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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/16423/2021

ACJC/1461/2024 du 04.11.2024 sur JTBL/984/2023 ( OBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs

 

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/16423/2021 ACJC/1461/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 4 NOVEMBRE 2024

 

Entre

 

A______ SA, sise ______, appelante d’un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 21 novembre 2023, représentée par l’ASLOCA, rue du Lac 12, case
postale 6150, 1211 Genève 6,

 

et

 

B______/C______ SA, sise ______, intimée, représentée par Me Lucien LAZZAROTTO, avocat, quai des Bergues 23, 1201 Genève.

 

 

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/984/2023 du 21 novembre 2023, expédié aux parties le 23 novembre 2023, le Tribunal des baux et loyers a déclaré valable le congé notifié le 26 juillet 2021 par B______/C______ SA à A______ SA pour le 28 février 2022 et portant sur les locaux situés dans l’immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève (ch. 1 du dispositif), a accordé à A______ SA une première prolongation de son bail de trois ans, échéant au 28 février 2025 (ch. 2), a autorisé A______ SA à résilier le contrat de bail moyennant un préavis d’un mois pour la fin d’un mois (ch. 3), a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4) et a dit que la procédure était gratuite (ch. 5).

B. a. Par acte reçu au greffe de la Cour de justice le 9 janvier 2024, A______ SA a formé appel contre ce jugement, dont elle sollicite l'annulation du chiffre 1 de son dispositif et, subsidiairement, la confirmation des chiffres 2 et 3.

b. Dans sa réponse du 8 février 2024, B______/C______ SA a conclu à la confirmation du jugement entrepris. Elle a produit deux pièces nouvelles.

c. A______ SA a répliqué le 14 mars 2024, persistant dans ses conclusions.

d. A______ SA a produit une écriture spontanée le 9 avril 2024 pour alléguer deux faits nouveaux et produire trois pièces nouvelles.

e. B______/C______ SA a dupliqué le 2 mai 2024, persistant dans ses conclusions. Elle a encore produit trois pièces nouvelles.

f. Les parties ont été avisées le 29 mai 2024 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les éléments suivants résultent de la procédure :

a. Le 28 février 1971, D______ SA (devenue par la suite A______ SA), locataire, et E______, bailleresse, ont conclu un contrat de bail portant sur les locaux situés sur la parcelle n° 2______ de la commune de Genève-F______, à l’adresse rue 1______ no. ______ à Genève, pour y exploiter un atelier de vulcanisation et de vente de pneumatiques.

Le bail a été conclu pour une durée initiale de cinq ans, du 1er mars 1971 au 29 février 1976, renouvelable par la suite d’année en année sauf résiliation moyennant un préavis de six mois.

Le loyer a été fixé en dernier lieu à 5'300 fr. par mois.

b. La parcelle n° 2______ abrite trois bâtiments, implantés à l’intérieur d’une cour circonscrite par les bâtiments longeant les rues avoisinantes.

c. A______ SA exploite quatre ateliers au centre de Genève, dont celui aux F______, qui est le seul à se situer sur la rive gauche et qui engendre environ la moitié du chiffre d’affaires de la société.

d. L’Etude d’avocats C______/G______ s’est intéressée au rachat de la parcelle n° 2______, dans le but de transformer les locaux pour s’y installer.

L’Etude, qui compte cinq associés, dont B______ et C______, huit collaborateurs, cinq avocats-stagiaires et quatre secrétaires en équivalent temps plein, loue des locaux à la rue 3______ no. ______ à Genève.

e. Dès janvier 2020, B______ a sollicité du bureau [d'architectes] H______ SA un premier avis de faisabilité du projet de transformation des locaux actuels en Etude d’avocats.

La société B______/C______ SA, dont B______ et C______ sont actionnaires et ayants-droits économiques, a par la suite été créée, dans le but d’acquérir la parcelle.

f. Le 21 mai 2021, A______ SA a sollicité de E______ qu’elle entreprenne des travaux sur la toiture.

g. La société B______/C______ SA a acquis l’immeuble par acte de vente du 15 juillet 2021.

h. Par courrier du 26 juillet 2021, B______/C______ SA a informé A______ SA qu’elle avait acquis l’immeuble et qu’elle résiliait le contrat de bail pour le 28 février 2022, au motif qu’elle souhaitait installer dans les locaux l’Etude d’avocats des deux actionnaires et ayants-droits économiques de la société, les locaux actuels de l’Etude étant de taille insuffisante. Un avant-projet avait été conçu par le bureau d’architectes H______ SA visant à transformer les locaux.

Un avis de résiliation était joint au courrier.

i. Par requête déposée le 26 août 2021 par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, déclarée non conciliée lors de l’audience de la commission du 8 février 2022 et portée devant le Tribunal le 4 mars 2022, A______ SA a conclu, principalement, à l’annulation du congé et, subsidiairement, à l’octroi d’une prolongation de bail de six ans et à l’autorisation de restituer les locaux en tout temps, moyennant un préavis écrit de quinze jours pour le quinze ou la fin d’un mois.

j. Par mémoire réponse du 13 avril 2022, B______/C______ SA a conclu à la validité du congé et au refus de toute prolongation de bail.

k. Le projet de construction a évolué de la manière suivante :

- Le 3 décembre 2021, H______ SA a déposé une demande d’autorisation de construire.

- Le 26 janvier 2022, la Direction des autorisations de construire a demandé que le projet soit modifié en ce qui concerne la toiture et les vues droites.

- Le 21 février 2022, la Ville de Genève a préavisé défavorablement le projet dans le sens qu’il respectait certes les gabarits mais augmentait le volume utile par l’abaissement du niveau de la cour. En outre, selon l’article 10 RPUS, une surface équivalente à la moitié de la surface initiale devait être maintenue en activité artisanale et les activités projetées devaient être ouvertes au public, conditions que le projet ne respectait pas (article 9 al. 2.1 et 2.2 RPUS).

- Le 7 mars 2022, le Service de géologie, sols et déchets a émis un avis favorable sous condition de respect de plusieurs normes touchant la nappe d’eau souterraine.

- Le 8 mars 2022, la Commission d’architecture a demandé que le projet soit modifié, en ce sens que la situation dans la cour n’était pas idéale et qu’il y manquait des espaces verts. En outre, les volumes excavés importants prévus participaient à une densification excessive de la cour.

- Le 18 mars 2022, l’Office des autorisations de construire a sollicité des compléments demandés par les différents services consultés afin de pouvoir poursuivre l’étude du dossier.

- Le 27 mai 2022, le bureau d’architectes a informé l’Office qu’il avait modifié le projet afin qu’il prenne en compte toutes les demandes de compléments reçues des différents services.

- Le 1er juin 2022, l’Office a informé le bureau d’architectes que les documents transmis ne répondaient pas à sa demande de compléments et n’étaient pas recevables.

- Le 9 juin 2022, la Direction des autorisations de construire a donné un préavis favorable sous conditions que les vitrages translucides prévus soient fixes, étant précisé qu’ils ne pourraient être pris en compte pour garantir l’éclairage des locaux et qu’aucune terrasse accessible à moins de quatre mètres des limites de propriété voisines ne serait admise.

- Le 23 juin 2022, la Commission d’architecture a relevé que malgré l’amélioration du projet et les efforts fournis, la volumétrie restait trop importante pour la cour.

- Le 1er juillet 2022, la Ville de Genève a insisté sur le maintien des activités commerciales ou artisanales, conformément à l’article 9 RPUS, et a réitéré son préavis défavorable.

- Les 5 juillet et 6 septembre 2022, l’Office des autorisations de construire a sollicité des compléments d’informations demandés par les différents services concernés.

- Le 20 septembre 2022, H______ SA, faisant suite à une réunion tenue avec la Commission d’architecture, lui a confirmé que le projet avait été revu en ce sens notamment que le volume au sol avait été réduit de 20% permettant ainsi de végétaliser une partie de la parcelle.

- Le 27 septembre 2022, la Commission d’architecture a salué le réaménagement qualitatif de la cour proposé sur les nouveaux plans et a sollicité une réduction volumétrique, seule condition à son approbation de l’implantation sollicitée.

- Le 22 décembre 2022, l’Office des autorisations de construire a prolongé le délai pour fournir les compléments demandés.

- Le 2 mars 2023, la demande d’autorisation de construire a été mise en suspens.

l. Le 21 mars 2023, I______, architecte mandaté par A______ SA, a rendu un rapport sur la faisabilité du projet de B______ ET C______ SA. Il a considéré que la troisième version du projet, de l’automne 2022, était probablement autorisable d’un point de vue légal, ajoutant qu’il fallait attendre l’approbation de la Commission d’architecture. Le projet présenté ne concernait pas l’aménagement intérieur car il s’agissait d’une demande préalable et au vu de la surface des locaux, l’enjeu du projet concernerait le respect des taux de jours pour chaque poste de travail. La mise en suspens du projet pouvait être due au fait qu’au vu des modifications imposées au projet initial par les différents services, les propriétaires se donnaient le temps de repenser le projet en profondeur et pouvait être un prélude à l’abandon dudit projet.

m. A______ SA a produit ses comptes de pertes et profits aux 31 janvier 2019, 2021 et 2022, desquels il ressort que la société essuie des pertes depuis plusieurs années, ainsi que de nombreux documents attestant des recherches de locaux de remplacement, à savoir des locaux d’une surface d’au moins 500 m2 au plus près du quartier des F______ et disposant idéalement de huit places de parking, avec un accès facile et visible depuis la rue et répondant aux normes anti-feu en vigueur.

n. En audience du Tribunal, les parties ont admis qu’un local de remplacement avait été proposé par B______/C______ SA mais qu’il avait été refusé par A______ SA après examen de l’offre.

Un administrateur de la locataire a déclaré qu’il avait effectué des investissements dans les locaux, année après année, afin d’optimiser toute la surface. Il employait quatre personnes dans l’atelier des F______ et deux extras durant la période d’hiver. Il s’était adressé à 32 régies actives sur la rive gauche mais aucune d’elle ne lui avait proposé de locaux de remplacement. Il avait également envisagé d’acheter des locaux, lesquels avaient été vendus. Il avait parlé de sa situation à de nombreuses connaissances et également aux maires de certaines communes. Concernant le motif du congé, le premier projet prévoyait 28 bureaux mais avait été refusé, notamment du fait qu’il prévoyait deux étages en sous-sol, ce qui créait un problème à cause de la proximité du lac et la nappe phréatique. En outre, un client architecte lui avait confirmé que le projet n’était pas impossible mais était très complexe et coûteux.

Un actionnaire de la bailleresse a confirmé le motif du congé, qui était toujours d’actualité. Il avait été renoncé au premier projet à cause de la remarque formulée par la Commission d’architecture. Le projet avait été adapté et venait de faire l’objet d’un préavis favorable de ladite Commission. Le financement du nouveau projet avait été obtenu.

o. Par plaidoiries finales des 28 et 4 mai 2023, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

A______ SA a allégué qu’au vu des préavis négatifs et de la suspension de la procédure administrative, le projet était irréalisable.

B______/C______ SA a allégué que la Commission d’architecture avait donné un préavis positif sous réserve d’une modification volumétrique, modification opérée dans la dernière variante du projet. Le préavis négatif de la Ville de Genève n’était plus d’actualité car le service en charge du PUS avait réalisé que le refus du projet allait à l’encontre de tous les efforts déployés par la Ville pour réduire tant le trafic que les nuisances sonores dans le quartier des F______ et pour végétaliser les espaces. Dans l’hypothèse d’une dérogation au RPUS, il fallait considérer que la cour n’était pas un passage accessible au public et que l’activité de A______ SA n’était pas à proprement parler artisanale.

B______/C______ SA a déposé une réplique le 25 mai 2023.

p. La cause a été gardée à juger le 13 juin 2023.

q. Par décision publiée dans la FAO du ______ mars 2024, la démolition des bâtiments faisant l’objet de la présente procédure a été autorisée.

r. Par décision du Département du territoire rendue le 26 mars 2024, la demande d’autorisation de construire sollicitée par B______/C______ SA a été refusée. Le premier motif à l’appui de ce refus repose sur l’avis de la Ville de Genève, réitéré à quatre reprises, selon lequel le projet n’est pas conforme à l’art. 10 RPUS. Cette dernière estime que le projet ne permettrait pas de maintenir une surface de plancher au moins équivalente à la moitié des surfaces initiales en activités industrielles ou artisanales. La Ville de Genève s’est également prononcée défavorablement concernant une dérogation à l’art. 10 RPUS, son objectif étant de maintenir des activités et services à proximité de la population et des locaux à destination de bureaux étant largement disponibles en ville. Le second motif à l’appui de ce refus d’autorisation réside dans le fait que les distances et vues droites entre la construction projetée et les limites des parcelles voisines sont insuffisantes et que le projet doit être modifié pour respecter ces distances et vues.

s. Le 5 avril 2024, A______ SA a formé un recours contre l’autorisation de démolir les bâtiments litigieux délivrée le ______ mars 2024. Elle allègue que cette décision a été rendue de manière arbitraire et qu’il n’y a aucune logique à autoriser la démolition de ces bâtiments tout en refusant l’autorisation de construire pour le nouvel immeuble.

EN DROIT

1.  1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

La valeur litigieuse est déterminée par les dernières conclusions de première instance (art. 91 al. 1 CPC; Jeandin, Code de procédure civile commenté, Bâle 2011, n. 13 ad art. 308 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 4A_594/2012 du 28 février 2013).

Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné. Il faut prendre en considération, s'il y a lieu, la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 consid. 1.1; 136 III 196 consid. 1.1).

1.2 En l'espèce, compte tenu d'un loyer mensuel de 5’300 fr., la valeur minimale de 10'000 fr. est atteinte. La voie de l'appel est donc ouverte.

1.3 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.4 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d’examen de la cause en fait et en droit. En particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2. L’appelante a produit de nouvelles pièces et fait valoir des faits nouveaux; l’intimée a versé des pièces nouvelles.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). Les deux conditions sont cumulatives (Jeandin, Commentaire Romand, Code de procédure civile 2ème éd., 2019, n. 6 ad art. 317 CPC).

S'agissant des vrais nova (echte Noven), la condition de nouveauté posée par la lettre b est sans autre réalisée et seule celle d'allégation immédiate doit être examinée. En ce qui concerne les pseudo nova (unechte Noven), il appartient au plaideur qui entend les invoquer devant l'instance d’appel de démontrer qu'il a fait preuve de la diligence requise, ce qui implique notamment d'exposer précisément les raisons pour lesquelles le moyen de preuve n'a pas pu être produit en première instance (ACJC/1411/2023 du 23 octobre 2023).

2.2 En l'espèce, l’appelante a produit trois pièces nouvelles avec son écriture spontanée du 9 avril 2024

L’intimée, quant à elle, a produit deux pièces nouvelles avec sa réponse du 8 février 2024 et trois autres pièces nouvelles avec sa duplique du 2 mai 2023.

Toutes ces pièces sont postérieures à la mise en délibération de la cause par le Tribunal le 13 juin 2023. En outre, elles ont été produites à chaque fois sans retard. Elles sont donc recevables, en tant qu’elles sont pertinentes.

3.  L'appelante fait grief aux premiers juges d’avoir retenu que les enquêtes et les pièces produites confirment la réalité du motif invoqué et, ainsi que le congé notifié est valable. Elle estime pour sa part que « tout laisse à penser » que le projet de la bailleresse serait « irréalisable » et qu’il serait dès lors contraire aux règles de la bonne foi (art. 271 al. 1, 271a CO, art. 2 al. 2 CC) et constitutif d'un abus manifeste de droit (art. 2 al. 2 CC).

3.1 Selon l'art. 266a al. 1 CO, lorsque le bail est de durée indéterminée, une partie peut le résilier en observant les délais de congé et les termes légaux, sauf si un délai plus long ou un autre terme ont été convenus.

Un bail qui contient une clause de reconduction tacite est de durée indéterminée (ATF 148 III 215 consid. 3.1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_431/2022 du 28 février 2023 consid. 5.1).

Le bail est un contrat qui n'oblige les parties que jusqu'à l'expiration de la période convenue. Au terme du contrat, la liberté contractuelle renaît et chacune des parties a la faculté de conclure ou non un nouveau contrat et de choisir son cocontractant (ATF 148 III 125 consid. 3.1.1, arrêts du Tribunal fédéral 4A_431/2022 du 28 février 2023 consid. 5.1, 4A_609/2021 du 5 juillet 2022 consid. 4.1).

En principe, le bailleur est libre de résilier le bail, notamment dans le but d'adapter la manière d'exploiter son bien selon ce qu'il juge le plus conforme à ses intérêts, pour effectuer des travaux de transformation, de rénovation ou d'assainissement, pour des motifs économiques (comme optimiser son rendement dans les limites fixées par la loi). La décision sur la nature et l'étendue de la rénovation est donc en principe exclusivement son affaire (ATF 148 III 215 consid. 3.2.1, 142 III 91 consid. 3.2.1, 140 III 496 consid. 4.1, 135 III 112 consid. 4.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_2013 du 5 mars 2014 consid. 4.1). Il n'est pas tenu d'attendre que les travaux de rénovation deviennent nécessaires et urgents (ATF 148 III 215 consid. 3.2.1, 135 III 112 consid. 4.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_503/2013 du 5 mars 2014 consid. 4.3).

3.2 La résiliation ordinaire du bail n'est pas subordonnée à l'existence d'un motif de résiliation particulier. La motivation ne doit être fournie que si l'autre partie la demande (art. 271 al. 2 CO). La motivation du congé n'est donc pas une condition de sa validité et elle n'a pas à être fournie dans le délai de 30 jours suivant la réception de celui-ci (ATF 148 III 215 consid. 3.1.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_431/2022 du 28 février 2023 consid. 5.3.3).

L'absence de motivation ou une motivation lacunaire ne signifie pas nécessairement que la résiliation est contraire aux règles de la bonne foi, mais elle peut constituer un indice de l'absence d'intérêt digne de protection à mettre un terme au bail ou du fait que le motif invoqué n'est qu'un prétexte (ATF 148 III 215 consid. 3.1.3, 143 III 344 consid. 5.3.1 et les arrêts cités; arrêts du Tribunal fédéral 4A_431/2022 du 28 février 2023 consid. 5.3.3, 4A_113/2019 du 9 juillet 2019 consid. 3, 4A_183/2017 du 24 janvier 2018 consid. 2, 4A_127/2017 du 25 octobre 2017 consid. 2.3).

3.3 Pour déterminer quel est le motif de congé et si ce motif est réel ou s'il n'est qu'un prétexte, il faut se placer au moment où le congé a été notifié (ATF
148 III 125 consid. 3.1.4, 142 III 91 consid. 3.2.1, 140 III 496 consid. 4.1,
138 III 59 consid. 2.1).

Des faits ultérieurs peuvent fournir un éclairage sur les intentions du bailleur au moment de la résiliation (ATF 148 III 215 consid. 3.1.4, 138 III 59 consid. 2.1 in fine; arrêt du Tribunal fédéral 4A_113/2019 du 9 juillet 2019 consid. 3 et les références citées) ou permettre d'apprécier le degré d'impossibilité objective d'un projet de transformation au regard des règles du droit public (ATF 138 III 215; arrêt du Tribunal fédéral 4A_435/2021 du 14 février 2022 consid. 3.1.4 et les arrêts cités).

3.4 Lorsque les locaux doivent subir un changement d'affectation et nécessitent des travaux de transformation, il y a lieu d'admettre, comme pour les résiliations ordinaires données pour effectuer des travaux de rénovation, d'assainissement ou de transformation, que la résiliation est contraire à la bonne foi si le projet du bailleur est manifestement incompatible avec les règles du droit public (ou objectivement impossible; objektiv unmöglich), au point qu'il est certain qu'il ne sera pas autorisé (ATF 148 III 215 consid. 3.2.2, 140 III 496 consid. 4.1 et 4.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_609/2021 du 5 juillet 2022 consid. 4.2).

Il n'est cependant pas nécessaire que le bailleur ait déjà obtenu une autorisation, ni même qu'il ait déposé les documents dont elle dépend (ATF 148 III 215 consid. 3.2.2, 142 III 91 consid. 3.2.1, 140 III 496 consid. 4.1, arrêt du Tribunal fédéral 4A_609/2021 du 5 juillet 2022 consid. 4.2). Il s'agit de pronostiquer si, au moment où le congé a été donné, l'autorisation des travaux envisagés paraissait de toute évidence exclue, une probabilité non négligeable de refus n'étant pas suffisante. Autrement dit, il faut que le projet soit déjà, à ce moment-là, manifestement incompatible avec les règles du droit public (ATF 148 III 215 consid. 3.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_609/2021 du 5 juillet 2022 consid. 4.2).

3.5 Conformément à la règle générale de l'art. 8 CC, il appartient à la partie qui veut faire annuler le congé de prouver les circonstances permettant de déduire qu'il contrevient aux règles de la bonne foi. Le bailleur qui résilie le bail a toutefois le devoir de contribuer loyalement à la manifestation de la vérité, en motivant, sur requête, la résiliation et, en cas de contestation, en fournissant tous les documents en sa possession nécessaires à la vérification du motif qu'il a invoqué (ATF 148 III 215 consid. 3.1.5, 142 III 568 consid. 2.1, 140 III 33 consid. 3.1.2, 120 II 105 consid. 3c; arrêts du Tribunal fédéral 4A_69/2021 du 21 septembre 2021 consid. 4.2, 4A_17/2017 du 7 septembre 2017 consid. 2).

3.6 Le congé est annulable lorsqu'il contrevient aux règles de la bonne foi (art. 271 al. 1 CO).

Il est également annulable lorsqu'il est donné par le bailleur parce que le locataire fait valoir de bonne foi des prétentions découlant du bail (art. 271a al. 1 let. a CO).

La protection conférée par ces dispositions légales procède à la fois du principe de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC) et de l'interdiction de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC) (ATF 148 III 125 consid. 3.1.2, arrêt du Tribunal fédéral 4A_609/2021 du 5 juillet 2022 consid. 4.1.2 et la référence citée).

Les règles de la bonne foi, qui régissent le rapport de confiance inhérent à la relation contractuelle, permettent d'obtenir l'annulation du congé si le motif sur lequel il repose s'avère incompatible avec elles (ATF 148 III 125 consid. 3.1.2, 120 II 105 consid. 3a).

Les cas typiques d'abus de droit (art. 2 al. 2 CC), à savoir l'absence d'intérêt à l'exercice d'un droit, l'utilisation d'une institution juridique contrairement à son but, la disproportion grossière des intérêts en présence, l'exercice d'un droit sans ménagement et l'attitude contradictoire, permettent de dire si le congé contrevient aux règles de la bonne foi au sens de l'art. 271 al. 1 CO (ATF 148 III 125 consid. 3.1.2, 135 III 162 consid. 3.3.1, 120 II 105 consid. 3). Il n'est toutefois pas nécessaire que l'attitude de la partie donnant congé à l'autre constitue un abus de droit "manifeste" au sens de l'art. 2 al. 2 CC (ATF 148 III 125 consid. 3.1.2,
136 III 190 consid. 2; 135 III 112 consid. 4.1; 120 II 31 consid. 4a). Ainsi, le congé doit être considéré comme abusif lorsqu'il ne répond à aucun intérêt objectif, sérieux et digne de protection (ATF 148 III 125 consid. 3.1.2, 135 III 112 consid. 4.1). Tel est le cas lorsque le congé apparaît purement chicanier, lorsqu'il est fondé sur un motif qui ne constitue manifestement qu'un prétexte ou lorsqu'il consacre une disproportion crasse entre l'intérêt du locataire au maintien du contrat et celui du bailleur à y mettre fin (ATF 148 III 125 consid. 3.1.2,
145 III 143 consid. 3.1, 142 III 91 consid. 3.2.1, 140 III 496 consid. 4.1,
138 III 59 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_431/2022 du 28 février 2023 consid. 5.1).

Le but de la réglementation des art. 271 et 271a CO est uniquement de protéger le locataire contre des résiliations abusives. Un congé n'est pas contraire aux règles de la bonne foi du seul fait que la résiliation entraîne des conséquences pénibles pour lui (ATF 148 III 125 consid. 3.1.2, 140 III 496 consid. 4.1) ou que son intérêt au maintien du bail paraît plus important que celui du bailleur à ce qu'il prenne fin (ATF 148 III 125 consid. 3.1.2). Sauf cas de disproportion crasse des intérêts respectifs des parties, il ne faut examiner, pour statuer sur la validité d'un congé, que l'intérêt qu'a le bailleur à récupérer son bien, et non pas procéder à une pesée entre l'intérêt du bailleur et celui du locataire à rester dans les locaux, cette pesée des intérêts n'intervenant que dans l'examen de la prolongation du bail (ATF 148 III 125 consid. 3.1.2).

3.7 En l'espèce, au moment où le congé ordinaire a été notifié, soit le 26 juillet 2021, l’intimée avait déjà sollicité de son architecte un premier avis de faisabilité du projet de transformation des locaux actuels en étude d’avocat.

C’est à la suite de cette réflexion que le congé litigieux a été notifié par l’intimée, dans le but de récupérer les locaux pour son besoin propre.

L’appelante a soutenu en première instance que ledit projet était manifestement incompatible avec les règles de droit public applicables, notamment au vu de préavis négatifs, émanant du Service de géologie et de la Direction des autorisations de construire.

En appel, elle soutient que le projet de l’intimée, même modifié selon les préavis émis, ne peut pas être autorisé. Puis, s’appuyant sur la décision du Département du territoire rendue le 26 mars 2024 par laquelle la demande d’autorisation de construire sollicitée par l’intimée a été refusée, elle fait valoir que ce fait nouveau confirmerait que ledit projet est définitivement irréalisable, de sorte que le motif du congé ne serait pas réalisé.

L’appelante invoque également son recours du 5 avril 2024 contre la décision d’autorisation de démolition des bâtiments faisant l’objet de la procédure par le Département du Territoire délivrée le ______ mars 2024.

S’agissant des premiers griefs à l’encontre du congé querellé qui ont été traités en première instance, la Cour fait sienne l’appréciation du Tribunal selon laquelle les déclarations recueillies des parties et les pièces produites (soit les plans et notes de présentation du projet, ainsi que la demande d’autorisation préalable DP 4______/1, ses modifications successives et l’ensemble des documents les accompagnant) ont permis de confirmer la réalité du motif allégué et que la locataire n’avait pas démontré, à ce stade, que le projet serait irréalisable ou se heurterait de manière définitive à l’obtention d’une autorisation de construire. Les premiers juges ont à bon droit retenu que les préavis négatifs du Service de géologie et de la Direction des autorisations de construire visaient soit à rendre attentive l’intimée à certaines règles importantes, sans retenir que le projet présenté ne serait pas à même de les respecter, ou concernaient des problématiques qui pouvaient être résolues dans le cadre du dépôt de la demande définitive. En outre, le Tribunal a considéré qu’une dérogation à l’art. 9 RPUS, dont le but est l’interdiction d’affecter à des bureaux fermés au public des surfaces au rez-de-chaussée donnant sur les lieux de passage ouvert au public, était envisageable et que l’on ne pouvait pas considérer que ce point rendait le projet définitivement irréalisable, au moment où le congé a été notifié.

S’agissant des griefs nouvellement soulevés en appel, à savoir la décision de refus d’autorisation préalable notifiée par l’Office des autorisation de construire le 26 mars 2024, la Cour retient que cet élément ne rend pas l’ensemble du projet caduc et ne permet pas de considérer que le motif du congé consistait en un projet irréalisable au moment où il a été notifié.

En effet, ce rejet d’autorisation de construire est dû d’une part, au refus de la Ville de Genève de déroger à l’art. 10 RPUS, dont l’objectif est de maintenir des activités et services à proximité de la population, et, d’autre part, au refus de la Direction des autorisations de construire en raison de distances et vues droites entre la construction projetée et les limites des parcelles voisines insuffisantes.

S’agissant des distances, l’intimée a prouvé par la production de plans et par ses déclarations que des corrections de plans présentant des murs rectilignes et non plus arrondis rendent le bâtiment conforme aux règles sur les distances entre édifices, sans que cela ne modifie les locaux intérieurs. L’implantation et l’existence de l’édifice projeté ne sont dès lors nullement en jeu.

En ce qui concerne le refus de la Ville de Genève, la question de savoir si l’art. 10 RPUS s’applique en l’espèce est litigieuse et doit faire l’objet d’un examen dans le cadre d’un recours de droit administratif. Toutefois, même dans le cas où cet article devait s’appliquer, le projet pourrait être modifié d’une manière non significative pour réserver des locaux à des activités artisanales de proximité dans le nouvel immeuble, respectant ainsi l’art. 10 RPUS. Il ne s’agit pas d’un élément insurmontable.

Par ailleurs, par décision du ______ mars 2024, la démolition des bâtiments où se trouvent les locaux faisant l’objet de la présente procédure a été autorisée. Cet élément nouveau essentiel justifie déjà, de lui-même, la libération des locaux et confirme encore davantage que le motif du congé litigieux ne saurait être considéré comme étant irréalisable au moment où il a été notifié.

Au vu de tout ce qui précède, la Cour retient que rien ne permet de considérer que le projet de l’intimée aurait été d’emblée irréalisable au moment où le congé a été notifié.

L’appelante n’a pas démontré, alors que la preuve lui incombait, que ce projet serait manifestement incompatible avec les règles de droit public au moment de la notification du congé le 26 juillet 2021, au point qu’il était certain, dès cette date, que le projet ne pourrait pas être réalisé. Or, selon les principes jurisprudentiels rappelés ci-dessus, il s’agit de pronostiquer si, au moment où le congé a été donné, l’autorisation des travaux envisagés paraissait de toute évidence exclue, une probabilité non négligeable de refus n’étant pas suffisante. Pour cela, il aurait fallu que le projet soit déjà, à ce moment-là, manifestement incompatible avec les règles du droit public. La Cour retient qu’un tel pronostic ne pouvait pas être formulé en l’espèce.

3.8 En conclusion, la résiliation du bail du 26 juillet 2021 pour le 28 février 2022 est valable; le jugement querellé sera confirmé.

4. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers, étant rappelé que l'art. 116 al. 1 CPC autorise les cantons à prévoir des dispenses de frais dans d'autres litiges que ceux visés à l'art. 114 CPC (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :


A la forme
 :

Déclare recevable l’appel formé le 9 janvier 2024 par A______ SA contre le jugement JTBL/984/2023 rendu le 21 novembre 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/16423/2021.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Sibel UZUN et Monsieur
Jean-Philippe FERRERO, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure à
190’800 fr. (consid. 1.2)