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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3262/2023

JTAPI/304/2024 du 08.04.2024 ( OCPM ) , REJETE

ATTAQUE

Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU;MOTIVATION DE LA DÉCISION
Normes : Cst; LPA.46; CEDH.3; LEI.84.al5
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3262/2023

JTAPI/304/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 8 avril 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Pierre GABUS, avocat, avec élection de domicile

 

contre

 

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1985, est ressortissant érythréen.

2.             À une date inconnue, il s’est marié au Soudan, de façon non-officielle, à Madame B______, née le ______ 1992, également de nationalité érythréenne.

3.             Trois enfants sont issus de cette union : C______, née le ______ 2012, D______, née le ______ 2015, et E______, né le ______ 2019.

4.             M. A______, son épouse et leur enfant C______ seraient arrivés en Suisse le 1er août 2014.

5.             M. A______ y a déposé une demande d’asile et il a été auditionné, dans ce cadre, le 19 février 2016 par une collaboratrice du secrétariat d’État aux migrations (ci-après : SEM). Il a notamment indiqué ne pas avoir effectué son service militaire en Érythrée. À la question de savoir pour quelle raison il n’avait pas été envoyé à l’armée pendant ou après sa sortie de prison, il a répondu « Je vous l’ai dit tout à l’heure qu’il y avait quelqu’un qui me suivait de l’extérieur et j’avais aussi le papier » (le Tesrih, une sorte de laissez-passer soudanais).

6.             Par décision du 20 septembre 2016, le SEM a rejeté la demande d’asile, mais a admis provisoirement M. A______ en Suisse, en raison de certaines particularités de sa situation.

Ses allégations quant à une prétendue détention n’étaient pas vraisemblables et celles concernant son départ illégal d’Érythrée ne pouvaient être considérées comme vraisemblables. Ses déclarations n’étant pas vraisemblables, il pouvait se dispenser d’examiner la pertinence des faits invoqués.

M. A______ avait produit uniquement une copie en mauvais état de sa carte d’identité érythréenne. Un départ légal d’Érythrée n’était en principe possible qu’avec un passeport valide et un visa de sortie. Depuis plusieurs années, ces visas étaient établis par les autorités érythréennes à de rares personnes considérées comme loyales, dans des conditions très restrictives et moyennant le paiement d’une forte somme d’argent. Les enfants à partir de 11 ans, les hommes ayant moins de 54 ans et les femmes ayant moins de 47 ans n’avaient en principe pas le droit de se faire délivrer un visa.

Il ressortait de son audition du 19 février 2016 qu’il avait obtenu sa carte d’identité en se rendant à F______(Érythrée) avec sa tante paternelle. Pour obtenir ce document, il fallait que quelqu’un témoigne de son origine érythréenne. Sa tante paternelle avait dit « c’est le fils de mon frère ». On lui avait demandé pourquoi il n’avait pas obtenu une carte identité au Soudan, où il disait être né. Il avait répondu : « Quand j’avais l’âge pour avoir une carte identité, je n’avais personne, ni père, ni mère. Je suis allé en Érythrée avec ma tante paternelle. Après quelque temps, j’ai obtenu ma carte d’identité ». Il avait perdu sa carte d’identité en Libye. Elle se trouvait dans « la moitié de ses affaires », dans une voiture autre que celle dans laquelle il voyageait.

7.             En septembre 2016, l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a délivré à M. A______ un permis F (admission provisoire) pour étranger, lequel a été renouvelé pour la dernière fois en septembre 2023, avec une validité allant jusqu’au 19 août 2024.

8.             Le 25 octobre 2018, le SEM a contrôlé l’admission provisoire de M. A______ et a constaté qu’il n’envisageait pas « pour l’instant » de la lever. Il restait donc au bénéfice d’une admission provisoire en Suisse.

9.             Le 29 novembre 2019, M. A______ a déposé auprès de l’OCPM une demande de transformation de son permis F en permis B (autorisation de séjour), pour lui-même ainsi que pour sa femme et ses deux filles. Il a joint à sa demande une lettre de motivation et plusieurs documents.

De septembre 2014 à octobre 2018, il avait exercé des activités auprès de l’Hospice général, à raison de cinq après-midi par semaine. Depuis le 1er janvier 2019, il travaillait auprès de G______ SA à H______, avec un contrat à durée indéterminée. Sa famille se sentait bien intégrée à Genève, ses deux filles étaient à l’école I______ et ils parlaient tous couramment le français. Ils n’avaient pas de dettes et n’étaient pas connus des services de police.

Étaient notamment joints à cette demande une attestation de l’hospice du 28 août 2019, selon laquelle M. A______ et sa famille n’étaient plus aidés financièrement depuis le 1er mai 2019 ; une attestation de la participation de M. A______ à un cours de français écrit A1 à B1 du 10 avril au 28 juin 2018 ; une attestation de scolarité de ses deux filles ; un extrait de son casier judiciaire suisse à jour du 5 mai 2019, attestant qu’il ne faisait l’objet d’aucune condamnation pénale, et un extrait de registre des poursuites à jour et à son nom du 26 novembre 2019, attestant qu’il ne faisait pas l’objet de poursuites ni d’acte de défaut de biens.

10.         Le 17 décembre 2019, l’OCPM a fait noter à Mme B______ et à M. A______ qu’ils n’avaient déposé aucun passeport ou pièce de légitimation originale reconnue en cours de validité. Or, il était en droit d’attendre d’une personne admise provisoirement, sans qualité de réfugiée, qu’elle entreprenne des démarches pour se faire établir un passeport attestant de son identité, le permis F ne constituant pas une preuve formelle de l’identité de son titulaire. Ils étaient invités à déposer dans les meilleurs délais leurs passeports originaux en cours de validité auprès du SEM. Ils devaient également lui transmettre une attestation de niveau A1 (CECR) à l’oral de français, l’attestation de participation à un cours de français que M. A______ avait remise étant insuffisante.

11.         Le 26 août 2020, l’OCPM leur a rappelé être toujours en attente de la présentation d’un passeport national valable et d’une attestation de niveau de langue A1 en français à l’oral. Il leur a imparti un délai au 15 octobre 2020 pour les lui remettre.

12.         Le 26 octobre 2020, M. A______ a transmis à l’OCPM le résultat de ses tests de français FIDE, au niveau B1 à l’oral.

13.         En réponse, l’OCPM lui a rappelé qu’il était toujours en attente des passeports nationaux pour procéder à l’examen de leur demande.

14.         Par transaction partielle n° ACTPI/195/2021 du 12 juillet 2021, le juge conciliateur du Tribunal de première instance (ci-après : TPI) à Genève a laissé l’autorité parentale conjointe à M. A______ et Mme B______ sur leurs enfants. Il a attribué à Madame la garde des enfants et réservé à Monsieur un droit de visite qui s’exercerait, sauf accord contraire des parties, un week-end sur deux ainsi que pendant la moitié des vacances scolaires.

15.         Le 23 juillet 2021, l’OCPM a rappelé à M. A______ qu’il était toujours en attente de la présentation de son passeport national valable et l’a invité à le renseigner sur les démarches entreprises en ce sens. Il lui a également demandé des informations sur sa situation familiale actuelle, notamment si son couple était séparé.

16.         Le 2 septembre 2021, l’OCPM a indiqué à M. A______ qu’à la lecture du document émanant du TPI, il avait pris bonne note de la séparation du couple. Par conséquent, leurs situations, s’agissant de l’octroi d’un permis de séjour, étaient désormais traitées séparément.

Par ailleurs, il ne l’avait toujours pas renseigné sur les démarches entreprises dans le but d’obtenir un passeport national valable et dans quel délai ce document pourrait être en sa possession. Sans réponse de sa part dans un délai de trente jours, il se prononcerait en l’état du dossier.

17.         Le 30 novembre 2021, l’OCPM a informé M. A______ de son intention refuser d’accéder à sa requête du 29 novembre 2019 et de refuser de soumettre son dossier avec un préavis positif au SEM. Il lui a imparti un délai de trente jours pour faire valoir ses observations écrites.

18.         Le 24 janvier 2022, sous la plume de conseil, M. A______ a émis ses observations.

La production d’un passeport national valable ne faisait pas partie des conditions nécessaires à l’octroi d’une autorisation de séjour. Une copie des pièces de légitimation suffisait.

Dès son arrivée en Suisse, il avait remis une copie de sa pièce d’identité érythréenne au SEM. Ce document permettait d’attester son identité, dès lors qu’il y était indiqué son nom, son prénom, son sexe, sa date de naissance, son lieu de naissance, son adresse ainsi que sa profession. En outre, cette carte d’identité avait été délivrée par les autorités érythréennes ; elle comprenait d’ailleurs, en bas de page, le tampon officiel du gouvernement ainsi qu’un numéro de carte d’identité.

Il n’avait pas pu remettre l’original de sa carte d’identité au SEM car il l’avait perdue au cours du voyage effectué par la mer jusqu’en Europe. Pourtant, la copie de sa carte d’identité érythréenne permettait d’établir son identité ainsi que son appartenance à l’État d’Érythrée, car ce document indiquait que la carte d’identité était délivrée aux résidents érythréens. Enfin, cette carte d’identité était encore valable puisqu’elle avait été délivrée pour une durée indéterminée. Ce document constituait ainsi bel et bien une pièce de légitimation valable et reconnue, laquelle permettait d’attester son identité. Partant et contrairement à ce que prétendait l’OCPM, il avait bel et bien collaboré à l’établissement des faits déterminants. Dès lors, l’OCPM n’était pas légitimé à refuser de soumettre son dossier avec un préavis positif au SEM.

Un préavis négatif à l’attention du SEM se justifiait d’autant moins qu’il remplissait toutes les conditions exigées pour l’octroi d’une autorisation de séjour. Il était parfaitement intégré en Suisse et un retour dans son pays d’origine n’était pas exigible. Il séjournait en Suisse depuis maintenant plus de sept ans et son revenu mensuel auprès de G______ SA s’élevait à CHF 4’450.-. Ses enfants étaient aussi domiciliés en Suisse où ils étaient scolarisés. En outre, il ne faisait pas l’objet de poursuites, était indépendant de l’aide sociale et n’était pas connu des services de police.

19.         Par décision du 21 février 2022, l’OCPM a refusé d’accéder à la requête de M. A______ du 29 novembre 2019 et de soumettre son dossier avec un préavis positif au SEM.

À teneur des pièces produites, M. A______ résidait en Suisse depuis 2014, avait une activité professionnelle stable et n’était pas dépendant de l’aide sociale. Il ne faisait pas l’objet de poursuites et il n’avait jamais été condamné pénalement. Toutefois, il n’était pas en mesure de présenter de passeport national valable et il n’avait pas apporté la moindre preuve des démarches entreprises en ce sens. Le seul document qu’il avait déposé auprès de l’autorité fédérale était une copie de sa carte d’identité, l’originale ayant été perdue.

Ainsi et dans la mesure où il n’avait pas démontré qu’il était dans l’incapacité d’obtenir un passeport national valable, il ne remplissait pas les critères prévus aux art. 84 al. 5 let. b (sic) de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et 31 de l’ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201).

20.         Par acte du 24 mars 2022, sous la plume de son conseil, M. A______ a formé recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre cette décision, concluant à son annulation, à ce qu’une autorisation de séjour lui soit délivrée et au renvoi de son dossier à l’OCPM pour que celui-ci le soumette au SEM avec un préavis positif. Il sollicitait préalablement son audition.

Depuis l’indépendance en 1993, le régime érythréen avait supprimé la plupart des libertés individuelles. La situation des droits de l’homme dans le pays était très préoccupante. En raison de la violence qui y régnait (des rafles menées par les autorités gouvernementales contre les civils et du fait qu’il n’avait pas effectué son service national), il avait décidé de fuir l’Érythrée une première fois en 2008, puis une seconde fois en 2009 pour le Soudan, d’où il était venu en Suisse en 2014.

À son arrivée en Suisse, il avait déposé une demande d’asile accompagnée d’une copie de sa carte d’identité. Cette demande lui avait été refusée par le SEM au motif qu’il ne remplissait pas les conditions requises pour la reconnaissance de la qualité de réfugié. À aucun moment son identité n’avait été remise en cause par les autorités helvétiques.

Il était parfaitement intégré en Suisse et il y résidait depuis août 2014. Il était indépendant de l’Hospice général depuis mai 2019, et n’était connu ni de l’office des poursuites, ni des services de police. Il parlait couramment le français et bénéficiait d’une attestation de langue française de niveau B1, soit un niveau supérieur à celui exigé. Il remplissait donc toutes les conditions nécessaires à l’octroi d’une autorisation de séjour.

L’identité d’une personne pouvait être établie par d’autres moyens que la production d’un passeport, à savoir par une pièce d’identité. Aucune base légale n’exigeait la production d’un passeport national valable comme pièce de légitimation. L’art. 84 al. 5 LEI ne faisait aucune mention de la production d’un passeport national valable, parmi les critères d’examen d’une demande d’autorisation de séjour déposé par un étranger admis provisoirement. La même conclusion s’imposait s’agissant de l’art. 31 al. 1 OASA.

Au regard de tous ces éléments, il avait fourni une pièce de légitimation valable, délivrée par un État reconnu par la Suisse attestant de son identité.

L’OCPM lui reprochait de ne pas avoir apporté la preuve des démarches entreprises dans le but d’obtenir un passeport valable. À ce jour, il ne s’était pas annoncé auprès de l’ambassade d’Érythrée en Suisse pour plusieurs motifs. Tout d’abord, il craignait pour sa sécurité et celle de sa famille, notamment sa tante paternelle restée au pays. De plus, il avait quitté l’Érythrée sans être au bénéfice d’un visa de sortie. Ainsi si les autorités érythréennes l’apprenaient, il était fortement à craindre qu’il s’exposerait lui-même et sa famille à des représailles de la part du gouvernement. Enfin, même si l’on devait considérer qu’il aurait dû s’annoncer auprès des autorités compétentes pour demander un passeport national valable, ce dernier ne lui aurait sans doute pas été délivré. En effet, la délivrance d’un passeport national était soumise à des conditions strictes en pratique, à savoir la preuve de paiement de l’impôt sur le revenu de 2% et à la signature d’une lettre d’excuse destinée au gouvernement. Or, il était fermement opposé au régime actuel. Dans un tel contexte, l’absence de démarches de sa part était justifiée et ne constituait pas un défaut de collaboration.

21.         Dans ses observations du 25 mai 2022, l’OCPM a conclu au rejet du recours. Les arguments soulevés par le recourant n’étaient pas de nature à modifier sa position, les requis légaux de l’art. 84 al. 4 (sic) LEI n’étant pas satisfaits. Pour le surplus, il se rapportait intégralement à sa décision, dont les termes étaient confirmés.

22.         Dans sa réplique du 16 juin 2022, sous la plume de son conseil, le recourant a intégralement persisté dans les conclusions et explications de son recours.

Dans ses observations, l’OCPM indiquait pour seul argument que les requis légaux de l’art. 84 al. 4 LEI n’étaient pas satisfaits. Or, ce cas de figure ne le concernait pas, car la décision de l’OCPM se fondait sur les art. 84 al. 5 LEI et 31 OASA. Partant, cet argument était hors sujet et sans fondement. Pour le surplus, le recourant a repris ses précédents arguments.

23.         Dans sa duplique du 6 juillet 2022, l’OCPM a indiqué ne pas avoir d’observations complémentaires à formuler et a maintenu sa décision. Il a rectifié ses observations, en indiquant que c’était les conditions légales de l’art. 84 al. 5 LEI qu’il considérait comme non satisfaites en l’espèce.

24.         Par jugement du 7 novembre 2022 (JTAPI/1176/2022), le tribunal a rejeté le recours susmentionné.

L’audition de M. A______ n’était pas nécessaire. Une confirmation orale d’une impossibilité d’obtenir un passeport érythréen valable en raison de conditions trop strictes et d’une mise en danger de sa famille ne changerait rien au fait qu’il s’agissait uniquement de ses allégations. En l’absence de démarches concrètes, il était difficile d’admettre que son audition permettrait d’éclaircir sensiblement sa situation.

À teneur de la décision litigieuse, sous réserve de la question de la preuve de son identité, l’autorité intimée ne contestait pas que M. A______ satisfaisait à l’ensemble des autres conditions légales lui permettant d’obtenir une autorisation de séjour au sens des art. 84 al. 5 et 58 al. 1 LEI, ainsi que 31 OASA. Il était présent en Suisse depuis près de 8 ans, travaillait, était entièrement autonome sur le plan financier, n’avait aucune dette, n’avait jamais troublé l’ordre, ni la sécurité publiques et maîtrisait correctement le français.

L’admission provisoire de M. A______ s’était inscrite dans le cadre du droit de l’asile où l’évaluation de la vraisemblance de son identité s’appréciait selon des critères propres. Elle lui avait été accordée car son renvoi de Suisse s’avérait impossible au regard des circonstances particulières de sa situation. C’était pour ces motifs que l’OCPM avait renouvelé son permis F pour étrangers depuis 2017, nonobstant le fait que son dossier ne contenait toujours qu’une copie de mauvaise qualité de sa carte d’identité.

En revanche, lors de la délivrance d’un permis de séjour en application de l’art. 84 al. 5 LEI, les conditions légales relatives notamment à l’établissement de l’identité s’appliquaient. Les autorités étaient alors légitimées à exiger que la personne fasse ce qui pouvait être raisonnablement exigé d’elle pour établir cette identité.

Les conditions posées par les autorités érythréennes pour la délivrance de documents d’identité, en particulier la présentation d’excuses par le biais d’une lettre de regret (« Regret Form »), ou le paiement rétroactif d’un impôt pour les personnes résidant hors d’Erythrée n’étaient pas disproportionnées. M. A______ pouvait donc valablement se voir opposer par l’OCPM l’obligation de requérir des documents d’identité officiels auprès de la représentation de son pays en Suisse.

Par conséquent, en refusant d’octroyer une autorisation de séjour au recourant, l’OCPM n’avait pas excédé, ni abusé de son pouvoir d’appréciation.

25.         Par acte du 7 décembre 2023, par le biais de son conseil, M. A______ a formé recours contre ce jugement auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Il a requis préalablement l’audition des parties. Au fond, il a conclu à l’annulation du jugement entrepris, ainsi que de la décision du 21 février 2022 et, cela fait, à l’octroi d’une autorisation de séjour, subsidiairement au renvoi de la cause à l’OCPM pour soumission de son dossier au SEM avec un préavis positif.

Le tribunal avait violé le droit et avait versé dans le formalisme excessif.

L’exigence de la production d’un passeport national valable, dans le cadre de la délivrance d’une autorisation de séjour pour un étranger admis provisoirement en Suisse, ne découlait d’aucune base légale, notamment ni de l’art. 84 al. 5 LEI, ni de l’art. 31 al. 2 OASA. Les directives et circulaires du SEM, domaine des étrangers, (ci-après : directives LEI) du SEM, qui n’avaient pas force obligatoire, n’exigeaient qu’une pièce de légitimation valable et reconnue, sans en donner de quelconque définition. Il n’existait pas de liste exhaustive dans la loi de ce qui pouvait être reconnu comme tel au stade d’une demande d’autorisation de séjour. L’octroi d’une autorisation de séjour ne pouvait alors pas être conditionné à la production d’un tel document.

Il citait un arrêt vaudois aux termes duquel était posé le principe selon lequel l’étranger n’était pas impérativement tenu d’entreprendre des démarches auprès de son ambassade, mais qu’il pouvait suivre la procédure visant à faire constater l’impossibilité subjective ou objective d’obtenir un document d’identité.

Le document d’identité, dont la copie avait été déposée au SEM, portait, en bas de page, le tampon officiel du gouvernement érythréen, ainsi qu’un numéro. Sa teneur n’avait à aucun moment été remise en cause par les autorités suisses. Aucun doute n’avait jamais été soulevé quant à son identité ou à son origine, notamment aux termes de la décision du SEM du 20 septembre 2016 refusant sa demande d’asile. Les démarches en vue de l’obtention d’un passeport national valable constituaient un obstacle insurmontable, soit une impossibilité objective et subjective. Elles l’exposeraient, en cas de retour même futur dans son pays, au risque d’être enrôlé de force dans l’armée, de subir des actes de maltraitance physique, voire d’être placé en détention pour une longue durée.

26.         Le 9 janvier 2023, l’OCPM a conclu au rejet du recours.

M. A______ admettait qu’il avait la possibilité d’obtenir un passeport de la part des autorités érythréennes, ce qui l’exposerait toutefois à un risque d’enrôlement dans l’armée, voire de mauvais traitements en cas de retour dans son pays. L’OCPM ne saisissait pas les raisons qui le pousseraient à retourner dans le pays qu’il avait fui.

27.         Dans sa réplique du 13 février 2023, M. A______ a relevé que les circonstances du cas d’espèce avaient déjà donné lieu à plusieurs arrêts du Tribunal fédéral devant conduire à l’admission de son recours. Ce dernier avait notamment retenu que le maintien du statut précaire de l’admission provisoire par rapport à l’autorisation de séjour pouvait constituer une atteinte au droit à la protection de la vie privée au sens de l’art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101). Il rappelait qu’il était parfaitement intégré en Suisse et comptait y demeurer de manière durable et permanente, de sorte qu’il devait bénéficier de la protection de cette disposition. La doctrine critiquait fortement la position adoptée par les autorités suisses consistant à subordonner l’octroi d’une autorisation de séjour à la délivrance d’un passeport. Pour les ressortissants érythréens, les conséquences en étaient dévastatrices, vu l’obligation de s’acquitter d’une taxe de la diaspora et de signer une lettre par laquelle il reconnaissait avoir trahi son pays en le quittant, avoir commis des crimes et accepter toutes les sanctions qui pourraient en découler, soit exactement sa situation.

28.         Par arrêt du 21 mars 2023 (ATA/278/2023), la chambre administrative a admis partiellement le recours et renvoyé la cause, pour complément d’instruction dans le sens des considérants et nouvelle décision, à l’OCPM.

C’était à juste titre et conformément aux art. 84 al. 5 LEI et 31 al. 2 OASA ainsi qu’aux directives LEI du SEM que le tribunal et l’OCPM avaient retenu une exigence accrue de production d’un document d’identité, à savoir un passeport, document expressément mentionné au ch. 5.6.10.7 desdites directives, dans le cadre du dépôt d’une demande d’autorisation de séjour par un étranger admis provisoirement, par rapport aux exigences du SEM au moment du dépôt d’une demande d’asile selon les conditions de l’art. 8 al. 2 OASA. À cet égard, la copie d’une carte d’identité produite alors par le recourant était difficilement lisible. Le recourant faisait notamment grand cas de la présence d’un tampon sur ce document, mais on n’en discernait aucun qui soit déchiffrable, de sorte qu’il n’était pas même possible de connaître l’autorité qui lui aurait délivré ce document. Par ailleurs, les conditions dans lesquelles le recourant indiquait avoir obtenu le document original, qui n’avait jamais été remis aux autorités suisses, n’étaient pas à même d’établir son identité, étant rappelé qu’il lui aurait été délivré, selon ses déclarations au SEM au moment de sa demande d’asile, sur la base d’assertions de sa tante selon laquelle « c’[était] le fils de [s]on frère » et donc en l’absence même de tout acte d’origine ou de naissance. Par ailleurs, le recourant n’avait pas été constant dans ses explications sur les circonstances de la perte du document original, puisqu’il avait tantôt déclaré l’avoir perdu en mer au moment de son périple vers l’Europe, tantôt qu’il aurait disparu de la « moitié de ses affaires » dans une voiture en Libye. C’était ainsi avec raison et conformément à la loi que l’OCPM conditionnait la délivrance d’une autorisation de séjour au recourant au dépôt d’un document d’identité valable, étant relevé que par ailleurs, les conditions d’une durée de séjour en Suisse de plus cinq ans et des exigences du cas de rigueur, qui s’appliquaient par renvoi de l’art. 84 al. 5 LEI, étaient réalisées en l’espèce.

Le recourant ne prétendait pas qu’il lui serait impossible de solliciter la délivrance d’un passeport auprès de l’ambassade d’Érythrée en Suisse. Il soutenait toutefois qu’il existait des obstacles insurmontables et qui ne lui seraient pas imputables, l’empêchant d’entreprendre cette démarche, de sorte que l’autorité intimée devrait se contenter de la seule copie de sa carte d’identité. L’allégation selon laquelle des représailles le viseraient, de même que sa tante restée au pays, dans la mesure où il avait quitté l’Érythrée sans être au bénéfice d’un visa de sortie, ne suffisaient pas à démontrer une impossibilité objective d’obtenir un passeport. Tel était également le cas de l’exigence de la preuve de paiement de l’impôt sur le revenu de 2%.

En revanche, la signature d’une lettre d’excuses destinée au gouvernement pourrait constituer un tel obstacle, de même que le risque d’un enrôlement de force dans l’armée ou de mauvais traitements tels qu’allégués. Si en effet le recourant ne prétendait pas vouloir retourner en Érythrée à court ou long terme, il n’existait aucune garantie, à teneur du dossier, que le SEM ne décide pas, à un moment ou à un autre, de révoquer son admission provisoire et de prononcer son renvoi. Autrement dit, il n’existait aucune garantie qu’il ne fasse pas l’objet à l’avenir d’un renvoi en Érythrée et que partant, en particulier de par la signature d’une lettre de regret, il ne subisse des mauvais traitements notamment à la suite d’un enrôlement militaire. Dès lors, il n’était pas certain que l’absence de démarches de sa part pour l’obtention du passeport requis ne serait pas justifiée, de sorte qu’il ne pouvait être dit qu’un défaut de collaboration lui était opposable.

29.         Le 30 mars 2023, M. A______ a invité l’OCPM à prendre acte de son impossibilité d’obtenir un passeport et d’émettre un préavis favorable à l’octroi d’un permis B en sa faveur auprès du SEM.

30.         Par courrier du 1er mai 2023, le SEM a indiqué à l’OCPM, sur demande de celui-ci, qu’il n’aurait pas connaissance d’une mise en danger systématique et généralisée des ressortissants érythréens en raison de la signature du formulaire de regret de la part des autorités érythréennes en cas de retour dans ce pays.

Selon les informations en sa possession, l’attitude de ces autorités dépendait essentiellement de la question de savoir si ces personnes retournaient dans leur pays volontairement ou sous la contrainte, de même que la question de leur statut vis-à-vis du service militaire national avant leur départ.

Dans la mesure où M. A______ n’avait pas indiqué lors de sa procédure d’asile avoir refusé d’effectuer son service militaire ou avoir déserté du service national, il n’était donc ni un déserteur ni un réfractaire. Il ne pouvait pas être conclu à une mise en danger concrète et sérieuse de sa personne au sens de l’art. 3 CEDH en cas de renvoi en Érythrée et d’enrôlement dans le service national, quand bien même il aurait signé une lettre de regret.

M. A______ n’était pas appelé à quitter la Suisse. Hormis l’absence de passeport, due à sa volonté de ne pas entreprendre les démarches nécessaires, il semblait remplir toutes les autres conditions pouvant conduire à l’octroi d’une autorisation de séjour durable.

31.         Le 22 mai 2023, reprenant les explications fournies par le SEM, l’OCPM a informé M. A______ de son intention de refuser sa requête du 29 novembre 2019 et donc de soumettre son dossier avec un préavis positif au SEM au motif qu’il ne souhaitait pas entreprendre les démarches nécessaires auprès des autorités de son pays d’origine en Suisse afin d’obtenir un passeport national valable.

32.         Par observations des 22 juin et 21 juillet 2023, M. A______ s’est déterminé. Il n’avait pas effectué son service militaire en Érythrée, contrairement aux dires du SEM. Vu sa situation de déserteur, réfractaire au service militaire, si un jour il devait revenir en Érythrée, il serait inévitablement exposé, lui et sa famille, à un enrôlement de force dans l’armée, à des mauvais traitements contraires à l’art. 3 CEDH et apparentés à de l’esclavage selon la doctrine internationale.

La communauté internationale était aujourd’hui unanime pour considérer que la situation des droits de l’homme en Érythrée restait désastreuse. Elle ne montrait aucun signe d’amélioration et continuait d’être caractérisée par de graves violations des droits de l’homme.

33.         Par décision du 15 septembre 2023, l’OCPM a refusé d’accéder à la requête de M. A______ du 29 novembre 2019 et de soumettre son dossier avec un préavis positif au SEM.

Il n’avait pas entrepris les démarches nécessaires auprès des autorités de son pays d’origine en Suisse afin d’obtenir un passeport national valable, de sorte qu’il ne remplissait pas les conditions des art. 84 al. 5 let. b LEI et 31 OASA. Il pouvait être raisonnablement exigé qu’il entreprenne de telles démarches, la signature d’une lettre de regret ne constituant nullement, dans son cas concret, un obstacle. Ses explications n’étaient enfin pas de nature à modifier sa position.

34.         Par acte du 10 octobre 2023, sous la plume de son conseil, M. A______ a interjeté recours contre cette décision par devant le tribunal, concluant principalement à son annulation et à l’octroi en sa faveur d’une autorisation de séjour, sous suite de frais et dépens. Préalablement, il a requis l’audition d’un représentant de l’OCPM.

Son droit d’être entendu avait été violé. L’OCPM n’avait pas motivé la décision litigieuse, sans expliquer pourquoi il n’avait pas pris en compte les observations des 22 juin et 21 juillet 2023. Pire, il n’avait fait que répéter les propos du SEM, qui avait lui-même omis un fait essentiel à la résolution du litige, à savoir qu’il n’avait pas effectué son service national avant de quitter l’Érythrée et qu’il était considéré comme un réfractaire aux yeux des autorités érythréennes. Si le SEM avait pu se méprendre, on ne comprenait pas pour quel motif l’OCPM, dont l’attention avait été spécifiquement attirée sur ce point, n’en avait pas tenu compte. Un représentant de l’OCPM devait être entendu afin de comprendre pourquoi l’ATA/278/2023 n’avait in fine pas été suivi.

Les art. 84 al. 5 LEI et 31 OASA étaient violées. L’OCPM persistait à retenir que la signature d’une lettre de regret ne constituerait aucunement, dans son cas concret, un obstacle à l’obtention d’un passeport érythréen et refusait ainsi de soumettre un préavis positif au SEM alors qu’il remplissait toutes les conditions nécessaires à l’octroi d’une autorisation de séjour et qu’un défaut de collaboration ne pouvait pas lui être opposable. En effet, la signature d’une lettre d’excuse couplée au fait qu’il n’avait pas effectué son service national présentait, en cas de retour même futur dans son pays, des risques certains d’être enrôlé de force dans l’armée, de subir des actes de maltraitance physique et d’être placé en détention pour une durée indéterminée. II était dès lors inconcevable d’exiger de sa part qu’il mette sa dignité, son intégrité physique de même que sa liberté de mouvement en péril pour obtenir un document d’identité original. Par ailleurs, il y avait une recrudescence de l’enrôlement forcé entre le milieu et la fin de l’année 2022 et sous sa forme actuelle, le service national était inextricablement lié au travail forcé et à des pratiques analogues à de l’esclavage.

Au surplus, des juridictions administratives étrangères avaient reconnu que la composante militaire du service national violait l’ art. 3 CEDH et constituait à ce titre un motif suffisant d’octroi de la protection (Pays-Bas) ou que les personnes réfugiées et requérantes d’asile érythréennes ne pouvaient plus être contraintes de se procurer des papiers auprès de l’ambassade érythréenne pour avoir accès aux documents de voyage allemands, dans le but de les protéger de la pression et de la coercition fréquemment exercées par les fonctionnaires de l’ambassade et du consulat (Allemagne)

35.         Dans ses observations du 4 décembre 2023, l’OCPM a conclu au rejet du recours.

En l’occurrence, il avait récolté des renseignements auprès du SEM, conformément à l’ATA/278/2023, relatifs aux problématiques alléguées par le recourant en lien avec les démarches en vue d’obtenir un passeport national auprès des autorités de son pays.

En l’état, il se référait aux développements de la décision querellée et maintenait sa position.

36.         Par réplique du 12 décembre 2023, le recourant a persisté intégralement dans les termes et conclusions de son recours.

Dans ses observations, l’OCPM se contentait d’indiquer qu’il s’était conformé à l’ATA/278/2023 en récoltant des renseignements auprès du SEM. Si ce fait n’était pas contesté, l’OCPM persistait dans son attitude, refusant d’entrer en matière sur l’argumentation développée dans le recours et s’abstenant de motiver sa position. Une telle attitude était inacceptable et dénotait une violation flagrante de son droit d’être entendu.

37.         Par duplique du 9 janvier 2024, l’OCPM a persisté dans ses conclusions.

Le recourant n’avait pas démontré à satisfaction de droit l’impossibilité d’obtenir des documents nationaux auprès des représentations de son pays en Suisse. Ses arguments n’étaient pas de nature à modifier sa position.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l’office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d’étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d’application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire et de l’inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_712/2020 du 21 juillet 2021 consid. 4.3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

4.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/1331/2023 du 12 décembre 2022 consid. 3).

5.             À titre préliminaire, le recourant a requis l’audition d’un représentant de l’OCPM. Il s’est également plaint que la décision litigieuse n’était pas motivée.

6.             Tel que garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre. Toutefois, le juge peut renoncer à l’administration de certaines preuves offertes, lorsque le fait dont les parties veulent rapporter l’authenticité n’est pas important pour la solution du cas, lorsque les preuves résultent déjà de constatations versées au dossier ou lorsqu’il parvient à la conclusion qu’elles ne sont pas décisives pour la solution du litige ou qu’elles ne pourraient l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les arrêts cités ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_576/2021 du 1er avril 2021 consid. 3.1 ; 2C_946/2020 du 18 février 2021 consid. 3.1 ; 1C_355/2019 du 29 janvier 2020 consid. 3.1).

Toutefois, ce droit ne confère pas le droit d’être entendu oralement, ni celui d’obtenir l’audition de témoins (ATF 140 I 68 consid. 9.6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_381/2021 du 17 décembre 2021 consid. 3.2 ; cf. aussi art. 41 in fine LPA).

7.             Par ailleurs, le droit d’être entendu implique également pour l’autorité l’obligation de motiver sa décision (cf. art. 46 al. 1 LPA).

Selon la jurisprudence, il suffit que celle-ci mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l’ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que son destinataire puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l’attaquer en connaissance de cause. L’autorité n’a pas l’obligation d’exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties ; elle peut au contraire se limiter à ceux qui lui paraissent pertinents. Dès lors que l’on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l’autorité, le droit à une décision motivée est respecté, même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut pour le reste être implicite et résulter des différents considérants de la décision. La motivation est ainsi suffisante lorsque le destinataire de la décision est en mesure de se rendre compte de la portée de cette dernière, d’en comprendre les raisons et de la déférer à l’instance supérieure en connaissance de cause (ATF 146 II 335 consid. 5.1 ; ATF 143 III 65 consid. 5.2 ; 142 II 154 consid. 4.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 7B_38/2024 du 26 février 2024 consid. 2.1.2 et les références citées ; 2C_92/2023 du 5 mai 2023 consid. 4.1.1).

8.             La réparation d’un vice de procédure en instance de recours et, notamment, du droit d’être entendu, n’est possible que lorsque l’autorité dispose du même pouvoir d’examen que l’autorité inférieure (ATF 147 IV 340 consid. 4.11.3 ; 145 I 167 consid. 4.4). Elle dépend toutefois de la gravité et de l’étendue de l’atteinte portée au droit d’être entendu et doit rester l’exception. Elle peut cependant se justifier en présence d’un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 7B_ 816/2023 du 12 janvier 2024 consid. 3.1) En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu’elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/802/2020 du 25 août 2020 consid. 4c et les références cités).

9.             En l’espèce, le tribunal estime que le dossier contient les éléments suffisants et nécessaires, tel qu’ils ressortent des écritures des parties, des pièces produites et du dossier de l’autorité intimée, pour statuer en connaissance de cause sur le litige. En outre, le recourant a pu faire valoir ses arguments, dans le cadre de son recours et de sa réplique, et produire tout moyen de preuve utile en annexe à ses écritures, sans qu’il n’explique ce qui, dans la procédure écrite, l’aurait empêché d’exprimer ses arguments de manière pertinente et complète.

Par ailleurs, il n’apparaît pas utile de procéder à l’audition d’un représentant de l’OCPM. Cet office a en effet fait sienne la position du SEM, telle que ce dernier l’a exprimée le 1er mai 2023, et il résulte implicitement de sa décision, ses observations et sa duplique que l’OCPM a considéré que la signature d’une lettre d’excuses par le recourant ne constituait pas un risque que le recourant soit, en cas de retour en Érythrée, victime d’un enrôlement de force dans l’armée ou de mauvais traitements.

À titre superfétatoire, même en admettant que l’OCPM n’ait pas suffisamment motivé la décision querellée, il n’y aurait pas lieu d’annuler cette dernière pour ce motif. En effet, la procédure devant le tribunal a permis au recourant d’exprimer pleinement son point de vue et laisse apparaître que l’OCPM persiste dans son analyse, à savoir que le refus du recourant de signer une lettre de regret constitue une faute de celui-ci. Dans ces conditions, le renvoi de la procédure à l’OCPM pour nouvelle décision ne constituerait qu’une vaine formalité et s’avérerait contraire au principe d’économie de la procédure.

Au vu de ce qui précède, le grief de violation du droit être entendu est infondé et il aurait en tout état été réparée dans la présente procédure, de sorte qu’il n’y a pas lieu de prononcer l’annulation de la décision litigieuse. La conclusion d’entendre un représentant de l’OCPM, demande d’instruction en soi non obligatoire, est rejetée.

10.         Le recourant conclut à l’octroi en sa faveur d’une autorisation de séjour, arguant qu’il n’avait pas effectué son service national en Érythrée, de sorte qu’il serait considéré comme un réfractaire ou un déserteur et qu’il serait exposé à un traitement contraire à l’art. 3 CEDH en cas de retour dans son pays d’origine.

11.         En l’occurrence, à la lumière de l’ATA/278/2023, seule est litigieuse la question de savoir si le fait de devoir signer une lettre de regret constitue une impossibilité objective d’obtenir un passeport, dans la mesure où il existerait un risque d’un enrôlement de force dans l’armée ou de mauvais traitements en cas de retour en Érythrée.

12.         D’une manière générale, selon la maxime inquisitoire, qui prévaut en particulier en droit public, l’autorité définit les faits pertinents et ne tient pour existants que ceux qui sont dûment prouvés. Elle ne dispense pas pour autant les parties de collaborer à l’établissement des faits ; il incombe à celles-ci d’étayer leurs propres thèses, de renseigner le juge sur les faits de la cause et de lui indiquer les moyens de preuves disponibles, spécialement lorsqu’il s’agit d’élucider des faits qu’elles sont le mieux à même de connaître. Lorsque les preuves font défaut ou s’il ne peut être raisonnablement exigé de l’autorité qu’elle les recueille pour les faits constitutifs d’un droit, le fardeau de la preuve incombe à celui qui entend se prévaloir de ce droit (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1). Il appartient ainsi à l’administré d’établir les faits qui sont de nature à lui procurer un avantage et à l’administration de démontrer l’existence de ceux qui imposent une obligation en sa faveur (ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4a). En effet, Il incombe à l’administré d’établir les faits qu’il est le mieux à même de connaître, notamment parce qu’ils ont trait spécifiquement à sa situation personnelle. En matière de droit des étrangers, l’art. 90 LEI met un devoir spécifique de collaborer à la constatation des faits déterminants à la charge de l’étranger ou des tiers participants (arrêt du Tribunal fédéral 2C_153/2018 du 25 juin 2018 consid. 4.2). Cette obligation a été qualifiée de « devoir de collaboration spécialement élevé » lorsqu’il s’agit d’éléments ayant trait à la situation personnelle de l’intéressé et qu’il connaît donc mieux que quiconque (arrêts du Tribunal fédéral 1C_58/2012 du 10 juillet 2012 consid. 3.2).

13.         En procédure administrative, tant fédérale que cantonale, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (art. 20 al. 1 2ème phr. LPA ; ATF 139 II 185 consid. 9.2). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées et ce n’est ni le genre, ni le nombre des preuves qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/978/ 2019 du 4 juin 2019 consid. 4b et les arrêts cités).

14.         De manière plus particulière, en droit des étrangers, l’étranger et les tiers participant à une procédure prévue par la LEI doivent collaborer à la constatation des faits déterminants pour son application. Ils doivent en particulier se procurer une pièce de légitimation (art. 89) ou collaborer avec les autorités pour en obtenir une (art. 90 let. c LEI).

Faute d’apporter, dans la mesure où cela peut raisonnablement être exigé de lui, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, l’étranger risque de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuve (ATA/1010/2015 du 29 octobre 2015 consid. 13 et les références citées). Il incombe en effet à l’administré d’établir les faits qui sont de nature à lui procurer un avantage, spécialement lorsqu’il s’agit d’élucider des faits qu’il est le mieux à même de connaître, notamment parce qu’ils ont trait spécifiquement à sa situation personnelle (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_96/2020 du 15 octobre 2020 consid. 9.2.2 ; ATA/1228/2022 du 06 décembre 2022 consid. 8 et les références citées).

15.         En l’occurrence, le SEM a exposé, dans sa prise de position du 1er mai 2023, que l’attitude des autorités érythréennes en relation avec une éventuelle mise en danger des ressortissants érythréens en raison de la signature d’une lettre de regret en cas de retour dans ce pays dépendait essentiellement de la question de savoir si les personnes en cause retournaient dans leur pays volontairement ou sous la contrainte, de même que la question du statut que ces personnes avaient vis-à-vis du service militaire national avant leur départ.

Il a ensuite retenu, suivi en cela par l’OCPM, que le recourant n’avait pas indiqué lors de sa procédure d’asile avoir refusé d’effectuer son service militaire ou avoir déserté du service national, de sorte qu’il n’était ni un réfractaire ni un déserteur, avec pour effet qu’il ne pouvait pas être conclu à une mise en danger concrète et sérieuse de sa personne au sens de l’art. 3 CEDH en cas de renvoi en Érythrée même s’il avait signé une lettre de regret.

Le recourant conteste ce point de vue, affirmant qu’il avait indiqué, en particulier lors de son audition dans le cadre de sa demande d’asile, ne pas avoir accompli son service militaire en Érythrée. À cet égard, s’il est exact que le recourant a soutenu ne pas avoir effectué son service militaire, le SEM a relevé non pas qu’il ne l’avait pas effectué, mais qu’il n’avait ni refusé de l’accomplir ni déserté. L’élément pertinent n’est donc pas, selon le SEM, l’accomplissement ou non du service militaire, mais le refus de l’effectuer ou le fait de l’interrompre. Or, le recourant n’ayant, à ses propres dire, ni refusé le service militaire ni déserté, c’est à juste titre que l’OCPM a considéré que l’exigence de signer une lettre de regret ne constitue pas une impossibilité objective d’obtenir un passeport.

16.         Par ailleurs, le tribunal tient à remarquer que l’allégation du recourant selon laquelle il n’aurait pas accompli son service national, ne repose sur aucun élément concret. Au contraire, son explication relative au motif pour lequel il n’aurait pas été incorporé lors ou à la fin de sa détention n’est nullement crédible, ce qui a déjà été relevé par le SEM qui a considéré ses déclarations lors de son audition dans le cadre de sa demande d’asile comme non vraisemblables. Il ne peut dès lors pas être retenu qu’il n’a effectivement pas accompli son service militaire. Ainsi, faute d’éléments contraires et compte tenu du fait que le recourant supporte le fardeau de la preuve, il ne peut être considéré que le recourant risque d’être poursuivi par les autorités érythréennes pour un motif en relation avec le service militaire.

17.         À titre superfétatoire, le tribunal tient encore à relever que le risque que le SEM révoque l’admission provisoire du recourant, qui risquerait alors de devoir quitter la Suisse à destination de l’Érythrée, n’existe que tant que celui-ci est au bénéfice d’un permis F. Or, étant donné que les conditions pour la transformation dudit permis en autorisation de séjour sont réalisées, comme reconnu tant par le SEM que par l’OCPM, la signature d’une lettre de regret aurait pour effet la délivrance d’un passeport érythréen au recourant, puis, avec cette pièce, l’octroi d’une autorisation de séjour, laquelle ne peut être révoquée « à un moment ou à un autre » par le SEM.

18.         Enfin, le fait que des juridictions étrangères aient adopté une autre solution que celle résultant de la législation et jurisprudence suisses est sans pertinence dans le cadre de la présente procédure.

19.         Mal fondé, le recours sera rejeté et la décision querellée confirmée.

20.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant, qui succombe, est condamné au paiement d’un émolument s’élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

21.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au SEM.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 10 octobre 2023 par Monsieur A______ contre la décision de l’office cantonal de la population et des migrations du 15 septembre 2023  ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge du recourant un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l’avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d’État aux migrations.

Genève,

 

La greffière