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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/19036/2024

ACJC/232/2025 du 17.02.2025 sur JTBL/1108/2024 ( SBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/19036/2024 ACJC/232/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 17 FEVRIER 2025

 

Entre

Monsieur A______ et Madame B______, domiciliés ______ [GE], recourants contre un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 7 novembre 2024, représentés par Me Robert ASSAEL, avocat, rue de l'Athénée 4, case postale 330, 1211 Genève 12,

et

Madame C______, domiciliée ______, Grande-Bretagne, intimée, représentée par Me Cédric LENOIR, avocat, rue des Battoirs 7, 1205 Genève.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTBL/1108/2024 du 7 novembre 2024, notifié à A______ et B______ le 12 novembre 2024, le Tribunal des baux et loyers, statuant par voie de procédure sommaire, a condamné A______ et B______ à évacuer immédiatement de leurs personnes et de leurs biens ainsi que toute autre personne faisant ménage commun avec eux l'appartement de 6 pièces au 4ème étage de l'immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève ainsi que le box n° 3 au sous-sol (ch. 1 du dispositif), autorisé C______ à requérir leur évacuation par la force publique dès l'entrée en force du jugement (ch. 2), condamné A______ et B______ à verser à C______ la somme de 47'200 fr. (ch. 3), autorisé la libération de la garantie de loyer (ch. 4), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5) et dit que la procédure était gratuite (ch. 6).

B.            a. Par acte expédié le 22 novembre 2024 à la Cour de justice, A______ et B______ ont formé recours contre ce jugement, concluant à ce que la Cour de justice annule le chiffre 2 de son dispositif et leur octroie un sursis humanitaire de six mois dès l'entrée en force de l'arrêt de la Cour.

Ils ont produit des pièces nouvelles.

b. Le 2 décembre 2024, C______ a conclu au rejet du recours.

c. Les parties ont été informées le 6 janvier 2025 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. En date du 1er juillet 2021, A______ et B______, en tant que locataires, et C______, en tant que bailleresse, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un appartement de 6 pièces au 4ème étage de l'immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève ainsi qu'un box n° 3 au sous-sol.

Le contrat a été conclu pour une durée d'un an, du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022, renouvelable ensuite tacitement d'année en année.

Le montant du loyer, charges comprises, a été fixé en dernier lieu à 5'900 fr. par mois.

b. Par courrier du 15 mai 2024, A______ et B______ ont été mis en demeure de s'acquitter dans les 30 jours du montant de 11'660 fr. à titre d'arriérés de loyers et de charges pour les mois d'avril et mai 2024, sous menace de résiliation du bail.

c. Faute de paiement dans le délai imparti, le bail a été résilié par avis officiel du 25 juin 2024 avec effet au 31 juillet 2024.

d. Par courriel du 24 juillet 2024 adressé à la régie en charge de la gestion de l'immeuble, A______ a indiqué se trouver au Kenya pour recouvrer une créance importante. Il proposait de payer immédiatement les loyers en retard ainsi que trois mois d'avance comme garantie.

e. Par réponse du 29 juillet 2024, la régie a indiqué que la bailleresse n'entendait pas discuter de quelque proposition que ce soit avant d'avoir reçu le paiement des arriérés, d'ici au 31 juillet 2024. L'état des lieux de sortie fixé au 2 août 2024 était donc maintenu.

f. Le 1er août 2024, A______ a adressé à la régie un nouveau courriel indiquant qu'il se trouvait à l'étranger. Il avait été victime d'une agression et ne serait pas de retour avant la semaine suivante. Il promettait de régler les quatre mois de loyer de retard dès son arrivée.

g. Les locataires n'étaient pas présents lors de l'état des lieux de sortie du 2 août 2024.

h. Par requête en protection de cas clair déposée le 12 août 2024, la bailleresse a notamment requis l'évacuation des locataires, assortie de mesures d'exécution directes du jugement d'évacuation. Elle a également conclu à la condamnation des locataires à lui verser la somme de 5'900 fr. par mois, d'avril à août 2024, et sollicité la libération en sa faveur de la garantie de loyer.

   i. Lors de l'audience du Tribunal du 7 novembre 2024, la bailleresse, représentée par son conseil, a amplifié ses conclusions en paiement avec les mensualités de septembre à novembre 2024, le montant total dû s'élevant à 47'200 fr. Elle a indiqué que sa situation était difficile, étant une personne privée sans réserves financières.

Le conseil des locataires a indiqué que ceux-ci s'opposaient à la requête, ayant toujours eu l'intention de payer leur dette. A______ était parti au Kenya en vue d'encaisser une créance, mais avait à cette occasion été victime d'une tentative de meurtre et hospitalisé en Afrique, de sorte qu'il n'avait pas pu récupérer son argent. Revenu récemment d'Afrique, il comptait y retourner pour toucher son argent. Il avait également entamé des démarches auprès de sociétés en Suisse dont il était administrateur afin d'obtenir des avances. Son épouse avait des problèmes de santé. Les locataires, vivant dans le logement avec leurs deux enfants, ont requis un délai humanitaire de six mois.

Il ressort des pièces produites par les locataires lors de l'audience du 7 novembre 2024 que l'agression de A______ s'est produite le 18 juillet 2024.

Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience.

 

EN DROIT

1.             1.1 Le jugement entrepris ayant été communiqué aux parties avant le 1er janvier 2025, la présente procédure de recours demeure régie par l'ancien droit de procédure (art. 404 al. 1 et 405 al. 1 CPC), sous réserve des dispositions d'application immédiate énumérées à l'art. 407f CPC.

1.2 Selon l'art. 309 let. a CPC, le recours est recevable contre les décisions du Tribunal de l'exécution.

En l'espèce, les recourants contestent les mesures d'exécution prises par le Tribunal et ont interjeté le recours en temps utile et selon les formes légales, de sorte que celui-ci est recevable (art. 309 et art. 321 al. 2 CPC).

1.3 À teneur de l'art. 326 al. 1 CPC, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables dans le cadre d'une procédure de recours.

Par conséquent, les faits nouvellement allégués par les parties ainsi que les pièces nouvellement produites par le recourant sont irrecevables.

2. Le Tribunal a retenu que les recourants n'avaient plus versé aucun loyer depuis avril 2024 en dépit de leurs nombreuses promesses, de sorte que l'arriéré de loyer atteignait 47'200 fr. et continuait d'augmenter chaque mois. Le recourant n'avait pas mentionné, dans son courriel du 24 juillet 2024, l'agression dont il avait été victime quelques jours plus tôt. Ce n'était que dans son courriel du 1er août 2024, après le refus de la bailleresse d'entrer en matière avant régularisation de la situation, qu'il en avait fait état pour la première fois, de sorte que ses déclarations étaient peu crédibles. Les avances que celui-ci avait indiqué pouvoir obtenir n'étaient étayées par aucune pièce. Enfin, la présence d'enfants dans le logement n'influençait pas l'issue du litige, l'intimée ne pouvant supporter plus longtemps l'absence de tout versement, de sorte qu'aucun délai humanitaire n'était accordé.

2.1 Les recourants se prévalent tout d'abord d'une violation de leur droit d'être entendus au motif que le jugement querellé ne repose sur aucune motivation.

2.1.1 La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu de l'art. 29 al. 2 Cst l'obligation pour l'autorité de motiver sa décision, afin que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 146 II 335 consid. 5.1; 143 III 65 consid. 5.2). Pour satisfaire à cette exigence, il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision. Elle n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à ceux qui, sans arbitraire, peuvent être tenus pour pertinents (ATF 146 II 335 consid. 5.1; 142 II 154 consid. 4.2). Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 1C_94/2023 du 12 novembre 2024 consid. 4.1). Le droit d'être entendu est une garantie de nature formelle, dont la violation entraîne l'annulation de la décision attaquée, sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (ATF 144 I 11 consid. 5.3; 143 IV 380 consid. 1.4.1).

2.1.2 En l'espèce, la motivation du jugement entrepris est conforme aux exigences de la jurisprudence rappelée ci-dessus. Le jugement permet de comprendre sur quels faits le Tribunal s'est fondé pour statuer sur l'existence de motifs humanitaires. Les recourants, qui n'expliquent pas quel argument soulevé devant le Tribunal n'aurait pas été traité par ce dernier, ont d'ailleurs été en mesure de critiquer, dans leur acte de recours, la solution retenue par le premier juge.

Par conséquent, le grief de la violation du droit d'être entendu sera rejeté.

2.2 Les recourants invoquent, en outre, leur situation médicale respective, la créance importante dont A______ serait titulaire en Afrique, les démarches initiées afin d'obtenir des avances auprès de sociétés dont il est administrateur et, enfin, l'intérêt de leurs enfants à ne pas se voir évacués immédiatement de l'appartement, pour soutenir que le Tribunal aurait violé le principe de proportionnalité en refusant de leur accorder un délai de six mois. L'intimée ne faisait état d'aucune urgence pour récupérer l'appartement.

2.2.1 L'exécution forcée d'un jugement ordonnant l'évacuation d'un locataire est régie par le droit fédéral (art. 335 ss CPC).

En autorisant l'exécution forcée d'une décision judiciaire, l'autorité doit tenir compte du principe de la proportionnalité. Dans le cas de l'évacuation d'une habitation, il s'agit d'éviter que des personnes concernées soient ainsi privées de tout abri. De ce fait, l'expulsion ne saurait être exécutée sans un ménagement particulier, notamment si des motifs humanitaires exigent un sursis, ou lorsque des indices sérieux et concrets font prévoir que l'occupant se soumettra spontanément au jugement d'évacuation dans un délai raisonnable. Dans tous les cas, le sursis doit être relativement bref et ne doit pas équivaloir à une prolongation de bail
(ATF 117 Ia 336 consid. 2b p. 339; arrêt du Tribunal fédéral 4A_232/2018 du 23 mai 2018 consid. 7).

L'art. 30 al. 4 LaCC prévoit également que le Tribunal peut, pour des motifs humanitaires, surseoir à l'exécution du jugement d'évacuation dans la mesure nécessaire pour permettre le relogement du locataire.

S'agissant des motifs de sursis, différents de cas en cas, ils doivent être dictés par des "raisons élémentaires d'humanité". Sont notamment des motifs de ce genre la maladie grave ou le décès de l'expulsé ou d'un membre de sa famille, le grand âge ou la situation modeste de l'expulsé. En revanche, la pénurie de logements n'est pas un motif d'octroi d'un sursis (ACJC/777/2024 du 17 juin 2024 consid. 2.1; ACJC/269/2019 du 25 février 2019 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral du 20 septembre 1990, in Droit du bail 3/1991 p. 30 et les références citées). La présence d'un enfant dans le logement ne donne pas, en elle-même et à elle seule, le droit à l'obtention d'un sursis (ACJC/1111/2024 du 16 septembre 2024 consid. 3.2).

2.2.2 En l'espèce, s'il ressort du dossier que A______ a été victime d'une agression le 18 juillet 2024 au Kenya, il ne souffre pas d'une maladie grave et rien n'indique que son état de santé serait préoccupant. Au contraire, le conseil des recourants a indiqué, lors de l'audience du 7 novembre 2024, que le recourant, à l'époque à Genève, avait l'intention de retourner en Afrique pour recouvrer sa créance, ce qui permet de retenir qu'à cette date, le recourant était déjà rétabli. Les recourants n'ayant, par ailleurs, produit aucune pièce relative à l'état de santé de B______, rien ne permet de retenir que leur état de santé empêcherait leur déménagement.

En outre, contrairement à ce que semblent penser les recourants, le fait que le paiement du loyer dépendrait du recouvrement d'une créance importante et de la possibilité d'obtenir des avances de sociétés ne constitue pas un motif de sursis humanitaire. Les recourants n'ont, en tout état, donné aucune indication concrète sur la manière dont l'argent pourrait être récupéré ni précisé de quel montant il s'agissait. Ils n'ont rien versé à l'intimée depuis des mois, malgré des promesses faites en ce sens auprès de la régie en charge de la gestion de l'immeuble. Tout laisse dès lors penser que l'octroi d'un sursis à l'évacuation ne ferait qu'augmenter leur dette à l'encontre de l'intimée.

L'argument des recourants relatif à la nécessité d'obtenir un délai supplémentaire pour trouver une solution de relogement doit également être rejeté, dans la mesure où ces derniers occupent sans droit l'appartement et le box au sous-sol depuis la résiliation du bail intervenue pour le 31 juillet 2024. Ils ont ainsi bénéficié, de fait, de six mois d'occupation de l'appartement et n'ont pas rendu vraisemblable avoir effectué des recherches de logement. Dans ces conditions, et compte tenu de l'importance de l'arriéré de loyers et d'indemnités, la présence d'enfants occupant l'appartement litigieux n'est pas suffisante pour fonder le droit des recourants à obtenir un sursis à l'évacuation.

Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal n'a pas violé le principe de proportionnalité en retenant que l'on ne saurait exiger de l'intimée qu'elle patiente plus longtemps pour récupérer l'usage de son bien. Le recours sera donc rejeté.

2.             Il n'est pas prélevé de frais ni alloué de dépens s'agissant d'une cause soumise à la juridiction des baux et loyers (art. 22 al. 1 LaCC).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 22 novembre 2024 par A______ et B______ contre le chiffre 2 du dispositif du jugement JTBL/1108/2024 rendu le 7 novembre 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/19036/2024.

Au fond :

Rejette ce recours.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD, Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Laurence MIZRAHI, Monsieur Jean-Philippe FERRERO, juges assesseurs; Madame Victoria PALAZZETTI, greffière.

 

 

 

 

 




 

 

 

 



Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires inférieures à 15'000 fr.