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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/997/2024

JTAPI/1128/2024 du 11.11.2024 ( ICCIFD ) , REJETE

Descripteurs : REVENU DE LA FORTUNE IMMOBILIÈRE(DROIT FISCAL);GAIN IMMOBILIER;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL);REVENU ACQUIS EN COMPENSATION(DROIT FISCAL)
Normes : LIFD.16.al3; LHID.7.al4.letb; LIPP.27.letj; LHID.12; LCP.83.al1.letb
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/997/2024 ICCIFD

JTAPI/1128/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 11 novembre 2024

 

dans la cause

 

Madame A______ et Monsieur B______, représentés par Me Antoine BERTHOUD, avocat, avec élection de domicile

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Monsieur B______ (ci-après : le contribuable ou le recourant) a acquis le 11 juillet 1989 la parcelle 1______ de la commune de C______, sise 2______, D______. La villa située sur cette parcelle constitue son domicile depuis cette acquisition.

2.             Cette propriété surplombe la parcelle voisine 3______ sise 4______, D______ et jouit ainsi d’une vue dégagée.

3.             Les parcelles 3______, et 1______ susmentionnées sont issues de la division effectuée en 1956 de la parcelle 5______ de la commune de C______.

4.             L’acte instrumenté à cette occasion avait constitué de nombreuses servitudes ainsi qu’un règlement de quartier définissant notamment le type de constructions et instaurant une zone de non-bâtir traversant les parcelles 3______ et 1______.

5.             Ce règlement a été radié du Registre foncier en 1993 au moment de l'établissement du Registre fédéral et de l'épuration des anciennes servitudes du droit cantonal.

6.             La parcelle 3______ comportait initialement une villa individuelle d’une surface de 176 m2.

7.             La société E______ SA (ci-après : E______ SA), propriétaire de ladite parcelle, a toutefois obtenu, le ______ 2020, une autorisation de construire cinq villas contiguës avec parkings extérieurs. Ce projet comporte un indice d’utilisation du sol de 41%.

8.             Les recours interjetés par le contribuable à l’encontre de cette autorisation de construire ont été rejetés par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) et la chambre administrative de la Cour de justice (JTAPI/6______ du 2______ 2020 ; ATA/7______ du ______2021).

9.             Par acte déposé le 26 août 2021, le contribuable a recouru auprès du Tribunal fédéral (1C_8______).

10.         Par convention du 8 septembre 2021, le contribuable et E______ SA ont convenu de mettre un terme à leur litige, comme suit :

-          E______ SA reconnaissait que la réalisation du projet autorisé était de nature à entrainer une perte de valeur de la propriété du contribuable en raison de son impact sur la vue dont jouissait celle-ci et des nuisances qui seraient engendrées par un habitat nettement plus dense.

-          E______ SA s’engageait à verser au contribuable une indemnité de CHF 150'000.- destinée à compenser cette perte de valeur.

-          En contrepartie, le contribuable s’engageait à retirer le recours qu’il avait déposé auprès du Tribunal fédéral à l’encontre de l’arrêt de la chambre administrative du ______ 2021.

11.         Dans leur déclaration fiscale 2021, le contribuable et Madame A______ (ci-après : les contribuables ou les recourants) ont mentionné, sous la rubrique « Observations », l’encaissement d’une indemnité de CHF 150'000.- selon la convention susmentionnée, laquelle était jointe à leur déclaration, et ont indiqué que l’établissement d’une déclaration pour l’impôt sur les bénéfices et gains immobiliers (ci-après : l’IBGI) était en cours.

12.         Dans ses avis de taxation ICC et IFD du 30 juin 2023 l’administration fiscale cantonale (ci-après : l’AFC-GE) a considéré que l’indemnité de CHF 150'000.- versée au contribuable par E______ SA afin de compenser la perte de valeur de sa propriété constituait un revenu (cf. code 16.64, « autres revenus ») et l’a imposée comme tel.

13.         Par réclamation de leur fiduciaire du 26 juillet 2023 les contribuables ont contesté l’assimilation de l’indemnité susmentionnée à un revenu. La convention du 8 septembre 2021 mentionnait expressément que cette indemnité visait à compenser la moins-value engendrée par la construction projetée sur la parcelle voisine de la leur. Une expertise avait été sollicitée afin de démontrer cette diminution de valeur et serait transmise à l’AFC-GE dès réception.

14.         Par courrier du 28 août 2023 la fiduciaire a transmis à l’AFC-GE un tirage de l’expertise établie par M. F______, architecte G______, en date du 4 août 2023.

Selon cette expertise, le bien-fonds du contribuable pouvait être estimé à environ CHF 3'000'000.-. Le projet de E______ SA allait entraîner pour celui-ci une moins-value de dix à quinze pour cent, représentant un montant compris entre CHF 300'000.- et 450'000.-. Cette moins-value découlait du gabarit de la construction projetée par E______ SA qui allait péjorer la vue dont bénéficiait le bien-fonds, de l’orientation des cinq jardins privatifs qui seraient en contact direct avec la villa du contribuable et de la création de dix places de parkings sur la parcelle 3______ elle-même.

Au vu de cette expertise indépendante, il ne faisait aucun doute que l’indemnité de CHF 150'000.- versée par E______ SA visait à compenser la moins-value que la construction projetée causait au bien immobilier du contribuable. Elle ne pouvait dès lors être qualifiée de revenu imposable et devait être soumise à l’IBGI.

15.         Par décisions sur réclamation du 14 février 2024, l’AFC-GE a maintenu les taxations s’agissant du point contesté dans le cadre du présent recours. L’indemnité versée par E______ SA avait été obtenue en échange de la renonciation à l’exercice d’un droit et constituait dès lors un revenu au sens des art. 23 let. d de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) et 26 let. d de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP – D 3 08). Elle ne pouvait être soumise à l’IBGI dès lors qu’aucune modification des droits de propriété n’avait été inscrite au Registre foncier.

16.         Le 21 mars 2024, les contribuables ont recouru contre ces décisions auprès du tribunal par l’entremise de leur avocat. Ils ont conclu, avec suite de frais, à ce qu’il soit dit que l’indemnité versée par E______ SA ne constitue pas un revenu imposable et à ce que le dossier soit renvoyé à l’AFC-GE pour l’émission de nouveaux bordereaux dans le sens des considérants.

Ils admettent en substance que les constructions projetées par E______ SA respectent les normes actuelles de la zone mais plaident qu’il convient d’admettre une moins-value de leur parcelle en regard de la situation qui existait au moment de l’acquisition de celle-ci. A cette époque, les normes de construction en zone villas ne permettaient en effet un rapport de surfaces supérieur à 20% qu’à des conditions très restrictives. Le règlement de quartier qui était alors en vigueur imposait en outre une zone de non-bâtir à cheval sur les parcelles 3______ et 1______. La construction à venir sur la parcelle voisine n’aurait par conséquent pu être ni autorisée, ni même envisagée à cette époque. La moins-value de leur bien-fonds était dès lors avérée. Conformément à la jurisprudence, l’indemnité visant à compenser cette moins-value ne constituait pas un revenu imposable.

17.         L’AFC-GE a conclu au rejet du recours. E______ SA avait obtenu, en contrepartie de l’indemnité versée au contribuable, le retrait du recours formé par celui-ci et avait ainsi pu entamer ses travaux de manière anticipée. Or, selon la jurisprudence, la renonciation onéreuse à une voie de recours ne devait pas bénéficier d’un privilège fiscal. En outre, le risque d’une densification de la parcelle acquise par E______ SA existait depuis la radiation du règlement de quartier en 1993. D’après la jurisprudence, la concrétisation de ce risque par l’octroi d’une autorisation de construire conforme aux normes actuelles de la zone ne causait en principe pas de dommage supplémentaire aux riverains. L’indemnité versée par E______ SA constituait dès lors un revenu imposable au sens des art. 16 al. 1 LIFD et 17 al. 1 LIPP. La question de l’application des 23 let. d LIFD et 26 let. d LIPP pouvait par conséquent rester ouverte.

18.         Les contribuables ont renoncé à répliquer et persisté dans leurs conclusions.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 LIFD).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             Les recourants demandent que l’indemnité de CHF 150'000.- versée par E______ SA soit exonérée de l’ICC et de l’IFD pour la période fiscale 2021.

4.             La question étant traitée de la même manière en droit fédéral et en droit cantonal harmonisé, le présent jugement traite simultanément des deux impôts, comme cela est admis par la jurisprudence (ATF 135 II 260 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_662/2014 du 25 avril 2015 consid. 1 ; ATA/1248/2020 du 8 décembre 2020 consid. 3c).

5.             L’art. 16 LIFD, ainsi que l’art. 17 LIPP dont la teneur est similaire (ATA/718/2014 du 9 septembre 2014 consid. 3), prévoient que l’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques. En lien avec la liste exemplative des art. 17 à 23 LIFD – ainsi que des art. 18 ss LIPP –, cette disposition exprime, pour l’imposition du revenu des personnes physiques, le concept de l’accroissement du patrimoine, respectivement de l’imposition du revenu global net (« Reinvermögenszugangstheorie »), ainsi que la règle selon laquelle tous les revenus du contribuable sont en principe imposables (ATF 143 II 402 consid. 5.1; 139 II 363 consid. 2.1).

Conformément aux art. 16 al. 3 LIFD, 27 let. j 1ère phr. LIPP et 7 al. 4 let. b de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14), les gains en capital réalisés sur des éléments de la fortune privée sont toutefois exonérés de l’impôt ordinaire sur le revenu. Les cantons doivent cependant percevoir un impôt sur les gains immobiliers privés. Celui-ci a pour objet les gains réalisés, notamment, lors de l’aliénation de tout ou partie d’un immeuble faisant partie de la fortune privée du contribuable, à condition que le produit de l’aliénation soit supérieur aux dépenses d’investissement (art. 12 al. 1 LHID), ainsi que lors de certaines opérations assimilées à une aliénation (art. 12 al. 2 LHID). Cette disposition laisse une grande liberté aux cantons pour déterminer, dans leur législation, les situations assimilables à une aliénation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1035/2013 du 5 juin 2015 consid. 3.2, RDAF 2015 II 469 ; cf. infra consid. 7).

Selon la jurisprudence, l’exigence d’harmonisation fiscale verticale impose, lors de l’interprétation de l’art. 16 al. 3 LIFD, de prendre en considération la pratique relative aux dispositions correspondantes du droit harmonisé. Les gains réalisés lors de l’aliénation d’immeubles faisant partie de la fortune privée du contribuable étant soumis à l’impôt sur les gains immobiliers selon le droit harmonisé (cf. art. 12 LHID), la notion de gain en capital (exonéré) provenant de la vente d’immeubles détenus dans la fortune privée doit être interprétée à la lumière de l’article 12 LHID, également pour l’impôt fédéral direct, afin de parvenir à une concordance entre les différents niveaux d’imposition (ATF 148 II 378 consid. 3.4 et les arrêts cités, RDAF 2023 II 89).

6.             Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, sont considérés comme des gains en capital les accroissements de patrimoine net qui apparaissent comme conséquence naturelle et typique (adéquate) d’un appauvrissement. Une condition préalable indispensable à l’exonération du gain en capital est par conséquent l’existence d’une cession complète ou partielle de droits réels ou personnels. Ceux-ci quittent la fortune de la personne concernée et en diminuent temporairement la substance jusqu’à réception de la contre-prestation. L’exonération des gains en capital constitue une exception au principe de l’imposition selon la capacité économique et à la théorie de l’accroissement du patrimoine qui en découle. Elle doit donc être interprétée restrictivement (ATF 148 II 378 précité consid. 3.3 et les arrêts cités).

Dans l’ATF 139 II 363, le Tribunal fédéral a estimé que l’indemnité reçue pour non-objection ou retrait d’opposition à un projet de construction sur un terrain voisin était soumise à l’impôt sur le revenu en vertu des art. 16 al. 1 LIFD et 21 al. 1 LIFD – lequel prévoit l’imposition du rendement de la fortune immobilière au même titre que l’art. 24 al. 1 LIPP – et ne devait pas bénéficier du privilège fiscal prévu par l’art. 16 al. 3 LIFD, dès lors que cette dernière disposition est limitée aux aliénations (ATF 139 II 363 précité, consid. 2.5, RDAF 2013 II p. 607, RJN 2013 p. 77). L’objet de l’acte juridique n’était en effet pas le bien-fonds de l’assujetti mais sa situation juridique en tant qu’opposant dans la procédure d’opposition à la construction (ATF 148 II 378 précité, consid. 2.6 renvoyant à l’ATF 139 II 363 consid. 2.5 et 3.5). La question de la qualification sous l’angle de l’art. 23 let. d LIFD – qui assimile à un revenu imposable les indemnités obtenues en échange de la renonciation à l’exercice d’un droit – pouvait dès lors rester ouverte (ATF 139 II 363 précité, consid. 2.5, RDAF 2013 II p. 607, RJN 2013 p. 77).

Selon le Tribunal fédéral, ce n’était que si la renonciation à l’opposition ou le retrait de celle-ci causait effectivement une moins-value au bien-fonds que la prestation (en principe imposable) pouvait constituer une réparation (exonérée) du dommage positif ou de la moins-value objective. En effet, les prestations servant à réparer un dommage patrimonial déjà survenu ou futur (« damnum emergens ») n’accroissent pas le patrimoine ; il s’agit d’un échange d’actifs non imposable (ATF 139 II 363 précité, consid. 2.6 ; cf. également arrêt du Tribunal fédéral 2C_1155/2014 consid. 3.2.2, RDAF 2017 II 392 et les références citées).

Sur ce dernier point, le Tribunal fédéral a retenu que la réalisation d’un projet de construction conforme à l’affectation de la zone ne causait en principe pas de dommage positif ou de moins-value objective. Comme le plan d’affectation en force autorisait la construction des parcelles, il fallait au moins s’attendre à ce que le terrain soit bâti dans un avenir plus ou moins proche, même avant la mise en œuvre du projet. Cette circonstance latente se répercutait déjà sur la valeur vénale de la parcelle voisine de la parcelle constructible au moment de l’entrée en force du plan d’affectation. Dans cette mesure, l’on ne pouvait en principe considérer que la réalisation d’un projet conforme au plan d’affectation causait un dommage positif supplémentaire. Il pouvait en être autrement si l’autorisation de construire était octroyée de manière inattendue, par exemple si le maître d’œuvre obtenait le droit d’ajouter un étage supplémentaire ou d’utiliser l’immeuble à d’autres fins que celles prévues par le plan. A défaut d’événement imprévu de ce genre, l’indemnité était soumise à l’impôt sur le revenu (ATF 139 II 363 précité, ibidem).

7.             En droit genevois, l’IBGI a pour objet le bénéfice net provenant de l’aliénation d’immeubles ou de parts d’immeubles sis dans le canton, ainsi que certains gains que ces immeubles procurent sans aliénation (art. 80 al. 1 de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 - LCP - D 3 05). Les taux d’imposition prévus par l’art. 84 LCP sont fixés en fonction de la durée de la possession et sont dégressifs ; en particulier, ce taux est nul lorsque le contribuable a été propriétaire de l’immeuble durant vingt-cinq ans ou plus (art. 84 al. 1 let. g LCP).

Sont notamment soumises à l’impôt les prestations de tout genre que reçoit, avant ou après l’aliénation, le propriétaire d’un bien ou actif immobilier ou le titulaire d’un droit immobilier réel ou personnel, soit notamment le produit de la constitution, la modification ou la radiation de charges ou, le cas échéant, de droits de superficie, qui, sous la forme de servitudes de droit privé ou de restrictions de la propriété fondées sur le droit public, atteignent de façon essentielle et durable l’exploitation ou la valeur d’aliénation d’un immeuble (art. 83 al. 1 let. b LCP).

Les indemnités de tout genre, quelle que soit leur appellation, liées à l’aliénation du bien ou actif immobilier ou à une des transactions prévues à cet article sont également soumises à l’impôt sur les bénéfices et gains immobiliers (art. 83 al. 1 let. d. LCP).

L’impôt sur les gains immobiliers est un impôt cantonal ayant pour objet les gains réalisés lors de l’aliénation de tout ou partie d’un immeuble (Thierry OBRIST, La fiscalité des droits de superficie, in : Florence GUILLAUME/Maryse PRADERVAND-KERNEN [éd.], Le droit de superficie. Questions pratiques et d’actualité, 2016, p. 148). Les gains en rapport avec l’immeuble sont des prestations reçues, avant et après la vente, par le propriétaire ou titulaire d’un droit immobilier (produit de cession d’un droit d’emption ou de préemption, de constitution ou de modification de charges ou de droits de superficie, etc. ; Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 4ème éd., 2012, p. 299). La renonciation notamment à une servitude foncière d’interdiction de construire contre indemnité donne lieu à la perception d’un impôt sur les gains immobiliers (Bastien VERREY, Commentaire de l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_1151/2012 du 3 juin 2013, RDAF 2013 II 607).

8.             En l’espèce, les recourants ne sauraient être suivis lorsqu’ils affirment que l’indemnité versée par E______ SA devrait être exonérée de l’impôt sur le revenu au motif qu’elle visait à compenser une moins-value objective et n’aurait par conséquent pas accru leur patrimoine.

Dans l’ATF 139 précité, le Tribunal fédéral a en effet considéré que cette possibilité d’exonération ne pouvait pas s’appliquer en cas de construction conforme à la zone. Dans un tel cas de figure, la valeur vénale de la parcelle « lésée » tenait déjà compte de la possibilité de densification prévue par le plan d’affectation en force, de sorte que la réalisation d’un projet conforme à la zone ne causait pas de dommage supplémentaire.

Or, l’on ne discerne guère quels éléments commanderaient de faire une distinction entre le cas d’espèce et la situation examinée par le Tribunal fédéral dans l’ATF en question. Les recourants ne contestent en effet pas la conformité du projet de E______ SA aux normes régissant actuellement la réalisation de nouvelles constructions en cinquième zone, étant souligné que les arguments à l'encontre de ce projet ont été successivement rejetés par les deux instances cantonales compétentes. Ils ne prétendent pas non plus que E______ SA aurait obtenu l’autorisation de construire de manière inattendue et que l’indemnité qu’elle leur aurait consentie aurait visé à compenser la moins-value liée à cet événement imprévu.

Leur objection, selon laquelle leur parcelle subissait une moins-value étant donné que la réalisation d’un habitat groupé de cinq villas, représentant un indice d’utilisation du sol supérieur à 40%, ne pouvait être envisagée au moment de son acquisition en 1989 en regard des dispositions légales et du règlement de quartier qui prévalaient alors, ne trouve par ailleurs aucune véritable correspondance dans l’ATF 139 susmentionné.

En effet, le fait que l’expert qu’ils ont mandaté pour les besoins de la présente cause a considéré que la réalisation du projet de E______ SA causait à leur bien-fonds une moins-value de 10 à 15% – du fait de la situation privilégiée dont celui-ci bénéficiait depuis 1989 – et que E______ SA a consenti à leur octroyer l’indemnité litigieuse de ce fait, ne modifie en rien le fait que la valeur de leur immeuble était affectée d'une moins-value dès l'entrée en vigueur des dispositions légales autorisant sur les parcelles voisines la construction d'habitats groupés ou de villas contiguës. Le projet de construction de E______ SA n'a ainsi pas créé cette moins-value, mais n'a fait que matérialiser celle qui découlait du régime juridique auquel était soumise la zone

Les recourants ne tentent au surplus pas de démontrer que la transaction conclue avec E______ SA aurait été liée à une aliénation d’immeuble au sens des art. 12 al. 2 LHID et 83 al. 1 let. d LCP, de sorte que l’indemnité obtenue dans ce cadre aurait dû être imposée comme gain immobilier sur la base des art. 80 ss LCP. En tout état de cause, le Tribunal fédéral a expressément retenu, dans l’ATF 139 précité, que lorsque la transaction ne vise pas le bien-fonds de l’assujetti mais sa situation juridique dans une procédure d’opposition à la construction, l’acte en question ne peut être assimilé à une aliénation de manière à bénéficier du privilège fiscal susmentionné.

Au vu de ce qui précède, l’AFC-GE a considéré à bon droit que l’indemnité de CHF 150'000.- versée par E______ SA ne pouvait pas bénéficier de l’exonération fiscale prévue par les art. 16 al. 3 LIFD et 27 let. j 1ère phr. LIPP, et devait par conséquent être assimilée à un revenu.

Le recours sera par conséquent rejeté.

9.             En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, qui succombent, sont condamnés, pris solidairement, au paiement d’un émolument s’élevant à CHF 700.- , lequel est couvert par l’avance de frais de même montant versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 21 mars 2024 par Madame A______ et Monsieur B______ contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale du 14 février 2024 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge des recourants, pris solidairement, un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l’avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Yuri KUDRYAVTSEV, Jean-Marc HAINAUT, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière