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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/86/2025

JTAPI/46/2025 du 16.01.2025 ( LVD ) , REJETE

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE
Normes : LVD.8
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/86/2025 LVD

JTAPI/46/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 16 janvier 2025

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

Madame B______

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 11 janvier 2025, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de 23 jours à l'encontre de Monsieur A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Madame B______, située au ______[GE], et de contacter ou de s'approcher d'elle et de ses enfants C______ et D______.

2.             Selon cette décision, M. A______ était présumé avoir giflé et tiré les cheveux de Mme A______ et lui avoir donné un coup de poing, ainsi que l'avoir menacée de mort. Il était également présumé, lors de violences précédentes, avoir provoqué des hématomes à son épouse et l'avoir menacée de mort.

3.             M. A______ a fait immédiatement opposition à cette décision.

4.             Lors de son audition par la police le 10 janvier 2025, en présence d'un interprète, Mme A______ a expliqué qu'elle avait rencontré son futur époux en 2017 et était arrivée avec lui en Suisse, à Genève, en 2021, se mariant la même année. Ils avaient ensuite eu deux petits garçons, le premier en 2022 et le second en 2023. La relation conjugale était devenue compliquée après la naissance du premier enfant. Son époux était devenu de plus en plus agressif, et particulièrement à partir de 2024. S'agissant des faits pour lesquels la police était intervenue, tout avait commencé à 9h30, alors qu'elle dormait dans la chambre parentale avec leurs deux enfants. Son mari l'avait réveillée en lui demandant de prendre ses habits et de quitter l'appartement. Il avait hurlé que les enfants lui appartenaient et qu'elle pouvait faire ce qu'elle avait envie. Les enfants s'étaient alors mis à pleurer. Il était ensuite venu vers elle, l'avait attrapée par le bras et l'avait serrée fortement à l'épaule. Elle avait résisté, refusant de sortir du lit. Il avait alors prise par les cheveux et lui avait donné un coup de poing sur le côté droite de la tête, mais pas au visage. Ensuite, elle était restée dans la chambre, tandis qu'il partait au salon. Après, elle était sortie de la chambre et avait préparé à manger. En début d'après-midi, son mari avait commencé à la traiter de « pute », lui disant également « nique ma famille » et « nique ma mère », en précisant son nom et son prénom. Il avait proféré d'autres insultes contre la famille de son épouse. Il était ensuite sorti en milieu d'après-midi et était revenu vers 17 heures. Il avait recommencé à la provoquer, puis lui avait à nouveau tiré les cheveux. Ensuite, il lui avait donné des gifles au visage, plusieurs fois à droite et à gauche. Finalement, il avait menacé de la tuer si elle partait avec leurs enfants ou si un autre membre de sa famille prenait les enfants. Elle n'avait rien répondu à ces menaces. Alors qu'il était énervé, il avait donné des gifles à leur fils aîné. Elle ne pouvait plus dire combien de gifles il avait donné, ni si elles étaient fortes. L'enfant avait commencé à pleurer. Cet événement avait aussi eu lieu dans l'après-midi. Vers 18h30, avant l'arrivée de la police, elle était aux toilettes et il lui avait demandé de quitter l'appartement, sans quoi il allait la tuer. Elle avait reçu régulièrement des menaces de mort de la part de son mari et avait déjà été frappée par le passé. Elle avait encore des photos des hématomes que cela avait provoqué et elle les avait gardées sur son téléphone. Elle n'en avait pas conservé beaucoup, car elle avait peur que son mari tombe sur celle-ci. Suite au conflit du 10 janvier 2025, elle avait un hématome au niveau de l'épaule droite et avait encore mal à la tête à cause du coup de poing qu'elle avait reçu. Elle avait aussi un hématome sur le mollet droit, qui était due à un coup qu'elle avait reçu de son mari plus tôt dans la semaine. Elle admettait que durant la journée, elle avait repoussé son mari et lui avait tenu les mains pour éviter qu'il ne la frappe. Elle s'était sentie en danger face aux menaces de mort de son mari, ressentant de la peur pour elle et sa famille. En effet, il avait également menacé de tuer son frère et ses parents. Elle avait peur de vivre avec lui et avait envie désormais de demander le divorce.

5.             Également entendu par la police le 10 janvier 2025, M. A______ a expliqué que sa femme était partie trois mois au Kosovo et qu'elle était revenue le 25 décembre 2024. En novembre 2024, il s'était rendu au Kosovo pour qu'elle revienne à Genève avec les enfants, mais elle n'avait pas voulu. Depuis qu'elle était revenue, elle n'était plus la même personne. Il n'arrivait plus à parler avec elle et ne pouvait plus lui demander de faire quelque chose sans qu'elle lui dise le contraire. Ils se disputaient régulièrement pour les enfants, en tentant par exemple de les faire dormir. Son épouse faisait des crises. Depuis dimanche soir, il ne dormait plus avec elle. Les enfants étaient très compliqués à coucher, car ils pleuraient pendant plus d'une heure avant de s'endormir. Depuis le lundi précédent, sa femme insistait pour qu'il lui achète un billet pour retourner au Kosovo. Cela faisait deux ou trois jours qu'elle avait préparé sa valise. Elle voulait partir sans les enfants. Concernant les faits pour lesquels la police était intervenue, il n'y avait pas grand-chose à expliquer. Il n'y avait même pas eu de vraie dispute. Il était handicapé et n'était pas capable de se battre, n'en ayant pas la force. De plus, il ne ferait jamais rien devant ses enfants. Le 10 janvier 2024 (recte : 2025), il était sorti de chez lui à 13 heures et était revenu à la maison à 18 heures. Sa famille était en train de manger. Il avait donc pris quelque chose à manger et était parti dans la chambre. Ses affaires se trouvaient par terre depuis plusieurs jours. Son épouse était venue pour ranger ses propres affaires. Il lui avait dit qu'il fallait qu'elle fasse quelque chose comme il faut. Autrement, si elle voulait partir, il fallait qu'elle parte. Quelques minutes plus tard, il avait reçu un téléphone de sa mère qui le prévenait que son père venait à la maison. Il avait demandé pourquoi et sa mère lui avait dit que son épouse s'était plainte qu'il voulait la jeter par-dessus le balcon. Il n'avait jamais tenu de tels propos. Son père était alors arrivé et avait commencé à crier sur lui parce qu'il avait cru son épouse. Tout le monde lui écrivait pour arranger les choses avec sa femme, mais il répondait qu'il ne pouvait rien faire parce qu'elle voulait partir. Le dimanche soir précédent, ils s'étaient disputés alors qu'ils se trouvaient dans leur chambre, assis sur le lit avec les enfants sur eux. Ceux-ci ne voulaient pas dormir et ne faisaient que pleurer. Il était parti au salon en disant à son épouse que si elle ne voulait pas comprendre, elle n'avait qu'à mettre les enfants au lit toute seule. Elle avait encore passé une demi-heure à tenter de les coucher. Ils pleuraient comme des fous. Il était retourné dans la chambre et ils avaient tout de suite commencé à se disputer. Elle ne voulait pas comprendre et lui disait tout de suite le contraire. Ils avaient fini par se saisir mutuellement par les mains et les bras, ce qui avait occasionné chez lui deux marques d'ongle de sa femme sur son poignet droit. Il précisait qu'il ne pourrait jamais faire de mal à son épouse de manière intentionnelle. S'il avait voulu qu'elle parte, elle serait déjà partie depuis le lundi, car il aurait pu lui payer son billet d'avion. La dernière dispute survenue entre eux découlait du fait qu'il ne lui avait pas pris son billet. Il avait dit à tout le monde que si elle voulait partir, elle le pouvait, mais que ce n'était pas lui qui achèterait son billet. Il ne pouvait pas accepter qu'elle parte et qu'elle laisse leurs deux enfants. Il ne se souvenait plus s'il avait tiré les cheveux de son épouse lorsqu'ils s'étaient mutuellement saisis. Il avait eu tellement de choses à penser avec les enfants que c'était compliqué pour lui. Comme déjà dit, il n'avait pas de force. Il avait des vis dans le dos et était malade. Son épouse faisait des crises depuis environ deux ans. Elle avait tout fait pour que ça « parte en couille ». Il avait essayé de la faire voir par un psychologue, mais elle refusait à chaque fois. Il était vrai qu'il l'avait « insultée de tout ». Il avait « pété un câble » et voilà. Sa femme l'avait également insulté de tout. Quand elle « pêtait ses crises », elle pensait toujours qu'il y avait une autre femme. Ils étaient dans une sorte de cercle vicieux. Ce qu'il voulait pour sa part, c'est que ses enfants soient heureux, avec leur père et leur mère. À part l'événement du dimanche précédent, il n'avait jamais reçu de coups ou d'insultes de la part de son épouse. Ils s'insultaient néanmoins occasionnellement. Questionné sur la possibilité qu'une mesure d'éloignement soit prise à son encontre, il a indiqué que selon lui, il n'y en avait pas besoin. Il était quelqu'un de non-violent et ne voulait pas être éloigné de ses enfants. Tout ça, c'était un jeu. Elle faisait tout pour qu'il « pête une crise ».

6.             Le dossier de police transmise au tribunal de céans contient par ailleurs plusieurs photographies couleurs montrant des parties du corps de Mme B______, soit l'arrière de l'épaule droite, les cuisses et les mollets, marqués d'hématomes très visible. Certaines de ces photos ont été prises par la police lors de son intervention, tandis que d'autres correspondent à celles que Mme B______ avait déclaré avoir faites à l'aide de son téléphone et a fournies à la police. Il existe également une photo montrant l'avant-bras droite de M. A______, montrant deux marques rouges rapprochées au niveau du poignet.

7.             A l'audience du 16 janvier 2025 devant le tribunal, Mme B______ a été invitée à s'exprimer librement sur ce qui lui paraissait important. Elle a tout d'abord insisté sur le fait que ses déclarations à la police étaient conformes à la vérité. Le soir des faits, son mari était rentré à la maison vers 9h30 alors qu'elle dormait avec les enfants et il l'avait réveillée, l'avait prise par le bras et lui avait dit qu'il fallait qu'elle quitte le domicile immédiatement et qu'il s'était occupé de lui acheter un billet pour le Kosovo.

Le tribunal a mis une note au procès-verbal pour mentionner que, s'étant mépris à plusieurs reprises sur le contenu des déclarations susmentionnées, Mme B______, celle-ci était intervenue immédiatement et plusieurs fois durant la dictée du procès-verbal pour corriger et préciser ce qu'elle avait exprimé.

Son mari l'avait également prise par les cheveux en insistant pour qu'elle quitte le domicile. Les enfants s'étaient mis à pleurer et elle avait dû s'occuper d'eux pour essayer de les calmer. Elle s'est ensuite occupée de leur toilette et une fois cela terminé, elle avait commencé à s'occuper de leur préparer à manger. Son mari était entretemps passé dans une autre pièce, mais il était revenu au moment où elle préparait le repas pour les enfants en lui disant qu'elle ne pouvait pas manger sa nourriture. Pendant tout le repas son mari n'avait cessé de lui dire qu'elle ne pouvait pas manger, et c'est dès lors ce qui était arrivé. Lorsqu'elle avait ensuite commencé à faire la vaisselle, son mari avait commencé à lui donner des gifles et également quelques coups de poing sur ses bras. Elle n'avait pas réagi à cette agression parce que les enfants étaient là. Sur question du tribunal de savoir s'il y avait eu une dispute verbale pendant tout ce temps, elle a précisé que son mari l'avait effectivement insultée en s'en prenant notamment à sa famille, mais elle ne l'avait de son côté pas insulté.

Vers 13h00, il avait quitté la maison, puis était revenu vers 17h30 alors qu'elle jouait avec les enfants. Il avait recommencé à lui tirer les cheveux en s'étonnant qu'elle n'ait pas encore quitté la maison. Elle avait par la suite commencé à préparer le repas du soir aux alentours de 18h30, son mari n'ayant pas cessé de la harceler et de lui donner des coups. A un moment, elle était allée retrouver les enfants qui étaient à la salle de bain et elle est elle-même allée aux toilettes. Son mari n'arrêtait pas de faire du grabuge et il était alors venu vers eux, commençant d'abord à taper leur fils cadet qu'elle avait alors pris dans ses bras, puis tapant sur l'aîné, avec plus de véhémence que sur le petit. Elle avait envoyé à ce moment-là un message à son père en lui disant que son mari faisait beaucoup de grabuge, et son père avait contacté le père de son mari qui habitait à environ 10-15 minutes de chez eux en voiture et qui était venu à la maison. Il avait dit à son fils que maintenant il allait appeler la police, ce qu'il avait fait.

Egalement entendu, M. A______ a contesté tout ce que son épouse venait de dire. Il fallait remonter au dimanche 5 janvier où ils avaient eu une dispute verbale mais où ils s'étaient également attrapés par les mains. Ensuite, durant la semaine qui avait suivi jusqu'au 10 janvier, il s'était contenté de la taquiner verbalement, mais pas différemment de la manière dont il l'avait fait durant 8 ans. Le mardi, son épouse avait préparé sa valise pour retourner au Kosovo en lui demandant de lui acheter un billet. Dans un premier temps, il lui avait dit non, puis il lui avait dit qu'il l'avait fait alors que ce n'était pas vrai. En effet, il était hors de question pour lui de laisser les enfants sans leur mère et il préférerait mourir plutôt que de leur faire cela.

Le jeudi, toujours pour la taquiner, il lui avait dit qu'elle avait son billet pour un vol de retour le lendemain à 14h00 alors qu'il n'y avait pas d'avion pour le Kosovo à ce moment-là. Le vendredi matin, elle l'avait réveillé vers 9h30 puis s'était occupée des enfants. Le cadet avait un peu sali son lit durant la nuit. La matinée s'était passée normalement, puis il était sorti durant l'après-midi et était revenu le soir. Le repas était prêt et il s'était attablé, étant précisé que durant la semaine, son épouse avait tout fait de son côté, notamment les repas, et que c'était le petit jeu auquel elle se livrait durant quelques temps à chaque fois qu'ils avaient des disputes. Comme il n'avait plus de batterie de téléphone, il était parti dans une chambre pour le recharger, en prenant avec lui leur fils aîné. Pendant ce temps, et sans qu'il n'en ait aucune idée, son épouse avait contacté son père en disant qu'il avait voulu la jeter par le balcon. Il y avait eu un épisode aux toilettes où sa femme se trouvait en train de faire ses besoins alors que les deux enfants y étaient également. Il lui avait dit que c'était inadéquat et il avait sorti les enfants. Il a précisé à ce sujet que c'était l'un des objets de leur dispute du 5 janvier car sa femme persistait à prendre les enfants avec elle et les avait habitués, lorsqu'elle allait aux toilettes ou à la salle de bain, étant précisé qu'elle se douchait même avec eux. Lorsque son père était arrivé, il n'en avait aucune idée. Son père avait longuement sonné avant que finalement il aille voir de quoi il s'agissait. Son épouse de son côté ne s'était pas déplacée pour aller ouvrir. Lorsque son père était entré, il croyait qu'il avait tenté de jeter sa femme par le balcon et avait décidé d'appeler la police pour apaiser la situation.

Il contestait catégoriquement avoir frappé l'un ou l'autre de ses enfants, se demandant quel père s'en prendrait physiquement à un enfant d'une année. S'il avait voulu faire du mal à ses enfants ou lui faire du mal à elle, il l'aurait par exemple laissée quitter le pays ou il n'aurait pas ramené de nourriture à la maison.

Ils étaient ensemble avec son épouse depuis l'été 2017 et leur relation conjugale s'était déroulée normalement pendant toute cette durée, bien sûr avec quelques fluctuations comme dans n'importe quel couple. Leur relation avait commencé à se dégrader plus sérieusement au moment de la naissance de leur second fils en avril 2023. L'humeur de son épouse avait chuté à ce moment-là. Il en avait parlé avec le médecin qui lui avait dit que cela pouvait arriver durant quelques mois après la naissance. Pour tout dire, leur relation avait toujours été bizarre. Par-là, il entendait qu'ils ne parvenaient pas à se comprendre. Il savait qu'ils s'aimaient l'un et l'autre mais ils n'arrivaient pas à se comprendre. Il avait toujours espéré que leur relation puisse s'améliorer. Lorsqu'elle était partie au Kosovo la dernière fois avec les enfants pendant trois mois (d'octobre jusqu'au 25 décembre 2024), il espérait vraiment qu'à son retour les choses commenceraient à s'améliorer. Il était allé la rejoindre en novembre pour qu'elle revienne à la maison mais elle n'avait pas voulu.

Il a précisé par ailleurs que son épouse s'était rendue hier et avant-hier à la police pour demander que la mesure d'éloignement soit levée, mais il n'y avait pas de traducteur et elle n'avait donc pas pu faire cette démarche. Il était au courant par son père qui l'avait lui-même amenée au poste de police. Il était également en discussion avec sa famille. Sur question du tribunal de savoir s'il savait si cette démarche venait d'elle-même ou si c'était à l'initiative de l'une des deux familles, il l'ignorait, mais il pouvait dire au tribunal que personne ne pourrait arriver à obliger son épouse à faire quelque chose.

Sur question du tribunal de savoir comment il voyait la suite, il savait par les familles interposées que sa femme voulait le divorce. Il avait donc contacté un avocat chez qui ils devraient se rendre lundi prochain. Il ne pouvait pas s'opposer à la volonté de son épouse car il ne pouvait pas la contraindre à rester avec lui. En revanche, il voulait qu'ils préservent leurs enfants et leurs intérêts. Il ferait tout pour eux.

Sur question du tribunal de savoir comment expliquer l'apparente contradiction entre le fait que son épouse cherche d'elle-même à mettre fin à la mesure d'éloignement sachant très bien qu'elle n'avait rien à craindre de son retour à la maison, et le fait qu'elle demande le divorce, il n'avait aucun moyen d'expliquer ceci, il n'y comprenait de toute manière plus rien.

Mme B______, s'agissant des déclarations faites son époux au sujet de leur situation conjugale, a précisé qu'après avoir fait connaissance en 2017, ils s'étaient fiancés en 2018 et avaient procédé au mariage civil en novembre 2021. C'est alors qu'elle était arrivée en Suisse. Sur question du tribunal, elle a expliqué que leurs relations avaient été relativement épisodiques jusqu'à l'été 2021 où son mari s'était montré plus présent, notamment en venant la trouver au Kosovo. Jusque-là elle n'avait jamais pu venir le voir en Suisse. Son oncle avait fait une tentative pour lui obtenir un visa qui lui avait été refusé. Son futur mari quant à lui n'avait pas fait de demande dans ce sens. En 2018, il avait vécu une détention d'une semaine, puis il avait ensuite eu affaire à une procédure qui lui avait pris son temps, et en 2019, leurs contacts avaient commencé à être beaucoup plus distendus, son fiancé ne donnant plus signe de vie pendant deux mois d'affilée. Sur question du tribunal de savoir ce qui l'avait malgré tout amenée à poursuivre leur projet de mariage, elle a expliqué qu'elle espérait simplement que leurs relations s'amélioreraient. Leur relation conjugale s'était sensiblement détériorée à la naissance de leur premier enfant en avril 2022. Il devenait de plus en plus difficile de parler avec son mari qui répondait à ses tentatives de communiquer par des insultes en lui disant qu'elle était malade ou imbécile.

M. A______, sur question du tribunal, a expliqué qu'après les problèmes qu'il avait connus en 2018, il lui était impossible de faire venir sa fiancée en Suisse car il avait beaucoup de dettes et il n'avait pas encore son appartement. C'était lui-même qui avait fait pour sa femme une tentative de visa par l'intermédiaire de son oncle. En 2020, en plein COVID, il était retourné six fois la retrouver au Kosovo, et en 2021 dix fois en comptant celle où il était allé la chercher pour aller en Suisse. Il ne comprenait pas, sur la base des déclarations qu'elle venait de faire, pourquoi elle avait décidé de se marier avec lui et de faire des enfants.

Sur question du tribunal qui lui faisait fait remarquer qu'au moment d'évoquer précédemment la volonté de son épouse de divorcer, il n'avait pas l'air d'un mari effondré, il a affirmé que c'était cependant le cas, il y avait quelque chose qui était mort à l'intérieur de lui. Il ne pouvait cependant pas s'opposer à sa volonté.

Mme B______, sur question du tribunal, a déclaré que les explications de son mari sur le nombre de fois où il était venu la voir au Kosovo étaient peut-être exactes, étant précisé qu'il ne lui annonçait pas à quel moment il arrivait et que parfois c'était à peine s'il lui adressait la parole. Sur question du tribunal de savoir ce que son mari entendait par des taquineries à son égard, elle a expliqué qu'il avait toujours qualifié ainsi ses actes à son égard, que ce soit sous forme d'insulte ou de coups. Sur question de savoir ce qui avait motivé son départ au Kosovo à la fin de l'année 1024, elle a expliqué tout d'abord que son mari n'avait jamais supporté les pleurs de leurs enfants et que, par exemple, à la naissance du deuxième, il n'était pas resté dans la même pièce qu'eux durant les trois premières semaines. C'est pour cela qu'il les avait envoyés au Kosovo pendant un peu plus de deux mois en juin 2023. Sur question du tribunal, elle a expliqué que c'était sans doute pour être tranquille. Sur question du tribunal, elle se posait déjà à ce moment-là des questions concernant une séparation, tout en espérant néanmoins que la situation puisse s'améliorer. Elle était partie durant deux mois au Kosovo durant l'été 2024, revenant en Suisse le 2 août, sur initiative de son mari qui expliquait avoir besoin de moments de calme. Le 26 septembre 2024, il leur avait à nouveau pris des billets pour le Kosovo, mais elle n'était pas au courant et elle n'en avait pas fait la demande. En réalité, à cette période, son mari exprimait déjà son envie qu'ils retournent au Kosovo. Cependant, comme il l'avait d'ailleurs clairement exprimé en novembre 2024, son idée était qu'ils demeurent une famille, que les enfants aillent à l'école au Kosovo et qu'elle y prenne elle-même un travail. Ce n'était pas comme cela qu'elle voyait les choses [à l'époque], souhaitant qu'ils soient tous réunis en Suisse et qu'ils puissent vraiment vivre une vie de famille. Elle a expliqué enfin qu'elle s'était rendue à la police la veille et l'avant-veille de l'audience pour tenter de mettre fin à la procédure pénale contre son mari, car elle ne souhaitait pas avoir toutes ces histoires. En revanche, il ne s'agissait pas de lever la mesure d'éloignement car elle ne souhaitait pas que son mari revienne à la maison. Sur question de savoir comment elle se positionnait à l'idée que le tribunal puisse lever la mesure d'éloignement et que son mari revienne à la maison, elle a expliqué qu'elle avait peur de lui. Sur question du tribunal de savoir si son fils aîné avait exprimé quelque chose sur l'absence actuelle de son père, ce n'était pas le cas.

M. A______ a précisé qu'il vivait actuellement chez ses parents. Sur question du tribunal de savoir ce qui se passerait s'il revenait à la maison, les choses se passeraient tout à fait normalement étant donné que son épouse n'avait pas cessé de mentir à cette audience concernant les violences qu'elle prétendait subir de sa part. Il était toute la journée en recherche de travail et ses enfants avaient besoin de lui. Il voulait encore juste préciser que les départs au Kosovo de son épouse avaient toujours été de sa propre initiative et s'expliquaient par le fait qu'elle avait plutôt la belle vie lorsqu'elle y était, car elle vivait beaucoup plus confortablement avec l'argent dont elle disposait que ce n'était le cas avec la même somme en Suisse. De plus, elle pouvait laisser les enfants à sa mère et sortir.

Le tribunal a soumis à M. A______ les photographies couleurs qui figuraient au dossier du commissaire de police, que ce soit la photographie datée du 10 janvier 2025 qui montre l'arrière de l'épaule droite de Mme A______ (dont le représentant du commissaire de police a indiqué qu'elle faisait sans doute partie de celles qui avaient été prises par la police lors de son intervention), ou les photographies montrant les marques sur les jambes, il ignorait complètement d'où pouvaient provenir ces marques. Il a précisé qu'elle avait ces marques depuis longtemps et il était possible que ce soit suite aux coups que les enfants lui donnaient en dormant avec elle ou que leur fils aîné lui donnait parfois volontairement. En tous les cas, il n'en était pas lui-même la cause.

Il a conclu à ce que son opposition soit admise et à ce que la mesure d'éloignement soit annulée.

Mme B______ a conclu à ce que l'opposition soit rejetée et à ce que la mesure d'éloignement soit confirmée.

Le représentant du commissaire de police a conclu au rejet de l'opposition de M. A______ et au maintien de la décision d'éloignement.

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.

3.             La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

4.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

5.             En l'espèce, la question de savoir si M. A______ a commis des violences physiques à l'encontre de Mme B______ dépend en partie des déclarations contradictoires qu'ils ont faites l'un et l'autre, mais pas uniquement. En effet, le dossier contient également plusieurs photographies montrant de façon très visibles des hématomes sur les jambes ou l'épaule de Mme B______. Il s'agit manifestement de traces laissées par des impacts qu'elle a reçus. M. A______ conteste en être l'auteur, tout en prétendant que son épouse pourrait avoir été marquée par les coups reçus durant la nuit par leurs deux enfants avec lesquels elle dort, ou éventuellement par son fils aîné qui la frappe parfois.

6.             Tout comme les déclarations qu'il a faites dans leur ensemble, ces dernières explications démontrent que M. A______ se défausse complètement de ses actes et responsabilités, ou les minimise. Il n'y a en effet aucune raison de considérer que les marques présentes sur le corps de Mme B______, lesquels résultent d'impacts d'une certaine intensité, puissent avoir été occasionné par les gestes que feraient inconsciemment dans leur sommeil deux très jeunes enfants, ou même de manière volontaire par le plus âgé des deux enfants, qui n'a même pas encore trois ans. Outre le fait que certaines de ces traces, notamment en haut de la cuisse ou à l'arrière de l'épaule, sont situées hors de portée d'un petit enfant, qui n'a de toute façon pas la force nécessaire pour infliger de tels coups, il est frappant de relever que M. A______ prétende avoir tout ignoré des blessures reçues par sa femme, y compris de leurs causes. Manifestement, M. A______ construit cette double ignorance (l'existence des hématomes et leur cause) dans le but de se libérer de sa propre responsabilité.

7.             Par ailleurs, s'agissant des violences verbales ou psychologiques, M. A______ a admis devant la police qu'il lui arrivait de « péter un câble » et d'insulter à ce moment-là son épouse. S'il admet cette attitude durant des disputes qui ont émaillé la vie du couple, il les conteste cependant pour ce qui concerne la dispute survenue le 10 janvier 2025, pensant sans doute, à tort, que des insultes passées sont moins graves que des insultes récentes. Quoi qu'il en soit, les explications données à l'audience par Mme B______ emportent la conviction du tribunal pour deux raisons tout à fait différentes.

8.             Tout d'abord, il faut relever que les déclarations de M. A______ sont relativement vagues, celui-ci expliquant que la journée s'est déroulée à peu près normalement et contestant en bloc les explications de son épouse, qu'il qualifie de mensongères. De son côté, Mme B______ a fait une description très précise du déroulement de la journée et des différents moments lors desquels elle a reçu des coups où a été insultée par son mari. Outre le fait que l'on ne voit pas pour quelle raison elle se serait donnée la peine de décrire des violences qui se seraient déroulées en plusieurs épisodes successifs durant la même journée, plutôt qu'un seul épisode de violence, Mme B______ a frappé le tribunal, lors de l'audience, par ses réactions durant la dictée du procès-verbal, qui montraient un souci de conserver dans leur exactitude un certain nombre de détails factuels en demandant au besoin la modification du procès-verbal. Il est vraisemblable que seul le souvenir d'événements réellement vécus soit susceptible de provoquer de manière spontanée un tel besoin d'exactitude.

9.             En second lieu, les déclarations faites par M. A______ semblent montrer chez celui-ci une propension à vouloir distordre la réalité, voire à se servir de ce stratagème pour demeurer maître de la situation où s'amuser de manière sadique aux dépens de sa conjointe. À cet égard, il faut relever en particulier que M. A______ a explicitement admis s'être joué de son épouse durant les jours qui ont précédé le 10 janvier 2025, alors qu'ils étaient dans une période de crise importante, en lui laissant croire qu'il lui avait acheté un billet d'avion pour le Kosovo, alors que tel n'était pas le cas. Il faut souligner que cette manipulation a eu lieu alors que parallèlement, selon ses propres explications à la police, il avait dit à tout le monde que si elle voulait partir, elle le pouvait, mais que ce n'était pas lui qui achèterait son billet. Dans la même veine, M. A______ a évoqué devant le tribunal l'idée que toutes les disputes auxquels se livraient les deux conjoints n'étaient finalement qu'un jeu, tout en ayant l'air d'oublier qu'un tel « jeu » n'aurait sûrement pas conduit son épouse à exprimer désormais sa volonté de divorcer. Le tribunal relèvera également que M. A______ semble avoir parfaitement conscience de la possibilité d'exercer des pressions, voire des formes de violence, sans faire usage de violence physique, indiquant par exemple que s'il avait voulu faire du mal à ses enfants ou faire du mal à son épouse, il l'aurait par exemple laissée quitter le pays ou n'aurait pas ramené de nourriture à la maison. Ce qu'il nomme « taquineries » dont il aurait usé à l'égard de son épouse depuis plusieurs années apparaît vraisemblablement comme étant l'une de ces distorsions auxquelles procède M. A______ en considérant que des insultes, voire des coups, doivent être considérés comme autre chose que de la violence psychologique ou physique. Manifestement, il n'existe chez lui aucune prise de conscience à ce stade.

10.         Enfin, le tribunal peut voir un indice supplémentaire de la violence que fait régner M. A______ au domicile familial, dans les difficultés répétitives que semblent présenter les deux enfants au moment de l'endormissement, M. A______ ayant même évoqué à ce sujet le fait qu'ils pleuraient « comme des fous ».

11.         Au vu de l'ensemble de ces éléments, il apparaît que la mesure d'éloignement prise à l'encontre de M. A______ répond, conformément à l'art. 8 LVD, au besoin d'empêcher la réitération d'actes de violence de la part de M. A______, que celle-ci soit physique, verbale ou psychologique.

12.         L'opposition de M. A______ sera par conséquent rejetée et la mesure d'éloignement confirmée.

13.         Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

14.         Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 11 janvier 2025 par Monsieur A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 11 janvier 2025 pour une durée de 23 jours ;

2.             la rejette ;

3.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

4.             le laisse à la charge de l'État de Genève, sous réserve de la décision finale de l'assistance juridique en application de l'art. 19 al. 1 RA ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi que pour information au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant.

Genève, le

 

La greffière