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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1800/2023

ATAS/470/2024 du 19.06.2024 ( AVS ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1800/2023 ATAS/470/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 19 juin 2024

Chambre 4

 

En la cause

A______

 

Recourante

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE COMPENSATION

 

B______

 

Intimée

 

Appelée en cause

 


EN FAIT

 

A. a. La société C______ SA, en liquidation (ci-après : la société), avec siège à Chêne-Bourg, a été inscrite au registre du commerce de Genève
(ci-après : RC) le 9 novembre 2016 et avait comme but social toutes activités dans le domaine automobile, dont le nettoyage, la restauration, le transport, la vente et la location, ainsi que toutes activités dans le domaine de l'entretien de machines agro-alimentaires et activités de financement, y compris de ses actionnaires.

b. La société a été dissoute par suite de faillite prononcée par jugement du Tribunal de première instance du 12 août 2021 avec effet dès ce jour. La procédure de faillite a été suspendue faute d'actifs par jugement du Tribunal de première instance du 18 novembre 2021. Par jugement du 13 janvier 2022, la faillite a été clôturée. Selon publication dans la Feuille officielle suisse du commerce (ci-après : la FOSC) du 21 janvier 2022, la société a été radiée d'office le 18 janvier 2022.

c. Selon le RC, Madame A______ (ci-après : l'intéressée ou la recourante) était administratrice unique de la société, avec signature individuelle, du 26 septembre 2017 au 16 décembre 2020. Madame B______ (ci-après : la directrice) était directrice de la société, avec signature individuelle, du 4 novembre 2016 au 3 octobre 2019.

d. Le 13 mars 2020, la caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après : la caisse ou l'intimée) a adressé à la société, à l'adresse personnelle de l'intéressée, la facture finale relative aux cotisations salariales de l'année 2019 d'un montant de CHF 99.40 correspondant à la différence entre le montant reporté et le montant en poursuite (CHF 10'620.05 – CHF 10'520.65).

e. Suite aux poursuites engagées à l'encontre de la société, la caisse a reçu les trois procès-verbaux suivants valant actes de défaut de biens :

-          le procès-verbal de saisie du 12 février 2021, poursuite 1______, relatif au décompte de cotisations salariales pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2018 et portant sur un montant total de CHF 5'938.95 (comprenant les frais de poursuite et les intérêts) ;

-          le procès-verbal de saisie du 12 février 2021, poursuite 2______, relatif au décompte de cotisations salariales pour la période du 1er janvier au 31 mars 2019 et portant sur un montant total de CHF 5'784.55 (comprenant les frais de poursuite et les intérêts) ;

-          le procès-verbal de saisie du 12 février 2021, poursuite 3______, relatif au décompte de cotisations salariales pour la période du 1er avril au 30 juin 2019 et portant sur un montant total de CHF 5'653.10 (comprenant les frais de poursuite et les intérêts).

f. Le 27 mars 2023, la caisse a adressé à l'intéressée, par courrier recommandé avec accusé de réception, une demande en réparation du dommage. La suspension de la liquidation [recte : de la faillite], publiée le 18 novembre 2021, avait laissé un découvert de CHF 17'476.- représentant les cotisations paritaires pour les années 2018 et 2019, y compris les frais et les intérêts moratoires. Il s'agissait des sommes dues et exigibles lorsque l'intéressée avait pris ses fonctions et échues au cours de son mandat, dont elle était solidairement responsable avec la directrice. La caisse lui demandait la réparation de ce dommage, soit le versement de ce montant dans un délai de 30 jours.

g. Le 18 avril 2023, l'intéressée a formé opposition totale à cette demande en réparation du dommage. La somme réclamée était uniquement due par la directrice dès lors qu'elle correspondait aux salaires que cette dernière avait perçus en cette qualité. Pour sa part, elle n'avait jamais été rémunérée. Les actionnaires avaient engagé la directrice sans l'en informer.

h. Dans une décision sur opposition du 26 avril 2023, la caisse a rejeté l'opposition de l'intéressée. En sa qualité d'administratrice, elle était incontestablement un organe de la société susceptible d'endosser la responsabilité du dommage. Elle avait été dûment inscrite au RC, de sorte qu'elle engageait valablement la société à l'égard des tiers et il lui incombait de veiller personnellement au paiement des cotisations et des contributions paritaires courantes et arriérées. Le fait qu'elle n'ait joué qu'un rôle subalterne en ne gérant pas la société et qu'elle n'ait été, en réalité, qu'un prête-nom, constituait une négligence grave selon la jurisprudence applicable qui engageait sa responsabilité au sens de l'art. 52 de la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants, du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10). Son comportement passif relevait d'une violation des obligations de diligence et de surveillance imposées par le rôle d'administrateur et tombait sous le coup de cette disposition.

B. a. Le 25 mai 2023, l'intéressée a formé recours contre la décision précitée auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans). Elle n'avait jamais employé la directrice au nom de la société, ni ne lui avait versé une quelconque rémunération. Si, pendant son exercice, la directrice avait produit des documents signés de sa part, ceux-ci étaient des faux. L'intéressée a en outre fait valoir que, sur la période de l'année 2020 et alors qu'elle avait encore les moyens d'agir, la caisse ne l'avait pas informée de cette créance. En raison de cette omission, la caisse ne pouvait plus émettre de poursuite à son encontre, mais devait réclamer ce montant aux actionnaires listés au RC.

b. Le 16 juin 2023, l'intimée a informé la chambre de céans que la directrice avait aussi formé opposition à la décision de réparation de dommage qui lui avait été notifiée pour les cotisations paritaires non payées par la société.

c. Dans sa réponse du 18 août 2023, l'intimée, considérant que la recourante n'apportait aucun élément nouveau, a persisté dans les termes de sa décision sur opposition du 26 avril 2023.

d. Par ordonnance du 9 février 2024, la chambre de céans a appelé en cause la directrice (ci-après : l'appelée en cause) et lui a imparti un délai au 23 février 2024 pour se déterminer.

e. L'appelée en cause n'a pas répondu dans le délai imparti.

f. Le 13 février 2024, sur demande de la chambre de céans, l'intimée a produit la décision de réparation du dommage du 27 mars 2023 rendue à l'encontre de l'appelée en cause, l'opposition de cette dernière du 12 avril 2023, ainsi que la décision sur opposition du 29 juin 2023 qui s'en est suivie.

g. La décision sur opposition du 29 juin 2023 susmentionnée n'a pas fait l'objet d'un recours par-devant la chambre de céans et est entrée en force de chose décidée.

h. Le 6 mars 2024, la chambre de céans a transmis à la recourante et à l'appelée en cause les documents ayant trait à la demande de réparation du dommage adressée par l'intimée à l'appelée en cause.

i. Le 20 mars 2024, la recourante a indiqué avoir appris que l'appelée en cause percevait « un salaire conséquent » au mois de juin 2019, lorsque cette dernière lui a demandé de lui remettre une lettre de congé. En outre, en date du 14 mars 2024, l'actionnaire principal de la société l'avait informée que l'appelée en cause était, à la fois, actionnaire et directrice de la société et que sa signature était déposée sur le carton de signatures du compte bancaire de la société. L'appelée en cause avait donc le pouvoir et le devoir de régler tous les paiements, y compris ceux dus aux assurances sociales.

j. Le 25 mars 2024, l'appelée en cause a adressé à la chambre de céans ses bulletins de salaire des mois d'avril et mai 2019 ainsi que ceux d'août et septembre 2017 envoyés depuis les adresses électroniques de la société et d'une entreprise tierce, toutes deux gérées par la recourante. Ces bulletins de salaire avaient été signés par la recourante, démontrant ainsi que cette dernière était responsable du versement des salaires et de la gestion de toutes les démarches liées aux assurances sociales. Elle a aussi produit un courrier du 27 novembre 2019 et la liste des détenteurs d'actions de la société attestant du fait que Monsieur D______ (ci-après : l'actionnaire) était l'actionnaire unique de la société, de sorte qu'elle n'était elle-même qu'une simple salariée qui n'avait jamais eu de rôle dans l'administration de la société.

k. Le 17 avril 2024, faisant suite à l'écriture de la recourante du 20 mars 2024, l'intimée a persisté dans ses conclusions. Le rôle joué par l'appelée en cause ne constituait en aucun cas un facteur permettant d'exclure la responsabilité de la recourante pour le dommage causé à la caisse.

l. Le 6 mai 2024, réagissant à l'écriture de l'appelée en cause du 25 mars 2024, l'intimée a relevé que les déclarations de cette dernière divergeaient complètement de celles de la recourante et que les documents transmis ne permettaient pas d'établir le rôle effectif joué par chacune dans la gestion de la société. Toutefois, le rôle formel de l'appelée en cause et de la recourante permettait de les considérer comme les responsables solidaires du dommage causé. L'intimée a persisté dans ses conclusions pour le surplus.

m. Le 8 mai 2024, faisant manifestement référence à la décision sur opposition du 29 juin 2023 rendue par l'intimée à l'encontre de l'appelée en cause, la recourante a indiqué que la responsabilité pleine et entière de celle-ci avait été reconnue par l'intimée, cette dernière ayant relevé son statut de directrice de la société avec signature individuelle « auprès de la E______ devenue F______ SA » et le fait qu'elle détenait 50% des actions pendant toute la durée de son mandat de directrice, tel que confirmé par l'actionnaire. L'appelée en cause était la seule à avoir accès au compte de la société, de sorte qu'il lui était aisé de prélever chaque mois le montant de son salaire en liquide sans se préoccuper du paiement des charges sociales. Elle était en outre la seule à pouvoir agir pour tout paiement de la société. Par ailleurs, les bulletins de salaires produits par l'appelée en cause étaient des faux. La recourante n'avait pas non plus signé la liste des détenteurs d'actions de la société. Elle ne figurait pas sur le carton de signatures et n'avait jamais eu de procuration sur le compte de la société. Son rôle d'administratrice avec signature individuelle ne constituait qu'un titre honorifique car, lorsqu'elle demandait à être informée sur le bon déroulement de la société, il lui était répondu qu'elle n'avait pas de procuration.

n. Le 22 mai 2024, la chambre de céans a transmis les écritures susvisées aux parties et les a informées que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la LAVS.

Sa compétence ratione materiae pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Selon l’art. 52 al. 5 LAVS, en dérogation à l’art. 58 al. 1 LPGA, le tribunal des assurances du canton dans lequel l’employeur est domicilié est compétent pour traiter le recours. Cette disposition est également applicable lorsque la caisse recherche un organe de l’employeur en réparation du dommage, et ce quel que soit le domicile dudit organe (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 184/06 du 25 avril 2007 consid. 2.3).

La société en cause ayant été domiciliée dans le canton de Genève depuis le 9 novembre 2016 jusqu'au moment de sa faillite, la chambre de céans est également compétente ratione loci.

1.3 Le délai de recours est de trente jours (art. 60 al. 1 LPGA; art. 62 al. 1 de la de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans la forme (art. 61 let. b LPGA) et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

2.             À teneur de l'art. 1 al. 1 LAVS, les dispositions de la LPGA s'appliquent aux art. 1 à 97 LAVS, à moins que la loi n'y déroge expressément.

3.             Le litige porte sur la responsabilité de la recourante dans le préjudice causé à l’intimée, par le défaut de paiement des cotisations sociales entre le 1er janvier 2018 et le 30 juin 2019.

4.             En premier lieu, il convient d’examiner si la prétention de la caisse est prescrite.

4.1 Le 1er janvier 2020 est entrée en vigueur la révision du droit de la prescription de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220), entraînant la modification de l’art. 52 al. 3 LAVS (RO 2018 5343 ; FF 2014 221). Cet alinéa prévoit désormais que l’action en réparation du dommage se prescrit conformément aux dispositions du code des obligations sur les actes illicites.

Selon l’art. 60 al. 1 CO (dans sa teneur en vigueur à compter du 1er janvier 2020), l’action en dommages-intérêts ou en paiement d’une somme d’argent à titre de réparation morale se prescrit par trois ans à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage ainsi que de la personne tenue à réparation et, dans tous les cas, par dix ans à compter du jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé.

Jusqu’au 31 décembre 2019, l’art. 52 al. 3 aLAVS prévoyait que le droit à la réparation se prescrivait deux ans après que la caisse de compensation compétente a eu connaissance du dommage et, dans tous les cas, cinq ans après la survenance du dommage. En renvoyant désormais aux dispositions du CO sur la prescription des actions introduites en cas d’acte illicite, le délai de prescription relatif se trouve porté de deux à trois ans et le délai de prescription absolu de cinq à dix ans. De plus, la prescription plus longue de l’action pénale visée à l’art. 60 al. 2 CO est applicable. Le délai de prescription (NDR : le délai absolu) ne commence plus à courir à la survenance du dommage mais le jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé. Les autres aspects de la prescription, notamment les motifs d’empêchement ou de suspension et les actes interruptifs, sont régis par les art. 130 ss CO (Message du Conseil fédéral relatif à la modification du code des obligations [droit de la prescription] du 29 novembre 2013, FF 2014 221, p. 260).

L’art. 49 Titre final du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) règle de manière générale les questions de droit transitoire en matière de prescription et a été réécrit lors de la révision du droit de la prescription (Message précité, FF 2014 221, pp. 230 et 231). Depuis le 1er janvier 2020, cet article dispose notamment que lorsque le nouveau droit prévoit des délais de prescription plus longs que l’ancien droit, le nouveau droit s’applique dès lors que la prescription n’est pas échue en vertu de l’ancien droit (al. 1). L’entrée en vigueur du nouveau droit est sans effet sur le début des délais de prescription en cours, à moins que la loi n’en dispose autrement (al. 3). Au surplus, la prescription est régie par le nouveau droit dès son entrée en vigueur (al. 4).

Le principe est que le nouveau droit s’applique dès lors qu’il prévoit un délai plus long que l’ancien droit, mais uniquement à la condition que la prescription ne soit pas déjà acquise. En d’autres termes, les délais de prescription en cours sont allongés par le nouveau droit. A contrario, une créance déjà prescrite demeure prescrite (Message précité, FF 2014 221, p. 231). Par ailleurs, même si la prétention bénéficie d’un nouveau délai plus long de prescription, cela n’influence pas le point de départ de la prescription, c’est-à-dire que le délai ne recommence pas à courir au moment de l’entrée en vigueur du nouveau droit. Pour les questions de droit de la prescription autres que celles du début et de la longueur du délai, par exemple les (nouveaux) motifs de suspension et d’interruption, la renonciation à la prescription ou le droit transitoire, seul le nouveau droit est applicable dès son entrée en vigueur pour la période suivant celle-ci et non rétroactivement. Ainsi, les déclarations de renonciation à la prescription valablement faites sous l’ancien droit restent valables sous l’empire du nouveau droit (Message précité, FF 2014 221, p. 254).

Les délais prévus par les art. 52 al. 3 aLAVS et 60 al. 1 CO sont des délais de prescription, de sorte qu'ils ne sont pas sauvegardés une fois pour toutes avec la décision relative aux dommages-intérêts ; le droit à la réparation du dommage au sens de l'art. 52 al. 1 LAVS peut donc aussi se prescrire durant la procédure d'opposition (ATF 135 V 74 consid. 4.2).

Il résulte de la jurisprudence rendue à propos de l’art. 52 al. 3 aLAVS, les éléments qui suivent.

Le dommage survient dès que l'on doit admettre que les cotisations dues ne peuvent plus être recouvrées, pour des motifs juridiques ou de fait (ATF 129 V 193 consid. 2.2 ; 126 V 443 consid. 3a). Ainsi, en matière de cotisations, un dommage se produit au sens de l'art. 52 LAVS lorsque l'employeur ne déclare pas à l'AVS tout ou partie des salaires qu'il verse à ses employés et que, notamment, les cotisations correspondantes se trouvent ultérieurement frappées de péremption selon l'art. 16 al. 1 LAVS. Dans un tel cas, le dommage est réputé survenu au moment de l'avènement de la péremption (ATF 112 V 156 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 35/06 du 4 octobre 2006 consid. 6). Ce jour marque également celui de la naissance de la créance en réparation et la date à partir de laquelle court le délai absolu (ATF 129 V 193 consid. 2.2 ; 123 V 12 consid. 5c).

Un dommage se produit également en cas de faillite, en raison de l'impossibilité pour la caisse de récupérer les cotisations dans la procédure ordinaire de recouvrement. Le dommage subi par la caisse est réputé être survenu le jour de la faillite ; le jour de la survenance du dommage marque celui de la naissance de la créance en réparation et la date à partir de laquelle court le délai absolu (ATF 129 V 193 consid. 2.2 et la référence).

Le dommage survient également lors de la délivrance d’un acte de défaut de biens (Office fédéral des assurances sociales [OFAS], Directives sur la perception des cotisations dans l’AVS, AI et APG [DP], état au 1er janvier 2024, n. 8020). La délivrance d'un acte de défaut de biens établit l'insolvabilité du débiteur. Cela ne signifie toutefois pas uniquement que le débiteur ne peut pas s'acquitter de la créance qui a fait l'objet de l'acte de défaut de biens mais suppose aussi qu'il n'a pas les moyens de payer les autres créances ouvertes qui n'ont fait l'objet d'aucune poursuite. Le créancier peut donc agir contre les organes du débiteur afin d'obtenir le paiement de tout ce que celui-ci lui doit, soit non seulement le montant constaté par l'acte de défaut de biens mais également l'entier des créances ouvertes (arrêt du Tribunal fédéral 9C_115/2021 du 16 décembre 2021 consid. 3.1 et la référence).

Il faut entendre par moment de la « connaissance du dommage », en règle générale, le moment où la caisse de compensation aurait dû se rendre compte, en faisant preuve de l'attention raisonnablement exigible, que les circonstances effectives ne permettaient plus d'exiger le paiement des cotisations, mais pouvaient entraîner l'obligation de réparer le dommage (ATF 129 V 193 consid. 2.1).

Lorsque la caisse subit un dommage à cause de l'insolvabilité de l'employeur mais en dehors de la faillite de celui-ci, le moment de la connaissance du dommage et, partant, le point de départ du délai de prescription coïncident avec le moment de la délivrance d'un acte de défaut de biens ou d'un procès-verbal de saisie valant acte de défaut de biens définitif au sens de l'art. 115 al. 1 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite du 11 avril 1889 (LP - RS 281.1) en corrélation avec l'art. 149 LP, soit lorsque le procès-verbal de saisie indique que les biens saisissables font entièrement défaut (ATF 113 V 256 consid. 3c). C'est à ce moment que prend naissance la créance en réparation du dommage et que, au plus tôt, la caisse a connaissance de celui-ci au sens de l'art. 82 aRAVS (arrêt du Tribunal fédéral H.284/02 du 19 février 2003 consid. 7.2).

S’agissant des actes interruptifs de prescription, il résulte de la jurisprudence rendue à propos de l’art. 52 al. 3 aLAVS les éléments qui suivent.

Les délais de prescription sont interrompus par les actes énumérés à l’art. 135 CO (applicable par analogie) ainsi que par tous les actes adéquats par lesquels la créance en dommages-intérêts est invoquée de manière appropriée à l’encontre du débiteur (arrêts du Tribunal fédéral 9C_641/2020 du 30 mars 2021 consid. 5.3 et la référence ; 9C_400/2020 du 19 octobre 2020 consid. 3.2.1 et la référence). Tant la décision que l’opposition interrompent les délais de prescription (ATF 135 V 74 consid. 4.2.2).

La prescription est notamment interrompue par une action ou une exception devant un tribunal (art. 135 ch. 2 CO par analogie) et recommence à courir lorsque le litige devant l'instance saisie est clos (art. 138 al. 1 CO ; ATF 147 III 419 consid. 5.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_906/2017 du 21 juin 2018 consid. 1.2 ; sur l'application par analogie des dispositions générales selon les art. 135 ss CO, cf. ATF 141 V 487 consid. 2.3 et les références ; 135 V 74 consid. 4.2.1 et les références).

4.2 En l'espèce, en application du droit transitoire, la question du point de départ des délais de prescription doit être tranchée à la lumière du nouveau droit, les faits étant postérieurs à l'entrée en vigueur de l'actuel art. 52 al. 3 LAVS, intervenue le 1er janvier 2020. Il s'en suit que les délais plus longs prévus par l'art. 60 CO s'appliquent au cas d'espèce.

S'agissant du délai relatif de trois ans, le moment de la connaissance du dommage par l'intimée est survenu, en application de la jurisprudence fédérale, en date du 12 février 2021, soit au moment de la délivrance des trois procès-verbaux de saisie valant actes de défaut de biens définitifs au sens des art. 115 al. 1 et 149 LP (ATF 113 V 256 consid. 3c ; arrêt du Tribunal fédéral H.284/02 du 19 février 2003 consid. 7.2), desquels il ressort que les biens saisissables font entièrement défaut. Ce n’est en effet qu’à cette date que l’intimée pouvait savoir qu’elle ne recouvrirait pas les cotisations en souffrance auprès de la société.

S'agissant du délai absolu de dix ans, la prescription n'est manifestement pas atteinte, que l'on retienne que la survenance du dommage est intervenue le 12 février 2021, lors de la délivrance des procès-verbaux de saisie susvisés, ou le 18 novembre 2021, soit le jour de la suspension de la faillite faute d'actifs.

La décision du 27 mars 2023 a ainsi été rendue en temps utile par l'intimée alors que ni la prescription relative, ni la prescription absolue n'étaient acquises.

Par la suite, lesdits délais de prescription ont été interrompus et de nouveaux délais de même durée ont commencé à courir en date des 18 avril 2023 (opposition de la recourante), 26 avril 2023 (décision sur opposition) et 24 mai 2023 (recours de la recourante), et depuis lors, par chaque acte judiciaire des parties de sorte qu’à ce jour, la prescription n’est pas acquise.

5.             L'action en réparation du dommage n'étant pas prescrite, il convient à présent d’examiner si les autres conditions de la responsabilité de l’art. 52 LAVS sont réalisées.

 

5.1  

5.1.1 À teneur de l’art. 52 al. 2 LAVS, si l'employeur est une personne morale, les membres de l'administration et toutes les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à titre subsidiaire du dommage. Lorsque plusieurs personnes sont responsables d'un même dommage, elles répondent solidairement de la totalité du dommage.

S’agissant de la notion d’« employeur », la jurisprudence considère que, si l'employeur est une personne morale, la responsabilité peut s'étendre, à titre subsidiaire, aux organes qui ont agi en son nom, notamment quand la personne morale n’existe plus au moment où la responsabilité est engagée (ATF 123 V 12 consid. 5b ; 122 V 65 consid. 4a). Le caractère subsidiaire de la responsabilité des organes d'une personne morale signifie que la caisse de compensation ne peut agir contre ces derniers que si le débiteur des cotisations (la personne morale) est devenu insolvable (ATF 123 V 12 consid. 5b).

L’art. 52 LAVS ne permet ainsi pas de déclarer l'organe d'une personne morale directement débiteur de cotisations d'assurances sociales. En revanche, il le rend responsable du dommage qu'il a causé aux différentes assurances sociales fédérales, intentionnellement ou par négligence grave, en ne veillant pas au paiement des cotisations sociales contrairement à ses obligations (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 96/05 du 5 décembre 2005 consid. 4.1).

La notion d'organe selon l'art. 52 LAVS est en principe identique à celle qui se dégage de l'art. 754 al. 1 CO.

En matière de responsabilité des organes d'une société anonyme, l'art. 52 LAVS vise en première ligne les organes statutaires ou légaux de celle-ci, soit les administrateurs, l'organe de révision ou les liquidateurs (ATF 128 III 29 consid. 3a ; Thomas NUSSBAUMER, Les caisses de compensation en tant que parties à une procédure de réparation d'un dommage selon l'art. 52 LAVS, in RCC 1991 p. 403).

5.1.2 L'obligation légale de réparer le dommage ne doit être reconnue que dans les cas où le dommage est dû à une violation intentionnelle ou par négligence grave, par l'employeur, des prescriptions régissant l'assurance-vieillesse et survivants (RCC 1978 p. 259 ; RCC 1972 p. 687). Il faut donc un manquement d'une certaine gravité. Pour savoir si tel est le cas, il convient de tenir compte de toutes les circonstances du cas concret (ATF 121 V 243 consid. 4b).

La caisse de compensation qui constate qu'elle a subi un dommage par suite de la non-observation de prescriptions peut admettre que l'employeur a violé celles-ci intentionnellement ou du moins par négligence grave, dans la mesure où il n'existe pas d'indice faisant croire à la légitimité de son comportement ou à l'absence d'une faute (RCC 1983 p. 101).

Selon la jurisprudence constante, se rend coupable d'une négligence grave l'employeur qui manque de l'attention qu'un homme raisonnable aurait observée dans la même situation et dans les mêmes circonstances. La mesure de la diligence requise s'apprécie d'après le devoir de diligence que l'on peut et doit en général attendre, en matière de gestion, d'un employeur de la même catégorie que celle de l'intéressé. En présence d'une société anonyme, il y a en principe lieu de poser des exigences sévères en ce qui concerne l'attention qu'elle doit accorder au respect des prescriptions. Une différenciation semblable s'impose également lorsqu'il s'agit d'apprécier la responsabilité subsidiaire des organes de l'employeur (ATF 108 V 189). Les faits reprochés à une entreprise ne sont pas nécessairement imputables à chacun des organes de celle-ci. Il convient bien plutôt d'examiner si et dans quelle mesure ces faits peuvent être attribués à un organe déterminé, compte tenu de la situation juridique et de fait de ce dernier au sein de l'entreprise. Savoir si un organe a commis une faute dépend des responsabilités et des compétences qui lui ont été confiées par l'entreprise (ATF 108 V 199 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 4.3.2). La négligence grave mentionnée à l'art. 52 LAVS est admise très largement par la jurisprudence (ATF 132 III 523 consid. 4.6).

L’art. 716a al. 1 CO énumère les attributions intransmissibles et inaliénables des membres d’un conseil d’administration. En font partie l’exercice de la haute surveillance sur les personnes chargées de la gestion, pour s’assurer notamment qu’elles observent la loi, les statuts, les règlements et les instructions données (ch. 5). Dans le cadre de l’exercice de cette haute surveillance, l’administrateur répond de la cura in custodiendo. C’est ainsi qu’il a non seulement le devoir d’assister aux séances du conseil d’administration, mais également l’obligation de se faire renseigner périodiquement sur la marche des affaires. Il est tenu de prendre les mesures appropriées lorsqu’il a connaissance ou aurait dû avoir connaissance d’irrégularités commises dans la gestion de la société. Ce devoir de surveillance incombe à tous les membres du conseil d’administration, nonobstant le mode de répartition interne des tâches au sein du conseil d’administration (ATF 114 V 219 consid. 4a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 4.3.3 et les références).

Celui qui appartient au conseil d'administration d'une société et qui ne veille pas au versement des cotisations courantes et à l'acquittement des cotisations arriérées est réputé manquer à ses devoirs (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 96/03 du 30 novembre 2004 consid. 7.3.1, in SJ 2005 I 272 consid. 7.3.1).

La négligence grave est donnée lorsque l'administrateur n'assume pas son mandat dans les faits. Ce faisant, il n'exerce pas la haute surveillance sur les personnes chargées de la gestion, attribution incessible et inaliénable du conseil d'administration conformément à l'art. 716a CO. Une personne qui se déclare prête à assumer ou à conserver un mandat d'administrateur tout en sachant qu'elle ne pourra pas le remplir consciencieusement viole son obligation de diligence (ATF 122 III 195 consid. 3b). Sa négligence peut être qualifiée de grave sous l'angle de l'art. 52 LAVS (ATF 112 V 1 consid. 5b). Un administrateur, dont la situation est à cet égard proche de celle de l’homme de paille, ne peut s'exonérer de ses responsabilités légales en invoquant son rôle passif au sein de la société (arrêt du Tribunal fédéral 9C_289/2009 du 19 mai 2010 consid. 6.2).

Commet également une faute grave celui qui ne démissionne pas de ses fonctions alors qu’il se trouvait, en raison de l'attitude du tiers, dans l'incapacité de prendre les mesures qui s’imposaient s’agissant du paiement des cotisations ou qui se trouvait dans l’incapacité d'exercer son devoir de surveillance (arrêt du Tribunal fédéral 9C_344/2011 du 3 février 2012 consid. 4.3).

Concernant une société anonyme, dont l’administration est confiée à une seule personne, la jurisprudence se montre d’autant plus sévère car on peut en règle générale exiger de celle-ci – dans la mesure où elle assume à elle seule l’administration de la société en sa qualité d’organe – qu’elle contrôle toutes les activités importantes de l’entreprise et cela quand bien même elle a confié l’essentiel de la gestion à un tiers. Par cette délégation de compétence, elle ne peut en même temps se décharger de sa responsabilité d’administrateur unique. Dans les entreprises de petite taille et de grandeur moyenne, le devoir de surveillance concernant l’accomplissement de l’obligation légale de payer des cotisations ne saurait être abandonné à des tiers (arrêt du Tribunal fédéral 9C_437/2009 du 16 avril 2010 consid. 2.2).

La responsabilité d'un administrateur dure en règle générale jusqu'au moment où il quitte effectivement le conseil d'administration et non pas jusqu'à la date où son nom est radié du registre du commerce. Cette règle vaut pour tous les cas où les démissionnaires n'exercent plus d'influence sur la marche des affaires et ne reçoivent plus de rémunération pour leur mandat d'administrateur (ATF 126 V 61 consid. 4a). En d'autres termes un administrateur ne peut être tenu pour responsable que du dommage résultant du non-paiement de cotisations qui sont venues à échéance et auraient dû être versées entre le jour de son entrée effective au conseil d'administration et celui où il a quitté effectivement ces fonctions, soit pendant la durée où il a exercé une influence sur la marche des affaires. Demeurent réservés les cas où le dommage résulte d'actes qui ne déploient leurs effets qu'après le départ du conseil d'administration (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 263/02 du 6 février 2003 consid. 3.2).

5.1.3 La responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS suppose enfin un rapport de causalité (naturelle et) adéquate entre la violation intentionnelle ou par négligence grave des prescriptions et la survenance du dommage. La causalité est adéquate si, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance (ATF 129 V 177 consid. 3.2).

Le lien de causalité adéquate entre le comportement fautif – soit la rétention des cotisations alors même que les salaires sont versés – et le dommage survenu ne peut pas être contesté avec succès lorsque les salaires versés sont tels que les créances de cotisations qui en découlent directement ex lege ne sont plus couvertes (SVR 1995 AHV n° 70 p. 214 consid. 5 ; arrêts du Tribunal fédéral des assurances H 167/05 du 21 juin 2006 consid. 8 et H 74/05 du 8 novembre 2005 consid. 4).

La causalité adéquate peut être exclue, c'est-à-dire interrompue, l'enchaînement des faits perdant alors sa portée juridique, lorsqu'une autre cause concomitante - la force majeure, la faute ou le fait d'un tiers, la faute ou le fait de la victime - constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait pas s'y attendre. L'imprévisibilité de l'acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate ; il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l'amener, en particulier le comportement de l'auteur (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 95/05 du 10 janvier 2007 consid. 4).

Le comportement d'un organe responsable peut, le cas échéant, libérer son coresponsable solidaire s'il fait apparaître comme inadéquate la relation de causalité entre le comportement de ce dernier et le dommage. La jurisprudence se montre stricte à cet égard. Elle précise qu'une limitation (et, a fortiori, une libération) de la responsabilité fondée sur la faute concurrente d'un tiers ne doit être admise qu'avec la plus grande retenue si l'on veut éviter que la protection du lésé que vise, d'après sa nature, la responsabilité solidaire de plusieurs débiteurs, ne soit rendue en grande partie illusoire (arrêt du Tribunal fédéral 9C_779/2020 du 7 mai 2021 consid. 3.2 et les références).

Dans le cas ayant donné lieu à l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_446/2014, la recourante était administratrice d'une société anonyme. Elle ne s'était toutefois jamais souciée des activités de la société et celle-ci avait été administrée par un autre administrateur qui s'était chargé de la comptabilité, des contacts avec la clientèle et les fournisseurs, avait signé des attestations de salaire adressées à la caisse, recevait l'intégralité du courrier de la société, avait engagé du personnel, signait seul (au nom et pour le compte de la société), s'était chargé du versement des salaires et était le seul à disposer de la signature à la banque. Le Tribunal fédéral a retenu, en particulier, que la recourante ne pouvait se retrancher derrière le fait qu'elle ne disposait d'aucun pouvoir décisionnel au sein de la société, ni des qualifications nécessaires pour participer à son administration ou du fait que l'autre administrateur avait pris seul toutes les décisions relatives à la marche des affaires à son insu. En conservant formellement son mandat de gestion qu'elle n'avait jamais assumé dans les faits, la recourante occupait une situation comparable à celle d'un homme de paille, qui se déclare prêt à assumer ou à conserver un mandat d'administrateur d'une société anonyme ou d'associé gérant d'une Sàrl, tout en sachant qu'il ne pourra (ou ne voudra) pas le remplir consciencieusement, violant ainsi son obligation de diligence (arrêt du Tribunal fédéral 9C_446/2014 du 2 septembre 2014 consid. 4.2).

5.2 En l'espèce, la chambre de céans constate que la recourante était administratrice unique de la société du 26 septembre 2017 au 16 décembre 2020, avec signature individuelle. À ce titre, elle avait de plein droit la qualité d'organe de la société (ATF 128 III 29 consid. 3a).

La recourante revêtant la qualité d’organe formel, il convient de déterminer si elle a commis une faute qualifiée ou une négligence grave au sens de l’art. 52 al. 1 LAVS.

Selon l'extrait du RC de la société, l'appelée en cause était directrice de la société, avec pouvoir de signature individuelle, du 4 novembre 2016 au 3 octobre 2019, de sorte que la recourante était administratrice unique pendant toute la période durant laquelle l'appelée en cause a déployé son activité de directrice au service de la société. Il incombait donc à la recourante de nommer et de révoquer l'appelée en cause, ainsi que d'exercer la haute surveillance sur celle-ci, étant rappelé que ces attributions font partie des attributions intransmissibles et inaliénables du conseil d'administration au sens de l'art. 716a al. 1 ch. 4 et 5 CO. La recourante devait, en particulier, veiller personnellement à ce que les cotisations paritaires afférentes aux salaires versés fussent effectivement payées à l'intimée, nonobstant le mode de répartition interne des tâches (arrêt du Tribunal fédéral 9C_437/2009 du 16 avril 2010 consid. 2.2). Son devoir de surveillance impliquait notamment qu'elle devait assister aux séances, se mettre régulièrement au courant de la marche des affaires, exiger des rapports, les étudier minutieusement, au besoin, demander des renseignements supplémentaires, et prendre les mesures appropriées en cas d'irrégularités commises dans la gestion de la société (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_152/2009 du 18 novembre 2009 consid. 6.1).

Les arguments invoqués par la recourante pour tenter de se disculper de toute négligence grave seront examinés ci-après.

Dans un premier moyen, la recourante soutient ne jamais avoir employé ni rémunéré l'appelée en cause pour le compte de la société et que celle-ci aurait en réalité été engagée par les actionnaires à son insu. Si tel était effectivement le cas, force est de constater que, pour ce motif déjà, l'intéressée n'a pas exercé son mandat conformément à l'art. 716a al. 1 ch. 4 et 5 CO. Il apparaît toutefois peu crédible que la recourante n'ait rien su de l'engagement de l'appelée en cause comme directrice de la société, dès lors que, de l'aveu même de la recourante, l'appelée en cause lui a demandé de lui adresser une lettre de congé au mois de juin 2019. Or, il semble peu vraisemblable que l'appelée en cause se soit adressée à la recourante pour obtenir une lettre de congé alors qu'elle aurait été employée par la société à son insu. La question de savoir si la recourante était au courant ou non de l'engagement de l'appelée en cause peut rester ouverte dès lors qu'il lui appartenait de se tenir au courant de la marche des affaires et, en particulier, de savoir qui gérait les affaires courantes de la société si elle ne le faisait pas
elle-même, étant rappelé qu'elle en était l'administratrice unique.

Dans un deuxième moyen, la recourante se prévaut du fait que l'appelée en cause était la seule à avoir accès au compte bancaire de la société, de sorte qu'il lui était facile de prélever chaque mois le montant de son salaire en liquide sans se préoccuper du paiement des charges sociales. Pour sa part, elle ne figurait pas sur le carton de signatures et n'avait jamais eu de procuration sur ce compte bancaire.

La chambre de céans rappellera toutefois que, selon la jurisprudence, un membre du conseil d'administration qui est écarté de la gestion de la société anonyme reste tenu de surveiller les personnes chargées de la gestion et de la représentation, afin que l'activité de la société se déroule conformément à la loi. La violation de ce devoir de surveillance constitue une négligence grave entraînant l'obligation de réparer le dommage subi par la caisse (RCC 1989 p. 115 s. consid. 4). Ainsi, contrairement à ce que soutient la recourante, l'absence de procuration sur le compte bancaire de la société ne permet pas d'écarter sa reponsabilité, ce d'autant plus qu'elle était administratrice unique de la société et que, dans une telle configuration, il était attendu de sa part qu'elle contrôle toutes les activités importantes de l'entreprise, en particulier le paiement des cotisations salariales (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_437/2009 du 16 avril 2010 consid. 2.2).

Ce deuxième moyen tombe donc aussi à faux.

La recourante fait en outre valoir que son rôle d'administratrice avec pouvoir de signature individuelle ne constituait qu'un « titre honorifique » car, lorsqu'elle cherchait à s'informer sur l'activité de la société, il lui était répondu qu'elle n'était pas au bénéfice d'une procuration. Or, si l'intéressée n'était pas en mesure d'exercer, dans les faits, ses fonctions d'administratrice unique au motif que la société était dirigée par les actionnaires, ce qui n'a toutefois pas été démontré au degré de la vraisemblance prépondérante, cette circonstance ne constituerait pas un motif de suppression ou d'atténuation de la faute commise (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_344/2011 du 3 février 2012 consid. 4.2). La recourante devait s’assurer spécifiquement de l’acquittement des cotisations sociales en exigeant la production de pièces l’établissant, en s’adressant, si besoin, à l’intimée. Surtout, en application de la jurisprudence fédérale, si la recourante se trouvait dans l'incapacité de prendre ces mesures, elle aurait dû démissionner sans délai de ses fonctions (arrêt du Tribunal fédéral 9C_446/2014 du 2 septembre 2014 consid. 4.2).

L'absence de rémunération pour l'exercice du mandat d'administratrice invoquée par la recourante vient en outre conforter sa situation d'homme de paille qui accepte et conserve un mandat d'administrateur de la société sans toutefois l'assumer dans les faits. Or, tel que l'a retenu le Tribunal fédéral, un administrateur ne peut se libérer de sa responsabilité en se bornant à soutenir qu'il n'a jamais participé à la gestion de l'entreprise, qu'il n'a participé à la fondation de cette dernière qu'à titre fiduciaire et qu'il n'a jamais perçu de rémunération, prétendant ainsi n'avoir joué qu'un rôle subalterne, car cela constitue déjà en soi un cas de négligence grave (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 13/03 du 21 mai 2003 consid. 3.1).

Par ailleurs, selon la recourante, la demande de réparation du dommage du 27 mars 2023 serait tardive au motif que « sur la période de l'année 2020, [l'intimée] ne lui [avait] jamais fait part de cette créance » alors qu'elle avait encore « les moyens d'agir ». Dès lors, en réagissant tardivement, l'intimée n'était plus en mesure « d'émettre de poursuite » à son encontre et devait réclamer le paiement du montant réclamé aux « actionnaires listés auprès du registre du commerce ».

La chambre de céans constate toutefois que le paiement des décomptes finaux des années 2018 et 2019 a été réclamé à la société respectivement le 19 décembre 2018 et le 13 mars 2020, soit pendant la période où la recourante était encore administratrice unique de la société et était tenue d'exercer la haute surveillance sur les personnes chargées de la gestion de celle-ci. Le décompte du 13 mars 2020 a par ailleurs été adressé à l'attention de la société, mais à l'adresse personnelle de la recourante. Outre le fait que la recourante n'a pas contesté avoir reçu ce décompte, elle n'a pas non plus contesté le montant de la créance susvisée qui ressort des pièces produites par l'intimée. Il sera donc retenu, au degré de la vraisemblance prépondérante, que la recourante a été dûment informée de la créance litigieuse au mois de mars 2020 déjà.

S'agissant de la durée de la responsabilité de l'administrateur qui, selon la jurisprudence, s'étend jusqu'à ce que celui-ci quitte effectivement le conseil d'administration et non pas jusqu'à la date où son nom est radié du registre du commerce (cf. ATF 126 V 61 consid. 4a), la recourante a indiqué qu'elle aurait encore eu les moyens d'agir durant l'année 2020, de sorte que sa responsabilité doit être retenue pour toute la période couverte par la décision litigieuse, soit les cotisations salariales de janvier 2018 à juin 2019.

Enfin, il est constaté que la passivité de la recourante est en relation de causalité naturelle et adéquate avec le dommage subi par l'intimée. En effet, contrairement à ce qu'elle soutient, même dans l'hypothèse, non démontrée dans le cas d'espèce, que les actionnaires auraient employé l'appelée en cause à son insu, ce fait ne présenterait rien de si exceptionnel et imprévisible qu'il reléguerait à l'arrière-plan sa négligence grave. En effet, si la recourante avait correctement exécuté son mandat d'administratrice unique, elle aurait pu constater, à la simple lecture du RC, que l'appelée en cause était inscrite comme directrice de la société depuis le 4 novembre 2016, s'enquérir de sa rémunération et s'assurer que les cotisations d'assurances sociales y afférentes étaient dûment payées.

En définitive, outre le fait que la recourante n'est pas parvenue à démontrer que l'appelée en cause était à la fois directrice et actionnaire de la société, au vu de la liste des détenteurs des actions de la société, datée du 11 octobre 2019 et indiquant que l'actionnaire unique était D______, il apparaît que, quelque ait été le rôle concret de l'appelée en cause dans la marche des affaires de la société, la recourante échoue à démontrer que celui-ci relèguerait à l’arrière-plan son défaut de surveillance et de gestion, étant rappelé que la jurisprudence se montre stricte à cet égard (arrêt du Tribunal fédéral 9C_779/2020 du 7 mai 2021 consid. 3.2 et les références).

5.3 Au vu de ce qui précède, la chambre de céans retiendra que la recourante n'a pas assumé, dans les faits, son mandat d'administratrice unique de la société, de sorte que sa responsabilité, au sens de l'art. 52 LAVS, doit être confirmée.

6.             Il reste à examiner le montant du dommage subi par l'intimée.

6.1 Le montant du dommage correspond à celui pour lequel la caisse de compensation subit une perte. Appartiennent à ce montant les cotisations paritaires (cotisations patronales et d’employés ou ouvriers) dues par l’employeur, les contributions aux frais d’administration, les intérêts moratoires, les taxes de sommation et les frais de poursuite (OFAS, DP, n. 8017). Les éventuelles amendes prononcées par la caisse de compensation ne font pas partie du dommage et doivent le cas échéant être déduites (arrêt du tribunal fédéral des assurances H 142/03 du 19 août 2003 consid. 5.5).

S'agissant des cotisations dues en vertu de la loi instituant une assurance en cas de maternité et d'adoption du 21 avril 2005 (LAMat - J 5 07), par arrêt du 30 janvier 2020, la chambre de céans a jugé qu’il n’existait pas de base légale suffisante pour rechercher les employeurs ou leurs organes pour le dommage résultant du défaut de paiement des cotisations précitées (ATAS/79/2020 du 30 janvier 2020 consid. 14).

L’art. 11A LAMat, entré en vigueur le 1er février 2023, prévoit désormais que l’employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n’observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage au fonds cantonal de compensation de l’assurance-maternité ou à la caisse de compensation AVS est tenu de le réparer. L’art. 52 LAVS s’applique par analogie.

6.2 D’après les principes généraux en matière de droit transitoire, on applique, en cas de changement de règles de droit et sauf réglementation transitoire contraire, les dispositions en vigueur lors de la réalisation de l’état de fait qui doit être apprécié juridiquement et qui a des conséquences juridiques (ATF 140 V 41 consid. 6.3.1 et les références).

Selon la règle de base de droit intertemporel, une règle de droit ne produit un effet que sur les états de fait qui se sont déroulés durant sa période de validité. La règle de base de droit intertemporel permet de déterminer le champ d’application temporel d’une loi et d’attribuer un fait à une loi en fonction du moment de la survenance du fait en question. Ainsi, les faits survenus dès l’entrée en vigueur de la loi, soit durant la période de validité de cette dernière, doivent être saisis par la nouvelle loi, alors que les faits survenus avant ou après la période de validité d’une loi ne peuvent en principe pas être saisis par la loi en question (Milena PIREK, L'application du droit dans le temps et la non-rétroactivité, in Les grands principes du droit administratif, 2022, p. 137).

De cette règle de base de droit intertemporel découlent les deux principes généraux de droit intertemporel auxquels l’ordre juridique suisse est soumis, à savoir le principe de non-rétroactivité des lois et le principe de l’effet immédiat de la loi. Ces principes permettent à l’autorité d’application du droit de déterminer, en l’absence de dispositions légales expresses, le champ d’application temporel d’une loi et donc la loi applicable (PIREK, op cit., p. 137-138).

Parce que la période de validité temporelle d’une loi est délimitée par sa date d’entrée en vigueur et celle de son abrogation, une loi ne peut en principe concerner des faits antérieurs à son entrée en vigueur. C’est ce que prescrit le principe de non-rétroactivité des lois (PIREK, op cit., p. 138).

6.3 En l'occurrence, dans la mesure où la demande en réparation du dommage a été rendue par l'intimée le 27 mars 2023, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de l'art. 11A LAMat, se pose la question de l'application de cette disposition dans le cas d'espèce.

La demande en réparation du dommage susvisée avait pour objet le paiement des cotisations salariales impayées des années 2018 et 2019, y compris des montants relevant de la LAMat, de sorte que l'état de fait ayant fondé cette demande s'est réalisé avant l'entrée en vigueur de l'art. 11A LAMat.

Par conséquent, conformément à la jurisprudence fédérale et en l'absence de disposition particulière de droit transitoire, l'art. 11A LAMat ne s'applique pas dans le cas d'espèce. L'intimée n'était donc pas fondée à réclamer à la recourante le montant correspondant aux cotisations dues en vertu de la LAMat.

Eu égard à ce qui précède, le recours est très partiellement admis. La décision litigieuse du 26 avril 2023 est annulée et la cause doit être renvoyée à l'intimée, afin qu'elle procède à un nouveau calcul du dommage excluant les cotisations impayées fondées sur la LAMat et les autres frais afférents à ces montants, notamment les intérêts moratoires.

Dans le cadre de sa nouvelle décision, l'intimée devra également tenir compte de tout éventuel versement effectué dans l'intervalle par l'appelée en cause, au vu de de la décision sur opposition du 29 juin 2023 rendue à l'encontre de cette dernière.

7.             La recourante, qui obtient très partiellement gain de cause, n'est pas représentée en justice et n'a pas allégué ou démontré avoir déployé des efforts dépassant la mesure de ce que tout un chacun consacre à la gestion courante de ses affaires, n'a pas droit à des dépens.

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario et
89H al. 1 LPA).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet très partiellement.

3.        Annule la décision sur opposition du 26 avril 2023.

4.        Renvoie la cause à l'intimée pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon l’art. 85 LTF, s’agissant de contestations pécuniaires, le recours est irrecevable si la valeur litigieuse est inférieure à 30’000 francs (al. 1 let. a). Même lorsque la valeur litigieuse n’atteint pas le montant déterminant, le recours est recevable si la contestation soulève une question juridique de principe (al. 2). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Julia BARRY

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le