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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3754/2023

ATAS/757/2024 du 04.10.2024 ( AI ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3754/2023 ATAS/757/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 4 octobre 2024

Chambre 9

 

En la cause

A______

représentée par l'Association pour la permanence de défense des patients et des assurés (APAS)

 

 

recourante

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l'assurée), née en 1971, est employée à 100% depuis le 15 janvier 2019 par B______ (ci-après : l'employeuse), en qualité d'opératrice en horlogerie.

B. a. Le 13 juillet 2022, l'office de l'assurance-invalidité du canton de Genève
(ci-après : OAI) a réceptionné un formulaire de détection précoce rempli par l'assurée, faisant état d'absences répétées régulières depuis 2020 en raison de divers problèmes de santé au pancréas, au foie, à l'épaule gauche, au dos et à l'aorte, d'une fatigue, de maux de tête et d'une tension haute.

b. Le 16 août 2022, l'assurée a déposé auprès de l'OAI une demande de prestations pour adultes accompagnée de divers certificats d'arrêts de travail. Aux termes de ceux-ci, les incapacités de travail de l'assurée avaient été les suivantes :

-          100% du 23 au 27 octobre 2020 ;

-          100% du 14 juin au 25 juin 2021 ;

-          50% le 2 juillet 2021 ;

-          100% du 15 juin au 8 juillet 2022 ;

-          50% du 9 au 22 juillet 2022.

c. Dans un rapport du 9 septembre 2022, le docteur C______, spécialiste FMH en rhumatologie, a mentionné que l'assurée souffrait depuis plusieurs années d'un conflit sous-acromial gauche, nécessitant plusieurs fois par année des infiltrations de corticoïdes. Depuis 2022, les symptômes douloureux ne répondaient plus au traitement conservateur. La douleur était pénible et gênait l'assurée dans son travail. Au status le 14 août 2022, les amplitudes de l'épaule gauche restaient acceptables avec 160° d'élévation et 40° de rotation externe. Le jobe et le lift-off étaient tenus difficilement à cause de la douleur. La rotation interne du coude à 90° d'abduction était aussi douloureuse. Il diagnostiquait ainsi, avec répercussion sur la capacité de travail, un conflit sous-acromial gauche avec tendinopathie du sus-épineux. Les limitations fonctionnelles étaient les suivantes : éviter de travailler les coudes au-dessus de l'horizontale, pas de gestes répétitifs et pas de port de charges du bras gauche. Aux questions de savoir quelles étaient les ressources de l'assurée et si elle était en mesure de reprendre son activité professionnelle, le Dr C______ a mentionné qu'elle était très volontaire et surpassait sa douleur, continuant ainsi de travailler. Concernant la question de la capacité de travail de l'assurée dans son activité habituelle, il a répété que celle-ci travaillait dans l'horlogerie malgré ses douleurs et précisé qu'il fallait attendre l'évaluation des chirurgiens pour savoir si une opération permettrait de poursuivre cette activité avec moins de douleurs. Au vu de l'échec du traitement conservateur, un avis chirurgical avait été demandé au service de chirurgie orthopédique des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG).

d. Le 9 septembre 2022, répondant aux questions de l'OAI, l'employeuse a décrit l'activité individuelle de l'assurée de la manière suivante : approvisionner machine : souvent ; contrôle composants : souvent ; nettoyage composants : parfois. L'activité nécessitait d'être souvent assis, de marcher parfois, de rester souvent debout, rarement de soulever ou porter léger (0-10 kg) et jamais de soulever ou porter des charges plus lourdes. Concrètement, l'assurée approvisionnait une machine de production toutes les 5-15 minutes, devait enlever (debout) la pièce usinée, en remettre une nouvelle et redémarrer la machine. Elle devait ensuite contrôler les pièces usinées. Le salaire versé correspondait au rendement de l'assurée. L'employeuse a en outre joint le relevé des absences de l'assurée durant l'année 2022, duquel il ressort que celle-ci avait été, outre les périodes d'incapacités attestées par certificat médical (cf. let. b ci-dessus), absente pour cause de maladie le 14 février (à raison de 6.28 heures soit 0.8 jour), les 15 et 16 février (jours entiers), le 18 mai (demi-jour), les 19 et 20 mai (jours entiers), puis, dès le 30 août jusqu'au 9 septembre (date d'établissement du rapport ; jours entiers).

e. Dans un rapport du 12 octobre 2022, la docteure D______, spécialiste FMH en médecine interne et généraliste de l'assurée, a indiqué que la dernière période d'incapacité de travail avait débuté le 30 septembre 2022 pour se terminer le 9 septembre 2022, engendrant une incapacité totale. Au niveau des antécédents médicaux, elle a relevé que l'assurée avait présenté depuis le début de l'année 2021 des épisodes de pancréatite et des hépatites à répétition, accompagnées de douleurs, dont la fréquence avait clairement augmenté depuis le printemps 2022. La médication n'était que moyennement efficace pour calmer les douleurs et de multiples investigations ne mettaient pas en évidence un diagnostic clair. L'assurée présentait également un problème de dorsalgies, des omalgies gauches, des cervicalgies et des lombalgies. La Dre D______ n'a pas décrit de limitations fonctionnelles, a indiqué ne pas être en mesure de se prononcer sur le nombre d'heures de travail par jour pouvant être attendu de l'assurée dans son activité habituelle et a estimé que, dans une activité adaptée, pas plus de la moitié du temps habituel pouvait être réalisée, à réévaluer. Elle a enfin précisé que le problème principal était celui des douleurs et de la fatigue physique et morale qui en découlait, mais que l'assurée avait jusqu'à présent toujours tenu à travailler un maximum malgré les objections médicales et les symptômes douloureux qu'elle gérait au mieux avec du Tramadol et du Dafalgan. Ces derniers mois, son état général s'était péjoré.

f. Dans un autre rapport du même jour à l'attention de l'assurance perte de gain, la Dre D______ a indiqué que l'assurée ne présentait plus d'incapacité de travail depuis le 10 septembre 2022 et qu'une nouvelle consultation à son cabinet n'était pas prévue. Des avis de chirurgie orthopédique et de gastroentérologie étaient par contre attendus.

g. Dans un rapport du 13 octobre 2022, le docteur E______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, a indiqué qu'il avait diagnostiqué un trouble de l'adaptation versus épisode dépressif léger, mais que l'assurée n'était pas en incapacité de travail de longue durée du point de vue psychiatrique. Elle l'avait consulté entre les mois de juin et de septembre 2021 et il ne retrouvait pas de symptomatologie affective caractérisée à la fin du suivi.

h. Dans une attestation du 30 janvier 2023, le docteur F______, spécialiste FMH en chirurgie, a exposé qu'il avait procédé à un by-pass gastrique chez l'assurée en décembre 2016, suivi de six semaines d'arrêt total de travail. En juin 2017, l'assurée avait consulté pour la première fois en urgence en raison de douleurs abdominales hautes et, depuis, des épisodes itératifs de crises douloureuses très violentes sur une durée de quelques jours se manifestant avec une élévation quasi systématique des tests hépatiques et pancréatiques, nécessitant la prise d'antalgiques majeurs. Malgré ses douleurs, l'assurée avait poursuivi ses recherches d'emploi et, fin 2018, elle avait trouvé un poste dans une usine d'horlogerie. Elle expliquait alors s'épanouir dans son travail. Il ne l'avait revue que trois ans plus tard après un nouvel épisode de pancréatite aiguë, et les dernières nouvelles à son sujet faisaient suite à une nouvelle hospitalisation aux HUG en juin 2022 pour une pancréatite.

i. Le 22 mai 2023, la division réadaptation de l'OAI a demandé que l'instruction médicale de la demande soit poursuivie. L'assurée semblait en sur-adaptation dans le cadre professionnel et une rechute était à craindre.

j. Le 4 juillet 2023, la docteure G______, du service de chirurgie viscérale des HUG, a expliqué que l'assurée avait été hospitalisée en électif du 5 au 7 novembre 2022 et avait bénéficié d'une réduction de hernie interne. L'assurée n'avait été vue que de manière temporaire, de sorte que les médecins n'étaient pas habilités à se prononcer quant à sa capacité de travail. Elle a joint la lettre de sortie des soins aigus datée du 14 novembre 2022 faisant état d'un arrêt de travail du 5 au 26 novembre 2022, à 100%.

k. En réponse aux questions de l'OAI, l'assurée a fait savoir, en août 2023, qu'elle travaillait toujours à 100% et qu'elle « prenait » très souvent des arrêts maladie, également sur ses heures [supplémentaires] et ses vacances. Elle ne savait pas jusqu'à quand elle pourrait continuer de la sorte, car elle souffrait et avait du mal à travailler avec tous les médicaments qu'elle prenait.

l. Interrogée par l'OAI, l'employeuse a indiqué, le 23 août 2023, que l'assurée faisait toujours partie de son personnel depuis l'incapacité de travail du 15 juin 2022 et que, depuis lors, la reprise de son activité habituelle s'était déroulée de la manière suivante :

-          du 9 au 22 juillet 2022, incapacité de travail de 50% ;

-          du 30 août au 9 septembre 2022, incapacité de travail de 100% ;

-          du 5 au 26 novembre 2022, incapacité de travail de 100% ;

-          du 22 au 26 février 2023, incapacité de travail de 100% ;

-          du 15 au 21 juillet 2023, incapacité de travail de 100%.

m. Par projet de décision du 29 août 2023, l'OAI a indiqué qu’il envisageait de rejeter la demande, au motif que l'incapacité de travail de l'assurée avait duré moins d'une année. Elle avait été en incapacité de travail à 100% dans toute activité dès le 15 juin 2022 (début du délai d'attente d'un an) mais son état de santé s'était ensuite amélioré et elle avait récupéré une capacité de travail entière dans son activité habituelle dès le 27 novembre 2022. Depuis lors, l'invalidité était nulle et des mesures d'ordre professionnel ne se justifiaient pas étant donné la capacité de travail entière dans son activité habituelle.

n. En l'absence d'objections soulevées par l'assurée, l'OAI a rendu sa décision finale comportant la même motivation, en date du 9 octobre 2023.

C. a. Par acte du 10 novembre 2023, l'assurée, sous la plume de son mandataire nouvellement constitué, a interjeté recours auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre des assurances sociales) contre la décision précitée, sollicitant, préalablement, à pouvoir compléter son recours et, sur le fond, l'annulation de la décision et l'octroi d'une rente entière d'invalidité. Elle a exposé qu'elle souffrait notamment de troubles intestinaux faisant l'objet d'une investigation médicale, sans résultat probant à ce jour. Ces troubles entraînaient des périodes d'incapacité de travail récurrentes, dont l'intensité variait, et étaient de nature permanente ou de longue durée.

b. Le 3 janvier 2024, l'intimé a conclu au rejet du recours et à la confirmation de la décision attaquée, soulignant que l'incapacité de travail de l'assurée avait débuté le 15 juin 2022 et avait duré moins d'une année.

c. Par réplique du 29 février 2024, la recourante a exposé que la décision de refus de prestations de l'OAI du 9 octobre 2023 était prématurée, dans la mesure où elle avait de nouveau été en incapacité de travail dès le début du mois d'octobre 2023, incapacité qui se poursuivait à ce jour, en raison de ses troubles abdominaux récurrents. Une intervention avait été programmée au début du mois de mars 2023 [recte : mars 2024] auprès du service de gastroentérologie et hépatologie des HUG. Sa situation médicale n'était donc pas stabilisée et elle avait entrepris d'importants efforts pour continuer à travailler, alors qu'elle était atteinte de douleurs invalidantes, attestées par les tests hépatiques et pancréatiques. Elle sollicitait à pouvoir compléter ses écritures dès l'obtention des rapports d'intervention chirurgicale et de suivi post-chirurgical.

d. Ladite écriture a été communiquée à l'intimé.


 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             À teneur de l'art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-invalidité, à moins que la loi n'y déroge expressément.

3.             Le 1er janvier 2022, les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705) ainsi que celles du 3 novembre 2021 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI - RS 831.201 ; RO 2021 706) sont entrées en vigueur.

En l’absence de disposition transitoire spéciale, ce sont les principes généraux de droit intertemporel qui prévalent, à savoir l’application du droit en vigueur lorsque les faits déterminants se sont produits (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et la référence). Lors de l’examen d’une demande d’octroi de rente d’invalidité, est déterminant le moment de la naissance du droit éventuel à la rente. Si cette date est antérieure au 1er janvier 2022, la situation demeure régie par les anciennes dispositions légales et réglementaires en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021. Si elle est postérieure au 31 décembre 2021, le nouveau droit s’applique (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_60/2023 du 20 juillet 2023 consid. 2.2. et les références).

En l’occurrence, un éventuel droit à une rente d’invalidité naîtrait au plus tôt en février 2023, soit six mois après le dépôt de la demande du 16 août 2022
(cf. art. 29 al. 1 LAI), de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur nouvelle teneur.

4.             Le délai de recours est de 30 jours (art. 56 LPGA ; art. 62 al. 1 de la de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

5.             Le litige porte sur la question de savoir si la recourante a présenté une incapacité de travail suffisante pour lui ouvrir le droit à des prestations de
l'assurance-invalidité.

6.              

6.1 Aux termes de l'art. 28 al. 1 LAI, l'assuré a droit à une rente aux conditions suivantes : sa capacité de gain ou sa capacité d’accomplir ses travaux habituels ne peut pas être rétablie, maintenue ou améliorée par des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles (let. a) ; il a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40% en moyenne durant une année sans interruption notable (let. b) ; au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins (let. c). Le droit à la rente prend naissance au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l’art. 29 al. 1 LPGA, mais pas avant le mois qui suit le 18e anniversaire de l’assuré (art. 29 al. 1 LAI).

6.2 L'invalidité est l’incapacité de gain totale ou partielle qui est présumée permanente ou de longue durée (art. 8 al. 1 LPGA). Elle peut résulter, en matière d'assurance-invalidité, d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 4 al. 1 LAI). L'espace temporel que doit revêtir l'incapacité de gain pour être considérée comme durable ou permanente résulte des lois spéciales d'assurance sociale. Ainsi, en matière de rentes de l'assurance-invalidité, la personne assurée doit présenter une incapacité de travail d'au moins 40% en moyenne durant une année sans interruption notable (cf. art. 28 al. 1 let. b LAI) (Margit
MOSER-SZELESS in Commentaire romand de la LPGA, 2018, n. 25 ad art. 8 LPGA).

6.3 L'art. 6 LPGA décrit l'incapacité de travail comme toute perte, totale ou partielle, de l’aptitude de l’assuré à accomplir dans sa profession ou son domaine d’activité le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui, si cette perte résulte d’une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique. En cas d’incapacité de travail de longue durée, l’activité qui peut être exigée de lui peut aussi relever d’une autre profession ou d’un autre domaine d’activité.

Est incapable de travailler au sens de l'art. 6 1ère phrase LPGA la personne qui ne peut plus exercer l'activité professionnelle effectuée jusqu'alors, qui ne peut plus l'exercer que d'une manière limitée ou qui ne peut l'exercer qu'en courant le risque d'aggraver son état de santé. L'incapacité de travail correspond donc à une perte ou à une limitation fonctionnelle de la capacité d'accomplir un acte physique ou une action mentale (limitation de la capacité de rendement). Il s'agit d'examiner selon une approche fonctionnelle si l'intéressé peut ou non effectuer tous les actes qui constituent son activité professionnelle individualisée ou seulement certains d'entre eux et, cas échéant, pendant combien de temps. La seule appréciation médico-théorique de la capacité de travail n'est pas déterminante, soit l'évaluation dans l'abstrait de l'atteinte à la santé d'après des critères médicaux, sans tenir compte des effets concrets du déficit fonctionnel sur l'exercice d'une certaine profession et des possibilités de gain qui subsistent. Peu importe également les conséquence (immédiates) de la limitation de la capacité de rendement sur le plan financier, soit le point de savoir si la personne assurée continue à percevoir son salaire pendant l'arrêt de travail ou perçoit des revenus de remplacement de la part de tiers. L'incapacité de travail est par ailleurs une notion objective ; l'appréciation subjective que fait la personne assurée de son état de santé et de son incapacité à exercer sa profession n'est pas prise en considération (Margit MOSER-SZELESS, op. cit., 2018, n. 19 et 20 ad art. 6 LPGA et les références ; concernant la notion d'incapacité de travail, voir également l'ATF 130 V 97 consid. 3.2 et les références).

Est aussi considérée comme étant incapable de travailler la personne assurée qui ne peut exercer sa profession qu'en courant le risque d'aggraver son état de santé (Ulrich MEYER/Marc REICHMUTH, Rechtsprechung des Bundesgerichts zum IVG, 4e éd. 2022, n. 3 ad art. 4 LAI et les références).

Le calcul de l'incapacité de travail moyenne et du délai d'attente est effectué en jours (365). Pour établir rétrospectivement quand la période de 365 jours a commencé à courir, il faut déterminer le moment à partir duquel l’assuré a subi une diminution sensible de son rendement dans son activité professionnelle ou dans ses travaux habituels. Une réduction de la capacité de travail de 20% suffit en principe à ouvrir la période d’attente. Pour déterminer si cette incapacité de travail est survenue, il convient de se fonder sur les circonstances du cas concret auxquelles appartiennent notamment la constatation d’une diminution des prestations fournies, une remontrance de l’employeur ou des absences fréquentes liées à l’état de santé. Les entraves à la capacité de travail doivent en d’autres termes se manifester lorsque l’assuré était au service de son ancien employeur. Une constatation rétroactive et médico-théorique de la capacité de travail après plusieurs années ne suffit pas. À moins qu’il ne soit dûment documenté sur le plan médical, le fait que l’assuré ait connu une capacité de rendement réduite par rapport à ses collègues pendant la durée des rapports de travail n’est pas décisif. Le moment de la survenance de l’incapacité de travail ne saurait faire l’objet d’hypothèses ou de déductions spéculatives, mais doit être établi avec le degré habituel de la vraisemblance prépondérante (Michel VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur l'assurance-invalidité, 2018, n. 13 ad art. 28 LAI ; pratique VSI 1998 p. 126 ; ATAS/988/2023 du 13 décembre 2023 consid. 7.2.1).

L'art. 29ter RAI énonce qu'il y a interruption notable de l'incapacité de travail au sens de l'art. 28 al. 1 let. b LAI lorsque l'assuré a été entièrement apte au travail pendant 30 jours consécutifs au moins. Si une nouvelle incapacité de travail survient après cette interruption, un nouveau délai d'attente d'une année commence à courir, sans qu'il y ait lieu de prendre en considération les périodes antérieures d'incapacité de travail (arrêt du Tribunal fédéral I 392/05 et I 420/05 du 24 août 2006 consid. 4.2). Afin d'interrompre le délai d'une année, l'assuré doit disposer, pendant 30 jours consécutifs au moins, d'une capacité de travail économiquement utilisable. La reprise d'un travail visant seulement la guérison, telle une mesure d'ergothérapie, n'interrompt pas le délai (RCC 1969 p. 571). Il en va de même de l'essai de reprise de travail dépassant manifestement les forces de l'assuré, qui s'est soldé par un échec, même s'il a dépassé 30 jours (RCC 1964 p. 168) et, en principe, d'un essai de reprise de travail de plus de 30 jours ayant échoué (arrêt du Tribunal fédéral I 238/05 du 2 novembre 2005 consid. 2.2, mentionnant qu'il est possible que l'activité soit encore exercée un certain temps malgré une contre-indication médicale grâce à des adaptations du poste de travail).

Le délai d’attente de l’art. 28 al. 1 let. b LAI est une condition matérielle du droit à la rente et celui de l’art. 29 al. 1 LAI est un délai de nature procédurale (délai de carence formelle) (ATF 142 V 547 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_544/2016 et 8C_568/2016 du 28 novembre 2016 consid. 4.1).

7.             Se prononcer sur le cas d'espèce revient en premier à déterminer à partir de quand le délai d'attente de 365 jours a commencé à courir.

Selon les éléments au dossier, la recourante a présenté plusieurs arrêts de travail pour cause de maladie dès octobre 2020, avant la période d'incapacité de travail ayant débuté le 15 juin 2022, reconnue comme point de départ du délai d'attente par l'intimé. Ces périodes d'incapacité ont cependant toutes été suivies d'une reprise de travail de plus de 30 jours au sens de l'art. 29ter RAI, sauf celle ayant commencé le 18 mai 2022. Se pose néanmoins la question de savoir si les retours au poste de travail peuvent être considérés comme des reprises thérapeutiques ou mettaient manifestement trop à contribution les forces de la recourante.

Il ressort certes du dossier que la recourante est très volontaire, qu'elle se surpasse dans son travail et ressent des douleurs lors de la réalisation de ses tâches (rapports des Drs C______ et D______ des 9 septembre et 12 octobre 2022 ; note de la division réadaptation de l'intimé du 22 mai 2023). Cependant, il n'existe pas d'éléments objectifs permettant de retenir que les – longues – périodes de reprise d'emploi auraient été de simples tentatives de retour au travail ou auraient été au-dessus des forces de la recourante, avec le risque de prétériter son état de santé. Les limitations fonctionnelles relevées par le Dr C______ (éviter de travailler les coudes au-dessus de l'horizontale, pas de gestes répétitifs et pas de port de charges du bras gauche) n'apparaissent en effet pas en contre-indication avec les exigences du poste de travail de la recourante, telles que décrites par l'employeuse dans le rapport du 9 septembre 2022. Le rhumatologue traitant n'a par ailleurs pas attesté formellement d'une incapacité de travail de la recourante dans son activité habituelle, mais a fait état des douleurs qu'elle avait, relayant essentiellement son ressenti personnel. Quant aux rapports de la Dre D______, ils ne répertorient pas de limitations fonctionnelles ni ne se prononcent sur la capacité de travail de la recourante dans son activité habituelle. Ils soulignent par ailleurs qu'au jour de leur établissement, elle avait repris son emploi à plein temps, sans faire état de ce qu'il s'agirait d'une mesure à visée thérapeutique ou que ce retour à l'emploi serait susceptible d'entraîner une péjoration de son état de santé.

En tout état, les données fournies par l'employeuse permettent de retenir que lors de ses périodes de travail, la recourante disposait d'une capacité de travail économiquement utilisable. Dans son rapport, l'employeuse a en effet mentionné que le salaire versé correspondait au rendement ; elle a de plus laissé libre le champ concernant le salaire social. L'on ne se trouve en outre pas en présence d'un cas où l'employeur pourrait ne pas avoir compris la portée de ces notions, celles-ci étant explicitées au dernier chapitre du formulaire remis par l'intimé (pour un potentiel cas d'application, cf. SVR 1995 IV Nr. 52 p. 145). La recourante ne soutient par ailleurs pas qu'elle aurait bénéficié de mesures de soutien à son travail, telles l'aide de collègues ou un aménagement de son poste.

Dans ces circonstances, il n'est pas possible de retenir, au degré de la vraisemblance prépondérante, que les reprises de travail de plus de 30 jours n'auraient pas interrompu les périodes d'incapacités de travail de la recourante.

Sur la base des arrêts de travail attestés par certificat médical, la date de départ du délai de 365 jours a ainsi été correctement fixée par l'intimé au 15 juin 2022, étant néanmoins relevé qu'en tenant compte des autres arrêts de travail pour cause de maladie répertoriés par l'employeuse, le point de départ devrait être fixé au 18 mai 2022.

Or, il est manifeste que, ni au 18 mai 2023, ni au 15 juin 2023, la recourante n'avait présenté une incapacité de travail moyenne d'au moins 40% sur l'année écoulée (2.5 jours d'arrêt à 100% en mai 2022, 38 jours d'arrêt entre juin et juillet 2022 dont 14 jours à 50%, 11 jours d'arrêt à 100% entre août et septembre 2022 et 22 jours d'arrêt à 100% en novembre 2022).

La condition de l'art. 28 al. 1 let. b LAI n'étant ainsi pas remplie, l'intimé a considéré à juste titre que les conditions d'octroi d'une rente d'invalidité en faveur de la recourante n'étaient pas données.

Par surabondance, il est possible de relever qu'au terme de l'année de carence, la recourante ne présentait pas non plus une invalidité de 40% au moins (condition de l'art. 28 al. 1 let. c LAI), puisque, étant alors en période de capacité de travail dans son activité habituelle, elle ne présentait pas d'incapacité de gain.

Dans son écriture du 29 février 2024, la recourante a allégué avoir de nouveau été en incapacité de travail dès le début du mois d'octobre 2023 et qu'elle allait être opérée au début du mois de mars 2024 par le service de gastroentérologie et hépatologie des HUG.

La question de savoir si cette nouvelle période d'incapacité de travail, pour autant qu'elle soit attestée par pièces, pourrait faire débuter un nouveau délai d'attente et justifier le droit ultérieur à des prestations n'a pas à être instruite dans le cadre du présent litige. Bien que la décision litigieuse ait été rendue le 9 octobre 2023, soit à une date où, potentiellement, la recourante était à nouveau en incapacité de travail, elle constate à juste titre que la condition d'une incapacité de travail d'au moins 40% en moyenne durant une année sans interruption notable n'était alors pas donnée. Le droit à une rente de l'assurance-invalidité ne dépend par ailleurs pas de la stabilisation de l'état de santé de l'assuré, mais des conditions propres d'octroi prévues par la loi. Il serait enfin contraire au principe de célérité d'exiger de l'intimé qu'il attende que la nouvelle période de carence d'un an ayant possiblement débuté avec cette nouvelle incapacité de travail soit échue, avant de rendre sa décision.

La recourante a cependant la possibilité de déposer une nouvelle demande de prestations auprès de l'intimé, dans l'hypothèse où cette démarche n'aurait pas déjà été entreprise, si elle considère que ses nouvelles incapacités de travail le justifient.

8.             Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté et la recourante sera condamnée au paiement d'un émolument de CHF 200.- (art. 69 al. 1bis LAI).

 

******


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de la recourante.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

La présidente

 

 

 

 

Eleanor McGREGOR

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le