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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1157/2024

JTAPI/942/2024 du 23.09.2024 ( ICC ) , REJETE

Descripteurs : MONTANT LIBRE D'IMPÔT
Normes : LIPP.39.al2.letc; LIPP.41.al3
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1157/2024 ICC

JTAPI/942/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 23 septembre 2024

 

dans la cause

 

Madame A______

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

EN FAIT

1.             Dans sa déclaration fiscale 2022, Madame A______ a fait valoir une charge de famille pour sa fille, B______, née le ______ 1992. Elle a joint plusieurs documents attestant des paiements qu’elle avait effectués en sa faveur.

2.             Par bordereau d’impôt cantonal et communal (ICC) du 5 avril 2023, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a refusé d’admettre cette charge au motif que Mme B______ ne pouvait être considérée comme une personne incapable de subvenir entièrement à ses besoins.

3.             Le 11 avril 2023, la contribuable a formé réclamation contre ce bordereau, contestant le refus de la charge requise pour sa fille.

Cette dernière, âgée de 30 ans, était en arrêt maladie, depuis octobre 2020, et en attente d’une rente AI. Elle finançait toutes ses dépenses depuis mai 2022. Sa fille ne touchait plus des prestations de l’assurance-chômage depuis avril 2022 et ne pouvait travailler qu’à raison de 50 %. Elle ne pouvait plus reprendre son activité « habituelle », ni se former dans une autre profession. Elle ne trouvait pas d’emploi à 50 % parce qu’elle n’avait pas « d’autres formations ». Elle avait dû venir vivre chez elle dès décembre 2020.

4.             Par décision du 26 avril 2023, l'AFC-GE a rejeté cette réclamation, relevant que dans la mesure où Mme B______ percevait des prestations de l’assurance-chômage courant 2022, lesquelles ne pouvaient être revendiquées que sur la base de recherches actives d’un emploi, elle ne pouvait être considérée comme un proche nécessiteux au sens de la loi.

5.             Le 2 mai 2023, la contribuable a demandé à l'AFC-GE de réexaminer sa décision précitée.

6.             Le 9 mai 2023, l'AFC-GE a invité la contribuable à produire une attestation médicale certifiant qu’en 2022, sa fille était incapable, pour des motifs de déficience physique ou intellectuelle, d’exercer une activité lucrative, et ce même à un taux réduit.

7.             Le 12 juin 2023, la contribuable a répondu à l'AFC-GE que le médecin traitant de sa fille ne pouvait pas établir l’attestation requise, étant donné que cette dernière n’avait pas été entièrement en arrêt maladie durant l’année 2022, mais également à raison de 80 % et 50 %. Néanmoins, une charge de famille devait lui être accordée.

8.             Le 4 octobre 2023, l'AFC-GE a invité la contribuable à fournir « toutes précisions » permettant d’évaluer la situation de handicap de sa fille en 2022 et de remplir un questionnaire concernant ses revenus et frais liés à son handicap.

9.             Le 16 octobre 2023, la contribuable a indiqué à l'AFC-GE avoir des difficultés à rassembler les documents requis parce qu’elle n’avait plus de contacts avec sa fille. Celle-ci était épileptique depuis 2015. Cette maladie était traitée ponctuellement, en fonction des « différentes rechutes ». A la suite d’un accident de circulation survenu en 2018, elle avait été licenciée, puis était tombé dans une dépression. Elle présentait un trouble de l’humeur, une anxiété généralisée et un « trouble borderline », ce pourquoi elle était suivie par un psychiatre. Ces troubles l’empêchaient de travailler. Bien qu’elle cherchait un emploi, elle avait des difficultés à le trouver.

Elle a notamment joint un certificat médical de 2010, décrivant les manifestations et le traitement de l’épilepsie dont souffrait sa fille, et le questionnaire complété y indiquant qu’en 2022, celle-ci avait perçu des indemnités chômage pour un total de CHF 19'669.- (avant les déductions sociales de CHF 1'547.-) et que ses dépenses totalisaient CHF 36'523.-.

10.         Par décision du 4 mars 2024, l'AFC-GE a, à nouveau, refusé la charge requise pour Mme B______, au motif que les justificatifs fournis ne permettaient pas de constater son incapacité à exercer une activité lucrative.

11.         Par acte du 3 avril 2024, la contribuable a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant implicitement à son annulation et à l’octroi d’une charge de famille pour sa fille ainsi que d’une indemnité pour « réparation du tort moral ».

Ladite décision ne respectait pas l’art. 39 al. 2 let. c de la loi sur l’imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08). Au vu de la situation de sa fille en 2022, elle estimait avoir droit tant au splitting (barème réduit) qu’à une charge de famille au sens de cette disposition. Cette charge lui avait été accordée en impôt fédéral direct (IFD), ce qui revenait à admettre que sa fille était incapable de travailler en 2022. Elle ne comprenait pas pourquoi cela n’était pas admis pour l’ICC.

En 2022, elle avait assumé l’intégralité des frais d’entretien de sa fille, qui était alors malade, sans aucune ressource après la perte des droits aux indemnités-chômage et en attente d’une décision AI depuis plus de deux ans. Dans cette situation, elle s’estimait victime de discrimination et d’abus de droits.

Malgré sa maladie, sa fille avait fait d’innombrables recherches d’emploi, mais n’en avait trouvé aucun. La pandémie s’étant greffée à ses nombreuses problèmes physiques et psychiques, il lui avait été totalement impossible de travailler. C’était dans ce contexte qu’elle avait dû l’aider financièrement, afin qu’elle ne se retrouve pas à la rue et endettée.

12.         Le 10 juillet 2024, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

La recourante n’avait pas apporté la preuve que sa fille était entièrement incapable de subvenir à ses besoins. Les certificats médicaux remis démontraient au contraire qu'elle avait été en arrêt de travail partiel. Elle avait de surcroît perçu des indemnités de chômage à hauteur de CHF 19'669.-, ce qui démontrait qu’elle était apte à travailler, ces indemnités n’étant octroyées qu'en cas de recherches actives d’un emploi.

13.         Par réplique du 23 juillet 2024, respectivement duplique du 16 août suivant, les parties ont maintenu leurs conclusions respectives.

14.         Le 31 juillet 2024, la recourante a versé au dossier une attestation de sa fille datée de la veille. Cette dernière y confirmait que sa mère lui avait « avancé des sommes d’argent » de mai 2022 à avril 2023 et qu’étant « en arrêt maladie à 50 % » durant cette période, il lui avait été difficile de trouver un emploi « uniquement à 50%, le marché étant très convoité ». Elle n’avait donc eu « aucune source de revenu pour subvenir à [ses] besoins en cette période ».

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l'AFC-GE (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens de l'art. 49 LPFisc.

3.             L’art. 39 al. 1 let. a LIPP prévoit que sont déduits du revenu net annuel CHF 13'000.- pour chaque charge de famille entière ou CHF 6'500.- pour chaque demi-charge de famille.

Selon l’art. 39 al. 2 let. c LIPP, constituent des charges de famille des proches incapables de subvenir entièrement à leurs besoins, notamment les descendants incapables de subvenir entièrement à leurs besoins, qui, pour l’année fiscale 2022, n’ont pas une fortune supérieure à CHF 88'776.- ni un revenu annuel supérieur à CHF 15'557.- (charge entière) ou à CHF 23'335.- (demi-charge), pour celui de leur proche qui pourvoit à leur entretien.

À teneur de l’art. 24 du règlement d'application de la LIPP du 13 janvier 2010 (RIPP - D 3 08.1), le revenu au sens de l’art. 39 al. 2 let. b et c LIPP s’entend de l’ensemble des revenus bruts, prestations et avantages, qu’ils soient uniques ou périodiques, en espèces ou en nature, exonérés ou non, et quelle qu’en soit l’origine, dont bénéficie la personne considérée (al. 1). Il comprend notamment le revenu découlant d’une activité lucrative, les prestations d’assurances sociales, les allocations d’études, les subsides, les prestations d’assistance, ainsi que le rendement de la fortune mobilière et immobilière (al. 2).

4.             Aux termes de l’art. 41 al. 3 LIPP, le barème réduit est accordé aux contribuables célibataires, veufs, divorcés, séparés de corps ou de fait, qui font ménage commun avec leurs enfants mineurs ou majeurs ou un proche qui constituent des charges de famille, au sens de l’art. 39 al. 2 LIPP, et dont ils assurent pour l'essentiel l'entretien.

5.             La notion de « proches incapables de subvenir entièrement à leurs besoins » doit être interprétée de manière stricte : le proche à charge doit faire partie des membres de la famille énoncés à l’art. 39 al. 2 let. c LIPP et il ne doit pas être capable, en raison de son âge ou d’une déficience qui lui est propre, de gagner sa vie, d’occuper un emploi rémunéré ou d’avoir une activité produisant un gain supérieur aux minima légaux. Cette interprétation respecte l’exigence de stabilité voulue par le législateur : elle limite les déductions accordées aux contribuables à des situations bien précises en ne prenant en compte que les particularités propres aux personnes en situation de besoin. Ce faisant, elle évite la survenance de situations arbitraires et choquantes du fait des subtilités de la loi fiscale (ATA/604/2023 du 6 juin 2023 consid. 5.2).

L’incapacité (financière) de subvenir seul à ses besoins est une condition impérative de la déduction. Une personne est dans le besoin lorsque, pour des motifs objectifs, elle n’est durablement pas en mesure de subvenir seule à son entretien et dépend dès lors de l’aide de tiers. En revanche, la personne soutenue qui renonce, librement et sans motif impératif, à l’obtention d’un revenu suffisant n’est pas dans le besoin. Il existe une incapacité totale ou partielle d’exercer une activité lucrative lorsque, indépendamment de sa volonté, il est impossible à une personne, ou il ne lui est possible que de manière limitée, d’exercer une activité lucrative, et qu’une situation d’indigence en résulte ou, autrement dit lorsque, eu égard à sa santé physique ou psychique ou à d’autres motifs, elle n’est objectivement pas, plus ou plus entièrement à même de travailler et de subvenir seule à ses besoins. Pour évaluer ses revenus, il faut prendre en considération, outre le produit de son activité lucrative, toutes les autres sources de revenu dont elle dispose, y compris les revenus exonérés, tels que les prestations complémentaires AVS/AI. L’incapacité de subvenir seul à ses besoins s’évalue selon des critères objectifs et non d’après les besoins subjectifs du bénéficiaire des prestations. Le seuil au-dessous duquel l’indigence existe doit donc être concrétisé. S’agissant d’une déduction sociale qui tient compte schématiquement de la situation familiale et des charges du contribuable, il se justifie de définir l’incapacité de subvenir seul à ses besoins au moyen de critères aisément vérifiables. Si la Confédération n’a pas édicté de directives en la matière, la pratique cantonale fixe généralement des limites de revenu et de fortune au-dessous desquelles une incapacité financière de subvenir seul à ses besoins peut être considérée comme établie (Christine JAQUES, Commentaire romand, Impôt fédéral direct, 2017, ad art. 35 n. 38 à 40).

L'incapacité de trouver un emploi ne permet pas de considérer la personne en cause comme un proche nécessiteux, l’incapacité de travailler - en raison de caractéristiques propres à la personne nécessitant le soutien financier - devant être clairement distinguée de celle de trouver un emploi (cf. ATA/320/2006 du 13 juin 2006).

6.             Il incombe au contribuable d’établir la situation d’indigence de la personne soutenue pendant la période fiscale concernée (arrêt du Tribunal fédéral 2A.609/2003 du 27 octobre 2004 consid. 2).

En matière fiscale, plus généralement, le contribuable doit supporter le fardeau de la preuve des éléments qui réduisent ou éteignent son obligation d'impôts et les conséquences de l'échec de cette preuve, cette règle s'appliquant également à la procédure devant les autorités de recours (ATF 146 II 6 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_32/2020 du 8 juin 2020 consid. 3.5 ; ATA/1239/2021 du 16 novembre 2021 consid. 5a).

7.             En l’espèce, les pièces que la recourante a versées au dossier ne permettent pas d'établir l’incapacité de sa fille de travailler, à raison de 50 %, pendant toute l’année 2022, ni qu’un emploi à mi-temps ne lui aurait pas permis de réaliser un revenu dépassant la limite fixée par l’art. 39 al. 2 let. c LIPP. Au vu du dossier, il apparait en effet que la véritable raison pour laquelle la recourante a dû prendre en charge sa fille est que celle-ci n’a pas réussi à trouver un emploi, malgré sa capacité de travailler à mi-temps, ce qu’elle a d’ailleurs confirmé dans son attestation du 30 juillet 2024. Le tribunal entend parfaitement les difficultés financières et personnelles que la recourante a pu subir du fait d’avoir dû contribuer à l’entretien de sa fille majeure souffrant d’une maladie chronique (épilepsie), mais ne saurait pour autant accorder la charge requise, dès lors que, conformément à la disposition précitée, seule la capacité de travailler de la personne aidée est déterminante pour l’octroi d’une telle déduction. Or, en l’occurrence, il apparait que durant 2022, sa fille a disposé d’une capacité de travailler à raison de 50 %, à tout le moins, en dépit de ses problèmes de santé.

Dans ces conditions, le refus de l'AFC-GE d’accorder cette charge en ICC doit être confirmé. Qu’elle l’ait admise en IFD n’y change rien, sa décision concernant cet impôt ne conditionnant en rien celle en cause en l’espèce. Il sera au demeurant relevé qu’il n’appartient pas au tribunal, dans le cadre de la présente procédure, d’examiner le bien-fondé de cette décision, le bordereau IFD 2022, entré en force, ne faisant pas l’objet du présent litige.

8.             Il s’ensuit que le barème réduit de l’art. 41 al. 3 LIPP ne peut pas non plus être accordé.

9.             Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

10.         En application des art. 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 3 avril 2024 par Madame A______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 4 mars 2024 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Marielle TONOSSI, présidente, Pascal DE LUCIA et Jean-Marc WASEM, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière