Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/888/2024 du 09.09.2024 ( ICC ) , ADMIS PARTIELLEMENT
En droit
Par ces motifs
république et | canton de genève | |||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 9 septembre 2024
|
dans la cause
Monsieur A______ et Madame B______
contre
ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE
1. Le présent litige à trait à l'impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) de Madame B______ et Monsieur A______ pour l'année 2018.
2. Madame C______ est décédée dans le canton de Genève le ______ 2018.
3. Selon procès-verbal de la justice de paix, la défunte, qui avait confié à M. A______ la charge d’exécuteur testamentaire, avait laissé diverses dispositions pour cause de mort, dont deux disposaient de legs à hauteur de CHF 1'048'955.- en faveur du précité.
4. Le 12 septembre 2019, les époux A______ et B______ ont déposé leur déclaration fiscale 2018, accompagnée de ses annexes.
Le contribuable y a notamment mentionné, sous observations : « Legs contestés en ma faveur dans la succession de Madame C______ / dossier succession 1______ ».
5. Le 10 février 2021, en réponse à une demande de renseignements de l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) du 4 février 2021, relative à la succession non partagée, M. A______ a notamment indiqué être légataire et ne disposer que d'un droit de délivrance de legs (art. 562 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 ; CC - RS 210), droit faisant l'objet d’une contestation judiciaire de la part des héritiers institués par la défunte.
6. Le 23 janvier 2023, l’AFC-GE a notifié la taxation ICC et IFD 2018 aux contribuables.
Elle a ajouté un montant de CHF 1'048’955.- en fortune, correspondant au legs.
7. Le 3 février 2023, les contribuables ont formé réclamation contre ce bordereau, contestant l'ajout précité.
8. Par décision sur réclamation du 20 novembre 2023, l’AFC-GE a décidé de maintenir sa taxation au motif que : « De par le testament de feu Madame C______ vous avez acquis un droit ferme sur le montant de CHF 1'048'955.-. C'est donc à juste titre que vous avez été imposé sur ce montant conformément aux articles 47 et 49 de la loi sur l'imposition des personnes physiques (LIPP). En complément, nous portons à votre connaissance que la situation fiscale des héritiers n'est pas de votre ressort ».
9. Par acte du 14 décembre 2023, les contribuables ont interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI ou le tribunal) contre cette décision, concluant à son annulation et au renvoi de la cause à l'AFC-GE aux fins qu’elle reconsidère son bordereau ICC 2018 daté du 11 janvier 2023 et notifié le 23 suivant, pour la période du 1er janvier au 31 décembre janvier 2023 en n'imposant pas en fortune auprès du contribuable la somme de CHF 1'048’955.-, sous suite des frais et dépens.
Le principe de l'interdiction de la double imposition (art. 127 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 ; Cst. - RS 101) s’opposait à ce qu'un contribuable soit concrètement soumis, par deux ou plusieurs cantons, sur le même objet et pendant la même période à des impôts analogues (double imposition effective) ou à ce qu'un canton excède les limites de sa souveraineté fiscale et, violant les règles de conflit jurisprudentielles, prétende prélever un impôt dont la perception était de la seule compétence d'un autre canton (double imposition virtuelle).
En droit suisse, la fortune mobilière laissée par un défunt était taxée auprès de ses héritiers qui acquéraient l'universalité de la succession (art. 560 du CC).
En l’espèce, les legs en faveur du contribuable avaient été contestés par les héritiers, domiciliés hors du canton de Genève. Ces derniers les avaient déclarés dans leurs déclarations fiscales respectives. Aussi, l'AFC-GE n'avait pas à rajouter le montant de ces legs dans le cadre de sa taxation. Ce faisant, elle excédait clairement les limites de sa souveraineté fiscale en prétendant prélever auprès du contribuable, pour 2018, un impôt sur la somme correspondant aux legs pourtant également imposée auprès des héritiers dans d'autres cantons. A cela s'ajoutait que selon la jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 105 lb 242 consid. 4a), lorsque le paiement d'une créance était douteux, le produit était fiscalement réalisé à l'exécution effective de la créance, et non à la date à laquelle elle avait été acquise, ce afin de respecter la capacité contributive du contribuable, lequel ne pouvait être imposé sur un montant qu'il n'était pas certain de recevoir. En l'état, les débiteurs des legs s’étaient opposés à leur délivrance, dont ils contestaient jusqu'à l'existence et, partant leur qualité même de débiteurs. Il était dès lors douteux en 2018 que les legs soient un jour délivrés. En conséquence et si, par impossible, le tribunal ne condamnait pas la violation de l'interdiction de la double imposition commise par l'AFC-GE, il devrait à tout le moins admettre que l'exécution effective des legs douteux n'avait pas été réalisée en 2018.
Ils ont joint un chargé de pièces.
10. Le 6 février 2024, dans le cadre d’un entretien téléphonique avec le contribuable afin de savoir où en était la procédure civile relative à la succession de feue Mme C______, l’AFC-GE a été informée par ce dernier que la procédure était terminée et qu'il avait finalement perçu un montant. Elle lui a alors demandé de lui remettre les justificatifs.
11. Par courrier du 19 février 2024, l’AFC-GE a informé le tribunal du contact téléphonique précité et des pièces et renseignements attendus des contribuables. A réception, elle rectifierait les bordereaux ICC et IFD 2018 en tenant compte du montant effectivement reçu, relevant que ces bordereaux rectificatifs devraient conduire à la clôture de la présente procédure.
12. Le 23 février 2024, le contribuable a informé l’AFC GE que les legs ne lui avaient été délivrés qu'entre le 27 mars et le 14 avril 2023 suite à une convention mettant fin au litige civil l'opposant aux héritiers institués de feue Mme C______. Il a remis les documents y relatifs, dont il ressort qu’il a perçu un montant net de
CHF 1’018'878.99. Il n’entendait pas retirer son recours, sauf si l’AFC-GE renonçait à taxer le montant précité en 2018 et lui remboursait le trop-perçu y relatif.
13. Ce courrier a été transmis au tribunal le même jour.
14. Dans ses observations du 2 avril 2024, l’AFC-GE a conclu à ce que le montant relatif aux legs soit ramené à CHF 1'018'879.- dans les éléments de fortune des contribuables et au rejet du recours pour le surplus.
En l'espèce, feue Mme C______, décédée le ______ 2018, avait légué des avoirs au contribuable. Lesdits legs devaient être délivrés dans leur état au jour de l'ouverture de la succession, soit à la date du décès de feue la précitée. En d'autres termes, dès cette date, le contribuable disposait d'un droit à la délivrance de legs conformément à l’art. 562 CC. Par ailleurs, la défunte avait seulement des héritiers institués, ce qui excluait toute problématique quant à des héritiers réservataires et à l'atteinte de leur réserve. Le contribuable ne le prétendait d’ailleurs pas mais se limitait à indiquer que les héritiers institués avaient contesté judiciairement les legs en sa faveur. Dans tous les cas, il fallait retenir que la procédure civile l'opposant aux héritiers institués s'était soldée par un accord lui délivrant les legs à hauteur de CHF 1'018’879.- tous frais déduits. Compte tenu de ce qui précédait, il convenait de retenir que le contribuable disposait d'un droit à la délivrance des legs, soit d'une créance à l'encontre des débiteurs des legs dès le jour de l'ouverture de la succession de Mme C______, soit le ______ 2018.
15. Les contribuables ont répliqué le 12 avril 2024, persistant dans les termes de leurs recours et écritures subséquentes.
La pratique de l’AFC-GE consistant à taxer tout ce qu'elle assimilait à une créance quitte à rectifier éventuellement les bordereaux rétroactivement était contraire à la jurisprudence (ATF 105 lb 242 consid. 4a) et à la doctrine, qu’ils rappelaient.
En l’espèce, l'incertitude liée à l'exécution de la délivrance des legs avait débuté dès le décès en 2018 et ne s'était achevée qu'en février 2023, au terme d'une longue procédure judiciaire initiée par les héritiers de la de cujus qui s’étaient finalement terminée par la signature d'un accord. L'exécution des dispositions pour cause de mort contestées n'avait dès lors eu lieu qu'entre mars et avril 2023. Partant, compte tenu de l'incertitude liée à la validité des dispositions pour cause de mort et à fortiori à l'exécution de celles-ci, ce n'était que durant la période fiscale s'achevant au 31 décembre 2023 que l'imposition de la créance pouvait être effectuée. En taxant dès 2018 un montant qu'elle savait ne correspondre qu'à une expectative contestée judiciairement, sans dette respective reconnue, l’AFC-GE violait la jurisprudence précitée et toute imposition d'une créance prétendue ferme à l'encontre des débiteurs des legs dès le décès de Mme C______ devait être exclue.
Pour le surplus, la pratique de l'AFC-GE violait le principe de l'imposition selon la capacité contributive, aucun accroissement de la fortune du contribuable n'étant effective en 2018. Elle heurtait également le principe de l'interdiction de la double imposition, les débiteurs des legs ne s'étant pas reconnus comme tels auprès de leurs administrations fiscales respectives.
16. Dans sa duplique du 10 mai 2024, l’AFC GE a relevé que la jurisprudence et la doctrine citées par le contribuable n’étaient pas applicables en l’espèce. En effet, ce dernier disposait d’un droit de délivrance du legs. Il ne s’agissait donc pas d’une expectative mais bien d’une créance à l’égard des héritiers. Elle persistait pour le surplus intégralement dans les considérants et conclusions de sa réponse du 2 avril 2024.
1. Le tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l'AFC-GE (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ;).
2. Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc.
3. Dans sa réponse, l'AFC-GE a conclu à ce que le montant relatif aux legs soit ramené à CHF 1'018'879.-. Il lui en sera donné acte.
4. Selon art. 484 al. 1 CC, le disposant peut faire, à titre de legs, des libéralités qui n'emportent pas d'institution d'héritier. Il peut soit léguer un objet dépendant de la succession ou l'usufruit de tout ou partie de celle-ci, soit astreindre ses héritiers ou légataires à faire, sur la valeur des biens, des prestations en faveur d'une personne ou à la libérer d'une obligation (art. 484 al. 3 CC).
5. Le légataire n'acquiert pas la qualité de successeur à titre universel du défunt à l'ouverture de la succession. Il ne fait pas partie de la communauté héréditaire et ne répond pas des dettes du défunt. Il n'est qu'un successeur entre vifs et, à ce titre, ne dispose que d'une créance tendant à la délivrance du bien légué ou à l'exécution de la prestation conférée par le défunt (cf. Anouchka HUBERT-FROIDEVAUX, Commentaire du droit des successions, 2012, n. 12 et 13 ad art. 484 CC p. 136).
6. La chose léguée est délivrée dans son état au jour de l'ouverture de la succession, avec ses détériorations et ses accroissements, libre ou grevée de charges (art. 485 al. 1 CC).
7. Sauf précision contraire du de cujus, la créance du légataire prend naissance de plein droit à l'ouverture de la succession. Elle n'est cependant pas exigible tout de suite. Selon l'art. 562 al. 2 CC, pour faire valoir son droit, le légataire doit en effet attendre que l'héritier ait définitivement acquis la succession (acceptation ou échéance du délai pour répudier). En cas de doute sur l'existence du legs, l'exécuteur testamentaire doit obtenir l'accord du débiteur ou attendre un jugement
(cf. Paul-Henri STEINAUER, Le droit des successions, 2ème éd., 2015, § 1083 et 1175a).
8. Réglé aux art. 13 et 14 de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14), l'impôt sur la fortune des personnes physiques a pour objet l'ensemble de la fortune nette (art. 13 al. 1 LHID et 46 la loi sur l’imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 LIPP - D 3 08).
La fortune imposable se détermine d'après son état à la fin de la période fiscale
(art. 17 al. 1 LHID).
9. Sont notamment soumises à l'impôt sur la fortune les créances chirographaires
(art. 47 let. e LIPP). L'état de la fortune mobilière et immobilière est établi au 31 décembre de l'année pour laquelle l'impôt est dû (art. 49 al. 1 LIPP).
10. De manière générale, un revenu n’est imposable que s’il est réalisé, ce qui constitue le fait générateur de l’imposition. S’agissant du moment de la réalisation effective, un revenu est considéré comme réalisé quand le contribuable reçoit une prestation en espèces ou (déjà) lorsqu’il acquiert une créance ferme permettant d’exiger cette prestation, créance dont il peut effectivement disposer (arrêts du Tribunal fédéral 2C_152/2015 du 31 juillet 2015 consid. 4.3 ; 2C_368/2013 du 2 février 2014 consid. 6 ; 2C_168/2012 du 1er mars 2013 et les références citées).
11. En règle générale, l’acquisition d’une prétention est déjà considérée comme un revenu dans la mesure où son exécution ne paraît pas incertaine. Ce n’est que si cette exécution paraît d’emblée peu probable que le moment de la perception réelle de la prestation est pris en considération (ATF 113 Ib 23 consid. 2e ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_445/2015 du 26 août 2016 consid. 6.3.3 ; voir également ATA/652/2016 du 26 juillet 2016 consid. 3b et les références citées).
12. Selon la jurisprudence, les critères pour juger de la difficulté de recouvrer une créance sont restrictifs : il faut que le débiteur apparaisse comme définitivement insolvable pour que la créance ne soit pas imposable. La perte est certaine lorsque le contribuable démontre qu’il a mis en œuvre les procédures et démarches que l’on peut raisonnablement attendre d’un créancier ou d’un porteur de droit à l’égard de son bien. Les pertes sur créances deviennent effectives au moment où l'insolvabilité est constatée officiellement par un acte de défaut de biens (ATA/405/2023 du 18 avril 2023 consid. 2e et les arrêts cités).
13. En matière fiscale, les règles sur le fardeau de la preuve veulent que l'autorité fiscale établisse les faits augmentant la taxation et supporte le fardeau de la preuve de démontrer l'existence d'éléments imposables, tandis qu'il incombe au contribuable de justifier les faits qui réduisent ou éteignent son obligation fiscale (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_111/2012 du 25 juillet 2012 consid. 4.6; ATA/18/2013 du 8 janvier 2013 consid. 7b; ATA/483/2012 du 31 juillet 2012).
Ces règles sur le fardeau de la preuve s'appliquent également à la procédure devant les autorités de recours en matière fiscale (Arrêt du Tribunal fédéral 2A.105/2007 du 3 septembre 2007).
14. En l’espèce, par deux dispositions pour cause de mort, feue Mme C______, décédée le ______ 2018, a légué au contribuable la somme de CHF 1'048'955.-. Les legs en question devaient être délivrés dans leur état au jour de l'ouverture de la succession, soit à la date du décès de feue la précitée. Conformément à l’art. 562 CC, dès cette date, le contribuable disposait ainsi d'un droit à la délivrance de legs. Les legs lui ont été délivrés à hauteur de CHF 1'018’879.-, tous frais déduits, entre mars et avril 2023, si bien que la question de la perte de la créance correspondante, née en 2018, ne se pose même pas.
15. Le contribuable soutient que les héritiers institués ayant contesté judiciairement les legs en sa faveur, il ne pouvait, d’une part, être imposé sur une somme déjà imposée auprès des héritiers dans d’autres cantons et, d’autre part, être imposé en 2018 sur une créance dont le paiement était alors douteux et qu’il n’était pas sûr de recevoir. Il invoque les principes d’interdiction de la double imposition et de l’imposition selon la capacité contributive.
16. Pour les successions ouvertes dans le canton de Genève, les droits sont dus sur tous les biens qui en dépendent, quelle que soit leur nature et dans quelque lieu qu'ils soient situés, à l'exception des immeubles situés hors du canton, à condition qu'il n'en résulte pas une double imposition contraire au droit fédéral et aux traités internationaux (art. 4 al. 1 LDS).
17. Les droits de succession sont dus par les héritiers et légataires sur leurs parts respectives (JTAPI/661/2015 du 1er juin 2015 consid. 9).
Ces droits sont notamment calculés sur les legs (art. 16 let. b LDS), ceci en tenant compte des catégories auxquelles appartiennent les légataires (cf. art. 17 à 21 LDS) et conformément aux barèmes prévus à ces derniers articles (art. 23 al. 2 LDS). Selon l’art. 53 LDS, intitulé « Débiteurs des droits », les héritiers légaux et institués, les usufruitiers, les légataires, les bénéficiaires et attributaires d’assurances, de rentes et de libéralités sont tenus d’acquitter les droits de succession, intérêts, amendes, frais et émoluments (al. 1). Ont cette même obligation les exécuteurs testamentaires, administrateurs d’office et liquidateurs officiels (al. 2). Par ailleurs, dans tous les cas, les héritiers légaux et institués sont tenus, solidairement et sur tous leurs biens, au paiement des droits, intérêts, frais et émoluments dus sur les parts héréditaires, legs, rentes et autres libéralités (art. 54 al. 1 LDS). Les héritiers, usufruitiers, légataires, bénéficiaires et attributaires d’assurances, de rentes et de libéralités, les tuteurs et curateurs, administrateurs d’office et liquidateurs officiels, par le fait desquels des contraventions ont eu lieu, en sont personnellement responsables (art. 54 al. 2 LDS).
18. Il découle de ce qui précède que les droits de succession sont dus par les légataires sur leurs parts respectives (cf. art. 2 LDS et 53 al. 1 LDS). En outre, le calcul de ces droits doit se faire sur les legs (cf. art. 16 let. b, 21 et 23 al. 2 LDS ; JTAPI/660/2015 du 1er juin 2015 consid. 9).
19. La jurisprudence a également retenu que l’art. 56 LDS - qui stipule que dans l’hypothèse où les héritiers ont acquitté les droits dus par les légataires particuliers et autres bénéficiaires, ils peuvent exercer leur recours contre ces derniers, sauf dans le cas où le testateur aurait mis ces droits à la charge de la succession -, ne modifie pas le principe selon lequel, après déduction des dettes successorales, l’AFC-GE calcule le montant des droits successoraux rattachés à la part de chacun des héritiers, légataires ou autres bénéficiaires en fonction des critères et des taux énoncés aux art. 17 à 21 LDS. Cet article n’accorde aucun droit à un héritier institué de demander, lorsqu’un testateur a prévu la délivrance de legs nets d’impôts successoraux, que le montant des droits successoraux qui lui échoit soit calculé sur le solde de la masse successorale restant après paiement des droits successoraux liés à des legs ou à d’autres attributions. L’interpréter dans ce sens reviendrait à accorder aux obligations liées au paiement de tels droits le statut de dettes successorales, en contradiction à la définition qui en est faite à l’art. 14 LDS (ATA/1310/2015du 8 décembre 2015 consid. 5).
20. Le principe de l'interdiction de la double imposition au sens de l'art. 127 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) s'oppose notamment à ce qu'un contribuable soit concrètement soumis, par deux ou plusieurs cantons, sur le même objet et pendant la même période à des impôts analogues (double imposition effective) ou à ce qu'un canton excède les limites de sa souveraineté fiscale et, violant des règles de conflit jurisprudentielles, prétende prélever un impôt dont la perception est de la seule compétence d'un autre canton (double imposition virtuelle), (ATF 134 I 303 consid. 2.1 ; 133 I 308 consid. 2.1).
21. L'état de fait dans les deux cantons concernés doit être soumis à des impôts analogues. Cela signifie que les deux impôts frappent économiquement la même base de calcul, sans égard à la manière dont ils sont juridiquement aménagés. Par impôts concurrents, il faut toujours entendre les impôts ordinaires, lesquels comprennent en particulier l'impôt sur le revenu et la fortune, ainsi que l'impôt sur les successions et les donations (Peter MÄUSLI-ALLENSPACH in Martin ZWEIFEL, Michael BEUSCH, Peter MÄUSLI-ALLENSPACH, Interkantonales Steuerrecht, § 29-31, p. 27).
22. D’après le principe de la proportionnalité de la charge fiscale à la capacité contributive, chaque citoyen doit contribuer à la couverture des dépenses publiques, compte tenu de sa situation personnelle et en proportion de ses moyens (ATF 140 II 157 consid. 7.1).
23. En l'espèce, les legs ayant été délivrés au contribuable à hauteur de
CHF 1'018'879.-, tous frais déduits, entre mars et avril 2023, il ne saurait être retenu que le paiement de sa créance était douteux et qu'il n'était pas sûr, en 2018, de la recevoir. La simple ouverture d'une procédure de contestation des legs, par les héritiers dont la part réservataire n'était au demeurant pas atteinte, n'aurait en outre pas suffit à démontrer le contraire. Il en résulte que le contribuable avait bien acquis un droit ferme sur ses legs en 2018 et qu'il devait, à juste titre, être imposé, en fortune, sur le montant de ces derniers en application des art. 46 et ss LIPP, étant rappelé que l'état de la fortune mobilière est établi au 31 décembre de l'année pour laquelle l'impôt est dû. Partant, le grief du recourant, en lien avec l'imposition selon la capacité contributive, doit être écarté.
Pour le surplus, aucune double imposition ne saurait être retenue dès lors que les recourants et les héritiers de feue Mme C______ n'ont pas été soumis, par deux ou plusieurs cantons, sur le même objet et pendant la même période à des impôts analogues. Les héritiers sont en effet responsables du règlement des droits successoraux sur la masse successorale, legs compris, au sens de la LDS, alors que les recourants sont, pour leur part, soumis, dans le cadre de la présente procédure, à l'impôt sur la fortune du fait de la créance (legs) acquise par le contribuable en 2018 (art. 47 let. e LIPP cum art. 49 al. 1 LIPP). Le canton de Genève n'a pas plus excédé les limites de sa souveraineté fiscale en imposant les contribuables, lesquels ne soutiennent au demeurant pas que la perception de l'impôt querellé était de la compétence d'un autre canton.
Partant, c'est à juste titre que l'AFC-GE a taxé les legs litigieux.
24. Au vu de ce qui précède, le recours sera admis partiellement, dans la mesure reconnue par l'AFC-GE, et rejeté pour le surplus.
Le dossier sera par conséquent renvoyé à l'AFC-GE pour nouveau bordereau de taxation ICC 2018 tenant compte, pour la fortune imposable, d’une créance de
CHF 1'018'879.-, au lieu de celle de CHF 1'048’955.-.
25. En application des art. 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombent dans une très large mesure, sont condamnés au paiement d’un émolument réduit s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.
26. Les recourants ayant agi en personne et ne démontrant pas avoir encouru des frais particuliers pour les besoins de la cause n'ont pas droit à une indemnité de procédure (cf. not. ATA/1278/2018 du 27 novembre 2018 consid. 11 ; ATA/759/2018 du
19 juillet 2018).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable le recours interjeté le 14 décembre 2023 par Madame B______ et Monsieur A______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 17 novembre 2023 ;
2. l'admet partiellement ;
3. renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour nouveaux bordereaux de taxation ICC et IFD 2018, dans le sens des considérants ;
4. met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par son avance de frais ;
5. dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
6. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Siégeant: Marielle TONOSSI, présidente, Laurence DEMATRAZ et Caroline GOETTE, juges assesseurs.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Marielle TONOSSI
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
Genève, le |
| La greffière |