Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/372/2024 du 27.05.2024 ( PC ) , ADMIS
En droit
rÉpublique et | 1.1canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/1666/2023 ATAS/372/2024 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 27 mai 2024 Chambre 6 |
En la cause
A______ représentée par Me Thierry STICHER, avocat
| recourante |
contre
SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES | intimé |
A. a. Madame A______ (ci-après : la bénéficiaire ou la recourante), née le ______ 1979, a bénéficié depuis 2019 de prestations complémentaires familiales (ci-après : PCFam) versées par le service des prestations complémentaires (ci-après : le SPC ou l’intimé). Elle vit avec son compagnon, Monsieur B______, ainsi que leurs deux enfants communs.
b. Le 13 janvier 2023, la caisse de compensation AVS/AI de B______ (ci-après : la caisse de compensation) a informé le SPC de ce qu’elle lui avait octroyé une rente AI rétroactive avec effet au 1er décembre 2018. Elle invitait le SPC à lui faire parvenir une demande de compensation dûment complétée afin qu’une partie du rétroactif puisse lui être versé directement
c. Le 24 janvier 2023, le SPC a adressé à la bénéficiaire, par courrier B, une décision au terme de laquelle il supprimait les PCFam et les subsides d’assurance maladie dès le 31 décembre 2018 et sollicitait la restitution des montants versés à ce titre depuis lors, soit CHF 49'834.-.
d. Le 25 janvier 2023, le SPC a adressé à la caisse une demande de compensation à hauteur de la même somme.
e. La bénéficiaire, ayant sollicité un rendez-vous pour discuter de son dossier, a été reçue par un collaborateur du SPC le 10 mars 2023. À teneur de la note d’entretien interne au service, il lui a été expliqué que la décision d’interruption des PCFam, comportant demande de restitution, était la conséquence de l’octroi d’une rente AI en faveur de son compagnon et de leurs enfants communs. Il était conseillé à la bénéficiaire de demander par écrit au SPC qu’il patiente jusqu’à ce qu’une décision relative aux prestations complémentaires à l’AI (ci-après : PC AI) soit rendue, ce qui permettrait possiblement de rembourser une partie ou la totalité de la somme de CHF 49'834.-.
f. Le 30 mars 2023, la bénéficiaire a formé opposition à la décision du 24 janvier 2023 par l’intermédiaire de son avocat. Elle a conclu à son annulation et à ce que le SPC renonce à toute demande de restitution jusqu’à ce que son compagnon bénéficie effectivement d’une rente et de PC AI et que les rétroactifs y relatifs lui aient été versés.
La bénéficiaire précisait être sans nouvelle de l’OAI depuis un projet d’octroi de rente du 27 septembre 2022 en faveur de son compagnon. Aucune décision ne leur avait par la suite été communiquée, malgré de multiples relances.
g. Le 18 avril 2023, le SPC a rejeté l’opposition au motif que, dès le 27 septembre 2022, date du projet de décision de l’OAI octroyant une rente rétroactive, le compagnon de la bénéficiaire pouvait bénéficier de PC AI, ce qui excluait son droit à des PCFam.
Le SPC précisait encore qu’une décision finale avait été rendue par l’OAI le
5 avril 2023, de sorte que le droit aux PC AI pourrait être calculé dès que le compagnon de la bénéficiaire aurait fourni les pièces demandées.
h. Par courrier du 20 avril 2023, la bénéficiaire a indiqué qu’elle n’avait pas connaissance d’une décision du 5 avril 2023 de l’OAI. Elle en sollicitait donc une copie, soulignant qu’en l’état, elle envisageait de recourir contre la décision sur opposition du SPC, vu qu’elle ignorait quelles prestations lui seraient effectivement octroyées et versées, faute de décision de l’OAI dûment notifiée.
i. Le 26 avril 2023, la bénéficiaire a écrit au SPC que la caisse de compensation lui avait finalement transmis une copie de sa décision du 5 avril 2023 dont l’originale avait été envoyée à une adresse erronée. Elle confirmait en outre que B______ avait reçu le rétroactif de rente prévu par dite décision, sous réserve d’une somme de CHF 49'834.-. Ce montant correspondant à celui dont le SPC demandait la restitution à la bénéficiaire dans sa décision sur opposition du 18 avril 2023, elle demandait la confirmation qu’elle ne devait donc plus rien au SPC.
B. a. Le 16 mai 2023, la bénéficiaire a recouru contre la décision sur opposition du SPC du 18 avril 2023, concluant à son annulation et à la constatation qu’elle ne devait plus aucun montant à titre de restitution. Elle précisait que le recours était déposé pour préserver ses droits dans la mesure où, à l’approche du dernier jour du délai de recours, elle n’avait toujours pas reçu de réponse du SPC à son courrier du 26 avril 2023.
b. Le 2 juin 2023, l’intimé a répondu au recours, concluant à son rejet. Le recours ne comportait aucun argument juridique de fond, mais portait uniquement sur l’exigibilité d’une créance. L’intimé confirmait que la dette de la recourante avait bien été soldée par compensation et que, dès lors, plus aucun montant n’était dû. Le montant remboursé une première fois ne devait pas l’être une seconde fois.
c. Le 8 juin 2023, la recourante a expliqué que ce n’était pas l’exigibilité de la créance qui était contestée, mais son existence même. Au moment de la décision du 24 janvier 2023 du SPC, B______ ne bénéficiait pas encore des prestations AI. En effet, la décision de l’OAI lui octroyant dites prestations n’allait être rendue que le 5 avril 2023. Dans l’intervalle, la créance en restitution n’existait pas encore et il n’était pas non plus justifié d’interrompre le versement des PCFam sur la base d’un simple projet de décision, avant que dit projet ne soit confirmé par une décision formelle.
Cela étant, la recourante prenait bonne note de ce qu’elle obtenait pleinement gain de cause. Elle relevait que son recours avait néanmoins été rendu nécessaire par l’attitude du SPC qui aurait pu l’éviter en répondant, même sommairement, au courrier du 26 avril 2023. Elle concluait donc à l’admission de son recours avec suite de dépens.
d. Le 16 juin 2023, le SPC a observé que le recours était irrecevable dans la mesure où il ne comportait que des conclusions constatatoires et qu’il n’existait aucun intérêt digne de protection à ce que la chambre de céans constate qu’une dette était éteinte par compensation.
De plus, le recours était de toute manière superflu dans la mesure où la recourante aurait pu se rendre compte que le montant qui lui était demandé par le SPC était identique à celui qui avait été retenu en faveur du SPC dans le décompte de la caisse de compensation.
e. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.
1. Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
2.
2.1 Le recours est interjeté dans les forme et délai légaux (art. 60 LPGA). L’intimé conclut cependant à son irrecevabilité du fait qu’il comporte des conclusions constatatoires et qu’il serait de toute manière « superflu ».
2.2 En principe, l'objet d'une demande en justice ne peut porter que sur des questions juridiques actuelles dont les conséquences touchent concrètement le justiciable. La jurisprudence admet cependant la recevabilité d'une action en constatation si le demandeur a un intérêt digne de protection à la constatation immédiate de rapports de droit litigieux. Un intérêt de fait suffit, pour autant qu'il s'agisse d'un intérêt actuel et immédiat. L'intérêt digne de protection requis fait défaut lorsque la partie peut obtenir en sa faveur un jugement condamnatoire; en ce sens, le droit d'obtenir une décision en constatation est subsidiaire. Le juge retiendra un intérêt pour agir lorsqu'une incertitude plane sur les relations juridiques des parties et qu'une constatation judiciaire sur l'existence de l'objet du rapport pourrait l'éliminer. Une incertitude quelconque ne suffit cependant pas. Il faut bien plus qu'en se prolongeant, elle empêche le demandeur de prendre ses décisions et qu'elle lui soit, de ce fait, insupportable (arrêt du Tribunal fédéral 9C_298/2010 du 28 février 2011, consid. 1.1).
En l’espèce, la recourante disposait, au moment du dépôt du recours, d’un intérêt digne de protection à faire constater qu’elle ne devait pas restituer (une nouvelle fois) CHF 49'834.- à l’intimé et que ce montant avait bien été prélevé sur le rétroactif de rente AI versé à son compagnon par la caisse de compensation, de sorte qu’elle ne devait plus rien au SPC.
Le recours n’était en outre pas superflu, dans la mesure où le fait que la dette était éteinte ne ressort nullement de la décision du 18 avril 2023 (qui condamne la recourante à restituer ce montant), l’intimé n’a donné aucune suite à la demande écrite du 26 avril 2023 de l’intéressée visant à clarifier ce point et ce durant l’intégralité du délai de recours et la recourante était légitimée à penser qu’on lui demandait de payer elle-même CHF 49'834.-, au vu notamment de l’entretien qu’elle avait eu avec un collaborateur du SPC le 10 mars 2023 (cf. note interne du SPC).
Le recours n’était donc pas superflu et sa conclusion visant à ce qu’il soit reconnu que l’intéressée ne doit plus aucun montant en restitution au SPC est admissible. Le recours est donc recevable.
3. Le litige porte sur l’existence d’une dette de la recourante envers le SPC à hauteur de CHF 49'834.- suite à l’octroi rétroactif d’une rente AI au compagnon de cette dernière.
4.
4.1 En complément ou en marge des prestations complémentaires fédérales régies par la LPC, le canton de Genève a prévu deux types de prestations complémentaires, ciblant deux catégories distinctes de bénéficiaires, à savoir d’une part les personnes âgées, les conjoints ou partenaires enregistrés survivants, les orphelins et les invalides – bénéficiaires pouvant prétendre le cas échéant au versement de prestations cantonales complémentaires à l'assurance-vieillesse, survivants et invalidité (art. 1 al. 1 et 2 à 36 LPCC) – et d’autre part les familles avec enfant(s) – bénéficiaires pouvant le cas échéant prétendre au versement de prestations complémentaires cantonales pour les familles, soit les PCFam (art. 1 al. 2 et 36A à 36I LPCC).
Selon l’art. 36C al. 1 LPCC, le droit à des prestations complémentaires fédérales, au sens de la LPC, ou à des prestations complémentaires cantonales AVS/AI, excluent le droit à des PCFam.
4.2 Selon l'art. 25 al. 1 LPGA, les prestations indûment touchées doivent être restituées.
5. En l’espèce, la recourante admet à juste titre que suite à l’octroi d’une rente d’invalidité en faveur de son compagnon et de leurs enfants communs elle n’a plus droit à des PCFam. Elle ne conteste pas non plus que, dans la mesure où cet octroi est rétroactif, elle était tenue à restitution des PCFam auprès de l’intimé à hauteur de CHF 49'834.-.
Comme elle le relève cependant, également à juste titre, la dette n’existait pas encore lorsque la décision initiale de l’intimé du 24 janvier 2023 a été rendue. En effet, aucune rente AI n’avait encore été octroyée au compagnon de la recourante et à leurs enfants, la procédure en étant encore au stade d’un projet provisoire d’acceptation de rente rétroactive. La décision d’octroi et le calcul du rétroactif n’interviendront que le 5 avril 2023.
Dès lors, la décision initiale d’interruption des PCFam comportant demande de restitution était prématurée. L’opposition de la recourante était ainsi fondée et aurait dû être admise par l’intimé qui aurait formellement dû annuler la décision et en rendre une nouvelle (à nouveau sujette à opposition) après la décision d’octroi de rente AI du 5 avril 2023.
L’intimé a ainsi erré en rejetant l’opposition de la recourante, laquelle était fondée.
De plus et indépendamment de cette question, la chambre de céans relève que, lorsque l’intimé a rejeté (à tort) l’opposition de la recourante le 18 avril 2023, il avait déjà reçu copie de la décision AI du 5 avril 2023, accompagnée du décompte de la caisse de compensation, indiquant explicitement qu’un montant de CHF 49'834.- avait été retenu en sa faveur.
La dette était ainsi d’ores et déjà éteinte par compensation et n’existait plus, ce que le SPC aurait pu indiquer dans sa décision sur opposition du 18 avril 2023, ou pour le moins en répondant au courrier de la recourante du 26 avril 2023, portant spécifiquement sur ce point. Une simple mention de ces éléments aurait permis à l’intimé de faire formellement état tant du montant de sa demande de restitution (dûment établi et admis par la recourante), tout en rassurant la recourante sur le fait que la créance en résultant avait été éteinte par compensation.
6.
6.1 Ainsi, le recours est admis et la décision sur opposition du 18 avril 2023 est amendée en ce sens que si l’intimé disposait bien d’une créance en restitution à hauteur de CHF 49'834.- à l’encontre de la recourante suite à l’octroi rétroactif d’une rente AI à son compagnon, il est précisé que celle-ci a été éteinte par compensation lors du versement dudit rétroactif.
6.2 Étant donné que la recourante obtient gain de cause, une indemnité de CHF 1'000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens, à charge de l’intimé (art. 61 let. g LPGA ; art. 89H al. 3 LPA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 – RFPA ; RS E 5 10.03).
6.3 Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 LPGA et 89H al. 1 LPA).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. L’admet au sens des considérants.
3. Alloue une indemnité de CHF 1'000.- à la recourante, à charge de l’intimé.
4. Dit que la procédure est gratuite.
5. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Pascale HUGI |
| La présidente
Valérie MONTANI |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le