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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2558/2019

ATAS/899/2023 du 22.11.2023 ( ARBIT ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 25.01.2024, 9C_24/2024, 9C_795/2023
Recours TF déposé le 25.01.2024, 9C_24/2024, 9C_795/2023
En fait
En droit
Par ces motifs

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2558/2019 ATAS/899/2023

ARRET

DU TRIBUNAL ARBITRAL

DES ASSURANCES

du 22 novembre 2023

 

En la cause

AQUILANA VERSICHERUNGER

ASSURA-BASIS SA

ATUPRI GESUNDHEITSVERSICHERUNG

AVANEX VERSICHERUNG AG

AVENIR ASSURANCE MALADIE SA

CONCORDIA KRANKEN-UND UNFALLVERSICHERUNG

CSS KRANKEN-VERSICHERUNG AG

EASY SANA ASSURANCE MALADIE SA

EGK GRUNDVERSICHERUNGEN

GALENOS KRANKEN-UND UNFALLVERSICHERUNG

HELSANA VERSICHERUNGEN AG

INTRAS CAISSE MALADIE

KPT KRANKENKASSE AG

MOOVE SYMPANY AG

MUTUEL ASSURANCE MALADIE SA

ÖKK KRANKEN-UNDUNFALLVERSICHERUNGEN AG

PHILOS ASSURANCE MALADIE SA

SANA24 AG

SANITAS GRUNDVERSICHERUNGEN AG

SUPRA - 1846 SA

SWICA KRANKENVERSICHERUNG

VISANA AG

VIVACARE AG

VIVAO SYMPANY AG

et

CSS KRANKEN-VERSICHERUNG AG

AQUILANA VERSICHERUNGEN

MOOVE SYMPANY AG

SUPRA - 1846 SA

CONCORDIA KRANKEN-UND UNFALLVERSICHERUNG

ATUPRI GESUNDHEITSVERSICHERUNG

AVENIR ASSURANCE MALADIE SA

KPT KRANKENKASSE AG

ÖKK KRANKEN-UND UNFALLVERSICHERUNGEN AG

VIVAO SYMPANY AG

EASY SANA ASSURANCE MALADIE SA Lausanne

EGK GRUNDVERSICHERUNGEN

SWICA KRANKENVERSICHERUNG

GALENOS KRANKEN-UND UNFALLVERSICHERUNG

MUTUEL ASSURANCE MALADIE SA

SANITAS GRUNDVERSICHERUNGEN AG

PHILOS ASSURANCE MALADIE SA

ASSURA-BASIS SA

VISANA AG

 

 

HELSANA VERSICHERUNGEN AG

SANA24 AG

VIVACARE AG

Toutes représentées par SANTÉSUISSE, elle-même représentée par Me Olivier BURNET, avocat

 

demanderesses I

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

demanderesses II

contre

 

A______

représenté par Me Yvan JEANNERET, avocat

 

 

 

défendeur

 


 

EN FAIT

A.           a. Par arrêt du 26 février 2016 (ATAS/150/2016) le Tribunal de céans a reconnu au docteur A______ (ci-après: le médecin ou le défendeur) le titre de spécialisation de « médecine interne générale » depuis 2011 et a rejeté la demande en paiement formée par différentes caisses-maladie contre ce médecin en raison d'une polypragmasie en relation avec l'année 2011.

b.   Par requête du 12 juillet 2018, différentes caisses-maladies, représentées par SANTÉSUISSE ainsi que par leur conseil, ont saisi le Tribunal de céans d’une requête en conciliation à l’encontre du médecin, en concluant à ce que celui-ci soit condamné à leur restituer la somme de CHF 458'607.-, sur la base de l’indice ANOVA, pour l’année statistique 2016, subsidiairement la somme de CHF 327'727.50, sur la base de l’indice RSS pour cette même année.

B.            a. En date du 28 juin 2019, Tribunal de céans a été saisi d'une demande en paiement de CHF 354'994.-, subsidiairement de CHF 345'003.-, sous suite de dépens, à l'encontre du médecin concernant l'année statistique 2017 par les caisses-maladie énoncées dans le rubrum du présent arrêt sous demanderesses I, agissant par SANTÉSUISSE, ainsi qu'ARCOSANA Versicherung AG qui a fusionné avec CSS Krankenversicherung AG le 1er janvier 2023, AVANEX Versicherung AG et SANSAN Versicherungen AG qui ont été reprises par HELSANA Versicherungen AG le 1er janvier 2017, et PROGRES Versicherungen AG qui a fusionné avec HELSANA Versicherungen AG le 1er janvier 2022. Selon la nouvelle méthode d'analyse de régression, l'indice des coûts totaux du défendeur était de 184. Cet indice était déterminant pour calculer le trop-perçu en violation du principe de l'économicité, en tenant compte d'une marge de tolérance de 20%. Une marge de 30%, comme admise jusqu'alors, n'était pas justifiée, dès lors que l'analyse de régression avait amélioré la qualité de la procédure d'examen de l'économicité des médecins de façon significative. L'indice des coûts totaux, moins 120%, appliqué aux coûts totaux directs, permettait de calculer le dépassement des coûts admissibles à CHF 354'994.-. Selon la méthode ANOVA, l'indice des coûts directs était de 208 en 2017. Appliqué aux coûts directs, après correction en raison de médicaments prescrits en-dessous de la moyenne, et en tenant compte d'une marge de tolérance de 130%, le montant à restituer s'élevait à CHF 345'003.-.

b.   Par arrêt du 16 janvier 2020 (ATAS/27/2020), le Tribunal de céans a condamné le médecin au paiement de CHF 458'607.- aux caisses-maladie demanderesses pour l'année statistique 2016. Par arrêt du 12 juin 2020, le Tribunal fédéral a rejeté le recours formé par le médecin contre ce jugement.

c.    Le 3 juillet 2020, le Tribunal de céans a été saisi d'une nouvelle requête en conciliation à l’encontre du médecin par les caisses-maladie énoncées dans le rubrum du présent arrêt sous demanderesses II, agissant par SANTÉSUISSE, ainsi que COMPACT Grundversicherungen AG qui a fusionné avec SANITAS Grundversicherungen AG le 1er janvier 2022, AVANEX Versicherung AG et SANSAN Versicherungen AG qui ont été reprises par HELSANA Versicherungen AG le 1er janvier 2017. Elles ont conclu à ce que celui-ci soit condamné à leur restituer, pour l’année statistique 2018, la somme de CHF 288'389.-, sur la base de l’indice de régression, subsidiairement la somme de CHF 269'846.-, sur la base de l’indice ANOVA pour cette même année, sous suite de dépens. Elles ont repris les mêmes arguments que ceux développés dans leur demande concernant l'année 2017.

d.   Lors de l'audience du 6 novembre 2020, le Tribunal de céans a joint les demandes concernant les années 2017 et 2018 sous le numéro de procédure A/2558/2019 et a constaté l'échec de la tentative de conciliation de celles-ci. Il a en outre rejeté la conclusion du défendeur tendant à la suspension de la cause dans l'attente du jugement de la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après : CrEDH) sur son recours contre l'arrêt du Tribunal fédéral du 12 juin 2020. SANTÉSUISSE a, à cette audience, amplifié ses conclusions en requérant que le défendeur soit exclu de toute activité à la charge de l'assurance obligatoire des soins (ci-après: AOS) pour une durée laissée à l'appréciation du Tribunal de céans. Elle s'est également opposée à une expertise analytique de la pratique médicale du défendeur.

e.    Le 5 février 2021, le Tribunal de céans a nommé comme arbitres Monsieur Georges PANCHAUD et Monsieur Jacques WITZIG à la requête des parties.

f.     Dans sa réponse du 15 mars 2021, le défendeur a conclu à ce qu'il soit constaté que les demanderesses n'avaient pas la qualité pour agir et au rejet des demandes, sous suite de dépens. Subsidiairement, il a requis une expertise analytique de sa pratique. Préalablement, il a demandé la traduction de certaines pièces en français. La demande était périmée, les demanderesses n'ayant pas prouvé avoir respecté le délai de péremption d'une année. Il a rappelé en outre que, pour l'année statistique 2011, le Tribunal de céans avait constaté que les coûts par patient du défendeur se situaient dans la marge admissible de 30%. Or, depuis lors, sa pratique n'avait pas sensiblement évolué avec un volume de facturation constant depuis une décennie. Partant, seule la variation des méthodes de calcul des indices expliquait que sa pratique était tantôt reconnue comme économique tantôt pas, ce qui était arbitraire. Il s'est par ailleurs prévalu de ses multiples formations et de l'équipement de son cabinet, lui permettant de pratiquer de nombreux actes médicaux en cabinet que la majorité de ses confrères ne réalisaient pas, ainsi que de traiter et diagnostiquer plusieurs disciplines médicales. Il traitait beaucoup de toxicomanes et sidéens qui généraient des coûts élevés. Son cabinet était également un établissement de formation post-graduée certifié par la FMH. Il y était médecin formateur et tuteur en médecine générale. En 2017 et 2018, il avait ainsi employé plusieurs médecins en formation post-graduée dont le volume de facturation s'était élevé à CHF 266'724.- pour 2017 et à CHF 99'204 en 2018. Il n'était pas possible d'indiquer un numéro EAN (aujourd'hui GLN) de ceux-ci, dès lors qu'ils n'avaient pas de droit de facturation propre. Par ailleurs, les factures n'avaient jamais été contestées par les demanderesses. Enfin, le défendeur a considéré que son droit d'être entendu avait été violé dès lors qu'il n'avait pas accès à toutes les données de comparaison.

g.    Dans sa réplique du 28 avril 2021, SANTÉSUISSE a persisté dans ses conclusions. Le délai de péremption était respecté comme cela a été confirmé par SASIS SA. Quant à la légitimation active des demanderesses, SANTÉSUISSE a produit la liste des caisses ayant remboursé des prestations au défendeur en 2017 et 2018. La pratique du défendeur avait bel et bien évolué, dès lors que ses coûts par patient avaient considérablement augmenté depuis 2011. Il était par ailleurs inexact qu'il n'était pas possible d'attribuer un numéro GLN aux médecins assistants. Certaines thérapies pratiquées par le défendeur n'étaient pas prises en charge par l'AOS. Selon les statistiques, il avait facturé dans une moindre proportion l'imagerie médicale et électrocardiogramme que son groupe de comparaison. La moyenne d'âge de ses patients était également moins élevée que dans ce groupe, de sorte que ses arguments tirés d'une clientèle spécifique n'étaient pas pertinents. De surcroît, l'indice de régression permettait de tenir compte de pathologies lourdes.

h.   Le 15 juin 2021, différentes caisses-maladie, représentées par SANTÉSUISSE et son conseil, ont déposé auprès du Tribunal arbitral une demande visant à ce que le médecin soit condamné à restituer, principalement, un montant de CHF 286'153.95 calculé selon l'indice de régression et, subsidiairement, un montant de CHF 239'863.- calculé selon l'indice ANOVA, pour l'année statistique 2019. Cette procédure a été suspendue par ordonnance du 7 décembre 2021 dans l'attente qu'une expertise analytique soit rendue dans la présente procédure concernant les années statistiques 2017 et 2018.

i.      Dans sa duplique du 29 juin 2021, le défendeur a conclu à ce que les demandes concernant les années 2017 et 2018, faisant l'objet de la présente procédure, soient déclarées irrecevables et a maintenu pour le surplus ses conclusions et son argumentation précédentes. Il a par ailleurs requis que les pièces non traduites en français soient écartées de la procédure. En outre, il a relevé que SANTÉSUISSE n'avait pas été en mesure d'établir les statistiques pour son cabinet à Aigle, de telles statistiques n'existant pas pour des revenus inférieurs à CHF 50'000.-. Cela montrait que les statistiques ne reposaient pas sur des données exhaustives.

j.     Par courrier du 18 octobre 2021, les demanderesses ont désigné Monsieur Luciano DE TORO en tant qu'arbitre en lieu et place de Monsieur PANCHAUD.

k.   Par ordonnance du 8 mars 2022, le Tribunal de céans a mis en œuvre une expertise analytique et l'a confiée au docteur B______, spécialiste FMH en médecine générale.

l.      Dans son rapport d'expertise du 30 septembre 2022, l'expert a notamment constaté une surfacturation en temps. Il a estimé que les surcoûts pouvaient être évalués à l'aide de la méthode de régression. Une marge de 130 permettait de tenir compte que le défendeur soignait beaucoup de cas psychiatriques et plus de femmes. Il n'y avait pas d'indice qu'il soignait une patientèle particulièrement atteinte dans sa santé ou nécessitant des soins particuliers. L'expert a ainsi évalué le dépassement des coûts directs à CHF 298'748.25 pour 2017 et à CHF 239'030.- pour 2018, sur la base des indices de régression des coûts totaux du défendeur, appliqués aux seuls coûts directs, et en admettant une marge de 130%.

m. Le 22 novembre 2022, SANTÉSUISSE s'est ralliée aux conclusions de l'expertise, sauf en ce que l'expert a admis une marge de 30% au lieu de 20%.

n.   Par écritures du 19 janvier 2023, le défendeur s'est déterminé sur l'expertise analytique et a conclu à un complément d'expertise, celle-ci étant lacunaire. Il s'est opposé en particulier à ce que l'éventuelle surfacturation soit calculée sur la base de l'indice de régression.

o.    Le 9 mars 2023, SANTÉSUISSE a produit les rapports de régression avec leur traduction en français et a communiqué les indices de régression du défendeur pour les coûts directs avec médicaments pour les années en cause, lesquels s'étaient élevés à 188 pour 2017 et à 171 pour 2018. Elle a en outre relevé qu'en appliquant l'indice des coûts directs et non celui des coûts totaux dans le cadre du calcul des sommes à restituer, celles-ci s'élèveraient presque au double.

p.   Lors de son audition en date du 19 avril 2023, l'expert a déclaré ce qui suit :

«  Je confirme les conclusions de l'expertise.

Concernant les traitements au laser, à ma connaissance, certains traitements au laser sont pris en charge par l'assurance de base. Généralement, les médecins demandent à l'assurance si les traitements sont couverts.

Pour les traitements non couverts, seule peut être facturée la consultation posant l'indication pour un traitement au laser, mais non les positions du TARMED se référant à la consultation du traitement au laser.

Le Docteur A______ ne fait pas une polypragmasie à proprement parler, dans le sens d'une surmédicalisation. J'ai toutefois constaté qu'il avait tendance à surfacturer en terme de temps. Pour la physiothérapie, à laquelle il a beaucoup recours, cela peut s'expliquer par le nombre important de patients avec des problèmes psychiques et que la majorité de la patientèle est constituée de femmes. Pour les médicaments, je ne comprends à vrai dire pas l'indice de régression élevé. En effet, selon les statistiques ANOVA, l'indice n'est que de 110. Il faut toutefois préciser que le Docteur A______ tient des dossiers manuscrits qui sont moins complets que les dossiers informatisés, dans lesquels tous les médicaments prescrits sont automatiquement notés. Je suppose donc que le défendeur n'a pas mentionné tous les médicaments prescrits, notamment pour les renouvellements d'ordonnances. Comme indiqué dans l'expertise, le défendeur renouvelle probablement des ordonnances d'autres spécialistes, ce qui peut expliquer l'indice relativement important pour les médicaments. Toutefois, je n'ai pas l'impression qu'il y a une surmédicalisation au niveau du coût des médicaments.

Le défendeur pratique du chaînage de positions TARMED facturées, comme je l'ai indiqué dans mon expertise.

Les médecins en formation ne font en principe pas d'erreurs car ils arrivent chez les médecins en fin de parcours de formation. Ce qu'ils apprennent dans un cabinet médical se rapporte plus à la gestion et à tout ce qui concerne le travail administratif. Toutefois, je n'ai pas eu accès aux dossiers des médecins en formation, malgré mes demandes.

Je trouve assez étonnant que le défendeur fasse autant d'analyses de sang dont seulement 25% à 35% sont ciblées.

Dans certains cas, il peut se justifier de faire un bilan, mais celui-ci ne comprend pas, en principe, tous les paramètres à contrôler. Des analyses complémentaires plus ciblées doivent être effectuées uniquement en deuxième intention, lorsqu'une anomalie a été constatée. Il ne me paraît notamment pas nécessaire d'effectuer un contrôle de magnésium, calcium, des tests inflammatoires et de la LDH.

Le défendeur n'a pas plus de patients avec des polymorbidités que ses confrères. Toutefois, une patientèle importante souffre de problèmes psychiques et sont de ce fait probablement plus demandeurs de traitements médicaux.

Pour moi, la surfacturation en temps ne constitue pas une surmédicalisation et ne tombe donc pas sous le terme de polypragmasie. Par contre, cela est plus grave, si le médecin facture plus d'heures qu'il a consacré aux consultations, car il tire un profit des positions TARMED pouvant être facturées, alors que le temps consacré aux patients est moins important.

Dans l'ensemble, je constate que les consultations du défendeur sont très longues. Il n'y a pas de consultations courtes comme on le voit généralement dans la pratique dans un cabinet médical. Au demeurant, j'ai constaté que dans les cas énumérés dans l'expertise, la durée de la consultation était trop longue par rapport à la pathologie à traiter.

Globalement, la collaboration du défendeur était bonne sauf pour ce qui concerne la question du chiffre d'affaires déclaré et l'accès aux dossiers des médecins assistants. Mais j'admets que je n'ai pas beaucoup insisté pour avoir les informations manquantes.

Chez le défendeur, ce n'est pas le nombre de consultations, qui est un peu au-dessus de la moyenne, mais le coût par consultation qui est hors norme.

Concernant les chaînages, tous les médecins les utilisent pour les consultations par tranche de 5 mn et pour le laboratoire. Mais il y a chaînage et chaînage. Le chaînage utilisé par le défendeur pour la facturation des consultations me paraît très long.

Concernant les positions TARMED par tranche de 5 mn, il est normal de les arrondir, mais cela me paraît anodin pour expliquer une surfacturation.

J'admets que les consultations pour les patients atteints de troubles psychiques sont plus longues.

Le fait que les patients viennent en plus des consultations pour une prise de sang ou un examen, une radio ou une séance laser, n'ajoute pas du temps supplémentaire à la durée des consultations par le médecin, dans la mesure où les patients ne le voient pas. Seul l'acte technique est facturé, par exemple CHF 7.50 pour une prise de sang selon le tarif de laboratoire.

Tous les dossiers examinés étaient tenus par le défendeur. Celui-ci m'explique que les médecins assistants assistent à sa consultation. Par ailleurs, il a des médecins assistants en première année et d'autres en cinquième année dont il assume l'intégralité du salaire (le canton de Genève ne participe pas aux coûts des médecins assistants). Néanmoins, je relève que la consultation doit être facturée comme si le médecin responsable était seul ».

Le défendeur a requis à cette audience un complément d'expertise et a informé le Tribunal de céans avoir dû fermer son cabinet à Genève le 31 janvier 2022, en raison d'une saisie dont il avait fait l'objet. Pour l'instant, il n'avait qu'une petite salle de consultation, dans laquelle il travaillait à 20%.

q.   Lors de l'audience de comparution personnelle des parties à la même date, le défendeur a précisé qu'il avait suivi 45 toxicomanes et 5 personnes atteintes de HIV durant les années litigieuses. Il s'est en outre engagé à produire les ordonnances relatives aux patients souffrant de ces affections, tout en relevant que ces ordonnances n'étaient pas mentionnées dans les dossiers des patients, ce qui pouvait expliquer que l'expert n'ait pas pu les identifier.

r.    Le 19 mai 2023, le défendeur a produit un tableau récapitulatif des 56 patients toxicomanes et/ou positifs au HIV et trois tableaux avec les journées de consultation des 23 janvier, 12 septembre 2017 et du 14 mars 2018, choisies au hasard selon ses dires, avec les factures se rapportant aux rendez-vous agendés. Il a soutenu que ces tableaux démontraient que les calculs de l'expert étaient erronés, de sorte qu'un complément d'expertise s'avérait nécessaire.

s.     Par écriture du 15 juin 2023, SANTÉSUISSE a transmis au Tribunal de céans la détermination de son médecin-conseil sur les factures des journées de consultation produites par le défendeur. Selon ce dernier, le nombre de patients toxicomanes du défendeur n'était pas exceptionnel par rapport au nombre important de ses patients (56 patients sur 1191 en 2017 respectivement 1106 en 2018, dont 7 dépendants à l'héroïne). Dans certains cas, le traitement ne correspondait pas au standard médical d'un traitement de la dépendance. Le médecin-conseil a en outre constaté des divergences massives entre les heures réservées aux consultations dans l'agenda du cabinet et la durée de celles-ci. Concernant 4 factures analysées, il a constaté qu'elles n'étaient pas conformes au TARMED. Dans une de ces factures, le défendeur avait par ailleurs facturé un traitement par un spécialiste en rhumatologie, alors même qu'il ne disposait pas de cette valeur intrinsèque.

t.     Par écriture du 5 octobre 2023, SANTÉSUISSE s'est opposée à une expertise complémentaire.

u.   Le 2 novembre 2023, le défendeur a persisté à demander un complément d'expertise et a maintenu ses conclusions. Il a souligné que, selon l'expert, sa pratique ne relevait pas de la polypragmasie dans le sens d'une surmédicalisation et que son indice de régression élevé concernant les médicaments était incompréhensible, dans la mesure où il ne prescrivait que des médicaments bon marché. Quant à la durée des consultations supérieure à la moyenne, elle était justifiée, selon l'expert, par sa patientèle particulière. Les témoignages des patients accréditaient le temps et le soin qu'il prenait pour le suivi de chaque patient. Il traitait en outre un grand nombre de patients toxicomanes et/ou atteints du HIV. Les pièces versées au dossier le 19 mai 2023 démontraient également qu'il ne pratiquait aucune surfacturation, mais qu'il accusait souvent un retard conséquent. À cet égard, il a réfuté la valeur probante de la détermination du médecin-conseil de SANTÉSUISSE, celui-ci n'étant pas expert.

v.    Le Tribunal de céans a reçu en cours de procédure plus de 70 témoignages spontanés des patients du défendeur qui ont exprimé leur grande satisfaction des prestations de ce dernier et leur incompréhension de la raison d'être de la présente procédure, tout en critiquant le système de contrôle des médecins. Ils ont relevé en particulier la qualité d'écoute du défendeur, son empathie, son approche globale de la maladie, son investissement, sa disponibilité même tôt le matin ou tard le soir, son efficacité et ses compétences hors du commun. Un patient, Monsieur C______, a en outre notamment attesté avoir toujours été reçu à l'heure.

 

EN DROIT

1.              

1.1 Selon l’art. 89 al. 1 de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10), les litiges entre assureurs et fournisseurs de prestations sont jugés par le Tribunal arbitral. Est compétent le Tribunal arbitral du canton dont le tarif est appliqué ou dans lequel le fournisseur de prestations est installé à titre permanent (art. 89 al. 2 LAMal). Le Tribunal arbitral est aussi compétent si le débiteur de la rémunération est l’assuré (système du tiers garant, art. 42 al. 1 LAMal) ; en pareil cas, l’assureur représente, à ses frais, l’assuré au procès (art. 89 al. 3 LAMal). La procédure est régie par le droit cantonal (art. 89 al. 5 LAMal).

1.2 En l’espèce, la qualité de fournisseur de prestations au sens des art. 35ss LAMal et 38ss de l’ordonnance sur l'assurance-maladie du 27 juin 1995 (OAMal ‑ RS 832.102) de du défendeur, installé à titre permanent dans le canton de Genève pendant les années statistiques en cause, n’est pas contestée. Quant aux demanderesses, elles entrent dans la catégorie des assureurs autorisés à pratiquer à charge de l'assurance obligatoire des soins au sens de la LAMal (cf. site internet de l'OFSP pour la liste des assureurs‑maladie admis, disponible sur www. bag.admin.ch/themen/krankenversicherung/00295/11274/index.html?lang=fr.).

1.3 La Présidente du Tribunal de céans a constaté, lors de l’audience du
6 novembre 2020, l’échec de la tentative obligatoire de conciliation, et des arbitres ont été désignés (art. 39, 41 et 45 LaLAMal). Le Tribunal a ainsi été constitué.

1.4 La compétence du Tribunal de céans pour juger du cas d’espèce est ainsi établie ratione loci et materiae.

2.             Les demandes, déposées les 28 juin 2019 et 10 juillet 2020, respectent les conditions de forme prescrites par les art. 64 al. 1 et 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10). Elles sont dès lors recevables.

3.             Le litige porte sur la question de savoir si la pratique du défendeur pendant les années 2017 et 2018 est contraire au principe de l’économicité, et, dans l’affirmative, dans quelle mesure les demanderesses sont habilitées à lui réclamer l’éventuel trop perçu.

4.             Aux termes de l’art. 56 al. 1 et 2 LAMal, le fournisseur de prestations doit limiter ses prestations à la mesure exigée par l’intérêt de l’assuré et le but du traitement. La rémunération des prestations qui dépasse cette limite peut être refusée et le fournisseur de prestations peut être tenu de restituer les sommes reçues à tort au sens de cette loi.

Un cas de polypragmasie est réalisé aussi lorsque le fournisseur de prestations facture des montants qui excèdent ceux des traitements plus économiques qu'il aurait pu dispenser, ou que des positions tarifaires sont elles-mêmes cumulées de façon prohibée, car les prestations ne sont ainsi plus limitées à la mesure exigée par l'intérêt de l'assuré et le but du traitement (arrêt du Tribunal fédéral 9C_21/2016 du 17 novembre 2016 consid. 6.2).

5.              

5.1 Selon la maxime inquisitoire qui régit la procédure devant le tribunal arbitral des assurances, il appartient au tribunal arbitral d'établir les faits déterminants pour la solution du litige et d'administrer, le cas échéant, les preuves nécessaires (art. 89 al. 5 LAMal). Cette maxime doit être relativisée par son corollaire, soit le devoir de collaborer des parties, lequel comprend l'obligation d'apporter, dans la mesure où cela est raisonnablement exigible, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, autrement dit d'étayer leurs propres thèses en renseignant le juge sur les faits de la cause et en lui indiquant les moyens de preuve disponibles, spécialement lorsqu'il s'agit d'élucider des faits qu'elles sont le mieux à même de connaître. Si le principe inquisitoire dispense les parties de l'obligation de prouver, il ne les libère pas du fardeau de la preuve, dans la mesure où, en cas d'absence de preuve, c'est à la partie qui voulait en déduire un droit d'en supporter les conséquences, sauf si l'impossibilité de prouver un fait peut être imputée à la partie adverse. Cette règle ne s'applique toutefois que s'il se révèle impossible, dans le cadre de la maxime inquisitoire et en application du principe de la libre appréciation des preuves, d'établir un état de fait qui correspond, au degré de la vraisemblance prépondérante, à la réalité (ATF 139 V 176 consid. 5.2 et les références). En l'absence de collaboration de la partie concernée par de tels faits et d'éléments probants au dossier, l'autorité qui met fin à l'instruction du dossier en considérant qu'un fait ne peut être considéré comme établi, ne tombe pas dans l'arbitraire et ne viole pas l'art. 8 CC.

L'autorité peut cependant renoncer à procéder à des mesures d'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les références).

5.2 Le médecin faisant l'objet d'une procédure en remboursement en raison d'une polypragmasie, doit établir par des exemples concrets pourquoi une certaine catégorie de ses malades engendrerait un surcoût. Il ne suffit pas de l'affirmer, de requérir l'intervention d'un expert ou de produire une liste de patients. Il appartient au contraire au médecin de rendre vraisemblable que sa pratique diffère fondamentalement de celle des autres médecins composant son groupe (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_205/2008 du 9 décembre 2008 consid. 4.6.2 et 4.7.3).

5.3 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 360 consid. 5b ; ATF 125 V 195 consid. 2).

6.             Le défendeur conteste la qualité pour agir des demanderesses, motif pris qu’elles n’avaient produit aucune facture prouvant qu’elles avaient effectivement versé des prestations relevant de l’AOS.

6.1 Selon l'art. 56 al. 2 let. b LAMal, ont qualité pour demander la restitution les assureurs dans le système du tiers-payant. Selon la jurisprudence, il s'agit de l'assureur qui a effectivement pris en charge la facture. Par ailleurs, les assureurs, représentés le cas échéant par leur fédération, sont habilités à introduire une action collective à l'encontre du fournisseur de prestations, sans spécifier pour chaque assureur les montants remboursés. Ainsi, il n'est pas exigé, dans le cadre de l'art. 56 al. 2 let. a LAMal, que chaque assureur-maladie entame séparément une action en restitution du trop-perçu contre le fournisseur de prestations en cause ; les assureurs - représentés cas échéant par SANTÉSUISSE – peuvent introduire une demande globale de restitution à l'encontre d'un fournisseur de prestations et, à l'issue de la procédure, se partager le montant obtenu au titre de restitution de rétributions perçues sans droit (ATF 127 V 281 consid. 5d). Le fait d'agir collectivement, par l'intermédiaire d'un représentant commun, et de réclamer une somme globale qui sera répartie à la fin de la procédure ne contrevient donc pas au droit fédéral (ATF 136 V 415 consid. 3.2). Il est dès lors sans importance que certains assureurs n'aient remboursé aucun montant pendant une période déterminée. Ils ne participeront pas au partage interne (arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 6/06 du 9 octobre 2006, consid. 3.3 non publié in ATF 133 V 37, mais in SVR 2007 KV n° 5 p. 19 ; ATF 127 V 281 consid. 5d).

6.2 Néanmoins, la prétention en remboursement appartient à chaque assureur‑maladie, raison pour laquelle son nom doit figurer dans la demande, ainsi que dans l'intitulé de l'arrêt. Lorsqu'un groupe d'assureurs introduit une demande globale, il peut dès lors seulement réclamer le montant que les membres de ce groupe ont payé en trop, mais non la restitution de montants payés par d'autres assureurs ne faisant pas partie du groupe, à moins d'être au bénéfice d'une procuration ou d'une cession de créance de la part de ces derniers. Dans l'hypothèse où une violation du principe d'économicité est retenue, seuls devraient être restitués par le médecin recherché les montants effectivement remboursés par les caisses-maladie parties à la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 9C_260/2010 du 27 décembre 2011 consid. 4.7). Enfin, la production, par une assurance‑maladie, d'une seule facture pour l'année litigieuse suffit à admettre sa légitimation active (arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 61/99 du 8 mars 2000, consid. 4.c).

7.             En l’espèce, l’action en justice est conduite par SANTÉSUISSE, représentant les demanderesses énoncées dans le rubrum du présent arrêt sous demanderesses I et II.

Les demanderesses ont produit deux documents nommés « Daten-Pool » pour les années 2017 et 2018 de SASIS SA, lesquels mentionnent les noms des assureurs qui ont remboursé des prestations au défendeur durant les années précitées. Figurant toutes sur lesdits documents, les demanderesses sont habilitées à demander la restitution de l'intégralité de l'éventuel trop perçu.

En effet, selon la jurisprudence constante, une pleine valeur probante est reconnue aux « Daten-Pool », en l'absence d'éléments contraires rendant vraisemblable que l’une ou l’autre des caisses demanderesses n'aurait pas, pour l’année considérée, presté en faveur du fournisseur de prestations concerné, sur la base de sa propre facturation (arrêt du Tribunal fédéral 9C_778/2016 du 12 décembre 2017 consid. 6 ; ATAS/209/2018 du 9 mars 2018).

Partant, la légitimation active de celles-ci doit être admise.

8.             Le défendeur invoque la péremption des prétentions des demanderesses, en soutenant que celles-ci n'ont pas prouvé à quelle date les indices de régression étaient disponibles pour les années considérées.

8.1 Aux termes de l'art. 25 al. 2 LPGA, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31décembre 2020, applicable en l'espèce, le droit de demander la restitution s'éteint un an après le moment où l'institution d'assurance a eu connaissance du fait, mais au plus tard cinq ans après le versement de la prestation. Le même délai s'applique aux prétentions en restitution fondées sur l'art. 56 al. 2 LAMal (ATF 133 V 579 consid. 4.1). Il s'agit d'une question qui doit être examinée d'office par le juge saisi d'une demande de restitution (ATF 140 V 521 consid. 2.1).

Malgré la terminologie légale, il s'agit de délais (relatif ou absolu) de péremption et non de prescription (ATF 142 V 20 consid. 3.2.2). Ces délais ne peuvent par conséquent être interrompus (cf. ATF 136 II 187 consid. 6), ni suspendus et ne laissent pas subsister d'obligation naturelle (ATF 119 V 431 consid. 3a). Le délai de péremption absolu de cinq ans prévu par l’art. 25 al. 2 LPGA signifie que si le délai d’une année a été respecté, la restitution ne peut porter que sur des paiements effectués dans les cinq ans précédant la demande de restitution (ATF 112 V 180 consid. 4a).

Pour préserver le délai, il suffit de déposer une demande devant l'autorité de conciliation prévue par le droit cantonal ou les conventions tarifaires ou devant le Tribunal arbitral cantonal au sens de l'art. 89 al. 1 LAMal.

Selon le Tribunal fédéral, il n'est pas arbitraire, faute d'éléments établissant le contraire, de retenir comme point de départ du délai de péremption, la date figurant sur les statistiques factureurs (RSS) intitulés « préparation des données » et correspondant à la prise de connaissance par les caisses-maladie des statistiques légitimant leurs réclamations (arrêts 9C_593/2021 du 6 septembre 2022 consid. 3.3.3 et 9C_968/2009 du 15 décembre 2010 consid. 2.3).

8.2 En l’occurrence, les statistiques des factureurs (RSS) pour 2017 ont été publiées le 17 juillet 2018 et celles afférentes à 2018 le 17 juillet 2019. Selon le défendeur, la date de publication des statistiques RSS n'est cependant pas déterminante et il faut établir à quelle date les statistiques établissant l'indice de régression ont été publiées. Il est vrai par ailleurs que, contrairement à ce que soutiennent les demanderesses, SASIS SA ne certifie, dans ses courriers du 17 juillet 2018 et du 17 juillet 2019, que la date de la préparation des statistiques RSS en 2017 et 2018.

Il sied toutefois de relever que, tout comme pour les statistiques ANOVA, les statistiques de régression sont fondées sur les données des statistiques RSS (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_558/2018 du 12.4.2019 consid. 7.1 pour la méthode ANOVA). Partant, la date de préparation des données des statistiques RSS reste valable pour déterminer la date de départ du délai de péremption.

Les demandes ayant été déposées les 28 juin 2019 et 10 juillet 2020, il sied de constater qu'elles respectent le délai de péremption.

9.             Une violation du principe d'économicité est présumée, selon la jurisprudence développée avant l'adoption de la méthode de régression, lorsque la marge de tolérance des coûts totaux et des coûts directs des statistiques est dépassée (ATF 133 V 43 consid. 2.5.1-2.5.5 p. 47 ss). Les statistiques des assureurs-maladie peuvent ainsi constituer une preuve suffisante d'une polypragmasie, en l'absence d'indices mettant en doute la pertinence de leur application dans un cas précis.

La marge de tolérance, selon la jurisprudence relative à la méthode statistique ANOVA, est entre 20 et 30% en plus du coût moyen par patient du groupe de comparaison (ATF 137 V 43 consid. 2.2 p. 45 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_67/2018 du 20 décembre 2018 consid. 12.1).

Lors de l'examen de la question de l'économicité, l'indice de l'ensemble des coûts est en principe déterminant (ATF 133 V 37 consid. 5.3). Lorsque ces coûts se situent dans la marge de tolérance, le principe de l'économicité est respecté. Dans la négative, il sied d'examiner si l'indice des coûts directs dépasse la marge de tolérance. Si tel est le cas, une violation de ce principe est présumée. L'obligation de restituer, en application de l'art. 56 al. 2 LAMal, n'englobe toutefois que les coûts directement liés à la pratique du médecin (y compris les médicaments délivrés par lui ; ATF 137 V 43 consid. 2.5.1 ss. p. 47ss ; 133 V 43 consid. 2.5.1-2.5.5 p. 47 ss).

10.          

10.1 Selon l'art. 56 al. 6 LAMal, entré en vigueur le 1er janvier 2013, les fournisseurs de prestations et les assureurs conviennent d’une méthode visant à contrôler le caractère économique des prestations.

Par convention signée le 27 décembre 2013 et le 16 janvier 2014, la FMH, d'une part, et SANTÉSUISSE et CURAFUTURA, d'autre part, se sont mis d'accord sur l'application de la méthode statistique ANOVA au contrôle de l'économicité de la pratique médicale des médecins. Celle-ci a été admise par le Tribunal fédéral, lequel a considéré que l'art. 56 al. 6 LAMal ne contenait pas de précisions ou une énumération à titre d'exemple de critères à respecter lors du contrôle. Les critères devaient être élaborés et déterminés en partenariat, ce qui était dans la compétence exclusive des fournisseurs de prestations et des assureurs (ATF 144 V 79 consid. 5.3.1 p. 82).

Les parties à cette convention ont en outre convenu que la méthode ANOVA devait être développée par les fournisseurs de prestations et les assureurs et notamment être complétée par des variables de morbidité. C'est ce qu'elles ont réalisé, en collaboration avec POLYNOMICS SA, en adoptant une analyse de régression en deux étapes. L'analyse de régression inclut non plus seulement les critères de morbidité, de l'âge et du sexe, mais également les critères « franchise à option », « séjour dans un hôpital ou dans un établissement médico-social l'année précédente », ainsi que le « pharmaceutical cost groups » (ci-après : PCG). Cette méthode calcule en outre un indicateur d'incertitude qui fournit des indications sur la fiabilité des résultats. Selon le rapport final de POLYNOMICS SA « Développement de la méthode statistique d'évaluation d'économicité », « Si un cabinet dévie dans toutes ses observations d'une valeur similaire par rapport aux coûts prévus par le modèle, le facteur d'incertitude sera bas. Mais si certaines observations dévient très fortement dans le sens positif, alors que d'autres ne dévient presque pas ou négativement, l'indicateur d'incertitude sera élevé » (p. 90).

Par convention signée les 10 juillet, 15 et 23 août 2018, les parties ont déclaré la méthode de régression (screening) applicable dans le futur au contrôle de l'économicité de la pratique médicale, soit pour la première fois pour l'année statistique 2017 (arrêt du Tribunal fédéral 9C_558/2018 du 12 avril 2019 consid. 7.1).

10.2 En l'occurrence, la méthode de régression est en principe applicable au contrôle de l'économicité, conformément à la convention signée par les assureurs-maladie et fournisseurs de prestations.

Selon la méthode de régression pour l'année 2017, l'indice des coûts directs du défendeur est de 221. Cet indice ne comprend pas le coût des médicaments dispensés directement par le médecin. Avec les médicaments dispensés par le défendeur, l'indice est de 188. L'indice des coûts totaux est de 184.

Selon la méthode ANOVA, l'indice des coûts directs est de 208 et l'indice des coûts totaux de 169.

Selon les statistiques RSS, l'indice des coûts directs avec médicaments, dont le coût est toutefois peu élevé (CHF 2'652.- sur un chiffre d'affaires de CHF 1'017'957.-), est de 177 et celui des coûts totaux de 125.

Pour l'année statistique 2018, l'indice de régression des coûts directs sans médicaments est de 198 et avec les médicaments de 171. Celui des coûts totaux est de 179. L'indice des coûts directs d'ANOVA est de 191 et celui des coûts totaux de 165. Quant aux statistiques RSS, elles établissent un indice des coûts directs avec médicaments de 172 et un indice des coûts totaux de 131.

Le tableau comparatif des indices pour 2017 et 2018 est ainsi le suivant:

2017

 

Coûts directs sans médic.

Coûts directs avec médic.

Coûts totaux

Régression

221

188

184

Anova

208

-

169

RSS

 

177

125

 

2018

 

Coûts directs sans médic.

Coûts directs avec médic.

Coûts totaux

Régression

198

171

179

Anova

191

-

165

RSS

 

172

131

Il résulte de ce qui précède que, sur la base des statistiques RSS, une polypragmasie du défendeur n'aurait pas été présumée pour l'année 2017, selon la jurisprudence en la matière, dans la mesure où l'indice du coût moyen total par patient se situait encore dans la marge de tolérance admise de 130.

Il ressort par ailleurs de la comparaison des méthodes d'analyses que plus la méthode de comparaison des coûts par patient entre les médecins de la même spécialité va dans le détail en ce qui concerne les caractéristiques de la patientèle, plus les indices du défendeur sont élevés. Ainsi, la prise en compte des particularités de son cabinet est en l'occurrence en sa défaveur.

Il n'en demeure pas moins que les fournisseurs de prestations et les fédérations des assurances-maladie ont convenu d'appliquer dorénavant la méthode de régression et que, selon celle-ci, il y a une présomption de polypragmasie dans la mesure où les indices de régression des coûts totaux et ceux des coûts directs sont plus élevés de plus de 20 à 30% des indices des médecins du même groupe de comparaison.

11.         Contrairement à la méthode statistique qui s'appuie essentiellement sur la comparaison chiffrée des médecins, la méthode analytique entre dans le détail de la pratique du médecin soupçonné de polypragmasie (Valérie JUNOD, Polypragmasie, analyse d'une procédure controversée in Cahiers genevois et romands de sécurité sociale n° 40-2008, p. 137). Lorsque le tribunal arbitral décide d'appliquer cette méthode, il ordonne la sélection d'un nombre représentatif de dossiers du médecin concerné (RAMA 1987 p. 349 s).

Le tribunal décide s'il examine lui-même ces dossiers ou s'il les confie à un ou plusieurs médecins mandatés à titre d'expert. L'expert examine en détail le contenu des dossiers afin de déterminer si chaque décision du médecin était correcte dans le cas particulier. Le médecin mis en cause doit généralement soutenir activement le travail de l'expert. Il a ainsi l'opportunité de discuter les cas considérés a priori douteux par l'expert et d'apporter ses justifications (arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 124/03 du 16 juin 2004, consid. 6 et 7 ; K 130/06 du 16 juillet 2007 consid. 5 ; V. JUNOD, op. cit., p. 138).

12.         En l'espèce, compte tenu des procédures de polypragmasie contre le défendeur qui se succèdent depuis 2016 et le changement de la méthode de comparaison avec l'adoption de la méthode de régression qui s'avère en défaveur du défendeur, le Tribunal de céans a ordonné une expertise analytique de la pratique médicale du défendeur.

Dans son rapport du 30 septembre 2022, l'expert expose avoir sélectionné 300 patients pour les années 2017 et 2018, en se faisant remettre toutes les consultations des semaines 4/2017, 37/2017, 11/2018 et 50/2018. Il constate que les rendez-vous sont planifiés toutes les demi-heures dès 8h. Souvent, le défendeur donne une ou deux consultations téléphoniques dès 7h30. Il reçoit également des patients régulièrement le samedi avec des horaires variables. L'activité du défendeur est importante par rapport à ses confrères du même groupe. Il résulte de l'examen des agendas du cabinet qu'il y a une grande régularité dans les rendez-vous et qu'il n'y a pas beaucoup d'urgences (deux sur quatre semaines). En plus des consultations, deux à quatre patients par jour, sauf le samedi, viennent faire une prise de sang. Le défendeur a fait peu de visites à domicile (deux durant les quatre semaines examinées). Selon l'expert, le défendeur est très à l'écoute de ses patients, les soutient et les accompagne dans leurs difficultés. L'expert n'a pas vu de cas de HIV ni de toxicomanie avec distribution de produits de substitution ni de consultations spécifiques d'homéopathie. Le défendeur n'utilise pas les positions TARMED réservées à l'homéopathie, lesquelles permettent de justifier des consultations de 45 à 60 minutes. Il n'y a presque pas de traumatologie ni d'urgences médicales, peu de radiologie, d'électrocardiogramme (ECG), de spirométrie, de radiographies du thorax, de patients sous Sintrom, nécessitant un contrôle de coagulation au minimum une fois par mois, très peu de diabétiques (contrôle de laboratoire nécessaire environ tous les trois mois), sous immunodépresseurs pour une maladie rhumatismale ou digestive (contrôle de laboratoire nécessaire tous les mois au début, puis tous les trois mois). Par contre, une grande partie des patients présente des troubles anxieux ou dépressifs, des difficultés existentielles et d'adaptation.

Malgré plusieurs demandes, l'expert n'a pas pu examiner les dossiers et factures des médecins assistants du défendeur. Ce dernier a expliqué à cet égard que les dossiers étaient détenus par les médecins assistants. Selon les allégations du défendeur, le chiffre d'affaires réalisé par ces derniers était de CHF 266'724.- en 2017 et de CHF 99'204.- en 2018, mais l'expert n'a pas pu obtenir les pièces justificatives y relatives avant de rendre son rapport. Il constate par ailleurs que les chiffres d'affaires comptabilisés par SANTÉSUISSE correspondent à la somme des chiffres d'affaires du défendeur et de ceux des médecins assistants. Celui-ci n'a fourni aucune explication à ce sujet. Le défendeur déclare par ailleurs une charge de salaires de CHF 329'800.- en 2017, ce qui est énorme selon l'expert. Celui-ci suppose que ce montant comprend les salaires d'un ou plusieurs médecins assistants dont le défendeur assume en principe les 40%. En 2018, la charge salariale est de CHF 202'466.-.

Les prestations sont facturées conformément aux positions TARMED. La facturation pour des patients qui ne sont pas venus, après annulation de leur rendez-vous, semble cependant erronée.

Par ailleurs, le défendeur utilise des positions TARMED réservées aux spécialistes FMH en rhumatologie ou en allergologie et immunologie clinique. Toutefois, les positions facturées sans droit pour ces domaines paraissent peu élevées, de l'ordre de quelques milliers de francs.

Concernant les examens en laboratoire, environ 70 à 75% des prises de sang sont effectuées pour un grand bilan et seulement 25 à 30% peuvent être qualifiées de ciblées. Les coûts directs pour ces examens sont environ du double du groupe témoin. Le défendeur fait également de façon surprenante beaucoup d'analyses en laboratoire à l'extérieur avec des indices pour ces coûts de 116 pour 2017 et 123 pour 2018.

Pour les prises de sang en dehors d'une consultation, il facture, en plus de l'analyse, des positions pour une consultation spécifique par le spécialiste de premier secours, pour la prise en charge, le suivi et la surveillance au cabinet médical (15 minutes), ainsi qu'une prestation en l'absence du patient, laquelle est déjà comprise dans le prix du laboratoire. Ces positions renchérissent le bilan de CHF 64.67. Le défendeur effectuant 10 grands bilans par semaine, le surcoût pour 44 semaines d'activité représente environ CHF 28'454.- par année.

Quant aux traitements de laser, l'expert a vu plusieurs rendez-vous sans factures. Sur deux ans, il a retenu 9 cas pour environ CHF 250.- chacun. Les sommes facturées à ce titre à l'AOS lui semblent assez anecdotiques. Il n'y a cependant pas de facturation pour l'anesthésie locale ni le fil ni l'anesthésiant, ni l'ablation des fils, alors que les positions facturées se rapportent au traitement de plaies au visage, au cou et aux mains.

Les positions réservées à la rhumatologie ou à l'allergologie que le défendeur a facturées sans être en disposition de la valeur intrinsèque, sont également relativement peu élevées.

En 2017, 70% des consultations sont facturées par un chainage de positions représentant 8,5 périodes de 5 minutes, soit 42,5 minutes par consultation. Le défendeur facture également souvent la position 00.0140 « Activité en l'absence du patient par tranche de 5 minutes ». En 2018, le défendeur facture 70% de ses prestations avec un chainage de positions représentant 47,5 minutes, dont 2 fois la position 00.0520 « Consultation psychothérapeutique ou psychosociale ». Il ajoutait aussi assez régulièrement 5 fois la position 00.0145 « Activité pour le patient en son absence par tranche de 1 minute » qui a remplacé la position 00.0140.

Les heures facturées dépassent considérablement les heures de consultations notées dans les agendas. Ainsi, dans les semaines examinées, en admettant que le défendeur commence à travailler à 7h30, il aurait terminé, certains jours les consultations à 21h55, sans faire de pauses. Le total des heures prévues est de 154 heures dans les 4 semaines examinées, alors que le défendeur a facturé 235 heures, ce qui représente une différence de 81 heures environ et pour 44 semaines 880 heures, soit CHF 188'707.20 au tarif de CHF 214,44.

Quant à la question de savoir si les prestations effectuées sont conformes au principe d'efficacité, d'adéquation et d'économicité, il est difficile d'y répondre, selon l'expert, le défendeur pratiquant une médecine différente. Certains grands bilans d'analyses de laboratoire effectués d'office auraient peut-être pu être effectués en deuxième intention, en raison d'autres résultats anormaux ou de pathologies particulières.

Le temps consacré par le médecin formateur à l'encadrement, aux conseils et à la supervision de son assistant ne peut pas être facturé à l'AOS. Chaque médecin-assistant doit par ailleurs avoir son propre numéro GLN/EAN.

Dans 55 des cas examinés, le temps de consultation paraît exagéré, ce qui confirme le fait que le défendeur a tendance à surfacturer en temps. Il voit aussi ses patients plus souvent. Cela s'explique éventuellement par le fait qu'il a nettement plus de consultations pour des problèmes psychologiques et que les femmes sont surreprésentées dans les tranches d'âge 46 à 76 ans, étant précisé que les femmes consultent plus souvent que les hommes pour ce genre de problèmes.

Selon l'expert, les surcoûts peuvent être évalués sur la base de la méthode de régression, tout en relevant que le principal problème est celui du temps de consultation facturé (ch. 6 expertise). Une marge de 130 permet de tenir compte de ce que le défendeur soigne beaucoup de cas psychiatriques et plus de femmes. Il n'y a pas d'indices qu'il soigne une patientèle particulièrement atteinte dans sa santé ou nécessitant des soins particuliers.

L'expert a ainsi évalué le dépassement des coûts directs à CHF 298'748.25 pour 2017 et à CHF 239'030.- pour 2018, sur la base des indices de régression des coûts totaux du défendeur, et en appliquant une marge de 130%.

13.         Le défendeur relève en premier lieu¸ dans ses écritures du 19 janvier 2023, que l'expert n'aurait pas dû être mis au courant de son opposition à sa nomination ni des arrêts précédents du Tribunal de céans, ces éléments étant susceptibles de l'influencer négativement. Il ne demande toutefois pas formellement sa récusation.

En outre, il reproche à l'expert d'avoir examiné sa pratique médicale en utilisant les statistiques, ce qui n'est pas compatible avec une expertise analytique.

Il constate que l'expert admet qu'il est très à l'écoute de ses patients, les soutient et les accompagne dans leurs difficultés, de sorte qu'avec les années, son attitude fait très probablement que les personnes avec des troubles anxieux, des difficultés existentielles ou d'adaptation, ainsi que souffrant d'un état dépressif s'adressent plus souvent à lui qu'aux autres confrères.

Concernant les horaires de travail retenus, il précise qu'il dort à son cabinet, commence ses journées vers 5h du matin et reçoit le premier patient à 7h (urgences). Ses journées se terminent généralement à 22h, 6 jours sur 7. Il fait tous les jours des visites à domicile et agende celles qui sont prévues à l'avance généralement le mercredi après-midi. Les vraies urgences, à savoir les patients qui se rendent directement au cabinet, n'apparaissent pas dans ses agendas. Selon le débiteur, il ne donne pas d'emblée un rendez-vous de contrôle, mais laisse le patient rappeler au besoin. Même chez les patients avec des maladies chroniques, il fait peu d'examens complémentaires, car il se fonde essentiellement sur la clinique et une bonne anamnèse. Il effectue peu d'analyses sanguines. Dans sa patientèle, il y a des toxicomanes et des personnes atteintes de HIV. La distribution des médicaments (Methadone, Sèvre-Long, Sativex, Ritaline etc.) se fait par les pharmacies et non au cabinet. Il est souvent consulté en raison de son approche en homéopathie, phytothérapie et aromathérapie. La technologie et l'instruction des patients leur permettent de faire des contrôles à domicile, si bien qu'un contrôle une fois par mois n'est pas nécessaire pour certaines maladies, ce qui constitue une économie pour l'AOS.

Quand un patient ne vient pas ou n'a pas annulé le rendez-vous dans les 24 heures, CHF 100.- lui sont facturés.

La technique du laser permet de faire de petites opérations avec ou sans anesthésie et sans fil, ce qui est économique. Le laser en tant que tel n'est pas facturé.

Les traitements de Quinton et d'Arnica constituent la mésothérapie, pour laquelle le défendeur a été formé et a le droit d'utiliser les positions correspondantes. Il s'agit d'une spécialité du cabinet. Il est également formé pour pratiquer la prestation de la position 00.1570 TARMED (CHF 18.97) pour une recherche allergologique.

La facturation des positions en chainage est justifiée et toutes les positions n'ont pas été facturées.

Quant aux positions 00.1370 ou 00.1375, elles ne sont pas facturées en raison d'un malaise, mais pour un simple suivi et une surveillance du patient au cabinet par les assistantes. Ce sont celles-ci qui les facturent.

Le défendeur met en exergue que, selon l'expert, les irrégularités de facturation sont assez anecdotiques, de l'ordre de quelques milliers de francs par année.

Il relève par ailleurs que, dans la mesure où le TARMED découpe les prestations médicales par tranches de 5 minutes, il y a des arrondis qui impliquent que le temps facturé est supérieur au temps effectivement consacré à un patient. Lorsqu'il y a plusieurs prestations différentes pour le même patient, plusieurs arrondis peuvent figurer sur la facture. L'impact de ces « arrondis » et le retard moyen pris dans une journée devraient être évalués par l'audition des assistantes médicales du défendeur en tant que témoins.

De surcroît, l'expertise a établi qu'entre 4 et 9 patients viennent tous les jours bénéficier de prestations médicales au cabinet (prise de sang, radiographie, séance laser) sans voir le médecin. Le temps consacré à ces prestations vient s'ajouter au temps des consultations mentionnées dans les agendas.

Le défendeur met en outre en exergue certaines erreurs concernant la durée des consultations prévues dans les agendas, à savoir :

-          Semaine 11/2018, 15.3.2018 : selon l'expert 8,5 heures prévues et facturé 13 heures avec la remarque « Là il aurait terminé ses consultations ininterrompues à 20h30, mais en fait il avait un rendez-vous à l'extérieur pour un repas agendé dans son carnet de rendez-vous ».

Selon le défendeur, il s'agit d'une visite à domicile, non d'un repas en soirée.

-          Semaine 4/2017, 28.1.2017 : selon l'expert, 1,5 heure prévus et facturé 3 heures et 5 minutes.

Selon le défendeur, 3 heures étaient prévues.

-          Semaine 37/2017, 13.9.2023 : selon l'expert, 4,5 heures prévues le matin plus une visite l'après-midi, facturé 7 heures 40 minutes.

Selon le défendeur : 6 heures étaient prévues, la visite ayant pris beaucoup de temps à cause de la présence d'une infirmière.

-          Semaine 11/2018, 13.3.2018 : selon l'expert, 9 heures prévues et 14 heures et 25 minutes facturées.

Selon le défendeur : début de la journée à 6h30 et non à 7h30.

-          Semaine 50/2018, 12.12.2018 : 4,5 heures prévues et 7,75 heures facturées.

Selon le défendeur : 6,5 heures étaient prévues.

La durée et le montant des prestations délivrées par les assistantes médicales et facturées par le défendeur devraient être établis par un complément d'expertise.

Cela étant, le défendeur conteste la différence d'environ 20 heures par semaine entre les consultations agendées et facturées.

Concernant le surcoût lié au fait qu'il est médecin formateur, il soutient qu'un médecin en formation peut faire des erreurs, demander plus d'analyses que nécessaire. Parfois, le médecin formateur doit revoir un patient qui a été vu par le médecin en formation. Cela entraine une augmentation du coût par patient.

Le défendeur demande également une confrontation à l'expert concernant les 55 cas, pour lesquels ce dernier estime que le temps de consultation parait exagéré, et justifie le temps de consultation pour quelques-uns de ces cas à titre d'exemple.

14.          

14.1 Des nombreux témoignages de patients du défendeur parvenus au Tribunal de céans, mais également de l'expertise, il ressort que le défendeur est très apprécié, non seulement en raison de sa qualité d'écoute et son empathie, mais également de ses compétences, son approche holistique de la santé de ses patients et des résultats obtenus. L'expert admet à cet égard que le défendeur pratique une médecine différente, de sorte qu'il lui est difficile de se prononcer sur l'efficacité et l'adéquation des traitements.

Toutefois, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la satisfaction des patients et leur bien-être ne permettent pas de tirer des conclusions sur l'efficacité et l'adéquation des traitements (ATF 144 V 79 consid. 6.2 s. p. 83).

Par ailleurs, quel que soit le traitement effectué, son efficacité et son adéquation, cela ne donne pas le droit à un médecin de facturer plus d'heures qu'effectivement réalisées ni de facturer les prestations d'une façon contraire au TARMED.

14.2 En l'occurrence, l'expert a constaté un écart considérable entre les heures facturées et les heures de consultations notées dans les agendas. Dans les dossiers de quatre semaines examinées, il n'y a en effet que 154 heures prévues dans l'agenda, alors que le défendeur a facturé 235 heures. Par ailleurs, le chainage des positions dépasse la demi-heure réservée aux consultations dans 70% des consultations.

Certes, le défendeur semble travailler beaucoup et sa grande disponibilité est relevée par ses patients. Néanmoins, à moins de prendre beaucoup de retard au cours de la journée pour les rendez-vous agendés, ce qui n'est pas établi, il est difficile de comprendre comment il peut consacrer aux patients presque systématiquement plus de temps que prévu.

14.3 Le défendeur déduit de l'affirmation de l'expert que la surfacturation en temps ne constitue pas une surmédicalisation et donc pas une polypragmasie, qu'une pratique non économique ne peut lui être reprochée. Toutefois, le terme de polypragmasie est une notion juridique. Comme relevé ci-dessus, elle est réalisée lorsque le fournisseur de prestations facture des montants qui excèdent des traitements plus économiques envisageables ou que les positions tarifaires sont cumulées de façon prohibée. Or, en l'occurrence, en raison du chainage des positions facturées qui excède le temps de la consultation dans la majorité des cas (70% selon l'expert), la pratique du défendeur relève bel et bien d'une polypragmasie.

14.4 Il y a par ailleurs peu de visites à domicile durant les semaines examinées, ce qui est confirmé par les statistiques. En effet, selon les statistiques RSS, il n'y avait que 35 visites à domicile pour 2017 et 30 pour 2018, c'est-à-dire moins d'une visite par semaine. Si le défendeur faisait beaucoup de visites comme il l'allègue, cela devrait ressortir de sa facturation.

14.5 Quant aux toxicomanes, le défendeur en suit 56, ce qui ne semble pas être contesté par SANTÉSUISSE. Ce nombre est élevé en chiffre absolu, même si le médecin-conseil de cette organisation considère qu'il n'est pas exceptionnel par rapport au nombre de patients traités par le défendeur et ses médecins assistants (1191 en 2017 et 1106 en 2018). Le médecin-conseil de SANTÉSUISSE admet toutefois que le suivi socio-médical est en règle générale élevé pour cette catégorie de patients. L'expert relève également que si le défendeur soignait beaucoup de toxicomanes et patients polymorbides, comme il l'allègue, le nombre de consultations par patient serait très important. Pour 20 toxicomanes substitués, on doit les voir deux fois par mois. Sur 44 semaines, cela représente 22 consultations par patient et par an, soit 440 consultations en tout. Partant, la présence de beaucoup de toxicomanes parmi la patientèle peut expliquer et justifier un coût par patient plus élevé par rapport au groupe de comparaison.

Quoi qu'il en soit, cela n'explique pas pourquoi le défendeur dépasse d'une façon importante le nombre d'heures agendé pour les consultations.

14.6 En ce qui concerne les médecins-assistants, le Tribunal fédéral a jugé, concernant le défendeur, que la collaboration d'un médecin-assistant ne constitue en principe pas une particularité de la pratique justifiant une augmentation des coûts et permet uniquement de s'occuper de plus de patients sans augmenter le besoin de traitement objectivement nécessaire (arrêt 9C_150/2020 du 12 juin 2020 consid. 4.4). Cela est confirmé par l'expert judiciaire. Au demeurant, le défendeur n'a pas fourni des données concrètes de son cabinet et les factures des années 2017 et 2018 qui auraient pu établir un coût par patient plus élevé en raison de son activité de formateur.

14.7 S'agissant des factures produites par le défendeur pour les lundi 23 janvier et mardi 12 septembre 2017, ainsi que le mercredi 14 mars 2018, elles confirment les divergences massives entre les heures réservées aux consultations dans l'agenda et le temps facturé par le défendeur, parfois de deux heures. Avec le médecin-conseil de SANTÉSUISSE, il sied d'admettre que les retards importants et réguliers des rendez-vous ne sont pas compatibles avec une bonne organisation du cabinet et engendreraient des retards difficiles à admettre par les patients.

14.8 Les arrondis prévus dans le TARMED pour le temps facturé, ne permettent pas d'expliquer la différence entre les heures réservées aux consultations et le temps facturé, ce qui est confirmé par l'expert lors de son audition. Par ailleurs, ils sont identiques pour tous les médecins et ne peuvent dès lors justifier un surcoût.

14.9 En ce qui concerne les consultations facturées lors d'une prise de sang, d'un examen, d'une radiographie ou d'une séance laser, en plus de l'acte technique, ainsi que le suivi et la surveillance au cabinet médical et la prestation en l'absence du patient, le défendeur n'établit pas en quoi la facturation systématique de ces positions serait justifiée lors d'une prise de sang, un autre examen ou traitement en l'absence du médecin. Par ailleurs, l'expert a déclaré que « Le fait que les patients viennent en plus des consultations pour une prise de sang ou un examen, une radio ou une séance laser, n'ajoute pas du temps supplémentaire à la durée des consultations par le médecin, dans la mesure où les patients ne le voient pas ». Le coût évalué à CHF 28'454.- par année par l'expert pour ces consultations n'est par conséquent pas justifié.

14.10 L'expert constate que le défendeur facture des prestations en rhumatologie, allergologie et immunologie clinique, sans disposer de la valeur intrinsèque pour ces spécialisations.

Il est à cet égard rappelé que le TARMED prévoit, à son interprétation générale (IG) 10, que les prestations ne peuvent être facturées que par les spécialistes répondant aux exigences de valeur intrinsèque qualitative liées à ces prestations (exigences de formation post-graduée et continue, notamment titre de spécialiste et formations approfondies, attestations de formation complémentaire et certificats d'aptitude technique). Tout médecin adhérant à ladite convention, qu'il soit membre ou non de la FMH, doit satisfaire aux critères de reconnaissance. Le respect de ces critères est une condition pour obtenir l'autorisation de facturation (art. 7 al. 2 de la convention-cadre TARMED - CCT).

En l'occurrence, le défendeur ne dispose pas de la valeur intrinsèque pour facturer les positions du TARMED pour la rhumatologie, l'immunologie et allergologie. Il ne le conteste par ailleurs pas pour la rhumatologie et l'immunologie. La question de savoir s'il a le droit de facturer la position 00.1570 TARMED (CHF 18.97) pour une recherche allergologique, comme il l'allègue, peut rester ouverte, au vu de ce qui suit.

14.11 En ce qui concerne le coût élevé des examens en laboratoire, dont 25 à 30% ne peuvent être considérés comme ciblés, il n'est pas établi que ces examens ne remplissent pas les critères d'efficacité et d'adéquation. En effet, le défendeur a une approche différente, holistique, qui peut justifier une recherche plus étendue de paramètres, en particulier pour des affections chroniques ou pour celles dont la cause n'a pas été trouvée.

15.          

15.1 L'expert considère que l'indice de régression peut être appliqué au défendeur avec une marge de 30% pour tenir compte de la particularité de sa pratique médicale. Il a établi le surcoût à CHF 298'748.25 pour 2017 et à CHF 239'030.- pour 2018, en appliquant l'indice des coûts totaux de 184, respectivement 179.

Toutefois, l'expert ne tient pas compte de ce que le défendeur soigne 56 toxicomanes, ce qui n'est pas contesté par SANTÉSUISSE. Ce fait n'a été établi qu'après l'expertise. L'expert constate uniquement que le défendeur soigne nettement plus de patients avec des problèmes psychologiques et troubles anxieux, difficultés existentielles et d'adaptation ou un état dépressif, tout en considérant que cette particularité ne justifie pas un dépassement de plus de 30% de l'indice de régression.

Cela étant, le critère le plus objectif pour évaluer le surcoût est la surfacturation en temps.

15.2 Sur la base de l'agenda, l'expert constate que le défendeur a travaillé durant les quatre semaines qu'il a examinées 154,5 heures (42h + 38,30 + 37 + 37) et qu'il a facturé 235 heures environ. La surfacturation en temps est ainsi de 81 heures environ, soit 20 heures par semaine.

Le défendeur relève les inexactitudes suivantes concernant la durée des heures de consultations prévue : 5,5 heures de plus pour la semaine 11/2018, 1,5 heure de plus pour la semaine 4/2017 et de 1,5 heure de plus pour la semaine 37/2017, soit un total de 8,5 heures de plus agendées sur quatre semaines. Ces allégations ne sont pas documentées. Il est à relever à cet égard qu'à part les inexactitudes mises en exergue par le défendeur dans les consultations agendées, il n'a pas contesté les constatations de l'expert concernant les autres jours examinés ni concernant la semaine 50/2017, si ce n'est que de manière générale.

Dans la mesure où un médecin accumule, selon l'expérience générale, du retard au fil de la journée, de sorte que la durée des consultations résultant de l'agenda ne correspond souvent pas à la réalité, les corrections du nombre d'heures réellement prévues par le défendeur peuvent toutefois être admises. Pour le surplus, dès lors que l'expert et aussi le médecin-conseil de SANTÉSUISSE ont établi que le défendeur facture des prestations pour lesquelles il n'a pas la valeur intrinsèque pour le faire, ces irrégularités de facturation compensent les autres consultations qui auraient éventuellement dépassé les heures prévues dans l'agenda.

Ainsi, une durée de 163 heures travaillées (154 + 8,5) est à retenir pour les quatre semaines examinées, pour lesquelles le défendeur a facturé 235 heures, ce qui fait une différence de 72 heures, soit 18 heures par semaine. Sur 44 semaines de travail, 18 heures facturées en plus sans justification représentent 792 heures. Au tarif de CHF 214.44, le surcoût est de CHF 169'836.- en chiffres ronds par an.

Dans ce calcul de surfacturation en temps doivent être ajoutées les consultations facturées de façon contraire à la loi lors d'une prise de sang, d'un examen, d'une radiographie ou d'une séance laser, en plus de l'acte technique. Le coût y relatif a été évalué par l'expert à CHF 28'454.- par an.

L'expert ne fait pas de différence dans son calcul pour 2017 et 2018, lequel se fonde sur 2 semaines examinées en 2017 et 2 semaines en 2018, alors que les indices de régression sont légèrement différents, à savoir de respectivement 184 et 179 pour les coûts totaux et de 221 et 198 pour les coûts directs sans médicaments. Il convient toutefois de considérer que la surfacturation en temps a été calculée sur la base d'une moyenne de 2017 et 2018, de sorte que le défendeur doit restituer pour chacune de ces années la somme de CHF 198'290.- (169'836.- + 28'454.-).

16.         Au vu de ce qui précède, le Tribunal ne juge pas nécessaire de procéder à une expertise complémentaire. Il n'est en particulier pas utile d'établir la durée et le montant des prestations délivrées par les assistantes médicales et facturées par le défendeur. En effet, en premier lieu, le défendeur répond d'une surfacturation de celles-ci, dans la mesure où il les a facturées sous son RCC. D'autre part, c'est le coût par patient qui est déterminant pour l'ensemble de la patientèle. Ce coût englobe également les prestations des assistantes. Au demeurant, il aurait appartenu au défendeur d'établir par pièce le coût relatif à leurs prestations, s'il jugeait que ce fait était important pour expliquer les indices élevés.

17.         À l'audience de conciliation, SANTÉSUISSE a amplifié ses conclusions et a conclu à ce que le défendeur soit interdit de pratiquer la médecine à la charge de l'AOS pendant une durée laissée à l'appréciation du Tribunal de céans.

17.1 Selon la jurisprudence du tribunal de céans (ATAS/1155/2022 du 21 décembre 2022 consid. 8), une conclusion initiale peut être amplifiée, par application analogique de l'art. 227 al. 1 du code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272). Selon cette disposition, la demande peut être modifiée si la prétention nouvelle ou modifiée relève de la même procédure et que la prétention nouvelle ou modifiée présente un lien de connexité avec la dernière prétention (let. a) ou que la partie adverse consent à la modification de la demande (let. b).

Toutefois si la demande s'écarte du contenu de l'autorisation de procéder par de nouvelles conclusions, la modification est admise en application de l'art. 227 CPC, sans qu'il soit exigé que la prétention nouvelle ou modifiée présente un lien de connexité avec la dernière prétention (CR CPC-Denis TAPPY, ad art. 227 ch. 13).

17.2 En l'espèce, dans la mesure où SANTÉSUISSE a formulé une conclusion nouvelle, tendant à l'exclusion temporaire du défendeur de l'AOS, lors de l'audience de conciliation et ainsi avant l'autorisation de procéder, ladite conclusion peut être admise en application de l'art. 227 al. 1 CPC a contrario.

18.         Aux termes de l’art. 59 al. 1 LAMal, les fournisseurs de prestations qui ne respectent pas les exigences relatives au caractère économique et à la garantie de qualité des prestations prévues dans la loi (art. 56 et 58) ou dans un contrat font l’objet de sanctions. Celles-ci sont :

a. l’avertissement ;

b. la restitution de tout ou partie des honoraires touchés pour des prestations fournies de manière inappropriée ;

c. l’amende ;

d. en cas de récidive, l’exclusion temporaire ou définitive de toute activité à la charge de l’assurance obligatoire des soins.

Le tribunal arbitral prononce la sanction appropriée sur proposition d’un assureur ou d’une fédération d’assureurs (cf. art. 59 al. 2 LAMal ; voir aussi EUGSTER, Krankenversicherung, in : Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, ch. 258). Il sied en effet de rappeler que les assureurs-maladie sont tenus, de par la loi, de veiller eux-mêmes à ce que les prestations allouées soient efficaces, appropriées et économiques (cf. François-X. DESCHENAUX, Le précepte de l'économie du traitement dans l'assurance-maladie sociale, en particulier en ce qui concerne le médecin, in : Mélanges pour le 75ème anniversaire du Tribunal fédéral des assurances, Berne 1992, p. 537). S'agissant de la mesure de la sanction, il convient d'appliquer le principe de proportionnalité (ATF 120 V 481 consid. 4 ; ATF 106 V 43 consid. 5c).

L’art. 59 al. 3 LAMal précise que constituent notamment des manquements aux exigences légales ou contractuelles:

a. le non-respect du caractère économique des prestations au sens de l’art. 56 al. 1 ;

b. l’inexécution ou la mauvaise exécution du devoir d’information au sens de l’art. 57 al. 6 ;

c. l’obstruction aux mesures de garantie de la qualité prévue à l’art. 58 ;

d. le non-respect de la protection tarifaire visé à l’art. 44 ;

e. la non-répercussion d’avantages au sens de l’art. 56 al. 3 ;

f. la manipulation frauduleuse de décomptes ou la production d’attestations contraires à la vérité.

Selon l'art. 59 al. 1 let. d et al. 3 let. a LAMal, les fournisseurs de prestations qui ne respectent pas les exigences relatives au caractère économique des prestations au sens de l'art. 56 al. 1 LAMal s'exposent ainsi, en cas de récidive, à l'exclusion temporaire ou définitive de toute activité à la charge de l'AOS. L'exclusion, temporaire ou définitive, de pratiquer à la charge de la LAMal consacre la rupture du lien de confiance qui doit exister entre les caisses-maladie et les médecins pratiquant à leur charge (ATF 120 V 481 consid. 2b). Elle doit être justifiée par des motifs importants ; par le passé de tels motifs avaient été admis notamment en cas de prolongation injustifiée de certificats d'incapacité de travail, d'établissement non conforme à la vérité ou tardif de rapports ou de notes d'honoraires, de tromperie ou de condamnation pénales (ATF 106 V 40 consid. 5a/aa, jurisprudence applicable également sous l'empire de la LAMal, arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 45/04 du 25 janvier 2006 consid. 3.2 et 3.3). Une exclusion à caractère de mesure disciplinaire est indépendante d'une procédure pénale et ne suppose pas nécessairement l'existence d'une faute qualifiée (ATF 120 V 481 consid. 2b). Le but en est notamment d'amener son destinataire à modifier son comportement pour qu'il se conforme à l'avenir aux exigences légales de sa profession; il ne vise pas, au premier plan, à punir le médecin concerné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_774/2020 du 31 janvier 2022 consid. 3.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_776/2016 du 20 avril 2017 consid. 3.4).

Dans un arrêt du 25 janvier 2006 (K 45/04), le Tribunal fédéral des assurances a confirmé une exclusion de deux ans à l’encontre d’un médecin ayant fréquemment pratiqué de manière polypragmasique entre 1976 et 2001 et ayant fait l’objet d’une demi-douzaine d’arrêts. Il a tenu compte de ce que le médecin, après avoir été condamné pour polypragmasie, n'avait pas encore eu la possibilité d'adapter son comportement en conséquence et de restructurer sa pratique jusqu'à l'introduction de l'action de la caisse d'assurance maladie portant sur l'année statistique suivante, ce qui était une condition préalable à l'imposition d'une sanction plus sévère.

Le Tribunal fédéral a confirmé la suspension du droit de pratiquer à la charge de l'AOS d'une durée de six mois, compte tenu de la pratique dispendieuse de la médecin, aussi bien dans sa durée que dans son importance, ainsi que l'attitude de celle-ci qui n'entendait pas changer sa méthode de travail contraire au principe de l'économicité des prestations pour laquelle elle avait précédemment été condamnée et qui s'était désintéressée du procès en renonçant à collaborer à l'instruction de la cause (arrêt du Tribunal fédéral 9C_776/2016 du 20 avril 2017).

Dans une autre affaire, le Tribunal fédéral a réduit la sanction de cinq à trois ans, s'agissant d'une situation dans laquelle le comportement du recourant avait eu des suites pénales, où la pratique dispendieuse avait porté sur une période relativement courte de 3 ans et où le recourant s'était engagé à ne plus exercer la médecine à titre indépendant dès la fin de cette période (arrêt du Tribunal fédéral 9C_622/2021).

Dans un arrêt du 3 novembre 2020, le Tribunal arbitral genevois a fixé à deux ans la durée de l'exclusion d'un médecin, qui avait certes pratiqué de manière non économique depuis 1996, mais qui avait démontré avoir pris conscience de ce que sa pratique avait été constitutive de polypragmasie (ATAS/1043/2020).

Le Tribunal fédéral a confirmé, dans son arrêt 9C_776/2016 du 22 septembre 2021, une exclusion du droit de pratiquer à la charge de l'AOS d'une durée de six mois dans le cas d'un médecin précédemment condamné pour polypragmasie et dont la pratique dispendieuse s'était étendue sans interruption sur 13 ans avec un indice moyen de coûts directs par malade de 162. Dans l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_774/2020, il a toutefois rappelé que dans la cause suscitée, il devait se prononcer uniquement sur le point de savoir si une durée inférieure à celle arrêtée par les premiers juges était justifiée, sans examiner si une exclusion pour une durée supérieure à six mois aurait dû être qualifiée de disproportionnée.

Dans une autre affaire (arrêt du Tribunal fédéral 9C_656/2020 du 22 septembre 2021 consid. 6.3), il a retenu qu'une exclusion de trois ans du droit de pratiquer à charge de l'assurance obligatoire des soins était disproportionnée dans le cas d'un médecin qui avait fait preuve d'une pratique dispendieuse durant trois années et pour lequel la sanction constituait dans les faits une exclusion définitive en raison de son âge avancé (77 ans). Dans la cause jugée par l'arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 45/04 du 25 janvier 2006, une exclusion du droit de pratiquer à la charge de l'assurance a été prononcée pour une durée de deux ans, s'agissant d'un médecin dont la pratique contraire au principe de l'économicité s'était étendue sur des dizaines d'années (consid. 4.3). Comme l'intéressé avait poursuivi une pratique dispendieuse, son exclusion définitive avait été prononcée (arrêt du Tribunal fédéral 9C_513/2015 du 9 décembre 2015).

Dans l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_774/2020 du 31 janvier 2022, une exclusion d'une année a été prononcée concernant un médecin en âge avancé qui semblait avoir admis devoir changer sa pratique et se conformer aux exigences y relatives à partir de 2017, en l'absence de condamnation en restitution pour polypragmasie depuis l'année statistique 2007 - avant celle pour l'année 2016 faisant l'objet du litige.

Si le fournisseur de prestations modifie sa pratique, qu'il sait ne pas être économique, au plus tard à compter de la notification de l'arrêt du Tribunal arbitral le condamnant pour polypragmasie, il n'encourt en principe pas le risque de se voir reprocher une récidive. Lorsqu'aucun arrêt pour polypragmasie n'a été rendu, les années pour lesquelles une demande de restitution n'a pas été déposée, mais au cours desquelles une pratique non économique est néanmoins avérée, sont toutefois prises en considération par la jurisprudence lors de l'examen de la sanction prévue par l'art. 59 LAMal (arrêt du Tribunal fédéral 9C_774/2020 du 31 janvier 2022).

19.         En l'espèce, le défendeur a été interpellé par SANTÉSUISSE depuis 2000 en raison de ses indices trop élevés par rapport au groupe de comparaison de sa spécialité. Il n'a toutefois fait l'objet pour la première fois d'une demande en restitution pour polypragmasie que pour l'année statistique 2011, mais n'a pas été condamné, dans la mesure où il s'est avéré qu'il devait être placé dans le groupe des médecins pratiquant la médecine interne générale. Or, les indices du défendeur pour ce groupe de comparaison se situaient dans la marge admissible pour les coûts totaux en 2011, de sorte qu'une polypragmasie n'était pas présumée. Pour l'année statistique 2016, le défendeur a toutefois été condamné à restituer la somme de CHF 458'607.-, sur la base de l'indice ANOVA, par arrêt du 16 janvier 2020 du Tribunal de céans (ATAS/27/2020), confirmé le 12 juin 2020 par le Tribunal fédéral. Cette procédure avait été introduite en juillet 2018.

Par la suite, le défendeur a fait l'objet de demandes de restitution en raison d'une surfacturation chaque année, soit la présente procédure concernant 2017 et 2018, puis pour 2019 (procédure A/2114/2021), ainsi que pour 2020 et 2021 (procédure A/2731/2023).

Il s'avère ainsi que le défendeur n'a pas changé sa pratique médicale fondamentalement depuis sa première condamnation pour l'année 2016. Toutefois, il obtient partiellement gain de cause dans la présente procédure. Par ailleurs, le défendeur a fait un effort pour l'année 2021 pour laquelle l'indice de régression des coûts totaux est descendu à 146, même si cela est toujours au-dessus de la marge admissible. Vraisemblablement, son indice RSS aurait été dans la marge admissible de 130. Enfin, il a fermé son cabinet fin janvier 2022 et ne travaille désormais qu'à 20% dans une petite salle de consultation, selon ses dires. La fermeture de son précédent cabinet est au demeurant confirmé par ses patients.

Cela étant, dans la mesure où aucune infraction ne peut être reprochée au défendeur, une exclusion de pratiquer à l'AOS, en plus de la restitution des sommes importantes au paiement desquelles le défendeur est condamné, ne se justifie pas. En effet, il a diminué de lui-même son activité médicale à partir de 2022.

20.         La demande sera par conséquent partiellement admise et le défendeur condamné à la restitution de CHF 396'580.- (2 x 198'290).

21.          

21.1 La procédure devant le Tribunal arbitral n’est pas gratuite. Conformément à l’art. 46 al. 1 LaLAMAL, les frais du Tribunal et de son greffe sont à la charge des parties. Ils comprennent les débours divers (notamment indemnités de témoins, port, émolument d’écritures), ainsi qu’un émolument global n’excédant pas CHF 15'000.-. Le tribunal fixe le montant des frais et décide quelle partie doit les supporter (art. 46 al. 2 LaLAMAL).

En l'occurrence, SANTÉSUISSE obtient gain de cause à raison de 61% du total de ses conclusions de CHF 643'383.- pour 2017 et 2018. Par conséquent, les frais seront mis à sa charge à raison de 39% et à la charge du défendeur à raison de 61%.

Ceux-ci comprennent un émolument de justice de CHF 4'000.-, les frais d'expertise de CHF 27'629.- et les frais du Tribunal de CHF 7'904.-.

21.2 Le défendeur obtenant partiellement gain de cause, une indemnité de CHF 3'000.- lui est octroyée à titre de dépens.

21.3 SANTÉSUISSE réclame également des dépens. Toutefois, selon la jurisprudence récente du Tribunal fédéral, les assurances-maladie qui obtiennent gain de cause ne peuvent plus prétendre à une indemnité à ce titre dans les procédures de polypragmasie (arrêt du Tribunal fédéral 9C_259/2023 du 18 septembre 2023 consid. 7.3).

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL ARBITRAL DES ASSURANCES:

Statuant

À la forme :

1.        Déclare les demandes recevables.

Au fond :

2.        Les admet partiellement.

3.        Condamne le défendeur à restituer aux demanderesses, entre les mains de SANTÉSUISSE, la somme de CHF 396'580.-.

4.        Met un émolument de justice de CHF 4'000.- et les autres frais du Tribunal de CHF 7'904.-, ainsi que les frais d’expertise de CHF 27'629.- (CHF 39'533.- au total) à la charge du défendeur à raison de 61% et à la charge des demanderesses à raison de 39%, soit CHF 24'115.-, respectivement CHF 15'417.-, en chiffres ronds.

5.        Condamne SANTÉSUISSE à verser au défendeur la somme de CHF 3'000.- à titre de participation à ses frais et dépens.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Véronique SERAIN

 

La présidente suppléante

 

 

 

 

Maya CRAMER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l'Office fédéral de la santé publique par le greffe le