Décisions | Cour d'appel du Pouvoir judiciaire
ACAPJ/13/2022 (1) du 19.12.2022 , Rejeté
En droit
Par ces motifs
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Arrêt du 19 décembre 2022
CAPJ 4_2022 ACAPJ/13/2022
Monsieur A______, recourant
représenté par Me B______, avocat
contre
CONSEIL SUPERIEUR DE LA MAGISTRATURE, intimé
1. Après plusieurs années d’activité en qualité de juriste-rédacteur auprès de la Cour de justice, A______ (ou encore « le recourant » ou « le magistrat »), né en 1960, a été élu comme juge, avec entrée en fonction le 1er mai 2013. Il a alors repris la 9e chambre du Tribunal de première instance, section du Tribunal civil.
Dès le 1er juin 2014, la 9e chambre a été réorganisée en demi-charges « concordats/faillites », d’une part, et « ordinaire », d’autre part, puis, dès le 1er novembre 2017, A______ a assumé la vice-présidence du Tribunal, ce qui a impliqué une surcharge de travail du moins temporaire.
2. Par décision communiquée le 8 juin 2016, le Conseil supérieur de la magistrature (ci-après : le « CSM » ou le « conseil ») a encouragé A______ à persévérer dans ses efforts d’organisation, mettant un terme à la procédure disciplinaire CSM/22/2016.
Cette procédure avait été ouverte à son encontre le 16 mars 2016 en lien avec le rapport rendu dans le cadre du contrôle semestriel arrêté au 31 décembre 2015 pour erreurs dans la désignation de numéros de procédures, indications divergentes du nombre de procédures au rôle, lenteur du rythme de l’instruction de certaines procédures, reddition de multiples ordonnances. Lors de son audition par le CSM, A______ avait reconnu les faits reprochés et fait part des mesures d’organisation qu’il avait prises pour remédier aux différentes problématiques.
3.
3.1. Le 25 septembre 2017, le CSM a ouvert une procédure disciplinaire et/ou de mesures sous le numéro A/4145/2017 à l’endroit de A______, après avoir constaté des imprécisions et irrégularités dans la fiche individuelle établie par le magistrat à l’occasion du contrôle semestriel au 30 juin 2017.
3.2. Le 2 octobre 2017, le CSM a ouvert une procédure disciplinaire et/ou de mesures sous le numéro A/3420/2017 à l’encontre de A______ sur la base d’une dénonciation émanant d’un avocat du barreau genevois qui se plaignait d’une instruction trop lente et erratique d’une procédure et d’autres faits. Ultérieurement, l’avocat en question a étendu sa dénonciation pour invoquer des erreurs dans des décisions rendues et l’animosité du juge depuis la saisine du CSM. Ce dernier a alors élargi la procédure contre A______.
3.3. Le même jour, le CSM a ouvert une autre procédure disciplinaire et/ou de mesures sous le numéro A/3421/2017 à l’encontre de A______ consécutivement à la dénonciation d’une avocate qui reprochait au juge sa lenteur et sa partialité, au point que le client concerné avait perdu toute confiance en la justice.
3.4. Le 18 juin 2018, le CSM a ouvert une procédure disciplinaire et/ou de mesures sous le numéro A/1959/2018 à l’encontre de A______, à la suite de la dénonciation déposée par un troisième avocat, au nom et pour le compte de sa mandante dans le cadre d’une procédure de divorce menée par ledit magistrat, pour des griefs de lenteur.
3.5. Lors de sa séance du 18 juin 2018, le CSM a ordonné la jonction des quatre procédures.
3.6. Après instruction, par décision du 5 novembre 2018, le CSM a constaté des manquements disciplinaires de la part de A______ et a prononcé un avertissement à son égard. En substance, si le CSM n’a pas retenu de manquements dans la procédure A/3421/2017, il a retenu que, pour une période postérieure à juin 2016, A______ avait manqué à son devoir de diligence dans le traitement des procédures A/3420/2017 et A/1959/2018. Dans la procédure A/4145/2017, le CSM a retenu que le juge avait manqué à l’exigence de rigueur dans l’établissement de son rôle individuel. Enfin, le CSM a estimé que A______ avait fait preuve de désinvolture lors de l’instruction des procédures précitées, attitude qui n’était pas non plus conforme aux devoirs du magistrat. Par ailleurs, les efforts que le magistrat avait annoncés, en particulier à la clôture de la procédure disciplinaire CSM/22/2016, ne s’étaient pas traduits dans la réalité.
4. Statuant sur recours de A______, la Cour de céans, par arrêt du 26 août 2020, l’a rejeté. En substance, la Cour a confirmé que les manquements au devoir de diligence et de rigueur retenus à la charge du recourant, dont certains, pris isolément étaient relativement bénins, atteignaient, en raison de leur cumul et de leur caractère varié et répété, une certaine importance et que ces manquements avaient eu pour effet de compliquer à l’excès, voire, par périodes, de grandement freiner des procédures. La Cour de céans a constaté que le CSM avait tenu compte en faveur du recourant que ce dernier avait reconnu les difficultés engendrées par son comportement et avait admis qu’il aurait été avisé de procéder différemment, tout en considérant que cet élément ne compensait toutefois pas le fait que les efforts annoncés précédemment par le magistrat n’avaient pas été traduits dans la réalité.
Quant à la sanction, la Cour de céans a considéré que l’avertissement prononcé par le CSM – sanction la plus légère – tenait compte de toutes les circonstances et n’était nullement disproportionné.
5. Le 28 septembre 2020, le CSM a ouvert une procédure disciplinaire sous le numéro A/3040/2020 contre A______, sur la base du rapport semestriel de la Présidente du Tribunal de première instance dont il ressortait que :
- le magistrat se serait montré dénigrant vis-à-vis des greffiers qui avaient assumé le suivi administratif de la 9e chambre durant son absence au printemps 2020, aurait systématiquement remis en question les décisions présidentielles et aurait proféré, à haute voix dans les couloirs, devant des juges et des collaborateurs de la juridiction, des menaces telles « ma capacité de nuisance a été sous-estimée » ;
- le magistrat aurait prononcé des décisions de masse s’écartant de la pratique mise en place et provoquant ainsi un engorgement du secteur des affaires sommaires, sans consultation préalable de la présidence ou du plénum de la juridiction ;
- à la fin de la période de vice-présidence, sa chambre civile n’avait pas pu être complétée de manière usuelle en raison de difficultés de gestion de son rôle par le magistrat.
6. Lors de la séance de contrôle semestriel du 29 mars 2021, puis dans une note du 13 avril suivant, la Présidente du Tribunal a relaté deux épisodes impliquant A______.
Le premier était survenu dans le contexte de l’absence de la greffière de chambre du magistrat, lequel était entré dans le bureau d’une autre greffière pour manifester son mécontentement à propos des mesures de remplacement mises en place, puis s’était adressé à divers autres collaborateurs sur le même sujet. En fin de matinée, le greffier de la juridiction, informé de la problématique, s’était enquis auprès de A______, qui avait fait part de sa mauvaise humeur. Lors d’un entretien consécutif à cet incident, le magistrat s’était montré inadéquat dans ses propos, puis insultant et menaçant par la suite, dans les couloirs et à proximité des bureaux des collaborateurs. Après avoir reçu le compte-rendu de l’incident établi par le greffier de juridiction, A______ avait interpellé ce dernier, en discussion avec des collaboratrices, et l’avait invectivé et menacé, de surcroît sans égard aux règles sanitaires en vigueur, contraignant ledit fonctionnaire à se retirer dans son bureau, avec le magistrat, afin de préserver le personnel.
Le second épisode avait trait au refus de A______ de transmettre à la Cour de justice, en cas d’appel contre l’une de ses décisions, le dossier original de la procédure, pour ensuite se plier à cette règle, après intervention de la Présidente du Tribunal civil et du Vice-Président de la Cour de justice, mais non sans exiger que le greffe de cette juridiction signe un inventaire des documents reçus.
Le 19 avril 2021, le CSM a ouvert une procédure disciplinaire et de mesure sous le numéro A/1145/2021 contre A______, sur la base des nouvelles informations fournies par la Présidente du Tribunal civil.
Le magistrat, assisté par son avocat, qui avait préalablement pu se déterminer par écrit concernant les griefs qui lui étaient adressés, a été entendu en séance plénière du CSM en date du 10 mai 2021, dans la perspective du prononcé de mesures provisionnelles, envisagées en raison de l’accumulation de comportements qualifiés de problématiques.
A______ a, pour l’essentiel, contesté ou minimisé l’importance des incidents rapportés et s’est opposé au prononcé de mesures provisionnelles, injustifiées selon lui. Il a, en revanche, proposé une médiation avec le greffier de juridiction et une supervision avec un délégué du CSM.
7. Par décision DCSM/12/2021 du 10 mai 2021, dans les procédures A/3040/2020 et A/1145/2021, jointes, décision notifiée le lendemain en mains du conseil constitué, le CSM, statuant sur mesures provisionnelles, a suspendu A______ de l’exercice de sa charge de juge au Tribunal civil, avec effet immédiat et pour une durée indéterminée, tout en maintenant le droit au traitement de A______. La décision a été déclarée exécutoire nonobstant recours.
Selon le CSM, les comportements dénoncés, répétitifs, de la part de A______, seraient, s’ils étaient établis, incompatibles avec l’exigence de dignité du magistrat judiciaire, en particulier sous les aspects du respect d’autrui, de réserve et de retenue, ainsi qu’avec le bon fonctionnement de la juridiction.
8. Par acte du 21 mai 2021, assorti de divers pièces, A______ a recouru devant la Cour de céans contre la décision du CSM, concluant à son annulation et à l’octroi de dépens.
Il a fait valoir, en substance, que la mesure de suspension était totalement disproportionnée, car reposant sur des faits insuffisamment établis ou non établis, lui causait un préjudice irréparable sous la forme d’une atteinte à sa réputation et à son avenir professionnel – pour ses projets de poursuivre sa carrière en qualité de juge suppléant ou dans le secteur privé – et portait préjudice aux justiciables dont les procédures étaient gérées par la 9e chambre et qui devraient être confiées à des juges suppléants.
Dans ses écritures dites finales du 7 juillet 2021, assorties de deux nouvelles pièces, A______ a persisté dans ses conclusions, considérant, au vu des éléments recueillis durant l’instruction au fond, que les seules tensions interpersonnelles entre lui-même et le greffier de juridiction, s’agissant d’un incident isolé dans une carrière de 10 ans, ne justifiaient aucunement la mesure prononcée contre lui.
9. Par courrier des 15 juin et 4 août 2021, le CSM a rappelé que la procédure avait été ouverte non seulement sous l’angle disciplinaire mais également sous l’angle d’une éventuelle mesure à adopter, persistant pour le surplus dans les termes de sa décision.
10. Par courrier du 22 juin 2021, le CSM a invité la présidente du Tribunal civil à lui adresser un rapport écrit sur la situation au sein de la 9e chambre du Tribunal telle que constatée lors de la suspension de son titulaire au 12 mai 2021.
Dans sa réponse du 30 juin 2021, la présidente du Tribunal civil a indiqué au CSM qu’entre le 2 janvier 2020 et le 12 mai 2021, soit en moins de 18 mois, le niveau du rôle de la 9e chambre pour les affaires civiles ordinaires avait plus que doublé, passant de 70 procédures à 162 procédures. De plus, au 12 mai 2021, A______ n’avait pas pris connaissance des trois dernières semaines d’attribution, les dossiers ayant été laissés dans le bureau de la greffière, et aucune audience n’avait été convoquée durant les deux dernières semaines de mai. Selon la présidente, à la veille des féries d’été, il n’était pas envisageable pour une chambre civile pleine ordinaire de ne pas siéger pendant plusieurs semaines. Enfin, près de 50 dossiers se trouvaient au stade où une décision – finale ou intermédiaire – devait être rendue. Ainsi, la situation de la 9e chambre au 12 mai 2021 pouvait être considérée comme préoccupante.
11. Par arrêt du 6 septembre 2021, la Cour d’appel du Pouvoir judiciaire a déclaré irrecevable le recours interjeté par A______ contre la décision du CSM du 10 mai 2021, avec suite d’émolument de 500 fr. pour le recourant. La Cour a considéré que A______ ne subissait pas de préjudice irréparable en raison de la mesure de suspension, dès lors qu’il avait conservé l’ensemble des avantages liés à son statut, en particulier son traitement. Cet arrêt n’a pas fait l’objet d’un recours.
12. Par décision, respectivement ordonnance, du 17 septembre 2021, sur la base d’un certain nombre d’informations d’ordre médical indiquant que l’état de santé du magistrat était préoccupant tant sur les plans physique que psychologique, le CSM a désigné en qualité d’expert le Professeur C______ de l’Unité de neurologie générale et cognitive des HUG et lui a confié la mission de déterminer si A______ était pleinement apte à exercer sa charge le juge au Tribunal civil et, dans la négative, si cette inaptitude était totale ou partielle, durable ou passagère.
13. Dans son expertise du 3 mars 2022, l’expert désigné, qui s’était adjoint une spécialiste en neurologie et une docteure en psychologie, est parvenu à la conclusion que, d’un point de vue strictement neurologique et neuropsychologique, il n’y avait pas d’argument de nature à interférer avec l’aptitude professionnelle de l’expertisé, tant pour la nature des tâches qui lui étaient confiées que pour le volume de travail exercé, soit à temps complet, au vu d’une large préservation des fonctions cognitives constatées sur les tests neuropsychologiques. En outre, en plus des bonnes performances cognitives, la ponctualité de l’expertisé aux rendez-vous, sa bonne collaboration, l’absence de distractibilité et de fatigabilité au cours des longues sessions d’examen neuropsychologique de plus de deux heures, ainsi que la bonne appréciation de ses performances cognitives, étaient également le reflet d’un fonctionnement cognitif tout à fait normal, le rendant pleinement apte à exercer sa charge professionnelle.
L’expert a analysé, dans le détail, les données médicales fournies par le médecin traitant de l’expertisé et couvrant la période de 2016 à mars 2022, comprenant un certain nombre de rapports de spécialistes, et a procédé à une anamnèse neurologique, socio-professionnelle et neuropsychologique de l’intéressée, ainsi qu’à une hétéro-anamnèse neuropsychologique auprès de l’épouse de l’expertisé.
14. Après le dépôt du rapport d’expertise, le CSM a complété l’instruction par l’audition de témoins, puis a imparti à A______ un délai pour sa détermination finale.
Dans ses écritures du 25 mai 2022, le magistrat a considéré que la plupart des griefs qui lui avaient été adressés s’étaient avérés infondés, au vu du résultat des enquêtes, et que le seul reproche qui pouvait lui être fait était d’avoir fait part de son mécontentement en lien avec l’organisation du remplacement des greffières de chambre lors de leurs absences. « A______ a légitimement droit non seulement à exprimer ses critiques quant à l’organisation du travail administratif du [Tribunal civil], mais surtout ne peut se voir incriminé d’un manquement à la dignité de la fonction lorsqu’il se permet de réagir à des reproches montés en épingle, d’une manière qui consacre un manque de respect du magistrat lui-même. » Selon A______, compte tenu de la suspension de longue durée qui lui avait été imposée, seule une sanction symbolique, tel un blâme, ne violerait pas le principe de proportionnalité. Au vu des conclusions du rapport d’expertise, aucune mesure consistant à le relever de sa charge pour des motifs de santé ne pouvait se justifier.
15. Par décision du 20 juin 2022, notifiée le 11 juillet suivant, après l’audition du magistrat à plusieurs reprises et de différents témoins entre le 3 décembre 2020 et le 4 mai 2022, le CSM a, à titre préalable, joint les causes (ch. 1), statuant sur mesures provisionnelles, a levé avec effet immédiat les mesures provisionnelles prononcées le 10 mai 2021 et a ordonné en conséquence la réintégration immédiate de A______ dans sa charge de juge du Tribunal civil (ch. 2), au fond, a constaté des manquements disciplinaires de la part de A______ (ch. 3), a prononcé, au sens des considérants, un blâme à l’encontre de A______ (ch. 4), et a dit que la procédure de mesure se poursuivait (ch. 5).
Le CSM a retenu à charge du magistrat, que ce dernier avait contrevenu aux obligations de dignité et de réserve vis-à-vis du greffier de la juridiction, en adoptant un mode d’expression et une attitude de critique négative exagérée et personnalisée, hors de proportion avec la situation. Il a également retenu que A______ avait montré une rigueur et une diligence insuffisante dans diverses situations, révélant une attitude générale de refus de reconnaître les nécessaires interventions présidentielles en matière d’organisation d’une juridiction. Ces manquements étaient, selon le CSM, d’une gravité certaine. « Sous leurs différents aspects en lien avec la gestion des procédures et les retards à statuer, ils ont mis à mal l’intérêt des justiciables à voir les procédures traitées de façon diligente et rigoureuse, ainsi que causé des troubles dans le fonctionnement du Tribunal civil en général et de sa présidence en particulier. La violation des obligations de réserve et de dignité, s’agissant des propos tenus à l’endroit d’un collaborateur, a également été source de trouble. »
Concernant le volet « mesure » de la procédure selon l’article 21 al. 1 let. c de la loi sur l’organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ – RS/GE E 2 05), le CSM a considéré qu’il ne lui était pas possible, en l’état, de résoudre la question de la capacité de A______ à exercer sa charge et qu’il convenait de « poursuivre l’investigation des causes des difficultés de l’intéressé en termes de tenue de son rôle, et de traitement diligent des procédures, ainsi que de rapports avec la présidence du Tribunal civil… Il était en effet primordial, dans l’intérêt des justiciables et de la bonne marche du Tribunal civil, que ne se reproduisent ni l’accroissement du nombre d’affaires au rôle ni les nombreux retards à statuer, ni l’absence de fixation d’audiences durant une certaine période ou de prise de connaissance de nouvelles attributions, tels que constatés au moment de la suspension du magistrat, ni encore un comportement oppositionnel vis-à-vis de la présidence de la juridiction. »
16. Par acte du 9 septembre 2022, A______ a recouru devant la Cour de céans contre la décision du CSM, en tant que celle-ci refusait de mettre fin à la mesure prise à son encontre, s’agissant d’un déni de justice formel, et induisait une pression psychologique sur lui, assimilable à une sanction disciplinaire déguisée illégale. Il a, en revanche, accepté le dispositif de la décision du CSM sur le plan disciplinaire. Il concluait ainsi à l’annulation du chiffre 5 de la décision du 20 juin 2022 et à la constatation qu’aucune mesure n’avait lieu d’être prononcée à son endroit.
A______ a fait valoir que l’instruction entreprise par le CSM n’avait pas révélé de comportement oppositionnel vis-à-vis de la présidence de la juridiction au sein de laquelle il exerçait sa fonction et que les questions posées par ledit Conseil à la Présidente du Tribunal civil en date du 30 août 2022 concernaient exclusivement la période postérieure à sa réintégration en qualité de magistrat. En tout état, le maintien de la mesure, sans limite dans le temps et ayant pour objet de surveiller les activités et le comportement d’un magistrat, constituait une sanction disciplinaire non prévue par la loi ; elle devait être annulée.
17. Par courrier du 12 septembre 2022 donnant suite à la demande du CSM du 30 août 2022 et comportant diverses annexes, la présidente du Tribunal civil a informé ce dernier que A______ avait réintégré sa charge de président de la 9e chambre du Tribunal civil le mardi 13 juillet 2022. À cette date, le rôle était constitué, pour partie, des dossiers en cours provenant de la 9e chambre et, pour partie, des dossiers provenant de la 1ère chambre. Dans le cadre de la réorganisation du Tribunal civil, la 9e chambre avait été convertie en chambre mixte Tribunal de première instance/Tribunal des baux et loyers, avec les dossiers correspondants, soit une pleine charge de travail. Les collègues ayant suppléé A______ pendant son absence avaient gardé les dossiers « à juger » de sorte que le travail de rédaction de l’intéressé était réduit à son minimum et ceci pendant toute la période estivale. Le magistrat avait retrouvé son bureau, la même greffière qu’auparavant pour la chambre civile et une nouvelle greffière pour le tribunal des baux et loyers. Il était assisté par un juriste chevronné du Tribunal civil ainsi que par l’équipe des juristes du Tribunal des baux et loyers. Aucune permanence pendant les vacances scolaires n’avait été prévue pour A______, qui avait ainsi pu profiter de cette période pour prendre connaissance des dossiers. Il avait reçu sa part de nouvelles procédures selon un rythme hebdomadaire, comme les autres magistrats. Depuis la réintégration de A______, les échanges avec lui étaient corrects ; il répondait normalement aux sollicitations de la présidente et aucun retour négatif d’autres membres du Tribunal n’était parvenu à celle-ci.
18. Lors de son audition, par la Cour d’appel, en date du 9 novembre 2022, A______ a confirmé avoir repris sa fonction en date du 14 juillet 2022. Il avait peu de contacts avec la présidente de la juridiction et le greffier chef mais, quand il les croisait dans les couloirs, les rapports étaient cordiaux. Concernant le courrier de la présidente du 12 septembre 2022, il avait eu connaissance de son projet, mais n’avait pas fait d’observations, considérant que le contenu correspondait à la réalité. Il avait été très content de revenir à son poste et ses collègues ainsi que les greffières avec lesquelles il travaillait avaient marqué leur satisfaction. Il siégeait environ trois demi-journées par semaine, ce qui était la norme pour les titulaires de chambres mixtes comme la sienne. Quant à l’assistance de juristes dont il bénéficiait, elle était suffisante à l’heure actuelle et aucune mesure particulière d’accompagnement n’avait été mise en place. Outre la charge de travail décrite dans le courrier du 12 septembre 2022, il assumait, tout comme les autres juges dans sa position, des affaires de mainlevée d’opposition. En fonction de l’organisation de la juridiction, il devait s’attendre à gérer quatre audiences de mainlevées par année.
La présidente du CSM a qualifié le rapport de la présidente du Tribunal civil du 12 septembre 2022 comme globalement favorable. La situation depuis le retour de A______ était donc satisfaisante, étant toutefois relevé les aménagements prévus, tels l’absence de permanence estivale et de jugements à rédiger. Le CSM avait décidé de maintenir encore un peu son contrôle par le biais d’un suivi demandé à la présidente du Tribunal civil, sous la forme de rapports périodiques rapprochés. Il était important, pour le CSM, de maintenir cette mesure, le but recherché étant très clairement d’éviter des situations ayant conduit à remettre en question l’aptitude du magistrat à fonctionner en qualité de juge au Tribunal ainsi que de déceler le plus rapidement possible un éventuel manquement, dans l’intérêt du justiciable et du bon fonctionnement de la juridiction. Pour le CSM, la mesure n’avait aucun aspect punitif, ni disciplinaire, mais était destinée au respect de l’intérêt supérieur du bon fonctionnement du Tribunal.
19. Par courrier du 1er décembre 2022 donnant suite à la demande du CSM du 24 novembre 2022 et comportant diverses annexes, la présidente du Tribunal civil a informé ce dernier de l’état du rôle de A______ – stable depuis le 12 septembre précédent – ainsi que du fait que le magistrat avait sollicité, le 1er novembre 2022, et obtenu une modification de la composition de sa chambre en chambre mixte civil (2/3 de charge) et conciliation (1/3 de charge), avec effet dès le 1er janvier 2023. Les échanges entre A______ et l’équipe présidentielle étaient corrects ; la présidente du Tribunal civil n’avait par ailleurs reçu aucun retour négatif d’autres membres du Tribunal.
20. Par courrier du 13 décembre 2022 à la Cour de céans, A______ a persisté dans les conclusions de son recours, estimant que les rapports intermédiaires demandés à la présidente du Tribunal civil pouvaient être demandés en tout temps par le CSM, sans qu’une procédure de mesure ne soit nécessairement ouverte.
21. Sur ce, la cause a été gardée à juger.
1. La loi sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985 (RS/GE E 5 10 – LPA), est applicable aux procédures relevant de la compétence de la Cour de céans (art. 139 al. 1 LOJ).
2.
2.1. Le recours a été interjeté dans les formes prescrites par la loi (art. 64 al. 1 et 65 al. 1 et 2 LPA), auprès de la Cour de céans, compétente pour statuer sur les recours dirigés contre les décisions du CSM (art. 138 let. a LOJ).
2.2.
2.2.1. S’agissant du délai de recours, il dépend du type de décision entreprise (art. 62 LPA). Il est de 30 jours s’il s’agit d’une décision finale (al. 1 let. a) et de 10 jours s’il s’agit d’une décision incidente (al. 1 let. b).
Sont susceptibles de recours, les décisions finales, sans autres conditions supplémentaires (art. 57 let. a LPA). En revanche, l’art. 57 let. c LPA n’ouvre la voie du recours contre les décisions incidentes que si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.
2.2.2. Une partie peut recourir en tout temps pour déni de justice ou retard non justifié si l’autorité concernée ne donne pas suite rapidement à la mise en demeure prévue à l’art. 4 al. 4 LPA (art. 62 al. 6 LPA). Toutefois, lorsque l’autorité compétente refuse expressément de rendre une décision, les règles de la bonne foi (art. 5 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse, du 18 avril 1999 [RS 101 – Cst.]) imposent que le recours soit interjeté dans le délai légal, sous réserve éventuelle d’une fausse indication quant audit délai (ATA/911/2022 du 13 septembre 2022, consid. 1a et les références citées).
Pour pouvoir se plaindre de l’inaction de l’autorité, encore faut-il que l’administré ait effectué toutes les démarches adéquates en vue de l’obtention de la décision qu’il sollicite. Les conclusions en déni de justice sont irrecevables lorsque le recourant n’a pas procédé à la mise en demeure prévue à l’art. 4 al. 4 LPA (ATA/911/2022 du 13 septembre 2022, consid. 1b et les références citées).
Une autorité qui n’applique pas ou applique d’une façon incorrecte une règle de procédure, de sorte qu’elle ferme l’accès à la justice au particulier qui, normalement, y aurait droit, commet un déni de justice formel. Il en va de même pour l’autorité qui refuse expressément de statuer, alors qu’elle en a l’obligation. Un tel déni constitue une violation de l’art. 29 al. 1 Cst. (ATF 135 I 6, consid. 2.1).
En cas de recours contre la seule absence de décision, les conclusions ne peuvent tendre qu’à contraindre l’autorité à statuer. En effet, conformément à l’art. 69 al. 4 LPA, si la juridiction administrative admet le recours pour déni de justice ou retard injustifié, elle renvoie l’affaire à l’autorité inférieure en lui donnant des instructions impératives (ATA/911/2022 du 13 septembre 2022, consid. 1c et les références citées).
La reconnaissance d’un refus de statuer ne peut être admise que si l’autorité, mise en demeure, avait le devoir de rendre une décision ou, vu sous un autre angle, si le recourant avait un droit à en obtenir une de sa part (ATF 135 II 60, consid. 3.1.2).
2.2.3. En l’espèce, le recourant demande l’annulation et la réforme du chiffre 5 du dispositif de la décision du CSM du 20 juin 2022, qui « [d]it que la procédure de mesure se poursuit ».
Dans la mesure où il ne met pas un terme à la procédure sur l’aspect « mesure » de la procédure, ce chiffre 5 du dispositif constitue prima facie une décision incidente. Ladite décision mentionne toutefois une voie de droit globale d’un délai de 30 jours suivant sa notification par devant la CAPJ, sans distinction des différents points de son dispositif.
Le recourant invoque, à titre principal, la possibilité de recourir en tout temps, dans la mesure où l’autorité intimée aurait commis un déni de justice, et subsidiairement, que la partie attaquée du dispositif de la décision du 20 juin 2022 constituerait une décision finale dans la mesure où elle consisterait en une sanction déguisée. Or, le recours a été déposé dans un délai de 30 jours à compter de la notification du 11 juillet 2022 de la décision entreprise, en tenant compte de la suspension des délais du 15 juillet au 15 août inclusivement. Et, depuis ses observations du 25 mai 2022 au CSM et notamment depuis la notification de la décision du 20 juin 2022 le 11 juillet suivant, A______ n’a pas mis en demeure le CSM de rendre une décision clôturant la procédure de mesure.
Le recourant et son mandataire étant tous deux des professionnels du droit, le délai de recours de 10 jours contre une décision incidente ne pouvait manifestement pas leur échapper et, selon ce qui sera développé aux considérants 3.4.2 et suivants ci-dessous, le recours n’est pas dirigé contre une décision finale. Par ailleurs, il est discutable de considérer que les observations du 25 mai 2022 du recourant pourraient constituer une mise en demeure suffisante au sens de la jurisprudence pour ouvrir la recevabilité d’un recours pour déni de justice le 9 septembre 2022 ; le recourant conclut d’ailleurs à l’annulation et réforme du chiffre 5 du dispositif de la décision du 20 juin 2022 et non au renvoi à l’instance inférieure pour nouvelle décision sur ce point.
Au vu de l’issue du litige, la recevabilité à raison du délai souffrira néanmoins de rester indécise.
3. Le recourant invoque deux griefs : le chiffre 5 du dispositif de la décision du 20 mai 2022 du CSM constituerait un déni de justice et, ce faisant, constituerait une sanction disciplinaire déguisée illégale.
3.1. Le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus de droit, ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits (art. 61 al. 1 LPA). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), exception qui n’est pas réalisée dans le cas d’espèce.
La doctrine traditionnelle distingue deux manières de conférer une marge de manœuvre à l'administration dans l'application du droit : la liberté d'appréciation (Ermessen), résultant d'une volonté expresse du législateur, et la latitude de jugement (Beurteilungsspielraum), découlant le plus souvent de l'emploi, dans le texte légal, d'une notion juridique indéterminée (unbestimmter Rechtsbegriff). L'interprétation d'une notion juridique indéterminée, autrement dit l'interprétation de la loi, est une question de droit (ATAF 2015/9 du 13 mars 2015, consid. 6.1.). Le juge administratif, qui exerce le contrôle de l'application du droit, peut, en conséquence, la revoir entièrement et librement, même s'il s'impose généralement une certaine retenue en rapport avec l'appréciation de l'autorité administrative, notamment lorsque celle-ci est mieux à même d'apprécier la situation en raison de sa proximité de l'affaire, ou s'agissant de domaines dans lesquels celle-ci dispose de connaissances techniques spéciales (cf. ATAF 2014/26 du 8 octobre 2014, consid. 7.8). Ne se pose pas, à cet égard, la question de la limitation du contrôle de l'opportunité. En revanche, la liberté d'appréciation (également parfois désignée sous la terminologie « pouvoir d'appréciation » ou encore « liberté de décision » [Ermessen, parfois Entscheidungsspielraum]) constitue un espace de liberté, conféré par le législateur à l'administration, que le juge doit respecter lorsqu'il n'a pas le pouvoir de contrôler l'opportunité d'une décision (cf. Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd. 2018, p. 179 ss ; Thierry TANQUEREL, Le contrôle de l'opportunité, in : Le contentieux administratif, 2013, p. 209 ss ; Pierre MOOR / Alexandre FLÜCKIGER / Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. I, 3ème éd. 2012, chap. 4.3.1 p. 735 ss ; Pierre TSCHANNEN / Ulrich ZIMMERLI / Markus MÜLLER, Allgemeines Verwaltungsrecht, 4ème éd. 2014, § 26 n. marg. 3 et 4). Le pouvoir de statuer en opportunité permet à l'autorité administrative de faire des choix dans l'application de la loi (mais pas de l'appliquer ou non) et de se déterminer entre plusieurs solutions prévues par le législateur. Une autorité supérieure possédant le même pouvoir d'appréciation peut considérer qu'un autre choix est meilleur et substituer son appréciation à celle de l'autorité inférieure. Un juge qui n'a pas le pouvoir de statuer en opportunité ne le peut, en revanche, pas. Il ne doit que s'assurer que l'autorité administrative a fait usage de son pouvoir d'appréciation, sans abus ni excès (ATAF 2015/9 du 13 mars 2015, consid. 6.1.).
En définitive, l'opportunité, c'est l'espace de liberté qui reste à l'administration une fois que celle-ci a strictement respecté le cadre légal et qu'elle a dûment tenu compte de tous les principes juridiques qui s'imposent à elle à l'intérieur de ce cadre (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 519, p. 180 ; ATAF 2015/9 du 13 mars 2015, consid. 6.1).
La distinction entre liberté d'appréciation et latitude de jugement, telles que définies ci-dessus, n'est pas toujours aisée. Selon une théorie aujourd'hui dépassée, il s'agirait de savoir si la norme permet une seule et juste solution. Il serait question d'opportunité lorsqu'un choix est possible entre deux ou plusieurs solutions potentiellement justes. D'autres auteurs voient un critère de distinction dans le fait que les notions juridiques indéterminées concerneraient l'état de fait, alors que le pouvoir de statuer en opportunité, la liberté d'appréciation, aurait trait à la conséquence juridique prévue par la norme. Enfin, une doctrine plus récente met en question la pertinence de la distinction classique entre liberté d'appréciation et latitude de jugement, soulignant que la question déterminante est, en définitive, uniquement de savoir si l'autorité dispose d'un espace de liberté qui lui a été conféré par le législateur et que le juge doit respecter (ATAF 2015/9 du 13 mars 2015, consid. 6.2, avec références jurisprudentielle et doctrinales).
3.2. La juridiction administrative chargée de statuer (sur recours) est liée par les conclusions des parties, mais pas par les motifs que celles-ci invoquent (art. 69 al. 1 LPA).
3.3. L’article 20 LOJ, intitulé « Sanctions disciplinaires », prévoit :
1 Le magistrat qui, intentionnellement ou par négligence, viole les devoirs de sa charge, adopte un comportement portant atteinte à la dignité de la magistrature ou ne respecte pas les décisions du conseil est passible des sanctions disciplinaires suivantes :
a) l’avertissement ;
b) le blâme ;
c) l’amende jusqu’à 40 000 francs ;
d) la destitution.
2 Ces sanctions peuvent être combinées.
3 La poursuite et la sanction disciplinaires se prescrivent par 7 ans.
4 Le conseil prononce les sanctions précitées et pourvoit à leur exécution.
Quant à l’article 21 LOJ, intitulé « Mesures », il prévoit :
1 Le conseil relève de sa charge tout magistrat qui :
a) ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions d’éligibilité ;
b) est frappé par un motif d’incompatibilité ;
c) est incapable de l’exercer, notamment en raison de son état de santé.
2 Le conseil peut enjoindre un magistrat de compléter sa formation professionnelle.
Le CSM statue, dans ce cadre, comme autorité administrative au sens des art. 1 al. 2 et 5 let. g LPA. Les dispositions de la LPA s’appliquent dès lors à sa prise de décision, comme le rappelle également l’art. 19 al. 1 LOJ.
3.3.1. Le droit disciplinaire se rattache au droit administratif, car la mesure disciplinaire n'a pas en premier lieu pour but d'infliger une peine : elle tend au maintien de l'ordre, à l'exercice correct de l'activité en question et à la préservation de la confiance du public à l'égard des personnes qui l'exercent (ATF 142 II 259, consid. 4.4 ; 108 Ia 230, consid. 2b et 5b / JdT 1984 I 21 ; arrêt du Tribunal fédéral 1D_15/2007 du 13 décembre 2007, consid. 1.1 ; ATA/729/2016 du 30 août 2016, consid. 8a ; ATA/1255/2015 du 24 novembre 2015, consid. 7b ; ATA/632/2014 du 19 août 2014, consid. 14 ; Gabriel BOINAY, Le droit disciplinaire de la fonction publique et dans les professions libérales, particulièrement en Suisse romande, in Revue Jurassienne de Jurisprudence [RJJ] 1998, p. 1ss, spéc. 10 s. n. 10 ss).
Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence de faute (ATA/888/2018 du 4 septembre 2018, consid. 6e, avec références à Ulrich HÄFELIN / Georg MÜLLER / Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 7ème éd., 2016, n. 1515 ; Jacques DUBEY / Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, n. 2249 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 1228, p. 417).
3.4. En l’espèce, le recourant conteste uniquement le chiffre 5 du dispositif de la décision du CSM du 20 juin 2022, qui « [d]it que la procédure de mesure se poursuit » ; il ne conteste notamment pas les manquements disciplinaires retenus à son égard et le blâme prononcé à son encontre selon les chiffres 3 et 4.
3.4.1. S’agissant du premier grief de déni de justice, le recourant estime que le seul acte d’instruction effectué par le CSM a été d’ordonner une expertise médicale, dont le résultat démontrait sa pleine capacité cognitive pour remplir sa charge. Le CSM aurait ainsi dû, soit constater qu’il ne se justifiait pas de prononcer de mesure, sur la base de cette expertise, soit en prononcer une sur la base de l’instruction du volet disciplinaire. Ses « difficultés à tenir son rôle » n’équivalaient pas à une incapacité. Il contestait avoir eu un comportement « oppositionnel » vis-à-vis de la présidence du Tribunal civil et encore moins « systématique », comportement qui n’avait pas été démontré. Ce constat serait corroboré par les questions posées par le CSM à la présidente du Tribunal civil, le 30 août 2022, questions qui portaient sur la période postérieure à sa réintégration au mois de juillet 2022. Le besoin d’ « instruire sur les causes des difficultés de A______ en termes de tenue de son rôle, et de traitement diligent des procédures, ainsi que de rapports avec la présidence du Tribunal civil » était un prétexte pour ne pas statuer sur l’aspect « mesure » de la procédure.
3.4.1.1. En l’occurrence, comme mentionné au point 2.2.3. ci-dessus, il est discutable de considérer que les observations du 25 mai 2022 du recourant pourraient constituer une mise en demeure suffisante au sens de la jurisprudence pour que ce dernier puisse invoquer un déni de justice le 9 septembre 2022 ; le recourant conclut d’ailleurs à l’annulation et à la réforme du chiffre 5 du dispositif de la décision du 20 juin 2022 et non au renvoi à l’instance inférieure pour nouvelle décision sur ce point.
En tout état, il convient de relever que le CSM a rendu une décision, le 20 juin 2022, à la suite d’une importante instruction, décision dans laquelle il détaille les motifs – graves tant pour les intérêts des justiciables que pour la bonne marche de la juridiction dans laquelle est réintégré A______ – pour lesquels une suite d’instruction lui semble nécessaire sur l’aspect « mesure ».
S’il est vrai que l’expertise médicale demandée par le CSM a démontré une pleine capacité du recourant à exercer sa fonction sous l’angle des capacités cognitives, elle n’a, en revanche, pas permis – au contraire – d’expliquer les causes des difficultés du recourant en termes de tenue de son rôle, de traitement diligent des procédures et des rapports avec la présidence du Tribunal civil – reproches qui ne sont pas nouveaux et qui sont globalement admis ne fût-ce que pour les questions de diligence et la tenue d’« avis critiques » selon les termes du recourant lui-même. Or, dans le cadre de sa compétence d’autorité administrative de surveillance jouissant d’un pouvoir d’appréciation dans l’instruction de ses procédures, le CSM estime devoir suivre en tout cas quelques mois l’évolution du magistrat après sa réintégration, afin de pouvoir apprécier correctement la capacité de ce dernier à continuer à exercer sa charge pour des motifs autres que ceux relevant de l’expertise médicale. A cet effet, le CSM a demandé la remise de rapports de la présidente de la juridiction au sein de laquelle exerce le recourant.
Il sera encore relevé que le suivi souhaité par le CSM permettrait, le cas échéant, d’identifier et redresser plus rapidement d’éventuelles difficultés risquant d’à nouveau mettre en péril les intérêts des justiciables et le bon fonctionnement du Tribunal, d’une part, sans être trop invasive du côté du magistrat visé, d’autre part.
Cette manière de procéder n’est, par conséquent, en l’état, pas constitutive d’abus ou d’excès du pouvoir d’appréciation du CSM et la Cour de céans n’est, en tout état, pas compétente pour revoir cette décision sous l’angle de l’opportunité.
3.4.1.2. Il s’ensuit qu’il ne peut être reproché au CSM un déni de justice et que ce premier grief devra être rejeté.
3.4.2. S’agissant du second grief, le recourant estime que le maintien de la procédure sur le volet « mesure » constituerait une sanction disciplinaire déguisée, laquelle serait illégale car sans base légale.
3.4.2.1. En l’occurrence, comme cela ressort de la décision entreprise et comme l’a confirmé la présidente du CSM en audience, le but n’est pas de maintenir une procédure de mesure ad aeternam mais de s’assurer, quelques mois, de la diligence du magistrat et du respect de son serment. La manière de procéder du CSM entre dans ses compétences, comme développé au considérant 3.4.1.1. ci-dessus, et, partant, est légale.
3.4.2.2. En conséquence, le grief relatif à une sanction disciplinaire déguisée et illégale devra être également rejeté.
4. Entièrement mal fondé, le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité.
5. Vu l’issue du litige, un émolument de 1000 fr. sera mis à la charge du recourant. Aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée.
***
LA COUR D’APPEL DU POUVOIR JUDICIAIRE
- Rejette, dans la mesure de sa recevabilité, le recours interjeté le 9 septembre 2022 par A______ contre la décision du Conseil supérieur de la magistrature du 20 juin 2022.
- Met à la charge de A______ un émolument de 1000 fr.
- Dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure.
- Dit que, conformément aux art. 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF – RS 173.110) le présent arrêt peut être porté dans les 30 jours qui suivent sa notification par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière de droit public. Le délai est suspendu pendant les périodes prévues à l’article 46 LTF. Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuves et porter la signature du recourant ou de son mandataire. Il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuves doivent être joints à l’envoi.
- Communique le présent arrêt, en copie, à Maître B______, avocat du recourant, ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature.
Siégeant : M. Matteo PEDRAZZINI, Président, Mme Renate PFISTER-LIECHTI, Vice-présidente, Mme Marie-Laure PAPAUX VAN DELDEN, Juge.
AU NOM DE LA COUR D’APPEL DU POUVOIR JUDICIAIRE
Jussara BREUGELMANS Matteo PEDRAZZINI
Greffière Président
Copie conforme du présent arrêt a été communiquée par pli recommandé à Me B______ ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature.