h41, le conseil de M. A______ a transmis une copie d’un rapport établi par les HUG – dont le nom de l’unité était illisible - le 23 novembre 2022, indiquant notamment que M. A______ souffrait d’une cirrhose agressive et bénéficiait d’un suivi par son médecin traitant et un suivi par un spécialiste en hépatologie 2x/an : une consultation de suivi par l’hépatologue était prévue, sans précision de date.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner, sur opposition, la légalité et l’adéquation des interdictions de quitter un territoire assigné prononcées par le commissaire de police (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. a de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             L'opposition de M. A______ ayant été formée dans le délai de dix jours courant dès la notification de la mesure entreprise, elle est recevable sous l'angle de l'art. 8 al. 1 LaLEtr.

3.             Statuant ce jour, le tribunal respecte en outre le délai de nonante-six heures courant dès sa saisine que lui impose l'art. 9 al. 1 let. a LaLEtr.

4.             Selon l'art. 74 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - 142.20), l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou de ne pas pénétrer dans une région déterminée dans les cas suivants : a. l'étranger n'est pas titulaire d'une autorisation de courte durée, d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation d'établissement et trouble ou menace la sécurité et l'ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants ; b. l'étranger est frappé d'une décision de renvoi ou d'expulsion entrée en force et des éléments concrets font redouter qu'il ne quittera pas la Suisse dans le délai prescrit ou il n'a pas respecté le délai qui lui était imparti pour quitter le territoire ; c. l'exécution du renvoi ou de l'expulsion a été reportée (art. 69 al. 3 LEI).

5.             En l'espèce, M. A______ fait l’objet d’une décision de renvoi de Suisse, notifiée le 20 avril 2021 par l’OCPM et entrée en force depuis, ainsi que de deux expulsions de Suisse prononcées le 24 janvier 2022 et le 25 juillet 2025, auxquelles il ne s’est jamais conformé. La première condition prévue par l’art. 74 al. 1 let. b LEI est ainsi remplie.

Par ailleurs, il ne dispose d’aucun titre de courte durée, de séjour ou d’établissement qui l’autoriserait à demeurer en Suisse. Depuis 2019, il a fait l’objet de nombreuses condamnations pénales, notamment pour brigandage et non-respect d’une interdiction de pénétrer dans une région déterminée, et est revenu à deux reprises en Suisse après avoir été refoulé à destination de l’Autriche. Il est démuni de tout document d’identité et n’a entrepris aucune démarche afin d’aider à son identification. Par son comportement, il a ainsi démontré qu’il ne faisait aucun cas des obligations ou interdictions découlant des décisions administratives prises à son encontre, ce dont il faut conclure qu’il ne cherchera pas non plus à quitter la Suisse s’il n’y était pas contraint. La seconde condition prévue par l’art. 74 al. 1 let. b LEI et donc elle aussi réalisée et la décision litigieuse s’avère donc fondé quant à son principe.

6.             Le principe de proportionnalité exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, il interdit toute limitation des droits individuels allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts; ATF 142 I 76 consid. 3.5.1; 142 I 49 consid. 9.1; arrêts 2C_793/2018 du 13 mars 2019 consid. 3.3). Appliqué à la problématique de l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prévue à l'art. 74 LEI, le principe de proportionnalité implique de prendre en compte en particulier la délimitation géographique d'une telle mesure, ainsi que sa durée. Selon la jurisprudence, l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée, à l'instar de l'assignation à un lieu de résidence, ne peut pas être ordonnée pour une durée indéterminée et le périmètre d'interdiction doit être fixé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes de la personne qui en fait l'objet puissent rester possibles. Il convient de vérifier, dans chaque cas d'espèce, que l'objectif visé par l'autorité justifie véritablement l'interdiction de périmètre prononcée, c'est-à-dire qu'il existe un rapport raisonnable entre cet objectif et les moyens mis en oeuvre pour l'atteindre (arrêt 2C_793/2018 du 13 mars 2019 consid. 3.3 et références). Le Tribunal fédéral examine avec une pleine cognition si la décision litigieuse obéit à un intérêt public et est conforme au principe de proportionnalité. Cela étant, il fait preuve de retenue lorsque l'examen dépend de circonstances locales, dont l'appréciation incombe en premier lieu au canton concerné (cf. ATF 140 I 218 consid. 6.7.3; 135 I 233 consid. 3.2 in fine; arrêt 2C_793/2018 du 13 mars 2019 consid. 3.3 et autres références citées).  

7.             En l'espèce, M. A______, vu son état de santé, demande à pouvoir se rendre en tout temps aux urgences des HUG, sans être en possession d’une convocation. Il reconnaissait cependant que son suivi médical est quant à lui couvert par le point 5 de la décision d’assignation. Il souhaitait donc qu’un « cheminement » lui soit octroyé en tout temps pour se rendre à ces urgences.

Le tribunal ne peut que constater que, d’une part, aucune pièce médicale récente n’a été produite – le rapport produit datant de plus de deux ans – et qu’ainsi il ne connait pas la situation médicale actuelle de l’intéressé, notamment le suivi mis en place et donc la fréquence de ses rendez-vous et leur lieu ; d’autre part, la décision querellée permet à M. A______ d’être suivi aux HUG ou auprès de tout autre médecin moyennant la preuve d’un rendez-vous (point 5 de la décision).

Concernant les situations d’urgence dans lesquelles M. A______ pourrait se trouver, soit ce dernier a besoin de voir le médecin qui le suit en dehors des éventuels rendez-vous planifiés, et alors il obtiendra un rendez-vous et pourra s’y rendre, soit il fait face à une dégradation importante et rapide de son état de santé qui nécessite une prise en charge en urgence et, à ce moment-là, un transfert aux HUG est tout à fait envisageable – notamment sur avis médical -, de même que dans tout autre centre de soins adéquat dans le canton de Genève, étant souligné que plusieurs centres médicaux d’urgence se trouvent sur le territoire de C______ où il peut se rendre librement.

Dès lors, la demande de créer un « cheminement » lui permettant de se rendre en tout temps aux urgences des HUG – soit à son bon vouloir et sans, peut-être que la dégradation de son état de santé ne justifie de se rendre dans un service d’urgence en dehors du périmètre assigné – sera rejeté et la décision d’assignation rendue le 2 mars 2025 à l’encontre de M. A______ confirmée dans son périmètre.

Enfin, la mesure litigieuse n'apparaît pas trop longue eu égard aux démarches qui doivent encore être effectuées par les autorités afin de pouvoir renvoyer M. A______ dans son pays d’origine.

8.             Au vu de ce qui précède, l'opposition de M. A______ sera rejetée et la décision querellée confirmée tant dans sa durée que dans son périmètre.

9.             Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d'émoluments (art. 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 - et 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités de procédure administrative - RFPA - E 5 10.03).

10.          Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

11.          Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 10 al. 1 LaLEtr).


 

 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 12 mars 2025 par Monsieur A______ contre la décision d’assignation d'un lieu de résidence prise à son encontre par le commissaire de police pour une durée de douze mois ;

2.             la rejette ;

3.             dit que la procédure est franche d’émolument ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10, rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu’un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.


Genève, le

 


La greffière