Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/165/2024 du 14.03.2024 ( CHOMAG ) , ADMIS/RENVOI
En droit
rÉpublique et | 1.1canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/751/2023 ATAS/165/2024 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 14 mars 2024 Chambre 5 |
En la cause
A______
| recourant |
contre
OFFICE CANTONAL DE L'EMPLOI
| intimé |
A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré ou le recourant), né en ______ 1971, de nationalité française et de langue maternelle slovaque, célibataire et sans enfant, a obtenu divers certificats et diplômes en France, en Slovaquie et en Ukraine.
b. L’assuré a travaillé notamment en tant que majordome, chauffeur ainsi que dans le domaine de la sécurité, dans différents pays, dont la Suisse.
c. À la suite de l’inscription de l’assuré auprès de l’office cantonal de l’emploi (ci‑après : l'OCE ou l'intimé), ce dernier a nié son droit à l’indemnité dès le 1er avril 2020, au motif qu’il n’avait pas sa résidence habituelle à Genève à compter de cette date (décision sur opposition du 27 avril 2021, entrée en force).
B. a. Depuis le 16 novembre 2020, l’assuré est au bénéfice d’une autorisation de séjour (B) en Suisse, dans le but d’y exercer une activité lucrative, valable jusqu’au 15 novembre 2025. L’adresse de l’assuré, mentionnée sur ladite autorisation, est route de Flendruz 3, 1659 Rougemont.
b. Du 16 novembre 2020 au 30 novembre 2021, l’assuré a travaillé dans le canton de Vaud pour Madame B______, en tant que majordome et chauffeur (cf. certificat de travail daté du 30 novembre 2021, pièce 4 chargé intimé).
c. Suite à la résiliation de son contrat de travail, l’assuré s’est inscrit au service de l’emploi du canton de Vaud, où un délai-cadre du 1er décembre 2021 au 30 novembre 2023 a été ouvert en sa faveur. L’assuré y a perçu des indemnités journalières calculées sur un gain assuré de CHF 6'845.-.
d. Le 1er juin 2022, l’assuré s’est réinscrit auprès de l’OCE à Genève, en sollicitant le transfert de son dossier du canton de Vaud. Il a déclaré être domicilié c/o Monsieur C______, à la route D______, 1283 La Plaine.
e. Par courriel du 2 juin 2022, l’office régional de placement (ci-après : l’ORP) de Genève a signalé à l’assuré qu’il n’était pas valablement inscrit auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : l’OCPM), puisqu’il y figurait avec le statut « quitté ». Un délai au 2 juillet 2022 lui était octroyé pour annoncer son arrivée à Genève auprès de l’OCPM.
f. Par décision du 28 juin 2022, la caisse cantonale de chômage du canton de Vaud a requis de l’assuré la restitution de prestations versées à tort, au motif que selon l’attestation du contrôle des habitants, il avait quitté le canton de Vaud le 31 mars 2022 pour s’établir à Genève. Par conséquent, il ne remplissait plus les conditions du droit à l’indemnité dès le 1er avril 2022.
g. Le 5 juillet 2022, la caisse cantonale genevoise de chômage (ci-après : CCGC) a constaté que l’assuré figurait toujours avec le statut « quitté » dans le fichier informatisé de l’OCPM.
h. Par courriel du 15 août 2022, l’assuré a été informé de l’existence de doutes sur le lieu de son domicile, de sorte que son dossier avait été soumis à l’OCE, pour décision. Un délai au 22 août 2022 lui était octroyé pour répondre à une liste de questions et fournir les documents requis.
i. Par courriel du 22 août 2022, l’assuré a répondu habiter à la route D______, La Plaine, dans un appartement de 3 pièces, chez M. C______, un ami de longue date qui l’aidait dans sa situation difficile et le logeait gratuitement ; à compter du 1er juin 2022, il n’avait pas résidé en France et avait habité exclusivement en Suisse ; il n’était ni propriétaire, ni locataire d’un bien en France ; il ne possédait pas de véhicule ; il avait été affilié à la LAMal mais étant donné qu’il ne percevait plus d’indemnités journalières chômage, il ne pouvait plus payer les primes ; depuis plusieurs années, il travaillait en Suisse où il avait payé ses impôts et ses charges sociales.
Il a joint une copie de la facture établie par son opérateur téléphonique Yallo (Zürich) pour le mois de juillet 2022 ainsi que la copie d’une facture des SIG pour le mois de juillet 2022 adressée à M. C______.
j. Par courriel du 30 août 2022, Monsieur E______, conseiller juridique en Slovaquie, a souligné notamment que l’assuré, soit son client, vivait exclusivement en Suisse. Il a produit une copie du contrat de bail signé par M. C______.
k. À la demande de l’OCE, l’OCPM a effectué une enquête auprès de diverses administrations et rendu un rapport d’entraide administrative daté du 26 septembre 2022, concluant que l’assuré n’était pas présent « actuellement et de manière permanente » à l’adresse qu’il avait indiquée à l’OCE. Il avait donc le statut « sans domicile connu ». Selon l’enquêteur, contacté par téléphone, M. C______ lui avait déclaré que l’assuré, un ami de longue date, n’était pas domicilié chez lui ; il s’agissait uniquement d’une boîte aux lettres. L’enquêteur avait par ailleurs interrogé plusieurs administrations cantonales et communales.
l. Le 17 octobre 2022, l’OCPM a réceptionné un formulaire intitulé « attestation du logeur », rempli et signé par l’assuré et M. C______, selon lequel ce dernier hébergeait l’intéressé gratuitement.
m. Le 31 octobre 2022, l’assuré a expliqué qu’il avait séjourné dans le canton de Vaud jusqu’au 1er juin 2022, date à laquelle il avait emménagé dans le canton de Genève, pour avoir plus d’opportunités et où il était logé à titre gratuit. Il a joint à son courrier notamment une copie de sa carte bancaire auprès de la Banque cantonale de Genève (ci-après : la BCGE).
n. Le 8 novembre 2022, M. C______ a rempli et signé une attestation établie par la CCGC, selon laquelle l’assuré sous-louait gratuitement son logement, et y résidait. Il a joint une copie de sa pièce d’identité suisse.
o. Le 16 novembre 2022, la CCGC a émis des doutes quant au domicile de l’assuré et a requis de l’OCE qu’il se détermine sur cette condition.
p. Par courriels des 17, 18 et 22 novembre 2022, l’assuré a contesté la teneur du rapport établi le 26 septembre 2022 par l’OCPM. Il a réitéré que depuis son arrivée dans le canton de Genève le 1er juin 2022, il y avait habité exclusivement. On l’accusait, à tort, d’habiter à Annemasse.
q. Par décision du 23 novembre 2022, l’OCE a nié le droit de l’assuré à l’indemnité depuis le 1er juin 2022 dès lors qu’il n’avait pas sa résidence habituelle en Suisse à compter de cette date. Partant, il ne remplissait pas la condition du domicile en Suisse. Au vu des premières déclarations de M. C______, selon lesquelles l’assuré n’était pas domicilié chez lui, il y avait lieu de retenir que l’adresse fournie par l’assuré lors de son inscription le 1er juin 2022 était uniquement une adresse postale.
r. Par opposition du 15 décembre 2022, l’assuré a contesté cette décision faisant valoir notamment que les allégations de l’enquêteur étaient fausses et mensongères. L’assuré a joint diverses pièces, dont un courrier de M. C______, daté du 12 décembre 2022, adressé à l’OCE, contestant les propos retenus par l’enquêteur, expliquant que lors de son entretien avec ce dernier le 21 septembre 2022, il avait indiqué que l’assuré était logé chez lui, ajoutant qu’il avait mis le nom de l’assuré sur sa boîte aux lettres, mais que les étiquettes étaient enlevées systématiquement.
s. Le 27 janvier 2023, à la demande de l’OCE, le service juridique de l’OCPM a répondu, notamment, qu’il n’y avait pas lieu de remettre en cause la teneur du rapport établi le 26 septembre 2022.
t. Par décision sur opposition du 31 janvier 2023, l’OCE a maintenu que l’assuré ne remplissait pas la condition du domicile en Suisse depuis le 1er juin 2022, de sorte que son droit à l’indemnité devait être nié dès cette date. Le rapport d’enquête de l’OCPM du 26 septembre 2022 ne se basait pas uniquement sur les déclarations de M. C______, mais aussi sur les informations obtenues auprès d’autres administrations, commune et base de données qui convergeaient toutes sur le fait que l’assuré n’était pas domicilié en Suisse. L’intéressé n’avait pas démontré que les informations obtenues par l’enquêteur étaient erronées, ni apporté d’éléments supplémentaires démontrant sa domiciliation effective en Suisse depuis le 1er juin 2022. Les allégations de l’assuré et de M. C______ n’étaient pas crédibles.
C. a. Par acte du 2 mars 2023, l’assuré, agissant en personne, a interjeté recours contre cette décision auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans), concluant à l’audition de M. C______, à l’annulation de la décision litigieuse et à l’octroi d’indemnités journalières. Le recourant contestait le rapport d’enquête du 26 septembre 2022, et allèguait résider de manière permanente chez M. C______ depuis le 1er juin 2022. En tant que résident en Suisse depuis plusieurs années, au bénéfice d’un permis B, il payait ses impôts à la source et il ne pouvait être tenu pour responsable de son inscription ou non dans les registres. Il avait un abonnement téléphonique suisse ainsi qu’un compte bancaire en Suisse, et pouvait fournir tous les relevés. Son but était de retrouver rapidement un emploi stable en Suisse et de continuer à y vivre. Il avait d’ailleurs indiqué à la caisse de chômage du canton de Vaud son départ pour le canton de Genève, mais n’avait jamais annoncé un départ à l’étranger, de sorte que la mention figurant dans le système d’information central sur la migration (ci-après : SYMIC) était fausse.
À l’appui de son recours, le recourant a produit notamment :
- un courrier du service de l’emploi du canton de Vaud, daté du 19 mai 2022, selon lequel l’assuré avait annoncé son déménagement à Genève à la route D______, La Plaine, à compter de cette date ;
- des extraits partiels de son compte bancaire auprès de la BCGE datés des 31 août, 30 septembre et 31 octobre 2022 ;
- une attestation datée du 15 janvier 2023 de Monsieur F______.
b. Par réponse du 31 mars 2023, l’intimé a persisté dans les termes de sa décision litigieuse dès lors que le recourant n’apportait aucun élément nouveau permettant de revoir sa position.
c. Le 11 mai 2023, le recourant a indiqué ne pas avoir d’observations à formuler.
d. Par courrier du 1er novembre 2023, l’OCPM, faisant suite à la convocation de l’enquêteur par la chambre de céans, a répondu que ce dernier avait pris sa retraite et que sa nouvelle adresse était inconnue.
e. Par plis non signés, adressés les 31 octobre et 9 novembre 2023 à la chambre de céans, M. C______ a expliqué notamment que le recourant avait travaillé et habité dans le canton de Vaud en 2020-2021 et qu’il avait emménagé le 1er juin 2022 à Genève. La Suisse était son seul centre d’intérêts où il développait sa vie privée et professionnelle.
f. Le 23 novembre 2023, le recourant a été entendu par la chambre de céans et a produit diverses pièces. Il a précisé que des amis pouvaient venir témoigner en sa faveur, notamment Monsieur G______, un ancien gendarme à Genève.
g. Le 23 novembre 2023, la chambre de céans a également entendu, en qualité de témoin, M. C______.
h. Le 24 novembre 2023, l’intimé a produit notamment sa décision sur opposition du 27 avril 2021, entrée en force, par laquelle le droit du recourant à l’indemnité à compter du 1er avril 2020 était nié.
i. Par pli du 3 décembre 2023, le recourant a fait valoir l’existence d’erreurs administratives depuis plusieurs années et a requis de l’intimé qu’il reconsidère ses décisions car elles étaient manifestement erronées. Les relevés bancaires confirmaient sa présence en Suisse en 2022 et il avait ouvert un compte bancaire auprès de la Banque Migros en 2023. Il travaillait et habitait exclusivement en Suisse depuis des années. Il y avait son centre d’intérêts, ses activités professionnelles, sociales et ses amis. Le recourant a produit plusieurs pièces.
j. Le 22 décembre 2023, l’intimé a rappelé que la décision du 27 avril 2021, niant le droit à l’indemnité dès le 1er avril 2020, était entrée en force de sorte que les allégations du recourant tendant à contester sa domiciliation depuis 2020 étaient manifestement infondées. Enfin, l’intimé souhaitait savoir si le recourant était représenté par un avocat.
k. Par courrier daté du 23 janvier 2024, « H______ & Partners » a indiqué que le recourant était « accompagné » par des avocats.
l. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.
1. Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 8 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité, du 25 juin 1982 (loi sur l’assurance-chômage, LACI - RS 837.0).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
2. À teneur de l’art. 1 al. 1 LACI, les dispositions de la LPGA s’appliquent à la LACI, à moins que la loi n’y déroge expressément.
3. La procédure devant la chambre de céans est régie par les dispositions de la LPGA et de la loi sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985 (LPA ‑ E 5 10).
4. Interjeté en temps utile (art. 60 LPGA), dans le respect des exigences de forme et de contenu prévues par la loi (art. 61 let. b LPGA ; art. 89B LPA), le recours est recevable.
5. Le litige porte sur le droit du recourant aux prestations de chômage dès le 1er juin 2022, plus particulièrement sur la question de savoir s’il était domicilié en Suisse à compter de cette date.
6.
6.1 L'art. 8 LACI énumère les conditions d'octroi de l'indemnité de chômage. L'assuré doit, pour bénéficier de cette prestation prévue par l'art. 7 al. 2 let. a LACI, être sans emploi ou partiellement sans emploi, avoir subi une perte de travail à prendre en considération, être domicilié en Suisse, avoir achevé sa scolarité obligatoire et n'avoir pas encore atteint l'âge donnant droit à une rente AVS et ne pas toucher de rente de vieillesse de l'AVS, remplir les conditions relatives à la période de cotisation ou en être libéré, être apte au placement et satisfaire aux exigences de contrôle (art. 8 al. 1 LACI). Ces conditions sont cumulatives (ATF 124 V 215 consid. 2). Elles sont précisées par plusieurs dispositions de la LACI et de l’ordonnance sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité, du 31 août 1983 (OACI - RS 837.02).
Selon l’art. 12 LACI, en dérogation à l’art. 13 LPGA, les étrangers sans permis d’établissement sont réputés domiciliés en Suisse aussi longtemps qu’ils y habitent, s’ils sont au bénéfice soit d’une autorisation de séjour leur permettant d’exercer une activité lucrative soit d’un permis de saisonnier.
Ainsi, au regard du droit suisse, le droit à l’indemnité de chômage suppose que l’assuré soit domicilié en Suisse (art. 8 al. 1 let. c LACI ; cf. art. 12 LACI pour les étrangers habitant en Suisse).
6.2 En matière d’assurance-chômage, sous l’empire de la LACI, la notion de domicile ne se détermine pas selon les critères du droit civil (arrêts du Tribunal fédéral 8C_658/2012 du 15 février 2013 consid. 3 et 8C_270/2007 du 7 décembre 2007 consid. 2). Le droit à l’indemnité de chômage suppose la résidence effective en Suisse, ainsi que l’intention de conserver cette résidence pendant un certain temps et d’en faire, durant cette période, le centre de ses relations personnelles (ATF 125 V 465 consid. 2a ; 115 V 448 consid. 1). Cette condition implique la présence physique de l’assuré en Suisse (dans le sens d’un séjour habituel), ainsi que l’intention de s’y établir et d’y créer son centre de vie (arrêt du Tribunal fédéral 8C_703/2017 du 29 mars 2018 consid. 2 et les références). La résidence en Suisse au sens de la LACI ne présuppose pas un séjour effectif ininterrompu sur le territoire suisse. La résidence habituelle en Suisse est suffisante (arrêt du Tribunal fédéral 8C_270/2007 du 7 décembre 2012 consid. 2.2).
L’exigence de la résidence effective en Suisse instaure une corrélation entre le lieu où les recherches d’emploi sont effectuées et celui où les conseils des professionnels du placement sont donnés ; elle favorise l’efficacité du placement ainsi que le contrôle du chômage et de l’aptitude au placement (Boris RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n. 9 ad art. 8 LACI).
Le lieu où les papiers d'identité ont été déposés ou celui figurant dans des documents administratifs, comme des attestations de la police des étrangers, des autorités fiscales ou des assurances sociales constituent des indices qui ne sauraient toutefois l'emporter sur le lieu où se focalise un maximum d'éléments concernant la vie personnelle, sociale et professionnelle de l'intéressé (ATF 136 II 405 consid. 4.3 et la référence). Le fait d’avoir une adresse officielle en Suisse et d’y payer ses impôts n’est pas déterminant si d’autres indices permettent de conclure à l’existence d’une résidence habituelle à l’étranger (arrêt du Tribunal fédéral 8C_703/2017 du 29 mars 2018 consid. 2 et les références).
Pour pouvoir localiser le centre des intérêts personnels, il faut notamment chercher à savoir où se trouvent la famille, les amis, les activités professionnelles et sociales, le logement, le mobilier et les affaires personnelles. Les critères objectifs (tels que le lieu du logement et des activités professionnelles) doivent se voir reconnaître davantage de poids que les critères subjectifs, difficilement vérifiables ; en particulier l’intention de s’établir et de créer un centre de vie (RUBIN, op. cit., n. 10 et 11 ad art. 8 LACI).
6.3 Pour déterminer le lieu de résidence, l’autorité doit se fonder sur une multitude d’indices et non sur un seul en particulier, même s’il est important (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_405/2015 du 27 octobre 2015 consid. 5.2 et Boris RUBIN, Assurance-chômage et service public de l’emploi, 2019, n. 123, p. 26). Dans le cas d’une personne sans domicile fixe, il s’agira, pour l’autorité, bien plus de s’assurer que le lieu ou les lieux de vie sont en Suisse et non à l’étranger, que de chercher à savoir exactement où se situe le lieu de vie (RUBIN, 2019, op. cit, n. 125, p. 26).
6.4 C’est à l’assuré de rendre vraisemblable qu’il réside en Suisse (RUBIN, 2019, op. cit., n°124, p. 26).
7. Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible ; la vraisemblance prépondérante suppose que, d'un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l'exactitude d'une allégation, sans que d'autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération (ATF 144 V 427 consid. 3.2 ; 139 V 176 consid. 5.3 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).
Par ailleurs, la procédure est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par le juge. Mais ce principe n’est pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l’instruction de l’affaire. Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (ATF 125 V 195 consid. 2 et les références).
Le juge apprécie librement les preuves administrées, sans être lié par des règles formelles (art. 61 let. c LPGA). Il lui faut examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider s’ils permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux (ATF 125 V 351 consid. 3a).
8. En l’espèce, dans sa décision sur opposition du 31 janvier 2023, l’intimé a retenu que depuis le jour du dépôt de sa demande de prestations, le 1er juin 2022, le recourant n’est pas domicilié en Suisse.
Le recourant allègue, quant à lui, avoir décidé de quitter le canton de Vaud pour s’installer à Genève le 1er juin 2022, où il réside depuis lors.
9.
9.1 Il est compréhensible que l’intimé ait eu des doutes quant au domicile genevois du recourant, du fait qu’au 1er juin 2022, celui-ci figurait dans les données de l’OCPM avec le statut « quitté » et du fait que l’intimé avait déjà retenu, dans une procédure antérieure, que le recourant n’avait pas de domicile en Suisse à compter du 1er avril 2020 (cf. sa décision sur opposition du 27 avril 2021, entrée en force).
Au vu de ces éléments, une enquête a été diligentée par l’OCPM, lequel a rendu un rapport daté du 26 septembre 2022, sur lequel l’intimé s’est fondé pour retenir l’absence d’un domicile en Suisse dès le 1er juin 2022.
À la lecture du rapport d’enquête précité, la chambre de céans relèvera déjà que l’enquêteur de l’OCPM s’est toutefois limité à constater « la non-présence actuelle et permanente » du recourant au domicile de la route D______, La Plaine, et à en déduire que le recourant a le statut « sans domicile connu ».
Partant, contrairement à l’avis de l’intimé, les conclusions de ce rapport d’enquête sont insuffisantes pour retenir que le recourant n’était pas domicilié en Suisse à compter du 1er juin 2022.
9.2 L’intimé s’est également fondé, pour retenir l’absence de domicile en Suisse, sur les déclarations que M. C______ aurait données à l’enquêteur, par téléphone, en date du 21 septembre 2022, selon lesquelles le recourant n’était pas domicilié chez lui, son adresse ne servant que de boîte aux lettres.
M. C______ a contesté, par écrit et par-devant la chambre de céans, avoir tenu de tels propos.
Contrairement à l’avis de l’intimé, on ne saurait se baser sur les déclarations de M. C______ figurant dans le rapport d’enquête, dès lors que selon la jurisprudence, un document qui fait état d'un renseignement recueilli oralement ou par téléphone ne constitue un moyen de preuve recevable et fiable que s'il porte sur des éléments d’importance secondaire, tels que des indices ou des points accessoires. Si les renseignements portent sur des aspects essentiels de l'état de fait, ils doivent faire l'objet d'une demande écrite (cf. ATF 117 V 282 consid. 4c).
9.3 Dans sa décision sur opposition litigieuse, l’intimé se fonde également sur le fait que les informations obtenues par l’enquêteur, auprès des différentes administrations cantonales et communales, convergeaient toutes vers le fait que le recourant n’a pas de domicile en Suisse.
Il résulte des informations obtenues par l’enquêteur dans le courant du mois de septembre 2022 que le recourant n’était pas enregistré à l’adresse litigieuse dans la base de données de la Poste Suisse ; qu’il figurait dans le registre de l’office cantonal des véhicules comme étant parti en Suisse, hors du canton de Genève (sans la mention d’une date) ; qu’il n’a pas annoncé à l’administration fiscale cantonale (AFC) son adresse à Genève dès le 1er juin 2022 ; que lorsque le propriétaire de son logement a signalé son départ, la commune de Rougemont a effectué un départ « sans laisser d’adresse » en date du 31 mars 2022 ; que la Feuille des avis officiels du canton de Vaud a fait état du domicile inconnu du recourant dans une publication datée du 15 juillet 2022 ; que le recourant figurait dans le SYMIC avec le statut « parti à l’étranger » à compter du 30 novembre 2021 ainsi que dans le fichier informatisé de l’OCPM avec le statut « quitté ».
Il convient de rappeler que les documents administratifs tels que permis de circulation, permis de conduire, papiers d'identité, attestations de la police des étrangers, des autorités fiscales ou des assurances sociales, ou encore les indications figurant dans des décisions judiciaires ou des publications officielles ne sont pas déterminants à eux seuls. Ils constituent certes des indices sérieux de l'existence du domicile, propres à faire naître une présomption de fait à cet égard ; il n'en demeure pas moins qu'il ne s'agit que d'indices et la présomption que ceux‑ci créent peut être renversée par des preuves contraires (ATF 125 III 100 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_443/2014 du 2 février 2015 consid. 3.4 et les références).
La question de savoir si, comme l’a retenu l’intimé, les éléments recueillis par l’enquêteur auprès des différentes administrations sont propres à faire naître une présomption quant à l’inexistence d’un domicile en Suisse à compter du 1er juin 2022 peut rester ouverte, dès lors que, quoi qu’il en soit, la chambre de céans est d’avis qu’une éventuelle présomption dans ce sens est renversée par des preuves contraires figurant au dossier.
En effet, il n’est pas contestable, ni contesté que le recourant, au bénéfice d’une autorisation de séjour B délivrée le 16 novembre 2020 par le canton de Vaud (dans le but d’exercer une activité lucrative), a travaillé dans ce canton dès l’obtention de l’autorisation précitée, et ce jusqu’au 30 novembre 2021, comme l’a attesté son employeuse (cf. certificat de travail du 30 novembre 2021 établi par Mme B______, pièce 4 chargé intimé).
Il est en outre établi que suite à la fin de son contrat de travail, le recourant s’est inscrit au chômage dans le canton de Vaud, où l’office compétent a ouvert en sa faveur un délai-cadre du 1er décembre 2021 au 30 novembre 2023 et lui a versé des indemnités journalières calculées sur un gain assuré mensuel de CHF 6'845.- (cf. décision du 28 juin 2022 de la caisse cantonale de chômage du canton de Vaud, pièce 32 chargé intimé).
Le recourant aurait ensuite décidé de quitter le canton de Vaud pour s’installer à Genève à compter du 1er juin 2022, ce que l’intimé conteste.
À cet égard, la chambre de céans a, en date du 23 novembre 2023, entendu l’intéressé, lequel a expliqué notamment que suite à son licenciement à fin novembre 2021, il avait continué à habiter dans le canton de Vaud, à Rougemont ; qu’en raison de la forte concurrence à Vevey due aux travailleurs portugais, il avait décidé de s’installer à Genève, pensant ainsi augmenter ses chances d’obtenir un travail. Il s’était présenté début juin 2022 à l’OCPM, lequel n’avait pas fait immédiatement son inscription, cet office invoquant alors des problèmes liés à l’arrivée de citoyens ukrainiens. Il habitait depuis le 1er juin 2022 chez M. C______, avait gardé son numéro de téléphone chez un opérateur suisse, détenait des comptes bancaires à Genève, canton dans lequel il achetait et consommait régulièrement et dans lequel il avait encore effectué des missions temporaires. Des amis pouvaient venir témoigner, notamment M. G______, un ancien gendarme à Genève. Il avait effectivement habité à Annemasse, chez des amis, de mémoire en 2017, et il ne comprenait pas pour quelle raison cette adresse avait été gardée comme étant son domicile.
Au vu de l’ensemble des pièces versées au dossier, la chambre de céans est d’avis que les explications fournies par le recourant, lors de son audition le 23 novembre 2023, sont convaincantes.
En effet, les dires du recourant sont corroborés notamment par :
- le fait qu’il a annoncé au service de l’emploi du canton de Vaud son déménagement à Genève, à la route D______, La Plaine (cf. courrier de l’ORP Riviera du 19 mai 2022, chargé recourant) ;
- l’attestation de M. G______, datée du 24 novembre 2023, selon laquelle il avait mis à disposition du recourant à titre gracieux et pour une durée indéterminée, une chambre au chemin I______ à Meyrin ; le recourant avait préparé en mai 2022 son déménagement du canton de Vaud pour le canton de Genève, avec l’objectif d’avoir plus d’opportunités pour trouver un emploi (cf. pièce produite par le recourant le 5 décembre 2023) ;
- le courrier du 30 novembre 2023 de M. F______, selon lequel il avait mis à disposition du recourant, à titre gracieux, une de ses propriétés à Fribourg, pour qu’il se loge en mai 2022 pendant sa période de transition (cf. pièce produite par le recourant le 5 décembre 2023) ;
- le témoignage de M. C______, entendu à titre de témoin assermenté par la chambre de céans le 23 novembre 2023, lequel a confirmé que le recourant habitait chez lui et expliqué que le nom du recourant, apposé sur sa boîte aux lettres, avait été enlevé systématiquement, fait hautement vraisemblable au vu du courrier de la régie SPG SA du 28 novembre 2023 (cf. pièce produite par le recourant le 5 décembre 2023) ;
- le fait que le recourant a travaillé pour différentes entreprises basées à Genève entre mai 2022 et janvier 2023 (cf. pièces produites par le recourant le 5 décembre 2023) ;
- le fait que le recourant est titulaire de comptes auprès de la BCGE (en 2022 et 2023) et auprès de la Banque Migros (dès 2023), étant relevé que l’examen des extraits de compte partiels auprès de la BCGE de juin 2022 à janvier 2023 (date déterminante de la décision litigieuse), atteste que le recourant a effectué régulièrement des transactions en Suisse, et en particulier à Genève ;
- le fait que postérieurement au 1er juin 2022, le recourant est resté titulaire d’un abonnement auprès de son opérateur de téléphonie mobile suisse (Yallo, à Zürich) ;
- les courriers rédigés en dates des 15 janvier et 30 novembre 2023 par M. F______, et 24 novembre 2023 par M. G______, lesquels attestent non seulement des liens qu’ils ont avec le recourant, de leurs contacts réguliers, mais également de l’intention de ce dernier de conserver sa résidence en Suisse, où il développe ses activités professionnelles et personnelles ;
- le fait que le recourant est au bénéfice d’une autorisation de séjour B délivrée le 16 novembre 2020 et titulaire d’un permis de conduire suisse atteste des liens qu’il a avec la Suisse (cf. annexe 4 pièce 25 chargé intimé), pays dans lequel il a déjà travaillé par le passé (cf. pièces 2 et 4 chargé intimé) et dans lequel il a été affilié à l’assurance AVS-AI dès juin 2016 (cf. pièce 2 chargé intimé) ;
- le fait que le recourant a déjà eu une autorisation de séjour B du 6 septembre 2016 au 17 juillet 2021 (cf. fichier informatisé de l’OCPM), et qu’il a déjà habité à Genève entre le 18 juillet 2016 et le 4 mars 2017 (cf. annexe 7 pièce 25 chargé intimé), permet d’expliquer ses attaches avec cette ville ;
- les données figurant dans le SYMIC, selon lesquelles le recourant était domicilié à Annemasse chez un particulier du 22 mai 2017 au 24 mars 2019 (cf. annexe 7 pièce 25 chargé intimé), corroborent entièrement les explications que l’intéressé a fournies par-devant la chambre de céans lors de son audition le 23 novembre 2023.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, la chambre de céans est convaincue, au degré de la vraisemblance prépondérante, que le recourant avait sa résidence effective à Genève dès le 1er juin 2022, avec l’intention de la conserver et d’en faire le centre de ses relations personnelles.
On soulignera encore que lorsque le recourant s’est installé à Genève, le 1er juin 2022, il était alors déjà au bénéfice de prestations de chômage versées par le canton de Vaud, de sorte qu’on ne saurait conclure que, par le biais d’une hypothétique domiciliation fictive à Genève, le recourant cherchait à obtenir des prestations du chômage suisse.
Partant, c’est à tort que l’intimé a retenu que le recourant ne remplissait pas la condition du domicile en Suisse à compter du 1er juin 2022.
Cela étant, la chambre de céans ne dispose pas des éléments pour se prononcer sur les autres conditions auxquelles est soumis le droit à l’indemnité, de sorte qu’il y a lieu de renvoyer la cause à l’intimé sur ce point, à charge pour lui de les examiner avant de rendre une nouvelle décision.
10. Dans son écriture du 3 décembre 2023, le recourant a requis la reconsidération des décisions entrées en force rendues par l’intimé.
Aux termes de l’art. 53 al. 2 LPGA, l’assureur peut revenir sur les décisions ou les décisions sur opposition formellement passées en force lorsqu’elles sont manifestement erronées et que leur rectification revêt une importance notable.
L'administration n'est pas tenue de reconsidérer les décisions qui remplissent les conditions fixées ; elle en a simplement la faculté et ni l'assuré ni le juge ne peut l'y contraindre (cf. ATF 133 V 50 consid. 4.1 ; 119 V 475 consid. 1b/cc ; 117 V 8 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_866/2009 du 27 avril 2010 consid. 2.2).
En l’occurrence, dans la mesure où la décision sur opposition du 27 avril 2021 a été rendue par l’intimé, seul ce dernier a la faculté de la reconsidérer et la chambre de céans ne peut l’y contraindre. Toutefois, il est loisible au recourant de déposer, s’il le souhaite, une demande de reconsidération de la décision précitée auprès de l’intimé.
11. En conséquence, le recours est partiellement admis et la décision sur opposition de l’intimé, du 31 janvier 2023, est annulée. Il est dit que le recourant avait son domicile à Genève à compter du 1er juin 2022 et la cause est renvoyée à l’intimé, pour examen des autres conditions et nouvelle décision sur le droit à l’indemnité.
Le recourant, agissant en personne, n’a pas droit à des dépens (art. 61 let. g LPGA a contrario), étant précisé que le courrier du 23 janvier 2024, signé « H______ & Partners » ne permet pas de retenir que l’intéressé a été représenté par un mandataire professionnellement qualifié au sens de l’art. 9 al. 1 LPA.
12. Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis a contrario).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. L’admet partiellement.
3. Annule la décision sur opposition de l'intimé du 31 janvier 2023.
4. Dit que le recourant était domicilié à Genève à compter du 1er juin 2022.
5. Renvoie la cause à l'intimé pour examen des autres conditions et nouvelle décision sur le droit à l’indemnité.
6. Dit que le recourant n’a pas droit à des dépens.
7. Dit que la procédure est gratuite.
8. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Véronique SERAIN |
| Le président
Philippe KNUPFER |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’au Secrétariat d’État à l’économie par le greffe le