Décisions | Chambre des prud'hommes
ACJC/882/2025 du 27.06.2025 sur JTPH/37/2025 ( SS ) , RENVOYE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/19340/2024 ACJC/882/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des prud'hommes DU VENDREDI 27 JUIN 2025 |
Entre
Monsieur A______, domicilié ______ [GE], appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 11 février 2025 (JTPH/37/2025), représenté par Me Francesco LA SPADA, avocat, rue De-Beaumont 3, case postale 24, 1211 Genève 12,
et
B______ B.V., sise ______ (Pays-Bas), intimée, représentée par
Me Rayan HOUDROUGE, avocat, Walder Wyss, rue du Rhône 14, case postale,
1211 Genève 3.
A. Par jugement JTPH/37/2025 du 11 février 2025, reçu le lendemain par les parties, le Tribunal des prud'hommes, statuant par voie de procédure sommaire, a déclaré irrecevable la requête en protection des cas clairs formée le 21 août 2024 par A______ à l'encontre de B______ B.V. (chiffre 1 du dispositif), invité A______ à mieux agir s'il s'y estimait fondé (ch. 2), dit que la procédure était gratuite et qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 3) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).
B. a. Par acte expédié le 24 février 2025 à la Cour de justice, A______ forme appel contre le jugement précité, dont il requiert l'annulation. Il conclut, principalement, avec suite de frais judiciaires et dépens d'appel, à ce que la Cour renvoie la cause au Tribunal, en l'invitant à lui notifier la réponse de B______ B.V. du 9 décembre 2024, de manière à ce qu'il puisse exercer son droit d'être entendu, avant de statuer à nouveau. Subsidiairement, il conclut, avec suite de frais judiciaires et dépens des deux instances, à ce que la Cour condamne B______ B.V. à lui remettre les certificats de salaire, les fiches de salaire et "un excellent certificat de travail" pour la période du 1er janvier 2018 au 17 juin 2022.
b. Dans sa réponse du 7 mars 2025, B______ B.V. conclut, principalement, à la confirmation du jugement attaqué et, subsidiairement, au renvoi de la cause au Tribunal afin qu'il notifie sa réponse du 9 décembre 2024 à A______, en invitant celui-ci à se déterminer dans un délai de dix jours et, cela fait, après que le précité se sera déterminé dans les formes et le délai applicables ou à l'échéance du délai de dix jours imparti, qu'il statue dans la cause.
c. Les parties ont répliqué, respectivement les 24 mars et 7 avril 2025, en persistant dans leurs conclusions.
d. Elles ont été informées le 29 avril 2025 de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier soumis à la Cour:
a. Par acte du 21 août 2024, A______, agissant par la voie de la procédure en protection des cas clairs, a requis du Tribunal la condamnation de B______ B.V. à lui remettre les certificats de salaire, les fiches de salaire et "un excellent certificat de travail" pour la période du 1er janvier 2018 au 17 juin 2022.
Il s'est prévalu d'une relation de travail l'ayant lié à B______ B.V.
La requête était accompagnée d'un chargé comprenant dix pièces.
b. Par ordonnance du 18 septembre 2024, le Tribunal a transmis la requête et les pièces de A______ à B______ B.V., en lui fixant un délai pour répondre, lequel a ensuite été prolongé au 9 décembre 2024.
c. A cette dernière date, B______ B.V. a déposé au Tribunal une réponse, concluant à l'irrecevabilité de la requête.
Elle a contesté le for, l'existence d'un rapport de travail entre les parties, ainsi que la réalisation des conditions de l'art. 257 CPC sur le cas clair.
La réponse fait référence à sept pièces de B______ B.V., lesquelles ne figurent pas au dossier de première instance.
La réponse et, a fortiori, les pièces, n'ont pas été transmises à A______.
d. Par courrier du 24 janvier 2025, le Tribunal a communiqué aux parties sa composition en vue d'une future délibération et leur a imparti un délai pour soulever tout éventuel motif de récusation.
e. Dans le jugement attaqué, le Tribunal a fait état de la réponse de B______ B.V. du 9 décembre 2024.
Celle-ci estimait qu'elle n'avait pas été été liée à A______ par un contrat de travail et qu'ainsi elle n'était pas tenue de lui délivrer les documents requis. Dans la mesure où l'existence d'un contrat de travail était litigieuse, la requête du 21 août 2024 ne reposait pas sur un état de fait clair et incontesté, que le requérant pouvait prouver immédiatement. Les conditions de recevabilité de la requête en protection du cas clair n'étaient donc pas remplies.
1. 1.1 Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable contre les décisions finales de première instance si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC). Ces conditions valent aussi en procédure de cas clair selon l'art. 257 CPC (Hohl, Procédure civile, tome II, 2010, n. 1684 s.).
Les actions portant sur la délivrance d'un certificat de travail sont des contestations à caractère pécuniaire. La valeur litigieuse du certificat de travail se détermine au regard de l'entrave à l'avenir professionnel du travailleur, compte tenu de l'ensemble des circonstances, soit en particulier de critères tels que la profession, la fonction, la durée des rapports de travail, le niveau de salaire, la qualification du salarié et la situation du marché du travail (WYLER/HEINZER/WITZIG, Droit du travail, 5ème éd. 2024, pp 589-590 et les références jurisprudentielles citées).
En l'espèce, la requête porte sur la délivrance d'un certificat de travail, ainsi que de certificats et fiches de salaire, pour la période du 1er janvier 2018 au 17 juin 2022. A défaut d'autres précisions et de contestations de la part de l'intimée, il sera admis que la valeur litigieuse dépasse 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.
1.2 Les décisions rendues en matière de cas clairs sont soumises à la procédure sommaire (art. 257 al. 1 CPC). Qu'elle accorde la protection ou déclare la requête irrecevable, la décision peut être attaquée dans les dix jours (art. 314 al. 1 CPC).
En l'espèce, l'appel, écrit et motivé (art. 311 al. 1 CPC) a été formé dans le délai précité (cf. également art. 142 al. 3 CPC). Il est ainsi recevable.
1.3 Dans le cadre d'un appel, la Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), dans la limite des griefs suffisamment motivés qui sont formulés (art. 321 al. 1 CPC; cf. arrêts du Tribunal fédéral 4A_290/2014 du 1er septembre 2014 consid. 5; 5A_89/2014 du 15 avril 2011 consid. 5.3.2).
2. L'appelant fait grief au Tribunal d'avoir violé son droit d'être entendu, en omettant de lui transmettre la réponse de sa partie adverse et en le privant ainsi de son droit de réplique inconditionnel.
2.1 Conformément aux art. 53 al. 3 CPC – [applicable en l'espèce; cf. art. 407f CPC a contrario et TAPPY, Le droit transitoire applicable aux règles introduites par la novelle du 17 mars 2023, in CPC 2025, La révision du code de procédure civile, 2024, p.p 216-217] –, 29 al. 2 Cst. et 6 CEDH, les parties ont le droit d'être entendues. Ce droit garantit notamment au justiciable le droit de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal et de se déterminer à son propos, que celle-ci contienne ou non de nouveaux éléments de fait ou de droit, et qu'elle soit ou non concrètement susceptible d'influer sur le jugement à rendre. Il appartient en effet aux parties, et non au juge, de décider si une prise de position ou une pièce nouvellement versée au dossier contient des éléments déterminants qui appellent des observations de leur part. Toute prise de position ou pièce nouvelle versée au dossier doit dès lors être communiquée aux parties pour leur permettre de décider si elles veulent ou non faire usage de leur faculté de se déterminer (ATF 146 III 97 consid. 3.4.1 et les références citées).
2.1.1 Le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel, dont la violation entraîne en principe l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond. Cependant, ce droit n'est pas une fin en soi; il constitue un moyen d'éviter qu'une procédure judiciaire ne débouche sur un jugement vicié en raison de la violation du droit des parties de participer à la procédure, notamment à l'administration des preuves. Ainsi, lorsqu'on ne voit pas quelle influence la violation de ce droit a pu avoir sur la procédure, il n'y a pas lieu d'annuler la décision attaquée (ATF 143 IV 380 consid. 1.4.1; arrêt du Tribunal fédéral 4D_76/2020 du 2 juin 2021 consid. 4.2, non publié in ATF 147 III 440). Il incombe au recourant d'indiquer quels arguments il aurait fait valoir dans la procédure et en quoi ceux-ci auraient été pertinents (arrêts du Tribunal fédéral 4A_30/2021 du 16 juillet 2021 consid. 4.1; 4D_31/2021 du 22 juin 2021 consid. 2.1; 4A_162/2021 du 12 mai 2021 consid. 5.2 et les arrêts cités). A défaut de cette démonstration, en effet, le renvoi de la cause à l'autorité précédente en raison de cette seule violation constituerait une vaine formalité et conduirait seulement à prolonger inutilement la procédure (arrêts du Tribunal fédéral 4A_641/2023 du 17 septembre 2024 consid. 4.1.2; 5A_804/2022 du 24 février 2023 consid. 3.1 et les arrêts cités).
2.1.2 Par ailleurs, la violation du droit d'être entendu peut être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours jouissant d'un plein pouvoir d'examen (ATF 135 I 279 consid. 2.6.1; 133 I 201 consid. 2.2; 118 Ib 111 consid. 4b; 116 Ia 94 consid. 2). Toutefois, une telle réparation doit rester l'exception et n'est admissible, en principe, que dans l'hypothèse d'une atteinte qui n'est pas particulièrement grave aux droits procéduraux de la partie lésée; cela étant, une réparation de la violation du droit d'être entendu peut également se justifier, même en présence d'un vice grave, lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, ce qui serait incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1; arrêt du Tribunal fédéral 2C_463/2024 du 20 février 2025 consid. 5.1).
2.2 En l'espèce, l'omission de transmettre la réponse (et les pièces) de l'intimée à l'appelant constitue une violation manifeste du droit d'être entendu de celui-ci, qui a été privé de son droit inconditionnel à la réplique.
L'appelant n'est pas en mesure d'indiquer quels arguments complémentaires il aurait fait valoir dans la procédure, ni en quoi ceux-ci auraient été pertinents, puisqu'il n'a pas pu prendre connaissance de la réponse et des pièces de sa partie adverse.
La violation ne peut donc pas être réparée devant la Cour, qui par ailleurs ne dispose même pas des pièces auxquelles se réfère l'intimée dans sa réponse.
Le grief de l'appelant étant fondé, le jugement attaqué sera annulé et la cause sera renvoyée au Tribunal pour qu'il transmette à l'appelant la réponse et les pièces de l'intimée, garantisse le droit d'être entendues des parties et rende une nouvelle décision.
3. Au regard de la valeur litigieuse, inférieure à 50'000 fr., il n'y a pas lieu de percevoir des frais judiciaires d'appel (art. 116 CPC, art. 19 al. 3 let. c LaCC).
Par ailleurs, s'agissant d'une cause soumise à la juridiction prud'homale, il n'est pas alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).
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PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté le 24 février 2025 par A______ contre le jugement JTPH/37/2025 rendu le 11 février 2025 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/19340/2024.
Au fond :
Annule le jugement attaqué.
Renvoie la cause au Tribunal des prud'hommes pour la suite de la procédure dans le sens des considérants.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Dit que la procédure est gratuite et qu'il n'est pas alloué de dépens.
Siégeant :
Monsieur Ivo BUETTI, président; Monsieur Pierre-Alain L'HÔTE, Madame
Filipa CHINARRO, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.
Indication des voies de recours et valeur litigieuse :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.