Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/363/2025 du 19.05.2025 ( AI ) , PARTIELMNT ADMIS
En droit
rÉpublique et | canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
| ||
A/2372/2024 ATAS/363/2025 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 19 mai 2025 Chambre 6 |
En la cause
A______ Représenté par Me Butrint AJREDINI, avocat
| recourant |
contre
OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE |
intimé |
A. a. A______ (ci-après : l'assuré ou le recourant), né en 1982, a suivi sa scolarité obligatoire en Albanie avant de gagner la Norvège en 2000. Il s’est établi à Genève en mai 2018, où il a travaillé en tant qu’aide-monteur storiste de septembre à décembre 2018, puis en qualité de commis administratif pour une fiduciaire dès le 1er janvier 2019.
b. Le 26 novembre 2019, l'assuré a été réveillé par un tremblement de terre alors qu'il se trouvait en vacances à Tirana, en Albanie. Les portes du bâtiment où il se trouvait étant impraticables, il est sorti en sautant de la fenêtre. La chute a entraîné une rupture des ligaments croisé antérieur (ci-après : LCA) et latéral externe (ci‑après : LLE), une lésion de la corne postérieure du ménisque externe et une fracture du plateau tibial postéro-interne à gauche, ainsi qu’une fracture du processus lateralis tali de la cheville droite avec instabilité traumatique des tendons péroniers.
Une incapacité de travail totale a été attestée dès cette date, ayant donné lieu au versement d’indemnités journalières par AXA ASSURANCES SA (ci-après : l'assurance-accidents).
c. Le 6 décembre 2019, l'assuré a subi des plasties des LCA et LLE, des ostéosynthèses du processus tibial postéro-interne et du processus lateralis tali, et une stabilisation du tendon péronier.
d. Le 26 octobre 2020, l’assuré a adressé une demande de prestations à l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI ou l’intimé).
e. L'assurance-accidents a mis en œuvre une expertise, qu'elle a confiée au docteur B______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique. Celui-ci a procédé à l’examen de l’assuré, complété par des radiographies et un scanner de la cheville droite. Dans son rapport du 31 mars 2021, il a retenu les diagnostics suivants : status seize mois après déchirure du LCA et du LLE, fracture postéro-interne du plateau tibial et lésion bi-méniscale du genou gauche ; status seize mois après fracture du processus latéral de l'astragale droit (sur probable distorsion sous-astragalienne) avec instabilité des tendons péroniers et probable déchirure ou arrachement du ligament deltoïde de la cheville droite ; status seize mois après entorse de grade I-II du ligament deltoïde de la cheville gauche ; status après ancienne déchirure du LLE (faisceau antérieur) de la cheville gauche ; status seize mois après ostéosynthèse du plateau tibial interne gauche, plastie du LCA et du LLE du genou gauche ; status seize mois après ostéosynthèse du processus latéral de l'astragale (talus) droit et stabilisation des tendons péroniers ; arthropathie dégénérative astragalo-calcanéenne et tibio-astragalienne droite probablement secondaire ; et possible ou probable dysplasie de la hanche gauche.
En raison des troubles de la cheville droite qui limitaient la station debout prolongée et les longs déplacements, la capacité de travail dans l'ancienne activité était définitivement nulle. L'assuré avait en revanche une pleine capacité de travail dans un métier qui privilégiait la station assise (par exemple en bureautique), avec alternance, de temps à autre, des positions debout ou assis et uniquement de courts déplacements à plat avec pratique occasionnelle d’escaliers. L'assuré devrait éviter les longs déplacements à l'extérieur, la marche sur terrain inégal, la montée sur des échelles, l'accroupissement ou l’agenouillement itératif, et probablement aussi le port de charges lourdes (limite fixée à 10 kg portés sur quelques dizaines de mètres).
f. Par décision du 20 mai 2021, l'assurance-accidents, se fondant sur l'expertise du Dr B______, a mis un terme au versement des indemnités journalières au 31 août 2021. Dès cette date, la comparaison des revenus avant et après invalidité ne révélait aucune perte de gain.
L’assuré s’est opposé à cette décision. Dans le cadre de son opposition, le docteur C______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, dans un courrier du 16 août 2021 à l’assurance-accidents, a indiqué en substance que la reprise de toute activité physique et professionnelle n'était pas d'actualité.
g. Selon le calcul de l’OAI du 5 octobre 2021, l’assuré ne subissait aucune perte de gain à la suite de la survenance de l’invalidité.
h. Le 2 février 2023, l’OAI a adressé un projet de décision à l’assuré niant le droit aux prestations. Il a retenu une incapacité de travail totale dans l’activité habituelle dès le 26 novembre 2019, mais totale dans une activité adaptée dès le mois de mars 2021. Le droit aux prestations naissait au plus tôt le 1er avril 2021, soit six mois après le dépôt de la demande, et l’assuré ne présentait aucune invalidité à cette date.
i. Par courrier du 14 mars 2023, l’assuré a contesté le projet de décision de l’OAI. Il a dit souffrir d’une arthrose et a soutenu que son état irait en s’aggravant selon le Dr C______, qui concluait à une incapacité de travail totale. Il a ajouté qu’il était suivi par une psychologue depuis avril 2022 en raison des suites de l’accident, et celle-ci corroborait son incapacité de travail totale. Il était ainsi totalement invalide.
L’assuré a notamment produit les pièces suivantes :
- certificat du 22 août 2022 de D______, psychologue, attestant de troubles psychiques et mentionnant des « séquelles qui handicapaient très fortement l’assuré dans ses possibilités à pouvoir un jour espérer retravailler ». Celui-ci souffrait de très nombreuses complications à la suite de son accident du 26 novembre 2019, à savoir des insomnies, de la confusion et des difficultés à se concentrer, des troubles mnésiques, des douleurs chroniques de l'ensemble du corps, et un stress post-traumatique ;
- demande d’admission de l’assuré à la clinique E______ dès le 6 février 2023, émanant de la docteure F______, spécialiste FMH en psychiatrie, laquelle mentionnait un épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques et des douleurs chroniques.
j. L’assuré a séjourné à la clinique E______ du 15 février au 7 mars 2023, pour un éloignement des facteurs des stress et un soutien psychologique. Le diagnostic principal posé par les médecins était celui d’épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques depuis 2022.
k. Dans un rapport du 10 avril 2023, le docteur G______, spécialiste FMH en psychiatrie, a diagnostiqué une rechute dépressive à la suite de douleurs chroniques et d’un isolement social, un trouble dépressif récurrent sévère depuis novembre 2022, et un trouble dépressif moyen avec syndrome somatique depuis avril 2023. L’assuré présentait un ralentissement psychomoteur, des troubles de la concentration, un isolement social et une aboulie. La capacité de travail était nulle de novembre 2022 à mars 2023 et de 50% dès le 1er avril 2024.
l. Dans un rapport du 13 juin 2023, la Dre F______ a fait état d’une décompensation dépressive à la suite de problèmes de santé avec des douleurs chroniques et un isolement social. Elle a retenu une personnalité émotionnellement labile, de type impulsif (F 60.30). La capacité de travail était nulle dans toute activité.
m. Le 25 septembre 2023, l’OAI a informé l’assuré qu’il entendait confier une expertise au docteur H______, spécialiste FMH en psychiatrie, et lui a soumis les questions qui seraient posées à ce médecin.
n. Par arrêt du 9 octobre 2023 (ATAS/783/2023), la chambre de céans a partiellement admis le recours de l’assuré à l’encontre de la décision de l’assurance-accidents, et a renvoyé la cause à celle-ci pour instruction complémentaire et nouvelle décision.
Elle a relevé que les éléments soulevés par le Dr C______ avaient donné lieu à un complément d’expertise du 21 avril 2022 par le Dr B______, dans lequel celui-ci avait maintenu ses conclusions. Le rapport d’expertise et son complément, bien motivés et convaincants, avaient pleine valeur probante. Par ailleurs, si le Dr C______ avait initialement exclu une reprise professionnelle dans son courrier du 16 août 2021, il avait indiqué à la chambre de céans qui avait sollicité des renseignements de sa part qu’il estimait la capacité de travail nulle dans l'activité habituelle de commis de bureau en raison de la station debout prolongée, mais entière, sans diminution de rendement, dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles. Ce chirurgien rejoignait ainsi l'avis de l'expert sur ce point.
Cela étant, l’assuré avait produit une attestation du 14 mars 2023 du docteur I______, praticien FMH, selon laquelle il présentait des troubles de la mémoire et de la concentration à la suite de l'accident du 26 novembre 2019, ainsi qu'un état de stress post-traumatique diagnostiqué tardivement. Compte tenu des troubles psychiques allégués, la chambre de céans a renvoyé la cause à l’assurance-accidents pour instruire ce volet et notamment déterminer le lien de causalité naturelle entre l’accident et ces troubles.
o. Le Dr H______ a établi son rapport le 18 avril 2024, après avoir notamment fait procéder à un examen neuropsychologique réalisé par J______, psychologue, en date du 21 mars 2024. Il a retenu les diagnostics d’épisode dépressif subclinique à léger avec syndrome somatique (F 32.01), et de majoration de symptômes physiques, et par analogie, psychiques et neuropsychologiques, pour des raisons psychologiques (F 68.0), sans répercussions sur la capacité de travail. L’expert a estimé qu’au plus tard le 1er mars 2023 selon le Dr G______, la capacité de travail était d'un point de vue objectif de 50%, et elle était complète sans diminution de rendement au plus tard le 1er novembre 2023.
p. Dans un avis du 4 juin 2024, le SMR a considéré que l’expertise psychiatrique état convaincante. Il a retenu les mêmes atteintes incapacitantes orthopédiques que le Dr B______, à l’exception de l’arthropathie dégénérative astragalo-calcanéenne et tibio-astragalienne droite. L’assuré souffrait également de cervicalgies sur discopathies non déficitaires. L’incapacité de travail avait débuté le 26 novembre 2019 dans le métier d’ouvrier du bâtiment, mais elle était complète dès le 23 mars 2021 dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles définies par l’expert, auxquelles s’ajoutaient l’exclusion du port de charges, du travail avec les membres supérieurs au-dessus de l’horizontale, des mouvements répétitifs, excessifs ou en porte-à-faux du rachis cervical, et l’exigence d’un poste de travail ergonomique.
q. Par décision du 6 juin 2024, l’OAI a confirmé les termes de son projet.
B. a. L’assuré a interjeté recours contre cette décision par écriture du 10 juillet 2024 auprès de la chambre de céans. Il a conclu, sous suite de dépens, à son annulation et à l’annulation du projet de décision du 2 février 2023, à l’octroi d’une rente entière d’invalidité dès le 1er avril 2021 avec intérêts à 5% 1'an depuis cette date, et à ce que les frais de la cause soient laissés à la charge de l’État.
Il est longuement revenu sur son atteinte orthopédique et a émis plusieurs critiques à l’encontre de l’expertise du Dr B______. Il a soutenu que son état de santé se dégradait. Il a précisé qu’il avait un suivi psychologique et qu’il produirait les rapports de ses thérapeutes à ce sujet. Son incapacité de travail se poursuivait. Il a allégué avoir déposé une « première demande » à l’intimé le 13 mai 2020. Il a également contesté les revenus fondant le calcul du degré d’invalidité de l’intimé.
b. Dans sa réponse du 8 août 2024, l’intimé a conclu au rejet du recours. Il a produit une comparaison des revenus corrigeant celle du 5 octobre 2021, qui ne modifiait toutefois pas le degré d’invalidité nul.
c. Le 28 octobre 2024, le recourant a indiqué ne pas avoir d’observations complémentaires et persister dans les conclusions prises dans son mémoire de réplique (sic).
d. La chambre de céans ayant invité la Dre F______ à se déterminer sur l’expertise du Dr H______, celle-ci a déféré à cette requête le 26 mars 2025. Elle a relevé que le Dr H______ n’avait pas décrit les résultats au test Mini-ICF-APP, dont on comprenait mal comment il pouvait exclure certains items et ignorer les autres. Partant, les indices jurisprudentiels de gravité des troubles psychiques n’étaient pas discutés de manière fiable. Par ailleurs, une exagération partielle des plaintes ne signifiait pas que le recourant simulait et qu’il n’avait aucun trouble ou souffrance psychique. L’admission d’une capacité de travail de 50% puis de la reprise à 100% à une date arbitraire était peu cohérente, notamment en l’absence de changement dans la journée-type ou la prise en charge à cette date. Le trouble dépressif moyen entraînait des limitations fonctionnelles modérées mais cliniquement significatives, dans le sens d'un ralentissement psychomoteur modéré, de troubles de la concentration modérés et d’un isolement social partiel, sans changement depuis la date à laquelle l’expert avait confirmé une capacité de travail de 50%.
e. La cause a ensuite été gardée à juger.
1.
1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
1.2 Interjeté en temps utile, le recours est recevable (art. 60 al. 1 LPGA).
2. Le litige porte sur le droit du recourant à une rente d’invalidité.
3. Le droit à la rente est régi comme suit.
3.1 En vertu de l’art. 28 LAI dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, l’assuré a droit à une rente d’invalidité aux conditions suivantes : sa capacité de gain ou sa capacité d’accomplir ses travaux habituels ne peut pas être rétablie, maintenue ou améliorée par des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles (let. a) ; il a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40% en moyenne durant une année sans interruption notable (let. b) ; au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins (let. c) (al. 1). L’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à trois quarts de rente s’il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins (al. 2).
L’art. 29 LAI dispose que le droit à la rente prend naissance au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l’art. 29 al. 1 LPGA, mais pas avant le mois qui suit le 18e anniversaire de l’assuré (al. 1). Le droit ne prend pas naissance tant que l’assuré peut faire valoir son droit à une indemnité journalière au sens de l’art. 22 (al. 2).
3.2 La LAI a connu une novelle le 19 juin 2020, entrée en vigueur le 1er janvier 2022. Dans ce cadre, le système des quarts de rente jusque-là applicable a été remplacé par un système linéaire de rentes (Message concernant la modification de la loi fédérale sur l'assurance-invalidité [Développement continu de l'assurance-invalidité], FF 2017 2442).
3.2.1 L’art. 28b LAI en vigueur depuis le 1er janvier 2022 dispose que la quotité de la rente est fixée en pourcentage d’une rente entière (al. 1). Pour un taux d’invalidité compris entre 50 et 69%, la quotité de la rente correspond au taux d’invalidité (al. 2). Pour un taux d’invalidité supérieur ou égal à 70%, l’assuré a droit à une rente entière (al. 3). L’al. 4 détaille les taux de rente correspondant aux degrés d’invalidité entre 40% et 50%.
La let. b des dispositions transitoires relatives à cette modification prévoit notamment que pour les bénéficiaires de rente dont le droit à la rente est né avant l’entrée en vigueur de ladite modification et qui n’avaient pas encore 55 ans à cette date, la quotité de la rente ne change pas tant que leur taux d’invalidité ne subit pas de modification au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA (al. 1). La quotité de la rente reste également inchangée après une modification du taux d’invalidité au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA, si l’application de l’art. 28b de la loi se traduit par une baisse de la rente en cas d’augmentation du taux d’invalidité ou par une augmentation de la rente en cas de réduction (al. 2). Le Message précise que la quotité de la rente est calculée conformément au nouveau système si son taux d’invalidité a subi une modification d’au moins 5 points de pourcentage (FF 2017 2504).
3.2.2 Selon l’art. 17 LPGA dans sa teneur depuis le 1er janvier 2022, la rente d’invalidité est, d’office ou sur demande, révisée pour l’avenir, à savoir augmentée, réduite ou supprimée, lorsque le taux d’invalidité de l’assuré subit une modification d’au moins 5 points de pourcentage (let. a), ou atteint 100% (let. b) (al. 1). De même, toute prestation durable accordée en vertu d’une décision entrée en force est, d’office ou sur demande, augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée si les circonstances dont dépendait son octroi changent notablement (al. 2).
Cette disposition s’applique également à la décision par laquelle une rente échelonnée dans le temps est accordée avec effet rétroactif (arrêt du Tribunal fédéral 9C_244/2020 du 5 janvier 2021 consid. 4.3.1).
3.3 Selon la jurisprudence, lorsque la décision dont est recours a été rendue après le 1er janvier 2022, il y a lieu conformément aux principes de droit intertemporel généralement applicables (cf. sur ce point ATF 144 V 210 consid. 4.3.1) de déterminer en vertu du droit applicable jusqu’au 31 décembre 2021 si un droit à la rente est né avant cette date. Lorsque le droit à la rente est né après cette date, le nouveau droit est applicable (arrêt du Tribunal fédéral 9C_60/2023 du 20 juillet 2023 consid. 2.2).
3.4 En l’espèce, le formulaire de demande de prestations porte la mention de la date du 13 mai 2020, celle-ci ayant toutefois été raturée et remplacée par la date manuscrite du 26 octobre 2020, et l’enveloppe l’ayant contenu porte la date du cachet postal du 27 octobre 2020. Or, conformément à l'art. 29 LPGA, la date déterminante quant à l'observation des délais et aux effets juridiques d'une demande est celle à laquelle la requête a été remise à la Poste ou déposée auprès de cet organe (arrêt du Tribunal fédéral 9C_573/2017 du 23 janvier 2018 consid. 5), et il incombe à la partie qui doit agir dans un certain délai pour sauvegarder ses droits de prouver que l'acte en question a bien été accompli en temps voulu (arrêt du Tribunal fédéral 9C_626/2008 du 21 janvier 2009 consid. 2.3).
Partant, conformément à l’art. 29 al. 2 LAI, le droit à la rente naît au plus tôt six mois après l’envoi en octobre 2020 de la demande de prestations, soit au 1er avril 2021.
C’est ainsi l’ancien droit qui est applicable, sous réserve d’une modification du degré d’invalidité de cinq points de pourcentage au moins après le 1er janvier 2022 (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_55/2023 du 11 juillet 2023 consid. 2.2), dont la chambre de céans examinera ci-après si elle est survenue.
3.5 L’art. 16 LPGA prévoit que, pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation. Pour procéder à la comparaison des revenus, il convient en principe de se placer au moment de la naissance du droit à la rente (ATF 128 V 174 consid. 4a).
4. Pour pouvoir trancher le droit aux prestations, l'administration ou l'instance de recours a besoin de documents que le médecin ou d'autres spécialistes doivent lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l'assuré (ATF 125 V 256 consid. 4 ; 115 V 133 consid. 2). Ces données médicales permettent généralement une appréciation objective du cas (arrêt du Tribunal fédéral 8C_713/2019 du 12 août 2020 consid. 5.2).
4.1 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales, le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il convient que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 125 V 351 consid. 3a, 122 V 157 consid. 1c).
4.2 Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux. Le juge ne s'écarte en principe pas sans motifs impérieux des conclusions d'une expertise médicale judiciaire (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2), la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut pas exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (arrêt du Tribunal fédéral 8C_612/2023 du 13 mars 2024 consid. 3.2).
4.3 S'agissant de la valeur probante des rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc et les références). Au surplus, on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l'administration ou un juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu'un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contradictoire. Il n'en va différemment que si ces médecins font état d'éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l'expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l'expert (arrêt du Tribunal fédéral 9C_405/2008 du 29 septembre 2008 consid. 3.2).
4.4 Dans un arrêt de principe concernant les troubles somatoformes douloureux (ATF 141 V 281), le Tribunal fédéral a retenu que la capacité de travail réellement exigible doit être évaluée dans le cadre d'une procédure d'établissement des faits structurée et sans résultat prédéfini, permettant de mettre en regard les facteurs extérieurs incapacitants d'une part et les ressources de compensation de la personne d'autre part. Il y a désormais lieu de se fonder sur une grille d'analyse comportant divers indicateurs qui rassemblent les éléments essentiels propres aux troubles de nature psychosomatique (consid. 3.6). Ces indicateurs concernent deux catégories, à savoir celle du degré de gravité fonctionnelle et celle de la cohérence.
I. Catégorie « degré de gravité fonctionnelle »
Les indicateurs relevant de cette catégorie représentent l'instrument de base de l'analyse. Les déductions qui en sont tirées devront, dans un second temps, résister à un examen de la cohérence (ATF 141 V 281 consid. 4.3).
A. Axe « atteinte à la santé »
1. Expression des éléments pertinents pour le diagnostic et des symptômes
Les constatations relatives aux manifestations concrètes de l'atteinte à la santé diagnostiquée permettent de distinguer les limitations fonctionnelles causées par cette atteinte de celles dues à des facteurs non assurés. Le point de départ est le degré de gravité minimal inhérent au diagnostic. Il doit être rendu vraisemblable compte tenu de l'étiologie et de la pathogenèse de la pathologie déterminante pour le diagnostic. Par exemple, sur le plan étiologique, la caractéristique du syndrome somatoforme douloureux persistant est, selon la CIM-10 (F 45.5), qu'il survient dans un contexte de conflits émotionnels ou de problèmes psycho-sociaux. En revanche, la notion de bénéfice primaire de la maladie ne doit plus être utilisée (consid. 4.3.1.1).
2. Succès du traitement et de la réadaptation ou résistance à ces derniers
Ce critère est un indicateur important pour apprécier le degré de gravité. L'échec définitif d'un traitement indiqué, réalisé lege artis sur un assuré qui coopère de manière optimale, permet de conclure à un pronostic négatif. Si le traitement ne correspond pas ou plus aux connaissances médicales actuelles ou paraît inapproprié dans le cas d'espèce, on ne peut rien en déduire s'agissant du degré de gravité de la pathologie. Les troubles psychiques sont invalidants lorsqu'ils sont graves et ne peuvent pas ou plus être traités médicalement. Des déductions sur le degré de gravité d'une atteinte à la santé peuvent être tirées non seulement du traitement médical mais aussi de la réadaptation. Si des mesures de réadaptation entrent en considération après une évaluation médicale, l'attitude de l'assuré est déterminante pour juger du caractère invalidant ou non de l'atteinte à la santé. Le refus de l'assuré d'y participer est un indice sérieux d'une atteinte non invalidante. À l'inverse, une réadaptation qui se conclut par un échec en dépit d'une coopération optimale de la personne assurée peut être significative dans le cadre d'un examen global tenant compte des circonstances du cas particulier (consid. 4.3.1.2).
3. Comorbidités
La comorbidité psychique ne joue plus un rôle prépondérant de manière générale, mais ne doit être prise en considération qu'en fonction de son importance concrète dans le cas d'espèce, par exemple pour juger si elle prive l'assuré de ressources. Il est nécessaire de procéder à une approche globale de l'influence du trouble somatoforme douloureux avec l'ensemble des pathologies concomitantes (consid. 4.3.1.3). Un trouble qui, selon la jurisprudence, ne peut pas être invalidant en tant que tel (arrêt du Tribunal fédéral 9C_98/2010 du 28 avril 2010 consid. 2.2.2) n'est pas une comorbidité (arrêt du Tribunal fédéral 9C_1040/2010 du 6 juin 2011 consid. 3.4.2.1) mais doit à la rigueur être pris en considération dans le cadre du diagnostic de la personnalité. Ainsi, un trouble dépressif réactionnel au trouble somatoforme ne perd pas toute signification en tant que facteur d'affaiblissement potentiel des ressources, mais doit être pris en considération dans l'approche globale (ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.3).
B. Axe « personnalité » (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles)
Il s'agit d'accorder une importance accrue au complexe de personnalité de l'assuré (développement et structure de la personnalité, fonctions psychiques fondamentales). Le concept de ce qu'on appelle les « fonctions complexes du Moi » (conscience de soi et de l'autre, appréhension de la réalité et formation du jugement, contrôle des affects et des impulsions, intentionnalité et motivation) entre aussi en considération. Comme les diagnostics relevant des troubles de la personnalité sont, plus que d'autres indicateurs, dépendants du médecin examinateur, les exigences de motivation sont particulièrement élevées (consid. 4.3.2).
C. Axe « contexte social »
Si des difficultés sociales ont directement des conséquences fonctionnelles négatives, elles continuent à ne pas être prises en considération. En revanche, le contexte de vie de l'assuré peut lui procurer des ressources mobilisables, par exemple par le biais de son réseau social. Il faut toujours s'assurer qu'une incapacité de travail pour des raisons de santé ne se confond pas avec le chômage non assuré ou avec d'autres difficultés de vie (consid. 4.3.3).
II. Catégorie « cohérence »
Cette seconde catégorie comprend les indicateurs liés au comportement de l'assuré (consid. 4.4).
A. Limitation uniforme du niveau des activités dans tous les domaines comparables de la vie
Il s'agit ici de se demander si l'atteinte à la santé limite l'assuré de manière semblable dans son activité professionnelle ou dans l'exécution de ses travaux habituels et dans les autres activités (par exemple ses loisirs). Le critère du retrait social utilisé jusqu'ici doit désormais être interprété de telle sorte qu'il se réfère non seulement aux limitations mais également aux ressources de l'assuré et à sa capacité à les mobiliser. Dans la mesure du possible, il convient de comparer le niveau d'activité sociale de l'assuré avant et après la survenance de l'atteinte à la santé (consid. 4.4.1).
B. Poids de la souffrance révélé par l'anamnèse établie en vue du traitement et de la réadaptation
La prise en compte d'options thérapeutiques, autrement dit la mesure dans laquelle les traitements sont mis à profit ou alors négligés, permet d'évaluer le poids effectif des souffrances. Tel n'est toutefois pas le cas lorsque le comportement est influencé par la procédure assécurologique en cours. Il ne faut pas conclure à l'absence de lourdes souffrances lorsque le refus ou la mauvaise acceptation du traitement recommandé est la conséquence d'une incapacité (inévitable) de l'assuré à reconnaître sa maladie (anosognosie). Les mêmes principes s'appliquent pour les mesures de réadaptation. Un comportement incohérent de l'assuré est là aussi un indice que la limitation fonctionnelle est due à d'autres raisons que l'atteinte à la santé assurée (consid. 4.4.2).
Le juge vérifie librement si l'expert médical a exclusivement tenu compte des déficits fonctionnels résultant de l'atteinte à la santé et si son évaluation de l'exigibilité repose sur une base objective (ATF 137 V 64 consid. 1.2 in fine).
Dans un arrêt de 2017, le Tribunal fédéral a étendu la jurisprudence précitée à toutes les maladies psychiques (ATF 143 V 409 consid. 4.5).
5.
5.1 Dans la présente procédure, le recourant revient essentiellement sur son atteinte orthopédique. Il soulève les mêmes arguments et invoque les mêmes rapports médicaux que dans la procédure judiciaire l’ayant opposé à l’assurance-accidents. Or, la chambre de céans a déjà jugé dans son arrêt du 9 octobre 2023 que la capacité de travail était entière sur le plan orthopédique, conformément aux conclusions du Dr B______ qu’elle a considérées probantes.
Il n’existe aucun motif de revenir sur cette analyse. S’agissant de l’aggravation probable de l’atteinte pronostiquée par l’expert, elle n’est pas pertinente pour déterminer la capacité de travail actuelle du recourant dans une activité adaptée, dès lors qu’aucun élément médical ne démontre qu’elle serait survenue. Il est dans ce cadre utile de relever que le recourant n’a plus de suivi auprès du service de chirurgie orthopédique des HUG depuis le 15 septembre 2021, selon les indications de ce service du 8 juin 2023 à l’intimé, et qu’il n’a produit à l’appui de son recours aucune nouvelle pièce qui démontrerait que son état s’est effectivement aggravé au plan orthopédique depuis l’expertise du Dr B______.
On précisera encore qu’au plan neurologique, le docteur K______, spécialiste FMH en neurologie, a relaté dans un rapport du 2 mai 2024 un accident de voiture avec un coup du lapin, et diagnostiqué des cervicalgies sans déficit neurologique, en précisant qu’elles pouvaient être incapacitantes dans certaines activités de la vie comme le ménage ou le bricolage. Toutefois, selon ce médecin, la capacité de travail était complète au plan neurologique dans une activité sans port de charges trop lourdes et sans position vicieuse dans le travail.
Cette nouvelle atteinte a en outre été dûment prise en compte par l’intimé dans les limitations fonctionnelles qu’il a définies, qui vont au-delà de celles établies par le Dr B______.
5.2 Sur le plan psychique, le Dr H______ n’a conclu à aucune atteinte incapacitante au moment de son examen.
L’expertise de ce médecin, fondée sur un entretien en novembre 2023 en présence d’une interprète, a été complétée par les informations qu’il a sollicitées de la Dre F______ et par un examen neuropsychologique. À l’issue de cet examen, Mme J______ a rapporté les résultats suivants : troubles mnésiques antérogrades en modalité verbale et visuelle, ralentissement sévère engendrant des performances très inférieures à la norme aux épreuves exécutives et attentionnelles, capacités de raisonnement logique hypothético-déductif à la limite inférieure de la norme, langage oral et écrit globalement préservé et cliniquement fonctionnel en albanais, capacités de traitement visuo-constructif préservées et résultats en mémoire immédiate et de travail verbale dans la norme. Cette psychologue a toutefois noté que les performances montraient un défaut d’effort avec des performances intra-tests incongrues et deux tests de validation de performance auxquels le recourant avait échoué. De plus, au niveau des paramètres intrinsèques (embedded validity parameters), qui laissaient suspecter un recrutement insuffisant des ressources cognitives, on relevait des temps de réaction anormalement lents et une variabilité trop importante, ainsi que des scores anormalement bas à une épreuve d’attention sélective. En outre, des temps de latence inhabituels et des hésitations tout au long de l’évaluation étaient notés. En conséquence, les résultats ne pouvaient être considérés comme valides et la psychologue ne pouvait qualifier la sévérité du tableau neuropsychologique, ni se prononcer sur des limitations fonctionnelles de cet ordre. Après consilium avec le Dr H______, Mme J______ relevait que celui-ci avait noté des éléments faisant suspecter une amplification des plaintes corroborant l’appréciation neuropsychologique.
Dans son expertise, le Dr H______ a noté que le recourant pouvait communiquer un petit peu en français et en anglais. Il avait des amis en Suisse, mais surtout en Norvège. Il fréquentait surtout un ami en Suisse, et se sentait isolé. Il était soutenu financièrement par cet ami et par un cousin qui vivait à l’étranger.
L’expert a noté que le tableau clinique était très difficile à préciser, le recourant donnant des réponses courtes et floues, peu précises, stéréotypées, et ne répondant en définitive pas aux questions posées de manière détaillée et compréhensible. Il était donc impossible d'avoir des renseignements précis en relation avec les symptômes émotionnels. La temporalité était tout aussi floue. Un certain sentiment d'inauthenticité transparaissait au vu de la discordance entre le discours et la présentation du recourant, qui ne paraissait ni triste, ni anxieux ou débordé par les émotions. Il ne pleurait jamais, et son visage n’exprimait ni la tension, ni la tristesse. À la plupart des questions, le recourant répondait « je ne sais pas » ou donnait des réponses courtes et redondantes. Il était impossible de reconstruire avec précision son quotidien et ses interactions avec autrui. Le recourant niait avoir des contacts sociaux, alors qu’il voyait son ami, qui recevait son courrier. Aucune information n’était obtenue sur d'autres contacts éventuels avec des amis ou sa famille à l'étranger. Les émotions étaient très difficilement perceptibles, voire ne l’étaient pas. Le recourant relatait le tremblement de terre sans manifestation émotionnelle. Il signalait des troubles du sommeil mais affirmait « je ne sais pas », et se disait fatigué au réveil. Il rapportait également des problèmes de concentration et de mémoire, que l’expert n’objectivait toutefois pas lors de l’entretien. Interrogé sur des idées suicidaires, il avait répondu par une double négation « je ne dis pas que j'en ai pas », ce qui était totalement inhabituel. Il restait centré sur les symptômes somatiques et se plaignait pour l'essentiel de douleurs physiques tout le temps.
L’expert a noté que du point de vue anxieux, il n'y avait pas d'argument pour un trouble de l'anxiété généralisé ou un trouble panique tels que définis par le DSM‑5. Le recourant ne souffrait pas de phobie simple, de claustro-agoraphobie, de phobie sociale, de phobie du sang ou d'un trouble obsessionnel compulsif. Il n’existait en tous les cas rien sur le plan anxieux avant 2019. Le recourant affirmait que s’il prenait l’avion maintenant, il aurait des flashbacks. Il pourrait néanmoins le reprendre s’il n’avait pas le choix, comme lorsqu’il s’était rendu en Norvège après son accident. L’expert a souligné qu’il était impossible de préciser la date et l'année de ce voyage, qui aurait eu lieu après 2019.
Il n’existait aucun indice en faveur d'un trouble de la personnalité préexistant. Le recourant avait émigré à l'âge de 18 ans en Norvège où il avait eu le statut de réfugié, avant d’acquérir la nationalité de ce pays. Il était impossible de reconstituer sa vie affective, le recourant ne donnant aucune information à ce sujet. Celui-ci avait cependant pu travailler. Il n'y avait pas de notion d'impulsivité, de tentative de suicide, d’automutilation ou d'abus de substances, selon les informations à disposition. En d’autres termes, aucun critère ne suggérait une personnalité émotionnellement labile ou borderline telle que mentionnée par la Dre F______. Le recourant ne présentait pas de trouble de la personnalité prémorbide, hormis un mode de fonctionnement du registre alexithymique avec de faibles capacités d'élaboration.
Le Dr H______ a relaté les scores obtenus au test d’hétéro-évaluation Mini ICF-APP, dont certains ne révélaient aucune limitation, alors que les autres étaient laissés ouverts, en l'absence de renseignement fiable et de collaboration permettant de se prononcer.
Le Dr H______ a rappelé les critères diagnostiques d’épisode dépressif moyen avec syndrome somatique. Au vu des constatations, son caractère récurrent tel que retenu par le Dr G______ ne pouvait être confirmé. Il n'y avait en effet aucun épisode objectivable antérieur à avril 2022, date de début du suivi auprès de D______. Si une symptomatologie dépressive existait, elle était subclinique à légère avec syndrome somatique, compte tenu de la prépondérance et de la fixation sur la dimension psychosomatique. Le Dr H______ retenait ainsi le diagnostic d'épisode dépressif subclinique à léger avec syndrome somatique (F 32.01). L’expert a noté au sujet du diagnostic de majoration des symptômes que dans un tel cas, le poids de la souffrance manifeste était souvent flou ou absent, ce qui se dégageait également de l'impression clinique. Cela se retrouvait chez le recourant, qui s'enfermait dans un discours répétitif et plaqué, en insistant sur certains pans de la réalité, au détriment des autres, sur lesquels il était impossible d'avoir des renseignements précis. Dans le sens de la majoration de symptômes, le niveau de coopération et de collaboration paraissait insuffisant, avec des incohérences assez frappantes. Il y avait un manque d'initiative et une volonté de coopération insuffisante chez un sujet jeune, en incapacité de travail depuis plus de quatre ans malgré la capacité de travail dans une activité adaptée admise par le Dr B______ en 2021 déjà.
Enfin malgré les douleurs alléguées, le recourant n’avait plus consulté d’orthopédiste depuis 2021 et prenait tout au plus du paracétamol comme antalgique. Il adoptait une attitude passive, attendant une solution magique échafaudée par les médecins ou l'extérieur sans y contribuer. L'interrogatoire de l'expert se heurtait à des réponses standardisées dans le sens d'un handicap insurmontable, même pour les activités les plus simples. Le recourant n’avait consulté une psychologue qu’en avril 2022, alors que le tremblement de terre remontait à novembre 2019, ce qui allait à l'encontre d'une pathologie psychique réactionnelle à l’accident. Le rapport du 16 août 2021 du Dr C______ ne mentionnait pas de problèmes psychologiques. Le rôle de malade était surinvesti, car il offrait des solutions à des problèmes de réalité. L'examen neuropsychologique allait dans le même sens, puisqu’il relevait un défaut d'effort. Ces phénomènes de majoration, incluant la création d'une identité de malade, ne devaient pas forcément être considérés comme une pathologie ayant des répercussions sur la capacité de travail. Il existait un faisceau d'éléments dans le sens du diagnostic de majoration de symptômes physiques, et par analogie psychiques et neuropsychologiques, pour des raisons psychologiques (F 68.0). Le recourant avait éventuellement présenté un trouble de l'adaptation à la suite de l'interruption du versement des prestations par l’assurance-accidents, qui l’avait mis dans une situation économique difficile. Un tel trouble avait cependant par définition une durée limitée, qui plus est chez un sujet sans antécédent de trouble psychique ni élément en faveur d'un dysfonctionnement de la personnalité.
S’agissant de la capacité de travail, il n’y avait selon le Dr H______ pas de trouble psychique incapacitant, mais des facteurs psycho-sociaux au centre du tableau clinique. Tout en notant que les bases de l’évaluation de la capacité de travail de 50% annoncée par le Dr G______ en avril 2023 étaient peu claires, il a estimé qu’au plus tard le 1er mars 2023 selon ce médecin, la capacité de travail était d'un point de vue objectif de 50%, et elle était complète sans diminution de rendement au plus tard le 1er novembre 2023. Il n’y avait pas de limitations d’ordre psychique. Le pronostic d'un point de vue subjectif était défavorable. La situation du recourant était en grande partie déterminée par des facteurs sociaux-culturels et extra-médicaux. Il n’y avait pas de limitations fonctionnelles d’ordre psychique.
L’expert a préconisé la poursuite de la prise en charge, qui était menée dans les règles de l'art. S’agissant du potentiel de réadaptation professionnelle, le recourant n’avait aucune demande motivée en ce sens. Il était difficile de se prononcer au sujet de la cohérence, mais il existait une discordance majeure entre les déclarations du recourant et le tableau clinique observé. La multiplication des incohérences chez un sujet d’intelligence normale qui avait toujours travaillé et s’était bien intégré en Norvège ne permettait pas de comprendre cette situation de manière adéquate et laissait penser que des facteurs non médicaux (durée de l'éloignement du monde du travail, absence de maîtrise du français et de qualification professionnelle, nécessité d'une réadaptation pour une activité adaptée) jouaient un rôle non négligeable dans une situation dont les tenants et aboutissants échappaient à la compréhension.
Le Dr H______ relevait en outre une divergence majeure entre son appréciation et celle de la Dre F______. Il a souligné que celle-ci n’était pas albanophone et que le recourant s'exprimait à peine en français, et probablement dans un anglais simple. Il était ainsi très difficile à la psychiatre traitante de se prononcer clairement sur le tableau clinique. Il en allait de même des médecins de la clinique E______, qui s’étaient heurtés à la même barrière linguistique, car il n’était pas indiqué qu’ils aient eu recours à un interprète. L’évolution défavorable au plan psychique était expliquée par les Drs G______ et F______ par des douleurs chroniques, le Dr H______ répétant cependant à ce sujet que le recourant ne consultait plus de spécialiste depuis 2021 et ne prenait qu’occasionnellement du paracétamol, ce qui n’était pas la moindre des incohérences. L'hypothèse d'un état de stress post-traumatique n’était évoquée à aucun moment avant le rapport de D______ en avril 2022, cette psychologue n’ayant au demeurant pas étayé ce diagnostic. De plus, la formation de psychologue ne permettait pas de poser un diagnostic selon les ouvrages de référence. A priori, des éléments spécifiques tels que flashbacks et syndromes de répétition étaient difficiles à mettre en évidence et ne ressortaient pas du dossier médical. Quatre ans après les faits, ceux-ci devaient normalement évoluer favorablement.
5.2.1 L’expertise du Dr H______ appelle les commentaires suivants.
La chambre de céans observe en premier lieu que l’entretien sur lequel ce psychiatre s’est fondé n’a duré que deux heures quinze. Il est vrai que selon la jurisprudence, ce n’est pas la durée de l'examen qui est déterminante pour la valeur probante d'un rapport médical, mais bien plutôt le fait qu’il soit complet et que ses conclusions soient convaincantes. Cela ne signifie toutefois pas qu’un examen unique de courte durée doive en tous les cas être considéré comme aussi significatif qu’une observation sur le long terme, notamment lorsque l’état de santé de la personne examinée est fluctuant ou pourrait l’être (arrêt du Tribunal fédéral 4A_66/2018 du 15 mai 2019 consid. 2.5.1). Or, en l’espèce, une telle durée apparaît extrêmement brève, a fortiori dès lors que le Dr H______ a procédé à son examen par le truchement d’un interprète, et qu’une partie de l’entretien a ainsi dû être dévolue à la traduction des propos échangés.
De plus, ce psychiatre a à maintes reprises souligné les difficultés rencontrées à obtenir des réponses du recourant à ses questions, allant jusqu’à indiquer que les tenants et aboutissants de la situation échappaient à la compréhension. Les scores rapportés au test Mini-ICF-APP – lequel vise à décrire et à quantifier les troubles de l'activité et de la participation en cas de troubles psychiques, et sur lequel l’examen des indicateurs de gravité développés par la jurisprudence peut se baser (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_267/2020 du 9 septembre 2020 consid. 6.1.1 et 6.1.4) – illustrent les difficultés pour l’expert à obtenir les renseignements nécessaires à l’établissement de son rapport. Celui-ci a en effet simplement laissé plusieurs des réponses aux items de ce test ouvertes, à défaut de disposer d’informations claires. Si le test Mini-ICF-APP n’est certes pas nécessairement indispensable dans une expertise psychiatrique (arrêt du Tribunal fédéral 9C_362/2020 du 21 octobre 2020 consid. 3.4), son utilisation dans le cadre des expertises a toutefois fait ses preuves et assure un minimum d’uniformité dans l’évaluation de l’impact de ces troubles (arrêt du Tribunal fédéral 8C_664/2019 du 8 avril 2020 consid. 4.3.1). Partant, dans le cas d’espèce, au vu de l’absence de réponses à ce test, on ne saurait considérer que l’expert disposait d’informations fiables pour poser des diagnostics et émettre des conclusions, dès lors qu’il n’a pas réellement procédé à une appréciation des indicateurs jurisprudentiels rappelés ci-dessus indépendante de la passation du test Mini-ICF-APP. Au sujet desdits indicateurs, il convient de relever notamment que le recourant semble mener une vie personnelle et sociale extrêmement pauvre, et vivre dans un isolement important. Ses ressources paraissent ainsi prima facie limitées. Quant au critère de la cohérence, l’assertion du Dr H______ sur l'écart entre les déclarations du recourant et le tableau clinique étonne, dès lors que lesdites déclarations étaient selon ses dires lacunaires, de sorte qu’on comprend mal comment elles pourraient révéler des incohérences. L’expert n’a du reste pas exposé en quoi consistaient ces incohérences.
On peut donc considérer que l’analyse du Dr H______ est incomplète en ce qui concerne l’évaluation des indicateurs de gravité de troubles psychiques, ce qui suffit déjà à nier la valeur probante de son expertise.
Les conclusions de cet expert sont en outre entachées d’un certain flou. Il a en effet reproché au Dr G______ de ne pas avoir clairement exposé les fondements de la capacité de travail réduite que celui-ci retenait au 1er mars 2023. Toutefois, le Dr H______ semble implicitement s’y rallier, faute de conclusion contraire expresse, ce qui paraît à tout le moins paradoxal. Le Dr H______ ne s’est par ailleurs pas exprimé sur la capacité de travail avant le 1er mars 2023, de sorte qu’on ignore s’il se rallie à l’avis des psychiatres traitants sur la capacité de travail avant cette date, alors qu’il s’agit bien là d’une période pertinente pour déterminer le droit aux prestations. En ce qui concerne l’argument avancé par le Dr H______ pour s’écarter de l’évaluation de sa consœur, la Dre F______, soit la barrière linguistique qui aurait empêché celle-ci d’apprécier correctement la situation, il ne peut être suivi dès lors qu’une partie des séances sous la supervision de cette psychiatre se déroule précisément avec une psychologue albanophone.
5.2.2 Dans ces circonstances, l’appréciation de la capacité de travail du recourant par l’expert psychiatre, partielle et pour le surplus insuffisamment motivée, ne constitue pas une base fiable pour établir la capacité de gain du recourant au plan psychique et ne permet ainsi pas de trancher le droit aux prestations.
Lorsque le juge des assurances sociales constate qu’une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise. Un renvoi à l’administration reste possible, notamment quand elle n’a pas du tout instruit une question, lorsqu’il s’agit de préciser un point de l’expertise ordonnée par l’administration ou de demander un complément à l’expert (ATF 137 V 2010 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4). Tel est le cas en l’espèce, l’intimé s’étant fondé sur un rapport incomplet, comme on l’a vu. Il lui appartiendra ainsi de mettre en œuvre une nouvelle expertise psychiatrique du recourant afin de déterminer sa capacité de travail et de gain sur ce plan et comment celle-ci a évolué dans le temps depuis novembre 2019.
6. Le recours est partiellement admis.
Le recourant a droit à des dépens, qui seront fixés à CHF 2'000.- (art. 61 let. g LPGA).
L’intimé, qui succombe, supporte l’émolument de procédure de CHF 200.- (art. 69 al. 1bis LAI).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. L’admet partiellement.
3. Annule la décision de l’intimé du 6 juin 2024.
4. Renvoie la cause à l’intimé pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants.
5. Condamne l’intimé à verser une indemnité de dépens de CHF 2'000.- au recourant.
6. Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l’intimé.
7. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Adriana MALANGA |
| La présidente
Valérie MONTANI |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le