Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/1277/2024 du 19.12.2024 ( LVD ) , REJETE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 19 décembre 2024
|
dans la cause
Monsieur A______
contre
COMMISSAIRE DE POLICE
Madame B______
1. Par décision du 15 décembre 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement à l'encontre de Monsieur A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de sa concubine, Madame B______, sise ______[GE], et de contacter ou de s'approcher de cette dernière, jusqu'au 26 décembre 2024 à 17h00.
2. Selon cette décision, une dispute entre les intéressés serait survenue le même jour. Par ailleurs, M. A______ aurait, le 1er décembre 2024, au domicile commun, violement projeté au sol Mme B______. Par son comportement violent, une mesure d'éloignement était nécessaire afin d'écarter tout danger et empêcher tout acte de réitération de tels actes.
3. Selon les rapports d'intervention et de renseignement du 15 décembre 2024, le même jour, des agents de police étaient intervenus au domicile des intéressés sur demande de Mme B______. Sur place, étaient présents les deux protagonistes et leur fille C______, âgée de onze mois. Le couple avait déjà occupé les services de police le 21 avril 2024 en raison d'actes de violence de la part de M. A______ et le 25 avril 2024 pour permettre à Mme B______ de récupérer ses affaires. Depuis lors, désireux de se séparer et de partager la garde de leur enfant, le couple était dans l'attente d'un logement pour Mme B______. Le 7 décembre 2024, une main courante avait été déposée par cette dernière afin de dénoncer des actes malveillants commis par son concubin.
4. Auditionnée dans la foulée, Mme B______ a déclaré que, le jour-même, une dispute avait éclaté avec son concubin, lequel avait bousculé son chien. Elle l'avait alors repoussé avec ses mains en dehors de la pièce pour protéger l'animal. Il l'avait ensuite filmée en essayant de la provoquer, sans violence physique ni injure ni menace. En avril 2024, elle avait déposé plainte pénale à l'encontre de M. A______ pour une gifle mais l'avait retirée suite à des manipulations émotionnelles de sa part. Deux semaines auparavant, il lui avait saisi les vêtements avec ses mains et l'avait violemment projetée au sol. Elle avait ensuite mentionné faussement au médecin qu'elle avait accidentellement glissé sur un jouet de sa fille, dans le but de le protéger. Leur fille C______ n'avait jamais été témoin de violence mais elle avait déjà vu son père s'énerver, notamment une fois en voiture lorsque l'enfant faisait du bruit et qu'il avait tapé sur les sièges de la voiture en réaction. Il n'avait jamais levé la main sur elle. Elle ne voyait aucun avenir avec M. A______ mais voulait que cela se passe bien pour sa fille.
5. Entendu le même jour, M. A______ a expliqué que lors d'une dispute et alors qu'il tenait sa fille dans les bras, sa concubine l'avait griffé et donné des coups de poing dans l'épaule. Il n'avait jamais été violent physiquement avec elle. Leurs disputes étaient principalement verbales. Mme B______ lui portait des coups parfois mais rien qui ne le mettait en danger, c'était plus de la décharge émotionnelle. Il ne l'avait pas projetée au sol deux semaines auparavant. Elle était prête à tout pour avoir la garde de leur fille et son plan était de le faire passer pour quelqu'un de violent, ce qui était faux. Il souhaitait qu'elle quitte le domicile. Le plus important était sa fille, c'est pourquoi il était nécessaire de trouver un terrain d'entente avec Mme B______.
6. Le certificat médical du 1er décembre 2024 des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) fait état d'un traumatisme crânien sans perte de connaissance franche avec amnésie au moment du choc, céphalées occipitales, nausées avec épisode de vomissement et vertige de type tangage à la marche.
7. Le 18 décembre 2024, par l'intermédiaire de son conseil, M. A______ a fait opposition à la décision d'éloignement prise par le commissaire de police, auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal).
Il était seul titulaire du bail où il vivait avec sa fille et sa concubine et assumait seul le loyer. Il avait prié, depuis de nombreux mois, Mme B______ de déménager dans un autre appartement mais cette dernière s'obstinait à entreprendre des démarches en ce sens. C'était étonnant dans la mesure où elle se plaignait de violences domestiques. Le 15 décembre 2024, elle l'avait agressé. Encore choqué par la situation, il était allé récupérer des affaires chez lui, accompagné par la police, vers 20h00. Il avait alors constaté avec stupéfaction que loin d'être choquée, Mme B______ avait organisé une soirée pizza avec des amis.
8. Lors de l'audience du 19 décembre 2024 devant le tribunal, M. A______, représenté par son conseil, a conclu à la levée de la mesure d'éloignement.
Le représentant du commissaire de police a conclu à la confirmation de la décision.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).
2. Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.
3. La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).
4. La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).
Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).
Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).
Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.
Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de
a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;
b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.
La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).
Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).
Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.
5. En l'espèce, le dossier transmis par l'officier de police, les déclarations des parties et le certificat médical des HUG permettent sans conteste de retenir la survenance de violences domestiques entre les époux. À cet égard, la question n'est pas de savoir lequel des époux est plus responsable que l'autre de la situation, ce qui est bien souvent impossible à établir. L'essentiel est de séparer les conjoints en étant au moins à peu près certain que celui qui est éloigné du domicile conjugal est lui aussi l'auteur de violences, ce qui est le cas en l'espèce.
6. Par conséquent et étant rappelé que les mesures d'éloignement n'impliquent pas un degré de preuve, mais une présomption suffisante des violences et de la personne de leur auteur, le tribunal confirmera, la mesure d'éloignement prononcée à l'égard de M. A______. Sa durée n'apparaît, par ailleurs, pas disproportionnée.
7. Enfin, le tribunal rappellera que la mesure d'éloignement concerne uniquement Mme B______ et que M. A______ peut continuer à voir sa fille d'un point de vue du droit administratif.
8. Partant, l'opposition à la mesure sera donc rejetée.
9. Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).
10. Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable l'opposition formée le 19 décembre 2024 par Monsieur A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 15 décembre 2024 jusqu'au 26 décembre 2024 à 17h00 ;
2. la rejette ;
3. dit qu'il n'est pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA) ;
4. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;
5. dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Gwénaëlle GATTONI
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
Genève, le |
| Le greffier |