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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3820/2024

ATAS/290/2025 du 22.04.2025 ( AI ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3820/2024 ATAS/290/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 22 avril 2025

Chambre 6

 

En la cause

 

A______

Représentée par le Centre de contact suisses-immigrés, mandataire

 

 

recourante

contre

 

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

 

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. A______ (ci-après : l’intéressée ou la recourante), ressortissante brésilienne née en 1962, s’est établie en Suisse en mars 2014 selon ses indications.

b. Selon son extrait de compte individuel AVS, l’intéressée a versé des cotisations en tant que personne sans activité lucrative en 2022.

c. Le 29 septembre 2023, l’intéressée a déposé une demande de prestations auprès de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI ou l’intimé). Elle a précisé qu’une demande de permis de séjour était en cours et a énuméré plusieurs employeurs auprès desquels elle avait travaillé en tant qu’employée de maison dès 2014 à des taux variables. Elle a mentionné souffrir d’un cancer du sein entraînant une incapacité de travail totale depuis février 2022.

d. L’OAI a recueilli des renseignements auprès des médecins du service d’oncologie des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG).

Dans ce cadre, un médecin a posé, dans un rapport du 20 octobre 2023, les diagnostics avec répercussion sur la capacité de travail de carcinomes canalaires invasifs des seins gauche et droit de grade 2 opérés, de lésion de la coiffe des rotateurs partielle à droite avec conflit sous-acromial et d’état dépressif avec trouble du sommeil. Le cancer était en rémission, mais le traitement pouvait affecter la capacité de travail en raison des douleurs. Un travail physique ne semblait pas possible.

Le 10 mai 2024, un autre médecin de ce service a indiqué que l’intéressée était suivie pour un carcinome mammaire bilatéral opéré en 2022. Elle suivait actuellement un traitement adjuvant. Ses symptômes étaient une hypersensibilité au niveau du sein et du creux axillaire droit, des arthralgies légères, et une fatigabilité. Elle avait récupéré progressivement depuis la chimiothérapie. Les limitations fonctionnelles étaient une fatigue et des douleurs dans le creux axillaire droit avec une limitation de la mobilité du bras. La reprise d'une activité professionnelle adaptée à temps partiel serait « potentiellement possible ».

e. Dans un avis du 30 août 2024, le service médical régional de l’assurance-invalidité (ci-après : SMR) a conclu à une capacité de travail nulle depuis février 2022.

f. Dans un projet de décision du 9 septembre 2024, l’OAI a nié le droit aux prestations. L’invalidité était totale dès février 2023, mais l’intéressée n’avait pas cotisé durant trois ans à cette date. Partant, elle ne remplissait pas les conditions d’assurance.

g. L’OAI a confirmé les termes de son projet par décision du 14 octobre 2024.

B. a. Par écriture du 15 novembre 2024, l’intéressée, par sa mandataire, a interjeté recours contre la décision de l’OAI. Elle a conclu à l’octroi d’une rente entière d’invalidité dès le 1er avril 2024, soit six mois après le dépôt de sa demande. Elle a allégué avoir travaillé pour plusieurs employeurs, qui ne l’avaient pas annoncée aux assurances sociales. Elle avait cependant également cotisé auprès de la sécurité sociale brésilienne durant 35 mois, de sorte qu’elle remplissait les conditions d’assurance en vertu du droit international.

Elle a produit un extrait du Cadastro Nacional de Informaçôes Sociais (CNIS) de la Previdencia Social (registre national des informations sociales de l’assurance sociale brésilienne), mentionnant une affiliation et des contributions sur des salaires pour les périodes suivantes : 1er juillet 1989 au 28 février 1990, 1er avril au 31 août 1990, 1er octobre 1990 au 31 janvier 1991, 1er mars au 30 avril 1991, 1er juin 1991 au 31 juillet 1992 et 1er septembre au 31 octobre 1992.

b. Dans sa réponse du 4 décembre 2024, l’intimé a conclu au rejet du recours, en soutenant, derechef, que les conditions d’assurance n’étaient pas remplies, tout en précisant qu’au vu des périodes de cotisation auprès de la sécurité sociale brésilienne invoquées par la recourante, il avait pris contact avec la Caisse suisse de compensation. Celle-ci transmettrait prochainement un formulaire à la recourante, qui devrait le remplir et le renvoyer. Cette étape était indispensable pour vérifier si les cotisations étrangères pouvaient être prises en considération dans l’examen des conditions d’assurance. Partant, l’intimé concluait au renvoi de la cause pour instruction complémentaire et nouvelle décision, et réservait ses conclusions sur le fond si la chambre de céans ne donnait pas suite à cette demande (sic).

c. La recourante s’est déterminée par écriture du 14 avril 2025, indiquant que selon son expérience, les institutions brésiliennes mettaient beaucoup de temps à rendre des décisions. Elle estimait que le relevé des cotisations fourni à l’appui de son recours devrait permettre de reconnaître son droit aux prestations. Elle était toutefois d’accord que la cause soit renvoyée à l’intimé.

d. Après transmission de cette écriture à l’intimé en date du 15 avril 2025, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Interjeté en temps utile, le recours est recevable (art. 60 al. 1 LPGA).

2.             Le litige porte sur le droit de la recourante à une rente d’invalidité, plus précisément sur le point de savoir si les conditions d’assurance sont remplies.

3.             Aux termes de l’art. 6 LAI, les étrangers ont droit aux prestations, sous réserve de l’art. 9 al. 3, aussi longtemps qu’ils conservent leur domicile et leur résidence habituelle (art. 13 LPGA) en Suisse, mais seulement s’ils comptent, lors de la survenance de l’invalidité, au moins une année entière de cotisations ou dix ans de résidence ininterrompue en Suisse. Aucune prestation n’est allouée aux proches de ces étrangers s’ils sont domiciliés hors de Suisse (al. 2).

Aux termes de l’art. 36 al. 1 LAI,  a droit à une rente ordinaire l’assuré qui, lors de la survenance de l’invalidité, compte trois années au moins de cotisations.

Ces dispositions se distinguent en ce sens que l'art. 6 al. 2 LAI fixe les conditions supplémentaires auxquelles doivent répondre les ressortissants étrangers pour pouvoir bénéficier des prestations de l'assurance-invalidité, et l'art. 36 al. 1 LAI établit une condition spécifique pour l'octroi d'une rente ordinaire de l'assurance-invalidité (arrêt du Tribunal fédéral 9C_36/2015 du 29 avril 2015 consid. 4).

4.             La Convention de sécurité sociale entre la Confédération suisse et la République fédérative du Brésil (RS 0.831.109.198.1) (ci-après : la Convention), entrée en vigueur le 1er octobre 2019, s’applique à la législation fédérale sur l’assurance-invalidité (art. 2 par. 1 let. B al. b).

Son champ d’application personnel, tel que défini à son art. 3 let. A, comprend pour la Suisse les ressortissants des Parties qui sont ou ont été soumis à la législation de l’une ou de l’autre Partie, ainsi que les membres de leur famille et leurs survivants.

Conformément à son art. 4 par. 1, les personnes entrant dans le champ d’application personnel de la Convention ont en ce qui concerne l’application de la législation de l’une des Parties les mêmes droits et obligations que les ressortissants de cette Partie, sauf dispositions conventionnelles contraires.

L’art. 17 dispose que lorsque les périodes d’assurance accomplies par une personne selon la législation suisse ne permettent pas, à elles seules, de remplir les conditions requises pour avoir droit à une rente ordinaire de l’assurance vieillesse, survivants et invalidité suisse, l’institution compétente y ajoute, afin de déterminer l’acquisition du droit aux prestations, les périodes d’assurance accomplies selon la législation brésilienne, pour autant qu’elles ne se superposent pas aux périodes d’assurance accomplies selon la législation suisse (par. 1). Si les périodes d’assurance accomplies selon la législation suisse sont inférieures à un an, le par. 1 ne s’applique pas (par. 2). Pour la fixation des prestations, seules les périodes d’assurance accomplies selon la législation suisse sont prises en compte. Les prestations sont fixées en vertu de la législation suisse (par. 3).

L’art. 17 par. 2 de la Convention a une teneur analogue à l’art. 57 par. 1 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, modifié par le règlement (CE) n° 988/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 (RS 0.831.109.268.1). Le Tribunal fédéral a rappelé au sujet de cette disposition réglementaire qu’elle exclut le droit à la rente ordinaire d’invalidité pour les personnes entrant dans son champ d’application dont les cotisations versées dans des États membres atteignent la durée de trois ans, mais qui ne peuvent justifier d’une année entière de cotisations en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 8C_237/2020 du 23 juillet 2020 consid. 5.1).

Ainsi, à l’aune de la Convention et du droit national, les conditions d’assurance nécessaires à l’octroi d’une rente d’invalidité sont doubles, au sens où l’assuré doit justifier d’au moins trois ans de cotisations, dont une accomplie en Suisse.

5.             Selon l’art. 4 al. 2 LAI, l’invalidité est réputée survenue dès qu’elle est, par sa nature et sa gravité, propre à ouvrir droit aux prestations entrant en considération. S’agissant d’une rente, tel est le cas au plus tôt lorsqu’en vertu de cette disposition et de l’art. 8 al. 1 LPGA, en conjonction avec l’art. 28 LAI, un assuré a présenté une incapacité de travail d’au moins 40% en moyenne durant une année sans interruption notable et qu’au terme de cette année, il est invalide à 40% au moins (arrêt du Tribunal fédéral 8C_58/2019 du 22 mai 2019 consid. 2.3). La date à laquelle une demande de prestations a été présentée – l’art. 29 al. 1 LAI prévoyant que le droit à la rente prend naissance au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations – n’est ainsi pas déterminante pour dater la survenance de l’invalidité, qui dépend des conditions d’octroi de la prestation en cause, qu'il s'agisse d'une rente ordinaire ou extraordinaire (arrêt du Tribunal fédéral 9C_655/2015 du 14 décembre 2015 consid. 4).

6.             L’examen des conditions d’assurance fait partie des attributions des offices d’assurance-invalidité, avec la collaboration au besoin de la caisse de compensation compétente (cf. art. 57 al. 1 let. d, art. 60 al. 1 let. a LAI et art. 69 al. 1 du règlement du 17 janvier 1961 sur l’assurance-invalidité [RAI - RS 831.201]).

7.             En l’espèce, il convient de noter s’agissant de la date de la survenance de l’incapacité de travail retenue par le SMR – soit février 2022 – qu’elle ne ressort pas des rapports du service d’oncologie des HUG. Cela étant, au vu du fait qu’un médecin des HUG a fait état dans un rapport du 25 février 2022 au Secrétariat d’État aux migrations d’une consultation ce même jour, et d’un suivi dès novembre 2021, et que la recourante a également mentionné dans le formulaire de demande un début du suivi en novembre 2021 et une incapacité de travail dès février 2022, la chambre de céans ne s’écartera pas de cette date.

L’invalidité est ainsi survenue en février 2023, soit après le délai de carence d’une année, conformément aux principes rappelés ci-dessus, étant souligné que l’intimé – soit pour lui le SMR – ne conteste pas la persistance d’une incapacité de travail et de gain après cette date.

À cette date, la recourante pouvait se prévaloir d’une année de cotisations entière en Suisse, puisqu’elle a été affiliée en tant que personne sans activité lucrative en 2022. S’agissant de la condition liée à une durée minimale de cotisation de trois ans prévue à l’art. 36 LAI, elle paraît également réalisée au vu de l’addition – prévue par le droit international – aux périodes de cotisation en Suisse des périodes d’assurance accomplies au Brésil, qui en l’espèce totalisent 35 mois entre 1989 et 1992 (soit des durées de respectivement huit mois, cinq mois, quatre mois, deux mois, quatorze mois et deux mois).

Malgré ce qui précède, l’intimé a conclu au renvoi de la cause, affirmant qu’il y avait lieu de vérifier si les cotisations étrangères pouvaient être prises en considération. Au plan juridique, ce point ne fait toutefois guère de doute au vu de ce qui précède.

Cela étant, dès lors que la recourante ne s’est pas opposée au renvoi de la cause requis par l’intimé, et qu’il paraît opportun que celui-ci examine, avec le concours de la caisse de compensation, si la recourante a bien accompli les périodes d’assurance alléguées au Brésil, la chambre de céans lui renverra la cause à cette fin, à charge pour lui de rendre une nouvelle décision sur le droit à la rente si cette mesure d’instruction conduit à confirmer que les conditions d’assurance sont remplies. Au vu des inquiétudes exprimées par la recourante au sujet des éventuelles lenteurs procédurales liées à cette démarche, il convient de souligner que la confirmation par la sécurité sociale brésilienne de la réalité des périodes de cotisation au Brésil ne paraît pas nécessairement devoir prendre la forme d’une décision.

8.             Le recours est partiellement admis.

La recourante a droit à des dépens, qui seront fixés à CHF 1'200.- (art. 61 let. g LPGA).

La procédure en matière de contestations portant sur des prestations de l’assurance-invalidité n’étant pas gratuite, l’intimé supporte l’émolument de procédure de CHF 200.- (art. 69 al. 1bis LAI).

 

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Annule la décision de l’intimé du 14 octobre 2024.

4.        Renvoie la cause à l’intimé pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants.

5.        Condamne l’intimé à verser à la recourante une indemnité de dépens de CHF 1'200.-

6.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l’intimé.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Adriana MALANGA

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le