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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1558/2023

JTAPI/567/2024 du 10.06.2024 ( ICCIFD ) , REJETE

ATTAQUE

En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1558/2023 ICCIFD

JTAPI/567/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 10 juin 2024

 

dans la cause

 

Madame A______ et Monsieur B______, représentés par Me David MINDER, avocat, avec élection de domicile

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS


 

EN FAIT

1.             Le présent litige a trait aux taxations pour les périodes 2013 à 2019 pour l'impôt fédéral direct (ci-après : IFD) et l'impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) des époux A______ et B______ (ci-après : les contribuables ou les recourants). Cependant, et pour la bonne compréhension de l'argumentation développée par les parties, l'état de faits inclura également le déroulement des périodes antérieures.

2.             La contribuable est inscrite depuis le ______ 2006 en entreprise individuelle au Registre du commerce de Genève, sous la raison sociale "C______" dont le but est : "gestion, achat, vente de biens immobiliers". Son mari est également inscrit en entreprise individuelle depuis le ______ 2006 avec comme but : "gestion, achat, vente de biens immobiliers".

3.             Dans leur déclaration fiscale 2011, imprimée le 8 janvier 2013 et signée le 18 janvier, les contribuables n'ont mentionné que le résultat, à perte, de leur activité dans le domaine immobilier.

4.             Les bordereaux émis le 5 mai 2017 par l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) pour l'ICC et l'IFD de cette période portaient sur un revenu imposable nul. Ils n'ont pas fait l'objet d'une réclamation et sont entrés en force.

5.             Dans leur déclaration fiscale 2012, imprimée le 27 décembre 2013 et reçue par l'AFC-GE le 6 janvier 2014, les contribuables ont mentionné comme profession de manière identique "négociant immobilier". Par comparaison avec ceux de l'exercice précédent, les comptes annexés à leur déclaration mentionnaient de manière nouvelle à l'actif des comptes bancaires professionnels hors immobilier pour un total de CHF 4'767'524.-, au passif des avances à terme fixe de CHF 1'666'000.-, des revenus "trading forex" de CHF 659'373.- pour un résultat net déclaré de CHF 1'823'253.44.

6.             Après plusieurs demandes de renseignements, auxquelles les contribuables ont répondu, l'AFC-GE a, le 30 novembre 2018, émis leurs bordereaux IFD et ICC 2012. Les avis de taxation mentionnent notamment que les comptes bancaires et revenus de trading forex précités "sont comptabilisés à tort dans vos activités indépendantes, car ces éléments ne sont pas en lien avec les buts de vos entreprises individuelles. En effet, vous n'êtes pas commerçants de titres, mais professionnels de l'immobilier." Se référant par ailleurs à l'activité mentionnée dans la déclaration et aux buts des entreprises individuelles inscrites au Registre du commerce, l'AFC-GE considérait que les éléments précités font partie du patrimoine privé des contribuables. Le revenu "trading forex" de CHF 659'373.- n'était pas intégré dans leur revenu imposable.

7.             Contre ces bordereaux, les contribuables ont déposé une réclamation par un courrier recommandé du 26 décembre 2018. Expliquant avoir élargi leur activité professionnelle en ouvrant une relation bancaire dédiée (compte forex professionnel) auprès d'un établissement bancaire dans le but de diversifier leurs revenus en prévision d'un ralentissement du marché immobilier, ils concluaient à ce que le bénéfice déclaré soit réintégré dans le résultat de leur activité professionnelle.

8.             Après avoir obtenu des contribuables des explications détaillées sur leur activité et de nombreux documents complémentaires, notamment des relevés bancaires pour les années 2012 à 2016, l'AFC-GE a, par des décisions notifiées par un pli recommandé du 13 mars 2020, décidé de corriger ses taxations sur des points relatifs aux éléments immobiliers des contribuables et les a maintenues pour le surplus. En particulier, elle retenait, pour divers motifs se référant notamment aux déclarations déposées pour les périodes ultérieures, qu'il n'y avait pas d'activité professionnelle de commerce de titres.

9.             Les déclarations fiscales des contribuables pour les périodes 2013 à 2019, qui font l'objet de la présente procédure, ont été imprimées, signées et reçues par l'AFC-GE aux dates suivantes :

Période date impression date signature date réception

2013 05.12.2014 20.12.2014 07.01.2015

2014 08.12.2015 09.12.2015

2015 23.11.2016 20.12.2016 03.01.2017

2016 10.10.2017 12.10.2017 16.10.2017

2018 20.12.2019 23.12.2019 02.01.2020

2019 21.12.2020 22.12.2020 23.12.2020

10.         Dans la déclaration 2013, est mentionnée comme profession des deux contribuables "négociant en immobilier, négociant en or". Depuis 2014, est mentionné "négociant immobilier, valeurs mobilières". Les comptes cumulés des activités indépendantes des deux époux font notamment ressortir les chiffres suivant (le résultat hors trading a été calculé par le tribunal) :

 

Période revenu trading résultat activité résultat

forex indépendante hors trading

2013 -9'564'531.00 -8'920'157.73 644'373.27

2014 -423'457.00 2'183'102.57 2'606'559.57

2015 -289'358.00 -41'286.73 248'071.27

2016 - 267'562.00 -135'349.15 132'212.85

2017 169'843.00 144'572.06 - 25'270.94

2018 -764'874.00 -101'894.15 662'979.85

2019 -52'658.00 759'750.46 812'408.46

11.         Par un courrier de leur mandataire du 9 février 2021, les contribuables ont demandé à l'AFC-GE de leur accorder un statut de commerçants professionnels de titres. Ils relevaient notamment dans ce courrier avoir subi des pertes en 2011, mais qui étaient sans impact sur leur taxation, qui portait sur un revenu nul. Pour la période 2012, aucun recours n'avait été déposé contre la décision sur réclamation du 13 mars 2020 faute d'intérêt digne de protection à contester une taxation inférieure aux montants déclarés.

12.         Aucune réponse ne semble avoir été donnée à cette demande.

13.         En annexe à un courrier recommandé du 20 février 2023, l'AFC-GE a notifié aux recourants leurs bordereaux IFD et ICC des périodes 2013 à 2019. Le courrier d'accompagnement développe pour quelles raisons elle n'a pas retenu d'activité de commerçants professionnels de titres.

14.         Se référant à ses écritures précédentes, le mandataire des contribuables a, par des réclamations expédiées en courrier A+ le 15 mars 2023, contesté ces bordereaux et demandé que la qualification de commerçants professionnels de titres soit retenue.

15.         Par des décisions du 29 mars 2023, l'AFC-GE a rejeté ces réclamations et maintenu ses taxations. Considérant qu'aucun motif nouveau n'avait été avancé, elle persistait dans les commentaires et explications de sa lettre d'accompagnement du 20 mars 2023.

16.         Alléguant une notification de ces décisions le jeudi 6 avril 2023, les contribuables ont, par l'intermédiaire de leur mandataire, formé des recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) par des actes déposés au greffe le 4 mai 2023. Ils concluent, pour chacune de ces périodes, à la prise en compte des pertes réalisées sur l'activité de trading "sous suite de frais et dépens". Les recourants allèguent notamment avoir effectué, à raison de 200 jours d'activité par année, une dizaine d'opérations par jour portant sur des montants variant entre CHF 500'000.- à CHF 1'000'000.- chacune le total annuel de celles-ci dépassant un milliard. Pour le surplus, la motivation de leur recours sera discutée ci-dessous dans la mesure utile par le tribunal.

17.         Dans sa réponse du 25 septembre 2023, l'AFC-GE ne formule aucune observation sur la recevabilité des recours. Elle conclut sur le fond à leur rejet pour des motifs qui seront également analysés plus amplement ci-dessous et dans la mesure utile par le tribunal.

En annexe à cette écriture, l'AFC-GE a notamment produit les déclarations fiscales 2020 et 2021 des recourants qui font ressortir les résultats suivants :

Période revenu trading résultat activité résultat

indépendante hors trading

2020 -409'192.00 231'861.43 641'053.43

2021 -705'989.00 263'094.90 969'083.90

18.         Après avoir obtenu plusieurs prolongations de délai, le mandataire des recourants a, par un courrier du 2 février 2024, indiqué que ces derniers persistaient à contester la position de l'AFC-GE, cette dernière faisant une lecture erronée de la jurisprudence en la matière. Ils maintenaient dès lors les conclusions de leur recours du 28 avril 2023.

19.         Cette écriture a été transmise pour information à l'AFC-GE qui n'y a pas réagi.

20.         Répondant à la demande du tribunal de produire le journal des écritures comptables et le grand livre de l'activité indépendante des recourants pour les exercices 2013 à 2019 leur mandataire a, par un courrier du 13 mai 2024, fait parvenir une clef USB avec "les documents comptables qui en tiennent lieu" ainsi que les relevés bancaires. Il indiquait que "les revenus et pertes liés à l'activité de trading ressortant des comptes d'exploitation correspondent à la différence entre le solde des comptes bancaires en fin de période fiscale et le solde des comptes bancaires au début de dite période fiscale, déduction faite des éventuels apports, respectivement adjonction faite des éventuels retraits".

21.         A ce courrier était joint une clef USB dans laquelle figure, d'une part, le bilan et le compte d'exploitation des périodes susmentionnées ainsi que, d'autre part, les relevés de divers comptes bancaires.


 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             Le présent litige a trait à la déduction des pertes que les recourants allèguent avoir subies dans le cadre d'une activité de commerce professionnel de titres. Avant d'examiner l'argumentation des parties sur le fond, le tribunal se penchera en premier lieu sur des questions d'ordre formel.

4.             Dans un arrêt du 5 janvier 2021, le tribunal fédéral a notamment rappelé que : "le fait que l'autorité fiscale puisse observer que des pertes ont été subies sur la base de relevés bancaires fournis par le contribuable ne signifie pas encore que ces pertes ont été comptabilisées comme l'exige l'art. 27 al. 1 let. b LIFD. Or, à cet égard, ni une simple annonce orale que des pertes auraient été subies dans le cadre d'une activité de commerce de titres, ni la production de relevés bancaires ne permettent de considérer que les pertes ont été comptabilisées au sens de l'art. 27 al. 1 let. b LIFD et de l'art. 125 al. 2 LIFD. Le défaut de comptabilisation suffit à exclure la déduction des pertes, sans qu'il ne soit nécessaire d'examiner les autres conditions de l'art. 27 al. 1 let. b LIFD (cf. arrêts 2C_630/2018 du 7 août 2018 consid. 4.2; 2C_87/2015 du 23 octobre 2015 consid. 6.6)." (ATF 2C_339/2020 consid. 7.2.)".

5.             S'agissant des exigences relatives à la comptabilité, il a, dans le même arrêt, précisé que : "les personnes physiques dont le revenu provient d'une activité lucrative indépendante et les personnes morales doivent joindre à leur déclaration : a) les comptes annuels signés (bilan, compte de résultats) concernant la période fiscale ; ou b) en cas de tenue d'une comptabilité simplifiée en vertu de l'art. 957 al. 2 CO : un relevé des recettes et des dépenses, de l'état de la fortune ainsi que des prélèvements et apports privés concernant la période fiscale (art. 125 al. 2 LIFD ; cf. arrêts 2C_729/2019 du 7 juillet 2020 consid. 6.2; 2C_630/2018 du 7 août 2018 consid. 4.2; 2C_189/2016 du 13 février 2017 consid. 6.4.4; 2C_87/2015 du 23 octobre 2015 consid. 6.5). Les exigences auxquelles doivent répondre les pièces comptables requises par l'art. 125 al. 2 LIFD dépendent des circonstances du cas d'espèce, en particulier du type d'activité et de l'ampleur de cette dernière. Dans tous les cas, elles doivent être propres à garantir une saisie complète et fiable du revenu et de la fortune liés à l'activité lucrative indépendante et pouvoir être contrôlées dans des conditions raisonnables par les autorités fiscales (arrêts 2C_189/2016 du 13 février 2017 consid. 6.4.4; 2C_87/2015 du 23 octobre 2015 consid. 6.5). Cette exigence est d'autant plus importante lorsque le contribuable entend alléguer des faits de nature à éteindre ou à diminuer sa dette fiscale (ATF 121 II 257 consid. 4c/aa p. 266), ce qu'il lui incombe de prouver (ATF 133 II 153 consid. 4.3 p. 158)." (consid. 7.1.)".

6.             En droit cantonal, l'article 29 alinéa 2 LPFisc a une teneur similaire à l'article 125 LIFD. Cette dernière disposition, qui a été adaptée au droit comptable entré en vigueur le 1er janvier 2013, renvoie à l'article 957 CO pour définir la nature des comptes qui doivent être joints à la déclaration. Pour cette dernière disposition, une comptabilité simplifiée n'est possible que lorsque l'entreprise de personnes réalise un chiffre d'affaires inférieur à CHF 500'000.-. Dès que cette limite est dépassée, la tenue d'une comptabilité et la présentation des comptes conforme au chapitre premier du titre trente-deuxième CO est obligatoire.

7.             En l'espèce, le volume des transactions allégué par les recourants dépasse très largement le seuil fixé par la loi, puisqu'ils affirment réaliser chaque jour plus de 10 opérations portant sur des montants entre CHF 500'000.- et CHF 1'000'000.-. Ils sont dès lors tenus d'établir une comptabilité commerciale.

8.             Les documents produits à la demande du tribunal ne répondent manifestement pas à ces exigences. Il n'y a en particulier manifestement aucun journal comptable, ni enregistrement de chaque opération, en violation du principe de régularité (art. 957a al. 2 CO). Les documents produits ne répondent même pas aux exigences d'une comptabilité simplifiée, dans la mesure où il n'y a, ni relevé des recettes et des dépenses, ni détail des prélèvements et apports privés.

9.             Le tribunal constate dès lors que les pertes alléguées par les recourants ne sont pas justifiées et démontrées par une comptabilité répondant aux exigences fixées par la loi et la jurisprudence. Pour cette seule raison, leur déduction devra être refusée sans qu'il soit nécessaire d'examiner s'ils exercent ou non une activité de commerce professionnel de titres.

10.         Le recours sera rejeté.

11.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombent sont condamnés au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 4 mai 2023 par Madame A______ et Monsieur B______ contre les décisions sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 29 mars 2023 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             ordonne la restitution aux recourants du solde de l'avance de frais de CHF 300.- ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Antoine BERTHOUD, président suppléant, Laurence DEMATRAZ et Jean-Marc WASEM, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

Le président suppléant

Antoine BERTHOUD

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière