Décisions | Chambre des prud'hommes
ACJC/451/2025 du 27.03.2025 sur OTPH/1477/2024 ( OO ) , IRRECEVABLE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/27032/2023 ACJC/451/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des prud'hommes DU JEUDI 27 MARS 2025 |
Entre
Monsieur A______, p.a. [Étude] B______, ______ [GE], recourant contre une ordonnance rendue par le Tribunal des prud'hommes le 13 septembre 2024,
et
Madame C______, domiciliée ______ [GE], intimée, représentée par Me Nicolas CAPT, avocat, Avocats Sàrl, cours des Bastions 15, case postale 519, 1211 Genève 12.
A. C______ est née le ______ 2003.
A______ est avocat au barreau genevois. Son étude se situe no. ______ rue 1______ à Genève
D______ est avocat au barreau de E______ [France]. Il est inscrit au tableau public genevois des avocats des États membres de l’UE ou de l’AELE autorisés à pratiquer la représentation en justice en Suisse de manière permanente sous leur titre d’origine (art. 28 LLCA). Son adresse professionnelle à Genève se situe no. ______ rue 1______.
B. a. Le 21 mars 2024, C______ a saisi le Tribunal des prud'hommes d'une demande dirigée contre A______, par laquelle elle a conclu à titre préalable à ce qu'il soit fait interdiction à Me D______ de représenter les intérêts du précité, et à ce que des pièces soient produites, à titre principal à ce que A______ soit condamné à lui verser 42'586 fr. 62 avec suite d'intérêts moratoires, ainsi qu'à lui remettre un certificat de travail (dont elle a proposé le texte), sous suite de frais et dépens.
b. A la requête de Me D______, le délai pour répondre accordé par le Tribunal à A______ a été prolongé à trois reprises, pour être en définitive fixé au 19 juillet 2024 ("ultime délai").
Une nouvelle requête de l'avocat précité, formée pour "raisons médicales" a été admise par le Tribunal, un délai "ultime et dernier" étant fixé au 2 août 2024.
Par courrier posté le 5 août 2024, l'avocat a requis un nouveau report ("nouveaux soucis de santé pouvant s'avérer extrêmement graves") accordé par le Tribunal ("ultissime délai") au 8 août 2024.
Par courrier posté le 9 août 2024, Me D______ a derechef requis un report de délai jusqu'au terme de son incapacité de travail attestée par certificat médical, s'engageant à ne plus solliciter aucune autre prolongation et à confier le dossier à un confrère si son état de santé ne lui permettait pas de "pourvoir correctement à la défense des intérêts" de son mandant. Le Tribunal a accédé à cette requête, prolongeant le délai au 19 août 2024 en précisant qu'il s'agissait d'un "ultissime délai" qui ne serait en aucun cas prolongé.
Le 22 août 2024, il a imparti "un délai supplémentaire non prolongeable au
29 août 2024" et informé les parties qu'à défaut de réponse dans le délai supplémentaire, il rendrait une décision finale si la cause était en état d'être jugée ou à défaut citerait la cause aux débats principaux.
Par courrier muni d'un cachet postal du 30 août 2024 (comportant une annexe signée de deux témoins selon laquelle le pli avait été déposé dans une boîte aux lettres le 29 août 2024 aux alentours de 22h45 par Me F______)
Me D______ a fait valoir qu'il était dans l'incapacité de se rendre à Genève pour l'exercice de sa profession en raison de son état médical, qu'il ne disposait pas de secrétariat auquel dicter un acte judiciaire, et a sollicité "une ultissime prolongation du délai de grâce" imparti. Le Tribunal a rejeté cette requête et fixé une audience de débats au 11 septembre 2024.
c. A l'audience de débats d'instruction du Tribunal du 11 septembre 2024, C______ a persisté dans ses conclusions. A______ n'était ni présent ni représenté.
Sur quoi, le Tribunal a réservé la suite de la procédure.
C. Par ordonnance du 13 septembre 2024, expédiée pour notification aux parties le même jour (reçue le 18 septembre 2024), le Tribunal, statuant préparatoirement, a constaté le défaut de réponse de A______, ouvert les débats principaux, fixé une audience de débats principaux au 8 octobre suivant et rejeté la requête de C______ visant à faire interdiction à Me D______ de représenter les intérêts de A______.
Le 8 octobre 2024, le Tribunal a tenu une audience. C______ était présente. A______ n'était ni présent ni représenté
D. Par acte du 10 octobre 2024, A______, représenté par
Me D______, a formé recours contre l'ordonnance susmentionnée.
Il a requis à titre préalable la suspension du caractère exécutoire de cette ordonnance "y compris les suites de l'audience du 8 octobre 2024 […] du Tribunal", ce qui a été accordé par arrêt de la Cour du 23 octobre 2024.
Il a conclu à la restitution du délai de recours, à la recevabilité de son recours, à l'annulation de l'ordonnance, cela fait à ce qu'il lui soit imparti un délai supplémentaire de 10 jours dès réception de l'arrêt, à ce qu'il soit ordonné au Tribunal, à réception du mémoire de réponse déposé dans le délai supplémentaire, "du mémoire de réponse, du chargé de pièces et de la liste de témoins du recours", de procéder à la citation des parties à une audience de débats d'instruction, subsidiairement, à ce qu'il soit ordonné au Tribunal de procéder à la citation d'une nouvelle audience de débats d'instruction ayant le même objet que celui de l'audience du 11 septembre 2024, plus subsidiairement au renvoi de la cause au Tribunal pour qu'il statue dans le sens des considérants.
Il a nouvellement allégué que son conseil avait été transporté le lundi
30 septembre 2024 aux Urgences d'un hôpital de E______, pour insuffisance respiratoire, qu'il y avait subi des examens toute la journée "avec une impossibilité totale […] de pouvoir consulter et utiliser son téléphone et/ou son ordinateur de travail en vue de trouver une solution alternative afin qu'un de ses confrères puisse procéder à la finalisation et au dépôt du recours dans les délais légaux", et qu'il se trouvait également dans l'impossibilité totale et imprévisible de se rendre à un guichet de poste suisse pour pouvoir respecter le délai imparti. "Une période en hospitalisation de plusieurs jours" avait été ordonnée.
Il a produit un "compte-rendu de passage aux Urgences" relatif à D______, daté du 30 septembre 2024 (dont résulte, s'agissant des horaires, une entrée à 8h.09 et un examen à 11h.53, et de l'examen clinique notamment un patient conscient, orienté et adapté) lequel se termine par la mention suivante: "Retour à domicile accompagné obligatoire prévu le 03/10/2024 pour nécessité de garder le patient en observation".
C______ a conclu au rejet de la demande de restitution du délai de recours et au rejet du recours, sous suite de frais.
A______ s'est encore déterminé, persistant dans ses conclusions. Il a allégué nouvellement que son avocat avait été incapable de travailler durant huit jours "à compter de son hospitalisation au Service des urgences", et avait, avant cela, "eu l'intention de se rendre à Genève pour déposer les écritures" en avion.
Il a nouvellement produit notamment un certificat médical du 30 septembre 2024, établi en faveur de D______ par un médecin dermatologue, exerçant en cabinet privé à E______ selon les indications figurant en entête, dont résulte que l'avocat avait été reçu en consultation le 30 septembre 2024 "après son passage aux Urgences", que son état de santé interdisait "tout déplacement professionnel en raison de la nécessité d'une surveillance accrue pendant un délai d'au moins
8 j., et de fait l'empêche d'exercer sa profession d'avocat et notamment la communication des écritures qu'il devait effectuer ce jour-là"; ainsi qu'un document daté du 30 septembre 2024 émanant de "G______", portant mention d'un vol dont D______ serait passager, à cette date, avec départ de E______ à 15h55 et arrivée à Genève à 17h00.
C______ s'est déterminée, persistant dans ses conclusions.
Par avis du 18 décembre 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.
Par courrier du 26 décembre 2024, A______ a fait connaître qu'il assurerait sa défense personnellement, ayant révoqué le mandat conféré à Me D______.
1. 1. Le recours est recevable contre des décisions et ordonnances d'instruction de première instance, dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. ch. 2 CPC).
Le délai est de dix jours pour les autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance (art. 321 al. 2 CPC).
1.2 Aux termes de l'art. 148 CPC, le tribunal peut accorder un délai supplémentaire ou citer les parties à une nouvelle audience lorsque la partie défaillante en fait la requête et rend vraisemblable que le défaut ne lui est pas imputable ou n'est imputable qu'à une faute légère (al. 1). La requête est présentée dans les dix jours qui suivent celui où la cause du défaut a disparu (al. 2). Si une décision a été communiquée, la restitution ne peut être requise que dans les six mois qui suivent l'entrée en force de la décision (al. 3).
Le défaut doit découler d'une absence de faute ou d'une faute légère. L'art. 148
al. 1 CPC est ainsi moins sévère que les art. 50 al. 1 LTF, 13 al. 1 PCF, 33 al. 4 LP et 94 al. 1 CPP, lesquelles dispositions subordonnent la restitution à l'absence de toute faute. La faute légère vise tout comportement ou manquement qui, sans être acceptable ou excusable, n'est pas particulièrement répréhensible, tandis que la faute grave suppose la violation de règles de prudence vraiment élémentaires qui s'imposent impérieusement à toute personne raisonnable. Le tribunal appelé à se prononcer sur la requête de restitution dispose d'une marge d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 5A_180/2019 du 12 juin 2019 consid. 3.1).
Il suffit que les conditions (matérielles) d'application de l'art. 148 CPC soient rendues vraisemblables par le requérant, qui supporte le fardeau de la preuve. La requête de restitution doit ainsi être motivée, c'est-à-dire indiquer l'empêchement, et accompagnée des moyens de preuve disponibles (arrêt du Tribunal fédéral 5A_927/2015 précité consid. 5.1, avec réf.; arrêt du Tribunal fédéral 4A_163/2015 consid. 4.1).
Pour trancher la question de la restitution du délai, le comportement des auxiliaires doit être imputé à la partie elle-même (ATF 114 Ib 67 consid. 2 et 3; arrêt du Tribunal fédéral 1P.603/2001 du 1er mars 2002 consid. 2.2 et les références citées). De même, une partie doit se laisser imputer la faute de son représentant (ATF 119 II 86 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_393/2013 du 17 octobre 2013 consid. 2.4). Il importe donc peu que le retard soit imputable au plaideur, à son avocat ou, le cas échéant, aux banques chargées d'un paiement (arrêt du Tribunal fédéral 4P.310/2004 du 30 mars 2005 consid. 4.1, publié in RSPC 2005 p. 262; cf. ég. FRÉSARD, in Commentaire de la LTF, 2ème éd., 2014, n° 14 s. ad art. 50 LTF).
1.3 En l'espèce, le délai de recours arrivait à échéance le 30 septembre 2024.
Le recourant, à l'appui de sa requête de restitution de délai, a allégué une admission de son avocat dans un service d'urgences médicales de E______ à la date susmentionnée, dont découlait une impossibilité d'agir "tout au long de la journée", et une "période d'observation en hospitalisation de plusieurs jours" sans précision de dates. Il a produit une seule pièce à l'appui de ces allégués, à savoir le compte-rendu des urgences relatifs à son conseil.
Ce faisant, il a rendu vraisemblable un passage de son avocat en milieu médical le 30 septembre 2024 au matin (admission peu après 8h00, et dernier examen peu avant midi), mais non des examens médicaux ultérieurs dans la journée, qui plus est de nature à empêcher de prendre toute disposition utile aux fins de respecter le délai de réponse imparti. Il n'a pas non plus rendu vraisemblable l'alléguée hospitalisation qui aurait commencé, à bien le comprendre, après le passage aux urgences, puisque rien de tel ne résulte de la pièce produite (laquelle semble davantage évoquer un retour à domicile). Il s'est montré muet sur les démarches que son avocat aurait envisagées quant à la finalisation de son acte et au dépôt de celui-ci d'une façon conforme à l'art. 143 al. 1 CPC (dépôt à la poste suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse); ces démarches apparaissaient pourtant d'autant plus nécessaires que l'avocat se trouvait à E______, affirmait ne pas avoir de secrétariat à disposition, et connaissait un état de santé précaire (à en croire les allégués à l'appui des multiples demandes de report de délais en première instance).
Or il incombait au requérant de fournir tout moyen de preuve d'emblée avec sa requête de restitution.
Les titres fournis en annexe à sa réplique sont ainsi tardifs, partant irrecevables, étant précisé que le recourant ne soutient pas qu'il n'aurait pas été en mesure de les produire avec ladite requête (ce qui n'apparaîtrait d'ailleurs pas crédible puisque le certificat médical a, selon son texte été établi et remis en mains propres le
30 septembre 2024, et que le document de la compagnie d'aviation portait sur un vol à cette date). Au demeurant, ce certificat médical émanant d'un médecin de ville, s'il avait été recevable, serait plutôt de nature à établir que l'avocat du recourant n'était ni retenu aux urgences ni hospitalisé une partie de la journée du 30 septembre 2024.
Conformément à la jurisprudence rappelée ci-dessus, le recourant doit supporter les conséquences de la faute de son représentant.
Dès lors, il sera considéré que le recourant a échoué à rendre vraisemblable que le défaut ne lui était pas imputable.
Il s'ensuit que le recours, tardif, n'est pas recevable.
2. Il n'est pas perçu de frais (art. 71 RTFMC) ni alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :
Déclare irrecevable le recours formé par A______ contre l'ordonnance rendue le 13 septembre 2024 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/27032/2023.
Dit qu'il n'est pas perçu de frais judiciaires ni alloué de dépens.
Siégeant :
Madame Sylvie DROIN, présidente; Monsieur Pierre-Alain L'HÔTE, Madame Filipa CHINARRO, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.
Indication des voies de recours et valeur litigieuse :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.