Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/177/2024 du 20.03.2024 ( AF ) , REJETE
En droit
rÉpublique et | 1.1canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
| ||
A/1962/2023 ATAS/177/2024 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 20 mars 2024 Chambre 8 |
En la cause
A______ représentée par Me Emilie CONTI MOREL, avocate
| recourante |
contre
CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES DES ADMINISTRATIONS ET INSTITUTIONS CANTONALES et F______, appelé en cause
| intimés |
A. a. Madame A______ (ci-après : la recourante ou la mère) a déposé une demande d’allocations familiales en mars 2017 pour la période du
1er février au 31 décembre 2016 s’agissant de ses quatre enfants, soit B______, née le ______ 1994, C______, né le ______ 1996, D______, née le ______ 1997 et E______, née le ______ 2005.
Elle mentionnait être mariée avec F______ (ci-après : l’appelé en cause, le mari ou le père) depuis le 1er septembre 1989 et avoir reçu des allocations de la caisse d’allocations familiales de Bourg en Bresse.
b. Par décision du 7 juin 2017, la caisse d’allocations familiales des administrations et institutions cantonales (ci-après : la caisse) a octroyé à la mère des allocations familiales à titre de complément différentiel international pour les quatre enfants du 1er février au 31 décembre 2016.
Le droit en faveur des trois premiers enfants a pris fin respectivement en octobre 2017, septembre 2018 et février 2022.
B. a. Par mail du 19 septembre 2022, le père a sollicité le virement sur son compte des allocations familiales pour E______. Il expliquait qu’actuellement la prestation était reçue par la mère. Toutefois, l’ordonnance de non-conciliation du 9 février 2022 (recte : 2021) (ci-après : l’ordonnance) lui avait octroyé la garde de leur fille cadette, E______ (ci-après : l’enfant ou la cadette).
Par note manuscrite signée, il a confirmé n’avoir jamais reçu les allocations familiales en sus de la contribution d’entretien de EUR 350.- depuis l’ordonnance.
b. Selon l’ordonnance de non-conciliation du Tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse du 9 février 2021, une requête de divorce avait été déposée le 22 juin 2020 par le mari et les parties avaient été convoquées à une audience de conciliation.
Le tribunal avait déterminé qu’il était compétent pour statuer sur les obligations alimentaires envers les enfants.
S’agissant d’E______, cette dernière avait par courrier fait état de son souhait de vivre à titre principal chez son père, ce qu’elle avait confirmé lors de son audition.
Le maintien de l’autorité parentale conjointe avait été demandée par les parents.
Le tribunal avait fixé la résidence principale de l’enfant au domicile de l’intimé.
En ce qui concernait la contribution d’entretien, au vu de la fixation de la résidence habituelle de l’enfant, le tribunal rappelait que le père sollicitait de la recourante le paiement d’une pension mensuelle de EUR 350.- pour la cadette outre le partage des frais par moitié, ce dernier ayant précisé que la recourante percevait chaque mois CHF 700.- d’allocations familiales. Celle-ci s’y opposait en indiquant qu’elle versait déjà des allocations à l’enfant.
Dans l’ordonnance, il était indiqué :
« La situation des parties se présente actuellement de la manière suivante.
Le père déclare la perception sur 2019 d’un revenu annuel de EUR 95'734.- et sur 2020 d’environ EUR 75'000.- (sans que cette baisse ne soit justifiée). Au titre des charges, outre celles de la vie courante, il déclare supporter la charge du domicile conjugal pour un montant mensuel de EUR 1'470.- et outre ceux mis à sa charge par la présente décision, ainsi que les frais afférents à la scolarité de D______ à hauteur de EUR 800.- et EUR 1'490.- de prêt pour l’école hôtelière.
La mère déclare la perception en 2019 d’un revenu annuel de EUR 125'546.-, EUR 13'040 de retraite de maître de conférence et CHF 3'970.- de revenus locatifs.
Au titre de ses charges, outre celles de la vie courante, elle indique supporter l’imposition suisse de EUR 37'555.-, un loyer de EUR 2'990.- ainsi que les mêmes charges que le père concernant D______, outre les prêts mis à sa charge par la présente décision ».
Sur ces bases, le tribunal a fixé la contribution d’entretien due par la mère pour l’enfant à EUR 350.- par mois sans qu’il y ait lieu à partager des frais la concernant, celle-ci devant être revalorisée au 1er janvier de chaque année afin de tenir compte des variations de l’indice mensuel des prix à la consommation des ménages.
c. Par courrier du 21 septembre 2022, la caisse a interpellé la mère afin qu’elle confirme par écrit son accord pour le versement des allocations familiales au père ou, en cas de désaccord, qu’elle produise les justificatifs de reversement des allocations familiales à ce dernier.
d. Le courrier du 21 septembre 2022 ayant été retourné à la caisse, cette dernière a interpellé la mère par courriel du 18 octobre 2022.
e. Par courriel du 22 octobre 2022, la mère s’est opposée au versement des prestations au père. Elle a fait valoir qu’elle bénéficiait d’un droit de garde classique selon le droit français. Par ailleurs, le tribunal français avait tenu compte du fait qu’elle percevait des allocations familiales en Suisse pour fixer le montant de la pension alimentaire qu’elle versait comme cela était précisé en page 8 de l’ordonnance.
f. Par courriel du 23 octobre 2022, la mère a développé que son mari agissait en violation d’une décision de justice pour obtenir davantage que ce qui lui avait été octroyé par la justice. Elle insistait sur le fait que le juge français avait pris en compte qu’elle percevait des allocations familiales pour calculer la pension alimentaire. Elle précisait que les allocations familiales étant imposées à 22%, l’allocation nette revenait à CHF 312.- et qu’elle versait EUR 358.56 chaque mois. Elle concluait en soulignant qu’elle était pleinement titulaire de l’autorité parentale.
En annexe était joint l’historique de ses virements bancaires à son mari de
EUR 358.56 par mois dès le 1er mai 2022.
g. Par courrier à la caisse du 23 octobre 2022, la mère a relevé être étonnée de la démarche de son mari. Il n’y avait pas de divorce et leurs rapports étaient réglés par une ordonnance. Depuis celle-ci, seul le domicile de l’enfant avait changé, ce qui ne modifiait pas ses droits en vertu des dispositions en matière d’allocations familiales fédérales et cantonales. Elle avait d’ailleurs déjà répondu aux questionnements de la caisse en mai 2021.
Le juge français avait pris en compte le versement des allocations familiales en sa faveur pour fixer la contribution d’entretien, puisque selon le droit français, celles-ci étaient considérées comme des ressources pour le conjoint qui les recevait.
Elle citait une décision du 17 novembre 2010 (décision n° 09-12621) de la Cour de cassation qui énonçait, s’agissant de la détermination de la contribution de chacun des parents à l’entretien et à l’éducation des enfants, que les allocations familiales pouvaient être prises en compte au titre des ressources dont chacun d’eux disposait.
Dans l’esprit du juge français, elle devait continuer à percevoir les allocations familiales suisses. Son mari tentait dès lors comme en mai 2021 de passer outre une décision de justice.
Ce dernier avait fait valoir la perception des allocations pour obtenir une contribution d’entretien plus élevée et, désormais, il tentait de se faire verser les allocations, la privant ainsi selon le droit français de ressources prises en compte pour fixer la pension alimentaire. Si la démarche devait aboutir, il toucherait ainsi EUR 350.- de contribution et CHF 312.- nets d’allocations, ce qui briserait l’équilibre recherché par le juge. Il tentait ainsi d’esquiver la procédure habituelle pour faire réviser une contribution alimentaire.
Les allocations familiales devaient servir à l’entretien et l’éducation de l’enfant. Le juge chargé de fixer la contribution d’entretien devait garantir le respect de ce but. Le montant de EUR 350.- avait été jugé adéquat au vu de leur situation après séparation et en tenant compte de la fiscalité genevoise.
Elle s’opposait dès lors au versement des prestations en faveur de son mari, elle était prioritaire selon les dispositions légales en matière d’allocations familiales. Concrètement, les sommes y relatives étaient reversées sous la dénomination française de « contribution d’entretien ».
Était notamment joint au courrier un formulaire de révision signé en mai 2021 dans lequel elle indiquait ne pas vivre avec son enfant, ce dernier vivant en France avec son autre parent.
h. Par envoi électronique du 4 novembre 2022 et suite à un échange téléphonique avec la caisse, la mère a fait part de son avis quant à l’articulation entre le droit français de la contribution d’entretien et le droit suisse applicable en matière d’allocations familiales. Elle avait pris note que, selon le droit suisse, l’ayant-droit tenu de verser une contribution d’entretien selon un jugement devait verser en sus de celle-ci les allocations familiales. Elle développait que le droit français ne distinguait pas aussi clairement que le droit suisse les allocations familiales et les contributions d’entretien. Les modalités de fixation de la contribution d’entretien étaient différentes en Suisse et en France.
Sur la base du seul droit suisse, la requête du père pouvait être accueillie, mais il fallait comprendre la notion de contribution d’entretien en application du droit français puisque le droit français y était applicable selon les normes internationales. Par conséquent, si le juge français avait souhaité qu’elle reverse les allocations familiales en plus d’une contribution d’entretien, il l’aurait précisé dans son dispositif.
La caisse était tenue d’appliquer l’ordonnance qui avait tenu compte des allocations pour fixer la contribution d’entretien en tant que ressources, celles-ci n’avaient donc pas à être versées en plus.
Un versement en faveur du père constituerait une violation des règles juridiques en la matière.
i. Par mail du 7 novembre 2022, la caisse a indiqué que, selon les dispositions légales en matière d’allocations familiales, celles-ci devaient être versées en plus de la contribution d’entretien. L’ordonnance fixait notamment la résidence principale de l’enfant ainsi qu’une contribution d’entretien à charge de la mère. Par conséquent, depuis mars 2021, cette dernière aurait dû verser au père la contribution d’entretien de EUR 350.- par mois et l’allocation familiale en
CHF 400.-. Un dernier délai lui était fixé pour produire les justificatifs du reversement des allocations familiales au père.
En réponse, la mère a persisté en faisant valoir que les dispositions suisses en matière d’allocations familiales n’étaient applicables que dans la situation où celles-ci étaient déduites du coût d’entretien de l’enfant, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. En ce sens, elle a joint à son mail un arrêt du Tribunal fédéral du
15 juin 2020 qui prévoyait que les allocations familiales devaient être déduites du coût d’entretien de l’enfant afin que le montant reçu par le parent gardien couvre les besoins de l’enfant, mais ne les excède pas. Si elle devait reverser les allocations familiales en plus de la contribution d’entretien, cela excèderait les besoins de l’enfant.
S’en sont suivis des échanges de courriels entre la mère et la caisse, chacune maintenant sa position.
La mère a toutefois demandé si le reversement des allocations des six derniers mois avec preuve de paiement d’ici le 30 novembre 2022 serait suffisant pour la caisse.
L’intimée a répondu que la caisse aurait dû demander la preuve du reversement à compter de mars 2021. La mère avait failli à son obligation d’informer du changement survenu en février 2021 et le père avait déposé une demande tardive en septembre 2022.
La mère a indiqué avoir informé de la situation par l’envoi du formulaire en 2021, ce à quoi la caisse a répondu qu’à défaut d’envoi de l’ordonnance à l’époque, elle avait omis d’instruire. Au vu de ces éléments, elle se contenterait de la preuve du reversement portant sur les six derniers mois afin de poursuivre le versement en ses mains, étant précisé qu’elles devraient continuer à être reversées au père.
j. Par courrier de son conseil du 28 novembre 2023, la recourante a indiqué ne pas avoir reversé les allocations au père car elle n’avait pas à le faire, celles-ci ayant été prises en compte dans ses ressources pour fixer le montant de la contribution d’entretien. Elle citait à l’appui de son argumentation l’arrêt du Tribunal fédéral (5A_ 730/2020 du 21 juin 2021).
k. Par mail du 1er décembre 2022, la caisse a interpellé le père pour qu’il confirme que le juge français avait tenu compte des allocations familiales pour fixer la contribution d’entretien à EUR 350.-.
En réponse, par mail du 2 décembre 2022, le père a indiqué que la mère avait bien été condamnée à verser une contribution d’entretien. Suite à la fixation de résidence habituelle de l’enfant chez lui, la mère, avocate et docteure en droit, aurait dû faire les démarches pour que les allocations familiales lui soient versées, ce d’autant plus que l’enfant n’allait plus chez elle depuis fin mars 2022.
Au moment de la notification de l’ordonnance, la mère touchait des allocations familiales à hauteur de CHF 700.- pour deux des enfants du couple. Si l’ordonnance était notifiée à ce jour, il serait précisé que la mère percevrait
CHF 400.- d’allocations familiales suisses, E______ ayant plus de 16 ans, et non CHF 700.-. Quant à lui, il réclamerait toujours EUR 350.- de pension alimentaire, le partage par moitié étant demandé pour les autres frais, notamment la scolarité qui représentait EUR 6'000.- par an et le coût du permis de conduire environ
EUR 2'500.-. Il avait réclamé tardivement le versement des allocations car il ignorait ses droits auparavant. La mère ne versait aucune autre allocation directe à l’enfant.
l. Par décision du 9 décembre 2022, la caisse a admis la requête du père, considérant que, la mère n’ayant pas reversé les allocations familiales en sus de la contribution d’entretien, l’allocation de formation de l’enfant devait lui être versée dès septembre 2022 (date du dépôt de la demande), ce en application de l’art. 9 de la loi fédérale sur les allocations familiales du 24 mars 2006 (loi sur les allocations familiales, LAFam - RS 836.2).
m. En date du 16 janvier 2023, par l’intermédiaire de son conseil, la mère a formé opposition en sollicitant la restitution de l’effet suspensif car l’exécution immédiate de la décision péjorerait sa situation financière avec le risque de ne pas récupérer les montants qui seraient versés à tort au père. Elle concluait pour le surplus à l’annulation de la décision ainsi qu’au paiement en sa faveur des allocations familiales.
La mère soulignait que, dans la procédure française, le père avait fait valoir qu’elle percevait des allocations familiales mensuelles à hauteur de CHF 700.-, montant qui serait porté à CHF 800.- quand la cadette aurait atteint les 16 ans. Dans le cadre de la procédure française, le père avait envoyé un courrier daté du 18 décembre 2020, qui mentionnait qu’elle : « indique avoir notamment des charges à hauteur de EUR 1'400.- par mois quant à trois des enfants du couple. Elle omet néanmoins de rappeler qu’elle perçoit, en contrepartie la somme de CHF 700.- au titre des allocations familiales suisses qui lui sont versées mensuellement ; montant qui sera porté à CHF 800.- dès les 16 ans d’E______ ». Il a conclu son courrier en maintenant sa demande de versement de EUR 350.- pour E______, correspondant au montant qu’elle percevrait pour sa fille au titre des allocations familiales dès ses 16 ans.
Dans la demande en divorce du 19 juin 2020, le père avait sollicité le versement d’une contribution d’entretien de EUR 350.- pour l’enfant, précisant que la mère « continuerait à percevoir les allocations familiales suisses au titre d’allocation différentielle internationale versée une fois par an. À cet égard, et en vertu de la loi fédérale sur les allocations familiales, il apparaît que le montant mensuel est de CHF 300.- par enfant, augmenté à CHF 400.- par enfant à compter des 16 ans de l’enfant. C’est donc ce montant x 12 qui est versé annuellement à la mère par la caisse suisse d’allocations familiales, pour E______. Il paraît donc logique et cohérent qu’elle soit redevable au titre de l’entretien et de l’éducation de sa fille, de la somme de EUR 350.- ».
La contribution d’entretien avait donc été fixée en tenant compte de l’allocation familiale, le père lui-même était conscient que les allocations familiales continueraient à être versées à la mère comme il l’avait soulevé devant le juge français. La demande de ce dernier de percevoir les allocations familiales était la preuve d’une mauvaise foi crasse qui pourrait être constitutive d’une tentative d’obtention illicite de prestations au sens pénal puisqu’il avait omis de préciser qu’elles avaient été prises en compte pour le calcul de la contribution d’entretien.
En annexe, elle a produit certains échanges avec la caisse, les conclusions du
18 décembre 2020 et la requête en divorce du 19 juin 2020.
n. Par décision du 12 mai 2023, la caisse a rejeté l’opposition.
La caisse développait en particulier que le père contestait que les allocations familiales avaient été prises en compte pour fixer la contribution d’entretien due par la mère. Elle expliquait qu’on ne pouvait pas déduire clairement de l’ordonnance que le juge français avait expressément tenu compte du montant de CHF 400.- correspondant à l’allocation de l’enfant pour fixer les EUR 350.- de contribution d’entretien, de sorte qu’elle ne pouvait pas s’écarter du texte clair des art. 8 LAFam et 285a du Code civil suisse du 10 décembre 1907
(CC - RS 210), lesquels prévoyaient que les allocations familiales devaient être payées en sus de la contribution d’entretien. On ne pouvait pas exiger d’une caisse de se prononcer sur l’art. 8 LAFam après avoir examiné l’interprétation de la notion de contribution telle qu’articulée avec les allocations familiales par un juge étranger. Il n’était par ailleurs pas compréhensible que la mère, juriste spécialisée en droit suisse et au fait de la législation française n’ait pas rendu le juge français attentif à ce point.
o. Par courrier du 24 juillet 2023, l’enfant devenue majeure depuis le 28 janvier 2023 a demandé avec l’accord de son père le versement en ses mains de l’allocation de formation à compter de septembre 2023.
C. a. Par acte du 12 juin 2023, la mère a interjeté recours contre la décision sur opposition auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice
(ci-après : Cour de céans), en concluant, sous suite de frais et dépens, à l’annulation de la décision sur opposition du 12 mai 2023 et à la condamnation de la caisse au versement en ses mains des allocations de formation d’un montant mensuel de CHF 400.- de septembre au 31 décembre 2022, respectivement de CHF 415.- dès le 1er janvier 2023. Elle précise que, depuis leur séparation, son mari et elle habitaient en France, étant précisé qu’elle travaillait en Suisse. Elle fait valoir que la décision litigieuse violait les art. 8 et 9 LAFam, 285a CC et
9 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101)
Elle estimait que la motivation de l’ordonnance démontrait que le juge français avait tenu compte des allocations familiales dans ses revenus pour fixer le montant de la contribution d’entretien, considérant ainsi qu’elle continuerait à percevoir les allocations de formation. Les conclusions de son mari dans le cadre de la procédure française allaient également en ce sens. Par conséquent, si les allocations familiales devaient être versées au père en plus de la contribution d'entretien, le montant total atteindrait près du double des besoins de l’enfant tels que définis par le juge français, ce qui serait contraire aux art. 8 LAFam et
285a CC. Dans la présente affaire, il n’était dès lors pas possible d’appliquer à la lettre l’art. 8 LAFam alors que la contribution d’entretien avait été fixée selon les principes du droit français, il y avait donc lieu de déroger au texte de l’art. 8 LAFam pour que le but du législateur soit respecté, soit que la contribution d'entretien complétée par les allocations familiales couvre les besoins de l’enfant sans les excéder. Les allocations étaient utilisées pour l’entretien de l’enfant puisqu’elles étaient reversées à son mari sous forme de contribution d’entretien. Les conditions de l’art. 9 LAFam n’étaient pas remplies. Une application purement mécanique des art. 8 LAFam et 285a CC conduirait par ailleurs à un résultat arbitraire. Les propos quant à ses qualifications n’avaient pas place dans une décision administrative, étant précisé qu’elle travaillait pour les Services industriels de Genève et n’était pas une spécialiste en droit des assurances sociales. Il ne pouvait donc rien lui être reproché.
Enfin, il était relevé que le père avait eu un comportement contraire à la bonne foi puisqu’il avait réclamé le versement des allocations en ses mains en prétendant qu’elles n’avaient pas été prises en compte dans le calcul du montant de la contribution d’entretien alors qu’il avait lui-même fait part au juge français du fait qu’elle continuerait à les percevoir, raison pour laquelle il lui paraissait logique qu’elle lui verse une contribution de EUR 350.-. Il avait ainsi insisté pour que les allocations soient prises en compte comme revenus de la recourante pour fixer la contribution. Il était donc tout à fait conscient de leur prise en compte.
b. Invitée à se déterminer, la caisse a conclu au rejet du recours. Elle relevait notamment que le chiffre 246 des directives pour l’application de la loi sur les allocations familiales précise que lorsque l’enfant vit avec le parent détenteur de l’autorité parentale et que ce dernier peut prouver que, contrairement à
l’art. 8 LAFam, l’ayant droit ne lui transmet pas dûment les allocations familiales – et non pas la contribution d’entretien – le versement à un tiers doit être autorisé sans autre formalité. Il n’appartenait pas à la caisse d’interpréter les législations étrangères. Le père avait soutenu que l’ordonnance n’avait pas pris en compte les allocations familiales pour fixer le montant de la contribution d’entretien. Vu l’importance de la procédure quant aux droits du père, il serait utile de l’appeler en cause. L’issue de la procédure avait également un impact sur la requête de l’enfant de percevoir directement les allocations à compter de septembre 2023. Il était relevé que, dans son courriel du 4 novembre 2022, la recourante elle-même avait admis que la demande de son mari pouvait être acceptée selon le droit suisse.
c. Par réplique du 23 août 2023, la recourante a persisté. Elle a indiqué accepter le versement des allocations en mains de l’enfant dès septembre 2023, le litige étant limité au versement des allocations de formation de septembre 2022 à juin 2023 inclus. Elle s’opposait à ce que le père de l’enfant soit appelé en cause. S’agissant du fond, elle note que dans son courriel du 1er décembre 2022, la caisse a indiqué : « à la lecture de l’extrait de l’Ordonnance de non-conciliation du
9 février 2021 ci-dessous, il apparaît que les allocations familiales ont bien été prises en compte pour fixer le montant de EUR 350.-. ».
d. Par duplique du 8 septembre 2023, la caisse a conclu au rejet du recours. Elle précise que dans son courriel du 1er décembre 2022, elle a posé une question fermée à laquelle le père avait répondu par la négative, ce qui impliquait que l’allocation devait lui être versée. En acceptant que l’enfant perçoive directement l’allocation à compter de septembre 2023 en plus de la contribution d’entretien, la recourante confirmait l’application de l’art. 8 LAFam. Pour le surplus, le père serait tenu à restitution en cas d’admission du recours, de sorte qu’il se justifiait de l’appeler en cause.
e. Par acte du 27 septembre 2023, la recourante a persisté à s’opposer à l’appel en cause. S’agissant du versement en mains de l’enfant, elle relevait y avoir consenti, car l’ordonnance avait mis à la charge de chacun des parents la moitié des frais d’études de leur fille D______, une solution analogue pour la cadette semblait donc raisonnable. Le versement des allocations en mains de l’enfant revenait à ce que la recourante s’acquitte en partie de cette obligation alimentaire. Toutefois, vu le départ d’E______ au Portugal pour ses études, ville où le coût de la vie est nettement inférieur à Lausanne, cela reviendrait à ce que la recourante finance pratiquement l’entier des études. Vu le changement de situation, elle s’opposait dès lors au versement direct en mains de l’enfant, de sorte qu’elle reprenait ses conclusions initiales, soit que les allocations devaient lui être versées à compter de septembre 2022 jusqu’à la fin de la formation.
f. Par ordonnance du 2 octobre 2023, la Cour de céans a ordonné l’appel en cause du père.
g. Par acte du 19 octobre 2023, le père a conclu au rejet du recours. Sa demande de versement des allocations était justifiée vu qu’il avait obtenu la garde de l’enfant, ce d’autant plus que cette dernière ne s’était plus rendue chez la recourante depuis mars 2022. Elle vivait à temps complet chez lui. Il invoquait les art. 7 let. c et 8 LAFam. La recourante, docteure en droit ayant pratiqué tant au barreau en France qu’en Suisse, savait qu’elle devait lui verser les allocations, ce qu’elle n’avait pas fait, le conduisant à déposer sa demande de versement direct en septembre 2022. Il précisait que les allocations familiales avaient été versées sur le compte de son fils qui, travaillant en Suisse, disposait d’un compte bancaire en francs suisses, ce qui n’était pas son cas. Le juge français n’avait pas tenu compte des allocations familiales pour fixer la contribution d’entretien. D’une part, le juge français n’avait pas à se prononcer sur le sort de prestations suisses. D’autre part, les barèmes pour 2015 et 2018 prévoyaient un montant entre
EUR 600 et 700.- par mois au titre de pension alimentaire pour un enfant. Concrètement, les allocations familiales avaient servi à payer la contribution d’entretien, le solde ayant bénéficié à la seule recourante. Il ne s’était nullement enrichi par la perception des allocations familiales qui avait débuté en septembre 2022 alors qu’elles auraient dû lui être rétrocédées depuis le 9 février 2021. Il devait utiliser une partie de son assurance-vie pour régler les frais importants de l’enfant, soit notamment les frais de scolarité, de permis de conduire, de psychologue, de transport, de vacances, de logement à Lisbonne, d’université, etc., sans compter les charges courantes, ce qui représentait au total environ
EUR 10'000.- en une année sans aucune participation de la recourante. Il n’avait jamais été question que la pension alimentaire inclue les allocations familiales suisses.
En annexe, l’appelé en cause a notamment produit les échanges avec la caisse, des courriers et une attestation de son avocate dans les débuts de la procédure de divorce, les barèmes des pensions alimentaires et les justificatifs de frais pour l’enfant.
Dans son attestation 18 octobre 2023, le conseil de l’appelé en cause a indiqué qu’il n’avait jamais été prévu que la contribution d’entretien prendrait en compte les allocations familiales suisses, puisque que le juge français n’avait pas à se prononcer sur des prestations relevant d’un droit étranger. Cela était d’autant plus vrai qu’en l’espèce la contribution d’entretien de EUR 350.- était dérisoire au vu des montants habituellement fixés. Il n’existait pas de barèmes actualisés pour les années 2021 et suivantes, mais elle estimait qu’une somme entre EUR 700.- et 1'000.- aurait été dû être payée par la recourante.
h. Invitées à se déterminer la caisse et la recourante ont persisté.
S’agissant des observations de l’appelé en cause, la recourante a relevé que ce dernier tentait par sa demande de versement de faire indirectement réviser la contribution d’entretien fixée par le juge français. Par ailleurs, les barèmes invoqués n’étaient qu’indicatifs. Le fait que l’appelé en cause prenne seul en charge les frais de l’enfant était prévue par l’ordonnance. Il ressortait par ailleurs de ses propres écritures dans le cadre de la procédure française que tant son conseil que lui avaient tenu compte des allocations familiales dans les revenus de la recourante pour fixer le montant de EUR 350.- réclamé à titre de pension alimentaire.
1. La chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la LAFam. Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. e de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), sur les contestations prévues à l'art. 38A de la loi cantonale sur les allocations familiales du 1er mars 1996 (LAF - J 5 10).
En dérogation à l'art. 58 al. 1 et 2 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1), les décisions prises par les caisses de compensation pour allocations familiales peuvent faire l'objet d'un recours devant le tribunal des assurances du canton dont le régime d'allocations familiales est appliqué (art. 22 LAFam).
En l'espèce, la décision querellée a été prise par l'intimée, sise à Genève, qui applique, en sus de la loi fédérale, le régime genevois d'allocations familiales.
La compétente ratione materiae et loci de la chambre de céans est ainsi établie.
2. Selon l'art. 2B LAF, les prestations prévues par la LAF sont régies par : la LAFam et ses dispositions d'exécution (let. a) ; la LPGA et ses dispositions d'exécution, dans la mesure où la LAFam ou la LAF y renvoie (let. b) ; la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 et ses dispositions d'exécution, dans la mesure où la LAFam ou la LAF y renvoie (let. c) ; la LAF et ses dispositions d'exécution (let. d).
Interjeté dans les forme et délai prévus par la loi, le recours est recevable
(art. 56 ss LPGA et 38A LAF).
3. Le litige porte sur le droit de l’appelé en cause à percevoir directement les allocations familiales à compter de septembre 2022 en lieu et place de la recourante.
4.
4.1 Au vu des éléments d'extranéité du litige, il convient en préambule de préciser ce qui suit.
Les relations entre la Suisse et l'Union européenne sont régies par l'accord du 21 juin 1999 entre, d'une part, la Confédération suisse et, d'autre part, la Communauté européenne et ses États membres sur la libre circulation des personnes (ALCP 0.142.112.681) et le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, modifié par le règlement (CE) n° 988/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 (RS 0.831.109.268.1).
L'art. 2 du règlement n° 883/2004 circonscrit son champ d'application personnel aux ressortissants de l'un des États membres, aux apatrides et aux réfugiés résidant dans un État membre qui sont ou ont été soumis à la législation d'un ou de plusieurs États membres, ainsi qu'aux membres de leur famille et à leurs survivants
4.2 Selon l'art. 11 par. 3 let. a du règlement n° 883/2004, la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un État membre est, sous réserve des art. 12 à 16, soumise à la législation de cet État membre. Cette disposition fait du lieu de travail le critère principal de rattachement et consacre le principe de la lex loci laboris. L'État d'emploi est alors seul compétent en vertu du principe de l'unicité de la législation applicable prévu à l'art. 11 par. 1 dudit règlement, selon lequel les personnes auxquelles le règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation d'un seul État membre (ATF 142 V 192 consid. 3.1).
4.3 Partant, dès lors que la mère de l’enfant bénéficiaire des allocations familiales litigieuses travaille en Suisse, le droit aux allocations familiales se détermine à l'aune du droit suisse. Ce principe est du reste consacré par les art. 24 LAFam qui règle les relations avec le droit européen et l'art. 3C LAF qui, se référant à l'Accord sur la libre circulation des personnes, stipule que l'État dans lequel est exercée l'activité lucrative est compétent pour verser les allocations familiales.
4.4 L’enfant bénéficiaire des prestations litigieuses étant domiciliée en France,
l'art. 7 al. 1 de l'ordonnance sur les allocations familiales (OAFam - RS 836.21) dispose que pour les enfants ayant leur domicile à l'étranger, les allocations familiales ne sont versées que si une convention internationale le prévoit, ce qui est bien le cas en l'espèce.
5.
5.1 En droit fédéral, les allocations familiales sont des prestations en espèces, uniques ou périodiques, destinées à compenser partiellement la charge financière représentée par un ou plusieurs enfants (art. 2 LAFam – art. 4 al.1 LAF sur le plan cantonal). L'allocation familiale comprend l'allocation pour enfant (qui est octroyée dès et y compris le mois de la naissance de celui-ci, jusqu'à la fin du mois au cours duquel il atteint l'âge de 16 ans) et l'allocation de formation professionnelle (qui est octroyée au plus tard, en cas de formation, jusqu'à l'âge de 25 ans ; art. 3al. 1 LAFam).
5.2 Selon l'art. 4 al. 1 LAFam, dont la teneur est reprise sur le plan cantonal à l'art. 3 al. 1 let. a LAF, donnent droit aux allocations, notamment, les enfants avec lesquels l'ayant droit a un lien de filiation en vertu du Code civil (let. a).
5.3 L'art. 6 LAFam prévoit que le même enfant ne donne pas droit à plus d'une allocation du même genre (interdiction du cumul). C'est pourquoi l'art. 7 al. 1 LAFam prévoit un ordre de priorité lorsque plusieurs personnes peuvent faire valoir un droit aux allocations familiales pour le même enfant en vertu d'une législation fédérale ou cantonale. Ainsi, le droit appartient, dans l'ordre, à la personne qui exerce une activité lucrative (let. a), à la personne qui détient l'autorité parentale ou qui la détenait jusqu'à la majorité de l'enfant (let. b), à la personne chez qui l'enfant vit la plupart du temps ou vivait jusqu'à sa majorité (let. c), à la personne à laquelle est applicable le régime d'allocations familiales du canton de domicile de l'enfant (let. d), à la personne dont le revenu soumis à l'AVS est le plus élevé (let. e) ; à la personne dont le revenu soumis à l'AVS et provenant d'une activité lucrative indépendante est le plus élevé (let. f).
5.4 L'ayant droit tenu, en vertu d'un jugement ou d'une convention, de verser une contribution d'entretien pour un ou plusieurs enfants doit, en sus de ladite contribution, verser les allocations familiales (art. 8 LAFam). Cette disposition correspond à l'art. 285a CC, dans sa teneur en force depuis le 1er janvier 2017
Une convention ou un jugement de divorce peut prévoir à quelle personne revient en fin de compte le montant des allocations familiales et éventuellement à quelles fins celui-ci sera utilisé (paiement des primes d'assurance-maladie, habillement, etc.). L'ayant droit prioritaire en revanche est toujours déterminé conformément à l'art. 7 LAFam (Directives pour l'application de la loi fédérale sur les allocations familiales LAFam [DAFam] ch. 404.1).
Les allocations familiales doivent être affectées à l'entretien des enfants exclusivement et, en droit civil, l'obligation d'entretien des père et mère (en nature et/ou en espèces) est indépendante de la garde (cf. art. 276 et 285 CC). Ainsi, lorsque l'ayant droit prioritaire ne cohabite pas avec ses enfants, il doit verser une contribution d'entretien en faveur de ces derniers et est tenu de reverser les allocations familiales au parent gardien, le bénéficiaire final de celles-ci étant les enfants. La qualité d'ayant droit prioritaire des allocations familiales et des suppléments, qui y sont rattachés, ne dépend point de l'attribution de la garde (ATAS/298/2019 du 4 avril 2019 consid. 17).
5.5 Selon l'art. 20 al. 1 LPGA, l'assureur peut verser tout ou partie des prestations en espèces à un tiers qualifié ou à une autorité ayant une obligation légale ou morale d'entretien à l'égard du bénéficiaire, ou qui l'assiste en permanence lorsque : le bénéficiaire n'utilise pas ces prestations pour son entretien ou celui des personnes dont il a la charge, ou s'il est établi qu'il n'est pas en mesure de les utiliser à cet effet (let. a), et que lui-même ou les personnes dont il a la charge dépendent de ce fait de l'assistance publique ou privée (let. b).
Selon l'art. 9 al. 1 LAFam, si les allocations familiales ne sont pas utilisées en faveur de la personne à laquelle elles sont destinées, cette personne ou son représentant légal peut demander, en dérogation à l'art. 20 al. 1 LPGA, que les allocations familiales lui soient versées directement, même si elle ne dépend pas de l'assistance publique ou privée.
L'art. 9 LAFam doit garantir que les allocations sont effectivement utilisées pour l'entretien de l'enfant ; c'est dans ce but que le versement à un tiers (la personne ou l'autorité qui s'occupe de l'enfant, ou l'enfant majeur lui-même) doit être possible (FF 2004 6459 p. 6478). Cette disposition déroge ainsi à l'art. 20 al. 1 LPGA en ce sens qu'il n'est pas nécessaire que le détournement des prestations ait pour conséquence de faire dépendre le bénéficiaire des prestations ou les personnes dont il a la charge de l'assistance publique ou privée (art. 20 al. 1 let. b LPGA). S'il est exposé de façon convaincante que les allocations familiales ne sont pas dûment transmises et si l'ayant droit n'apporte pas la preuve du contraire, il faut autoriser le versement à un tiers.
Ces principes sont repris sur le plan cantonal à l'art. 11 LAF aux termes duquel les allocations familiales sont payées, en général, au bénéficiaire (al.1). Les allocations peuvent être payées, sur demande motivée, à un tiers ou à une autorité si le bénéficiaire ne les utilise pas ou risque de ne pas les utiliser pour l'entretien de l'enfant (al.2). L'allocation de formation professionnelle peut, sur demande motivée, être versée directement à l'enfant âgé de plus de 18 ans (al.3).
L’art. 9 LAFam vise uniquement à régler la situation pour l’avenir et ne peut pas fonder un droit au versement rétroactif des prestations déjà versées à l’ayant droit avant le dépôt de la demande (CASSO AF 1/21 – 1/2022 du 23 juin 2022
consid. 6c) ; c’est uniquement lorsque les prestations n’ont pas encore été servies à l’ayant droit qu’un versement rétroactif de prestations échues peut intervenir, la caisse devant en principe les retenir lorsqu’une demande de versement en mains de tiers est déposée (cf. ch. 246 DAFam).
Lorsque l'enfant vit avec le parent qui en a la garde et que ce dernier peut prouver que, contrairement à l'art. 8 LAFam, l'ayant droit ne lui transmet pas dûment les allocations familiales, le versement à un tiers doit être autorisé sans autre formalité. Il n'est en particulier pas nécessaire de vérifier au préalable que le parent qui a la garde et qui demande le versement à un tiers utilise les allocations en faveur de l'enfant : cette tâche est réservée à l'autorité de protection de l'enfant. Il ne peut être exigé, dans des situations précaires, que la caisse d'allocations familiales procède à un examen préalable de l'utilisation de l'argent conforme aux besoins (cf. ATF 144 V 35 consid. 5.3 p. 39 ss). Dans le cas jugé, les parents étaient séparés et le père était judiciairement condamné à contribuer à l'entretien des enfants qui vivaient avec leur mère. Il devait ainsi transférer également les allocations familiales à celle-ci en vertu de l'art. 8 LAFam. Le père n'a pas satisfait à cette obligation au motif que la mère ne les utilisait pas pour les besoins des enfants, tandis que lui, il finançait avec les allocations familiales leurs vacances, activités de loisirs, vêtements et matériels scolaires. Selon le Tribunal fédéral, les allocations familiales doivent être versées au parent chargé de les utiliser pour l'entretien, respectivement les besoins de la personne à qui elles sont destinées. Lorsque les parents sont séparés et l'enfant ne vit pas chez l'ayant droit des allocations familiales, une utilisation non conforme aux besoins de la personne à laquelle les allocations sont destinées doit être admise dès que l'ayant droit ne les transfère pas au parent qui a la garde. Il n'appartient pas à la caisse d'allocations familiales, respectivement au juge, d'entrer en matière sur les disputes des parents concernant l'utilisation concrètes des allocations familiales.
6. Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible ; la vraisemblance prépondérante suppose que, d'un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l'exactitude d'une allégation, sans que d'autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n'entrent raisonnablement en considération (ATF 139 V 176 consid. 5.3 et les références). Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 360 consid. 5b ; 125 V 195 consid. 2 et les références ; ATF 130 III 324 consid. 3.2 et 3.3). Aussi n'existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré (ATF 126 V 322 consid. 5a).
7. Si l'administration ou le juge, se fondant sur une appréciation consciencieuse des preuves fournies par les investigations auxquelles ils doivent procéder d'office, sont convaincus que certains faits présentent un degré de vraisemblance prépondérante et que d'autres mesures probatoires ne pourraient plus modifier cette appréciation, il est superflu d'administrer d'autres preuves (appréciation anticipée des preuves ; ATF 122 II 469 consid. 4a ; 122 III 223 consid. 3c). Une telle manière de procéder ne viole pas le droit d'être entendu selon l'art. 29 al. 2 Cst. (SVR 2001 IV n. 10 p. 28 consid. 4b), la jurisprudence rendue sous l'empire de l'art. 4 aCst. étant toujours valable (ATF 124 V 94 consid. 4b ; 122 V 162 consid. 1d).
8. Le principe inquisitoire, qui régit la procédure dans le domaine de l'assurance sociale (cf. art. 43 al. 1 et 61 let. c LPGA), exclut que la charge de l'apport de la preuve (« Beweisführungslast ») incombe aux parties, puisqu'il revient à l'administration, respectivement au juge, de réunir les preuves pour établir les faits pertinents. Dans le procès en matière d'assurances sociales, les parties ne supportent en règle générale le fardeau de la preuve que dans la mesure où la partie qui voulait déduire des droits de faits qui n'ont pas pu être prouvés en supporte l'échec. Cette règle de preuve ne s'applique toutefois que s'il n'est pas possible, dans les limites du principe inquisitoire, d'établir sur la base d'une appréciation des preuves un état de fait qui correspond, au degré de la vraisemblance prépondérante, à la réalité (ATF 128 V 218 consid. 6 ; ATF 117 V 261 consid. 3b ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_632/2012 du 10 janvier 2013
consid. 6.2.1).
9. L'objet du litige dans la procédure administrative subséquente est le rapport juridique qui - dans le cadre de l'objet de la contestation déterminé par la décision - constitue, d'après les conclusions du recours, l'objet de la décision effectivement attaquée. D'après cette définition, l'objet de la contestation et l'objet du litige sont identiques lorsque la décision administrative est attaquée dans son ensemble. En revanche, lorsque le recours ne porte que sur une partie des rapports juridiques déterminés par la décision, les rapports juridiques non contestés sont certes compris dans l'objet de la contestation, mais non pas dans l'objet du litige (ATF 125 V 414 consid. 1b et 2 et les références citées).
10.
10.1 En l'espèce, la décision entreprise confirme celle du 9 décembre 2022 qui a considéré que l’allocation de formation de l’enfant devait être versée en mains du père car la mère, condamnée au versement d’une contribution d’entretien, ne lui avait pas reversé les allocations familiales.
La caisse considère que la recourante devait reverser les allocations familiales au père, celles-ci devant être versées en sus de la contribution d’entretien conformément aux dispositions légales en la matière. À défaut de reversement, elle avait ordonné le versement en mains du père.
La recourante fait valoir que, selon les principes du droit français, le juge français a tenu compte des allocations familiales dans ses revenus pour calculer la contribution d’entretien, de sorte qu’elles ne peuvent pas être versées au père. Le versement à son mari des allocations familiales en sus de la contribution d’entretien excéderaient les besoins de l’enfant. En tout état de cause, les allocations familiales étaient reversées au père par le versement de la contribution d’entretien. Une application des art. 8 LAFam et 285a CC sans tenir compte des spécificités du cas d’espèce était arbitraire.
Le père fait valoir qu’il aurait droit au versement des allocations familiales en invoquant les art. 7 al. 1 let. c et 8 LAFam.
10.2 L’objet du litige est de déterminer si l’intimée avait le droit de verser les prestations au père de l’enfant à compter de septembre 2022, date du dépôt de sa demande. La requête de l’enfant devenue majeure qui a sollicité le versement des indemnités à compter de septembre 2023 sort du cadre du litige et devra êetre tranchée par l’intimée.
10.3 S’agissant de l’art. 7 LAFAm, il n’est pas applicable en l’espèce puisque seule la mère peut faire valoir un droit aux allocations familiales suisses.
10.4 Reste dès lors à examiner l’applications des art. 8 et 9 LAFAm ainsi que de l’art. 285a CC en regard de l’ordonnance de non-conciliation.
Certes, il apparaît que, dans le cadre de la procédure de divorce, le père a fait état à de réitérées reprises du fait que la recourante percevait et continuerait à percevoir des allocations familiales suisses afin d’argumenter sa demande de contribution d’entretien pour l’enfant devant le juge français. La recourante s’étant pour sa part opposée à cet octroi invoquant qu’elle versait déjà des allocations à l’enfant.
À la lecture de l’ordonnance, après avoir rappelé les allégations des parties, le juge a fixé leur situation de la manière suivante :
« Le père déclare la perception sur 2019 d’un revenu annuel de EUR 95'734.- et sur 2020 d’environ EUR 75'000.- (sans que cette baisse ne soit justifiée). Au titre des charges, outre celles de la vie courante, il déclare supporter la charge du domicile conjugal pour un montant mensuel de EUR 1'470.- et outre ceux mis à sa charge par la présente décision, ainsi que les frais afférents à la scolarité de D______ à hauteur de EUR 800.- et EUR 1'490.- de prêt pour l’école hôtelière.
La mère déclare la perception en 2019 d’un revenu annuel de EUR 125'546.-, EUR 13'040.- de retraite de maître de conférence et CHF 3'970.- de revenus locatifs.
Au titre de ses charges, outre celles de la vie courante, elle indique supporter l’imposition suisse de EUR 37'555.-, un loyer de EUR 2'990.- ainsi que les mêmes charges que le père concernant D______, outre les prêts mis à sa charge par la présente décision.
Compte tenu de ces éléments, il convient de fixer la contribution de la mère à l’entretien et l’éducation d’E______ à la somme de EUR 350.- sans qu’il n’y ait lieu à partage des frais la concernant et s’agissant de D______, au partage par moitié à chacun des parents des frais de scolarité et de logement la concernant ».
Dès lors, force est de constater que le juge français n’a tenu compte que des revenus découlant des activités professionnelles de chacun des parents et n’a pas comptabilisé les allocations familiales dont il ne fait même pas état dans son analyse de la situation financière.
Par conséquent, la recourante ne peut pas être suivie quand elle allègue que le juge français a expressément tenu compte des allocations familiales dans ses revenus pour fixer la contribution d’entretien pour l’enfant, puisque cela ne ressort pas de l’ordonnance.
La recourante fait également valoir qu’en réglant la contribution d’entretien, elle a reversé les allocations familiales.
Ce grief est également infondé.
En effet, conformément aux principes rappelés ci-dessus, les allocations familiales sont distinctes de la contribution d’entretien, elles n’ont pas pour but de remplacer le devoir du parent qui n’a pas la garde.
Par ailleurs, les art. 8 LAFam et 285a CC prévoient expressément que l’ayant droit, soit en l’espèce la recourante, tenue de verser une contribution d’entretien pour un enfant in casu en vertu de l’ordonnance de non-conciliation, doit en sus verser les allocations familiales.
L’argument de la recourante selon lequel le versement au père de l’allocation de formation en plus de la contribution d’entretien excéderait les besoins de l’enfant doit également être rejeté et ce pour plusieurs raisons.
D’une part, cela semble peu probable vu le montant de la contribution d’entretien de EUR 350.- qui apparaît comme faible au vu des tables produites comme référence, de l’âge de l’enfant et des revenus de la recourante.
D’autre part, le cas échéant, il s’agirait d’une question relevant de la révision du droit à la contribution d’entretien, laquelle n’est pas l’objet du litige.
À cela s’ajoute que le père a affirmé que l’enfant n’était plus retournée chez sa mère à compter de mars 2022, ce que la recourante n’a pas contesté, de sorte que l’enfant est à la seule charge du père depuis lors.
Il est par ailleurs établi et non contesté que la recourante s’est limitée à régler la contribution d’entretien et n’a jamais reversé les allocations familiales au père de l’enfant.
Au vu de ce qui précède, la décision de la caisse étant conforme aux principes et dispositions en la matière, le recours sera rejeté.
11. La procédure est gratuite (art. 61 let f bis LPGA a contrario et 89H al.1 LPA).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. Le rejette.
3. Dit que la procédure est gratuite.
4. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Pascale HUGI |
| La présidente suppléante
Marie-Josée COSTA |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le