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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1419/2020

ATAS/157/2022 du 22.02.2022 ( LAA ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1419/2020 ATAS/157/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 22 février 2022

1ère Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié à Chambésy, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Yama SANGIN

 

 

recourant

 

contre

SUVA CAISSE NATIONALE SUISSE D'ASSURANCE EN CAS D'ACCIDENTS, Division juridique, sise Fluhmattstrasse 1, LUCERNE

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après: l’assuré), né en ______ 1949 en Egypte, a travaillé pour le compte de B______SA (ci-après: la société), société qu’il a fondée avec son frère, Monsieur C______, et dont il était l’administrateur unique, en qualité de chauffeur dès 1993 et de directeur dès 2001. À ce titre, il était assuré contre les risques d’accidents et de maladies professionnelles auprès de la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (ci-après: la SUVA).

b. Le 5 août 2012, l’assuré a glissé sur un sol mouillé et a subi une entorse du genou droit avec lésion du ligament croisé antérieur du ligament collatéral interne et une fracture postérieure du plateau tibial-externe postérieur.

c. Dans un rapport du 16 août 2013, le docteur D______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et médecin d’arrondissement de la SUVA, a considéré que l’activité habituelle de chauffeur ne pouvait plus être exigée de l’assuré. Toutefois, sa capacité de travail demeurait pleine et entière dans une activité réalisée en position assise, sans port de charges, sans déplacements dans des escaliers et sans devoir s’agenouiller.

d. Le 2 septembre 2013, le docteur E______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et médecin traitant, a relevé que l’état de l’assuré était stabilisé. L’incapacité totale de travailler en tant que chauffeur était probablement définitive. Une reconversion dans un travail de bureau en position assise était théoriquement envisageable.

e. Le 6 février 2014, l’assuré a déposé une demande de prestations auprès de l'office cantonal de l'assurance-invalidité (ci-après: l'OAI).

B. a. Par décision du 3 mars 2015, la SUVA a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité fondée sur une perte de gain de 18%, ainsi qu'une indemnité pour atteinte à l'intégrité de CHF 15'120.- sur la base d’un taux de 12% (selon le rapport du Dr D______ du 16 août 2013).

b. Saisie d'une opposition, par décision du 12 mai 2015, la SUVA l'a partiellement admise, en ce sens qu’elle a arrêté l’incapacité de gain à 25%.

C.           L'assuré a déféré la décision sur opposition du 12 mai 2015 à la chambre de céans, qui, par arrêt du 16 février 2016 (ATAS/122/2016), a en substance considéré qu’il n’y avait pas lieu de s’écarter des conclusions des Drs D______ et E______, selon lesquelles l’assuré était totalement incapable d’exercer la profession de chauffeur. Constatant cependant qu’au moment de l’accident, il n’exerçait pas uniquement la profession de chauffeur, mais assumait également les fonctions de directeur et d’administrateur unique de la société, elle a partiellement admis le recours et renvoyé la cause à la SUVA pour que cette dernière détermine le degré d’invalidité selon la méthode extraordinaire.

D.           a. Par courrier du 31 mars 2016, l’assuré a indiqué à la SUVA que sa fonction de directeur d’entreprise consistait essentiellement en relations publiques et représentation de la société, ce qui impliquait la location de véhicules, l’organisation de séjours et de tous types d’évènements en Suisse et à l’étranger, ainsi que de fréquents déplacements. En raison de la diminution de son activité, son salaire avait été réduit à CHF 1'200.- brut. Dès le mois de mars 2016, il avait cessé de travailler dans l’entreprise. C’était en fonction de ces éléments qu’il convenait d’apprécier les conséquences concrètes de l’atteinte à la santé sur sa capacité de travail dans ses différentes activités. Celle-ci correspondait à la différence entre les salaires avant et après invalidité, lesquels s’élevaient respectivement à CHF 8'500.- et CHF 1'200.-, ce qui représentait une perte de gain de 85.9%.

L’assuré a joint une attestation de la société du 23 mars 2016 confirmant ses propos et précisant qu’à la suite de l’accident, il avait considérablement diminué son activité de directeur d’entreprise avant d’y mettre un terme. Il a également produit les bulletins de salaire de janvier à septembre 2015, affichant des revenus mensuels de CHF 1'200.- brut.

b. Par décision du 17 mai 2016, l’OAI a nié le droit de l’assuré à une rente. Il a considéré que celui-ci présentait certes une capacité de travail nulle dans son activité habituelle depuis le 5 août 2012, mais une capacité de travail entière dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles (activité assise, sans port de charges, sans déplacements dans les escaliers, sans devoir s’agenouiller) depuis août 2013. L’OAI s’est fondé sur le fait que l’assuré travaillait en qualité de directeur et administrateur de la société depuis 2001, assumant la conduite stratégique de l’entreprise, ainsi que la gestion des activités opérationnelles. Il a ainsi renoncé à comparer les champs d’activité, dans la mesure où l’assuré ne rencontrait pas de limitations fonctionnelles, après son atteinte à la santé, dans l’activité de direction, d’administration et de supervision. Il a estimé que l’assuré aurait pu s’attribuer suffisamment de tâches de direction dans le but de maintenir sa capacité de travail au sein de sa propre entreprise. Enfin, rappelant que l’assuré avait atteint l’âge de la retraite en décembre 2014, des mesures professionnelles n’avaient pas lieu d’être.

c. Par décision du 7 juillet 2016, confirmée sur opposition le 7 décembre 2016, se référant à l’arrêt rendu par la chambre de céans le 16 février 2016, la SUVA a constaté, sur la base des documents du dossier de l’OAI, que l’activité de directeur et administrateur de la société était adaptée aux limitations fonctionnelles et que la comparaison des champs d’activités s’avérait ainsi inutile. La SUVA en a conclu que c’était à tort qu’elle avait versé à l’assuré une rente d’invalidité à partir du 1er janvier 2014, et lui a réclamé le remboursement de la somme de CHF 47'016.15, représentant les rentes versées du 1er janvier 2014 au 31 juillet 2016.

E.            Statuant sur recours de l'assuré contre la décision du 7 décembre 2016, par arrêt du 20 décembre 2017 (ATAS/1172/2017), la chambre de céans a considéré que c'était à juste titre que la SUVA avait exclu une perte de gain dans les domaines d'activité de directeur et administrateur de société de l'assuré, lesquelles activités étaient précisément adaptées à ses limitations fonctionnelles. Elle a toutefois reproché à la SUVA de ne pas avoir suivi les instructions contenues dans son arrêt du 16 février 2016, puisque celle-ci n'avait pas procédé à l'évaluation du degré d’invalidité selon la formule applicable à la méthode extraordinaire. Elle a également constaté que le dossier AI sur lequel s’était fondé la SUVA, et plus particulièrement le rapport d’enquête du 25 septembre 2015, ne suffisait pas pour affirmer que l’assuré aurait été en mesure de se consacrer uniquement à des tâches de direction après réorganisation des tâches de la société.

La chambre de céans a ainsi jugé que la SUVA ne pouvait faire l'économie du calcul du degré d'invalidité par comparaison des parts consacrées aux différents champs d'activité en pourcent selon la formule idoine. Aussi a-t-elle annulé la décision de la SUVA et lui a-t-elle renvoyé la cause pour qu'elle établisse la répartition temporelle des activités de l’assuré puis détermine si une réorganisation des tâches au sein de la société était exigible, ce conformément aux considérants qui précédaient et à l'arrêt du 16 février 2016.

F.            a. Pour donner suite à l’arrêt du 20 décembre 2017, et plus particulièrement pour répondre à la question de la répartition des activités assumées par l’assuré au moment de son accident, la SUVA a procédé à l’audition de deux employés de la société, Messieurs F______ et Messieurs G______, de l’assuré lui-même et de son frère, entre le 17 juillet 2018 et le 6 février 2019. Leurs déclarations seront reprises en tant que de besoin dans la partie en droit qui suit.

b. Par décision du 6 août 2019, confirmée sur opposition le 16 avril 2020, la SUVA a nié le droit de l'assuré à une rente d'invalidité et a maintenu sa demande de restitution des rentes versées à tort, au motif que les séquelles accidentelles ne réduisaient pas de façon importante et notable sa capacité de gain, et rappelant que seule la reprise de l’activité de chauffeur avait été jugée non réalisable en raison des séquelles de l'accident.

G.           a. L'assuré, représenté par son avocat, a interjeté recours le 18 mai 2020 contre ladite décision sur opposition. Il a conclu, sous suite de frais et dépens, préalablement, à l'audition de son frère et à celle de Messieurs G______ et F______, et, principalement, à l'annulation de cette décision et à l'octroi d'une rente d'invalidité calculée sur un taux d'invalidité de 85,9% jusqu'à fin février 2016 et de 100% depuis mars 2016.

Il considère que la SUVA n'a toujours pas instruit l'affaire conformément aux instructions claires que lui a données la chambre de céans dans ses arrêts des 16 février 2016 et 20 décembre 2017. Il rappelle que la juridiction l’a notamment chargée d'établir la répartition temporelle de ses activités, puis de déterminer si une réorganisation de celles-ci était exigible afin de réduire la perte de gain. Il prie dès lors la chambre de céans d'instruire elle-même la cause en procédant à l'audition des témoins.

Il relève que la conclusion à laquelle est arrivée la SUVA, selon laquelle l'activité de pure conduite de véhicules qu'il exerçait représentait une part négligeable de ce qu'il décrit comme étant l'activité de chauffeur, est contredite par les déclarations de M. F______ du 6 février 2019 et de M. G______ du 29 janvier 2019. En réalité, son activité professionnelle au sein de l'entreprise consistait aussi bien à conduire, qu'à se rendre disponible pour ses clients, leur rendant toute sorte de services (faire leurs courses, porter leurs valises) et à amener de nouveaux clients à l'entreprise, ce qui impliquait un grand nombre de déplacements en Europe et dans les Émirats ou à Dubaï. Le travail de chauffeur ne représentait dès lors pas une part négligeable de son travail, contrairement à ce qu'en a dit la SUVA.

Il relève en outre que la SUVA ne lui a pas demandé si une réorganisation des tâches au sein de la société aurait été possible aux fins de réduire sa perte de gain. Les témoins auditionnés par la SUVA expliquent qu’il effectuait les tâches liées à l'activité d'agence de tourisme sur le terrain et non pas derrière un bureau.

Il y a selon lui constatation des faits pertinents de manière inexacte et incomplète de la part de la SUVA. Il reproche notamment à la SUVA d'avoir tenu compte de la Feuille officielle suisse du commerce (ci-après : FOSC) 224/2011 du 17 novembre 2011 faisant état de la modification des statuts de l'entreprise. L'assuré considère que la SUVA n'est pas en droit de prendre en considération des éléments de fait qu'elle connaissait parfaitement afin de motiver une décision octroyant moins que ce qui avait été alloué initialement.

b. Dans sa réponse du 27 juillet 2020, la SUVA a conclu au rejet du recours.

Elle relève d'emblée que les personnes dont l'assuré demande l'audition ont déjà été entendues, et fait valoir que « le fait que lors de ses déplacements professionnels l'assuré n'est plus à même de conduire de véhicules ne joue pas un rôle significatif sur sa capacité de gain puisqu'il peut employer à des activités à plus forte valeur ajoutée le temps qu'il consacrait auparavant à la tâche de pure conduite. Le devoir de diminuer le dommage implique une telle réorganisation. Au vu de la taille et de l'organisation de l'entreprise, on est en droit d'admettre que l'assuré était à même de réorganiser son emploi du temps au sein de celle-ci en fonction de ses aptitudes résiduelles sans perte de la capacité de gain ».

c. Dans sa réplique du 19 août 2020, l'assuré a constaté que la SUVA n'expliquait pas pour quelles raisons elle n'avait posé aucune question aux divers témoins sur la répartition temporelle des différentes tâches qu'il exerçait, ainsi que sur une éventuelle réorganisation de ses tâches au sein de la société.

Il rappelle que les décisions de la SUVA ont déjà été annulées à deux reprises par la chambre de céans, au motif que l'instruction était incomplète. La SUVA ne peut dès lors s'en prendre qu'à elle-même de ne pas avoir entendu les témoins plus tôt.

Il ne comprend pas pour quelles raisons la SUVA n'a pas demandé à son frère, auquel appartient également la société, s'il était techniquement et financièrement envisageable de réorganiser ses tâches. Il ajoute que même s'il fallait admettre qu'il disposait du devoir de réduire son dommage, il ne pouvait obliger son frère à accepter une réorganisation impliquant des frais supplémentaires, voire une perte du chiffre d'affaires.

Il persiste dans ses conclusions.

d. Dans sa duplique du 10 septembre 2020, la SUVA a souligné que, contrairement à ce qu’affirmait l’assuré, des questions avaient bel et bien été posées aux témoins pour déterminer l'organisation de l'entreprise et le rôle spécifique que l'assuré y jouait. Elle considère qu’une réorganisation des tâches au sein de l’entreprise était exigible.

e. Une audience de comparution personnelle et d’enquêtes s’est tenue le 24 août 2021, au cours de laquelle a été entendu le frère de l'assuré. Ce dernier, quant à lui, a souligné ne pas être à l'aise en français. Leurs déclarations seront reprises, pour autant que de besoin, dans la partie en droit qui suit.

f. Le 30 août 2021, la SUVA a persisté dans ses conclusions et joint une attestation établie par son case manager le 27 août 2021, selon laquelle il avait eu deux entretiens avec l'assuré en français sans l'aide d'un expert.

g. Le 20 septembre 2021, l'assuré a confirmé qu'aucun expert n'était présent lors des visites du case manager, mais a indiqué que ce dernier omettait de préciser que son épouse effectuait les traductions si nécessaire. Il a sollicité l'audition de celle-ci.

h. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             À teneur de l'art. 1 al. 1 LAA, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-accidents, à moins que la loi n'y déroge expressément.

3.             Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Toutefois, dans la mesure où le recours était, au 1er janvier 2021, pendant devant la chambre de céans, il reste soumis à l'ancien droit (cf. art. 82a LPGA; RO 2020 5137; FF 2018 1597; erratum de la Commission de rédaction de l’Assemblée fédérale du 19 mai 2021, publié le 18 juin 2021 in RO 2021 358).

4.             Interjeté dans les formes et les délais légaux, le recours est recevable (art. 56 al. 1, 60 et 61 let. b LPGA).

5.             Le litige porte sur l’évaluation du degré d'invalidité de l’assuré, d’une part, et sur la demande de la SUVA visant à la restitution des rentes versées du 1er janvier 2014 au 31 juillet 2016, d’autre part.

6.             La chambre de céans a en l’espèce rendu deux arrêts les 16 février 2016 (ATAS/122/2016) et 20 décembre 2017 (ATAS/1172/2017). Elle a dans les deux cas renvoyé la cause à la SUVA, pour que celle-ci définisse quelle était la répartition temporelle des activités de l’assuré après 2001 et jusqu’au 5 août 2012, puis pour qu’elle examine si une réorganisation des tâches au sein de la société était exigible afin de réduire la perte de gain, procède à la comparaison des parts consacrées aux différents champs d'activité en pourcent et détermine le degré d’invalidité selon la méthode extraordinaire.

7.             Lorsque l'autorité cantonale de recours statue par une décision de renvoi, l'autorité à laquelle la cause est renvoyée, de même que celle qui a rendu la décision sur recours, sont tenues de se conformer aux instructions du jugement de renvoi. Ainsi, l'autorité inférieure doit fonder sa nouvelle décision sur les considérants de droit du jugement de renvoi. Ce principe est applicable même en l'absence de disposition légale et vaut, partant, dans la procédure administrative en général (ATF 117 V 237 consid. 2a; arrêt du Tribunal fédéral 8C_775/2010 du 14 avril 2011 consid. 4.1.1). L’autorité à laquelle une cause est renvoyée doit ainsi fonder sa décision sur l’appréciation juridique de l’arrêt de renvoi. Par conséquent, si le juge est une nouvelle fois saisi de l’affaire, il ne saurait statuer sur le litige en tenant compte de considérations juridiques qui ont été expressément écartées dans l’arrêt de renvoi ou qui n’ont pas été prises en compte (ATF 116 II 220 consid. 4a).

8.             Il faut rappeler que dans la méthode extraordinaire, l'invalidité n'est pas évaluée directement sur la base d'une comparaison des activités; on commence par déterminer, au moyen de cette comparaison, quel est l'empêchement provoqué par la maladie ou l'infirmité, après quoi l'on apprécie séparément les effets de cet empêchement sur la capacité de gain. Une certaine diminution de la capacité de rendement fonctionnelle peut certes, dans le cas d'une personne active, entraîner une perte de gain de la même importance, mais n'a pas nécessairement cette conséquence. Si l'on voulait, dans le cas des personnes actives, se fonder exclusivement sur le résultat de la comparaison des activités, on violerait le principe légal selon lequel l'invalidité, pour cette catégorie d'assurés, doit être déterminée d'après l'incapacité de gain (ATF 104 V 135 consid. 2c; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I.288/06 du 20 avril 2007 consid. 3.2.4).

Concrètement, selon cette méthode, il faut tout d’abord effectuer une comparaison des champs d’activités. Il convient d’établir quelles sont les activités que l’assuré pourrait exercer avec et sans atteinte à la santé, et dans quel laps de temps il pourrait les accomplir. Il y a également toujours lieu d’examiner dans quelle mesure il lui serait possible de réduire sa perte de gain, en substituant à certaines des tâches qu’il accomplissait auparavant d’autres tâches, mieux adaptées au handicap dont il souffre. Ensuite, il s’agira de pondérer les activités en appliquant à chaque activité le salaire de référence usuel dans la branche. On peut ainsi déterminer le revenu sans invalidité et le revenu d’invalide et effectuer une comparaison des revenus (Circulaire sur l’invalidité et l’impotence dans l’assurance-invalidité [CIIAI] publiée par l’Office fédéral des assurances sociales dans sa version valable à partir du 1er janvier 2015, ch. 3104-3105).

9.             Il existe dans le domaine des assurances sociales un principe général du droit des assurances sociales selon lequel l'assuré doit entreprendre tout ce qui est raisonnablement exigible pour diminuer son dommage (ATF 129 V 460 consid. 4.2). Un invalide doit, avant de requérir des prestations, entreprendre de son propre chef tout ce qu'on peut raisonnablement attendre de lui, pour atténuer le mieux possible les conséquences de son invalidité; c'est pourquoi un assuré n'a pas droit à une rente lorsqu'il serait en mesure, au besoin en changeant de profession, d'obtenir un revenu excluant une invalidité ouvrant droit à une rente. La réadaptation par soi-même est un aspect de l'obligation de diminuer le dommage et prime aussi bien le droit à une rente que celui à des mesures de réadaptation. L'obligation de diminuer le dommage s'applique aux aspects de la vie les plus variés. Toutefois, le point de savoir si une mesure peut être exigée d'un assuré doit être examiné au regard de l'ensemble des circonstances objectives et subjectives du cas concret (ATF 113 V 22 consid. 4a). Par circonstances subjectives, il faut entendre en premier lieu l'importance de la capacité résiduelle de travail ainsi que les facteurs personnels tels que l'âge, la situation professionnelle concrète ou encore l'attachement au lieu de domicile. Parmi les circonstances objectives doivent notamment être pris en compte l'existence d'un marché du travail équilibré et la durée prévisible des rapports de travail (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I.750/04du 5 avril 2006 consid. 5.3).

Dans le cas d'un assuré de condition indépendante, on peut exiger, pour autant que la taille et l'organisation de son entreprise le permettent, qu'il réorganise son emploi du temps au sein de celle-ci en fonction de ses aptitudes résiduelles. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que plus la taille de l'entreprise est petite, plus il sera difficile de parvenir à un résultat significatif sur le plan de la capacité de gain. Au regard du rôle secondaire des activités administratives et de direction au sein d'une entreprise artisanale, un transfert de tâches d'exploitation proprement dites vers des tâches de gestion ne permet en principe de compenser que de manière très limitée les répercussions économiques résultant de l'atteinte à la santé (arrêt du Tribunal fédéral 9C_580/2007 du 17 juin 2008 consid. 5.4). Aussi, lorsque l'activité exercée au sein de l'entreprise après la survenance de l'atteinte à la santé ne met pas pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle de l'assuré, celui-ci peut être tenu, en fonction des circonstances objectives et subjectives du cas concret, de mettre fin à son activité indépendante au profit d'une activité salariée plus lucrative (arrêt du Tribunal fédéral 9C_609/2009 du 15 avril 2010 consid. 7.2.3).

Toutefois, lorsqu'il s'agit d'évaluer l'invalidité d'un assuré qui se trouve proche de l'âge donnant droit à la rente de vieillesse, il faut procéder à une analyse globale de la situation et se demander si, de manière réaliste, cet assuré est en mesure de retrouver un emploi sur un marché équilibré du travail. Indépendamment de l'examen de la condition de l'obligation de réduire le dommage (ATF 123 V 230 consid. 3c), cela revient à déterminer, dans le cas concret qui est soumis à l'administration ou au juge, si un employeur potentiel consentirait objectivement à engager l'assuré, compte tenu notamment des activités qui restent exigibles de sa part en raison d'affections physiques ou psychiques, de l'adaptation éventuelle de son poste de travail à son handicap, de son expérience professionnelle et de sa situation sociale, de ses capacités d'adaptation à un nouvel emploi, du salaire et des contributions patronales à la prévoyance professionnelle obligatoire, ainsi que de la durée prévisible des rapports de travail (arrêts du Tribunal fédéral 8C_150/2013 du 23 septembre 2013 consid. 3.2 et 9C_1043/2008 du 2 juillet 2009 consid. 3.2).

Le moment auquel la question de la mise en valeur de la capacité (résiduelle) de travail pour un assuré proche de l'âge de la retraite doit être examinée correspond au moment auquel il a été constaté que l'exercice d'une activité lucrative était médicalement exigible, soit dès que les documents médicaux permettent d'établir de manière fiable les faits y relatifs (ATF 138 V 457 consid. 3.). Le Tribunal fédéral a considéré que le seuil dès lequel on peut parler d’âge avancé se situe à 60 ans (arrêt du Tribunal fédéral 9C_612/2007 du 14 juillet 2008 consid. 5.2).

10.         À l'instar d'un rapport d'enquête sur le ménage pour les personnes accomplissant des travaux ménagers, le rapport d’enquête pour activité professionnelle indépendante constitue en principe un moyen de preuve approprié pour évaluer le degré d'invalidité des personnes dont on ne peut déterminer sûrement les revenus (arrêt du Tribunal fédéral 9C_622/2015 du 9 mars 2016 consid. 6 et les références citées). En ce qui concerne la valeur probante d’un tel rapport d’enquête, il est essentiel qu’il ait été élaboré par une personne qualifiée qui a connaissance de la situation locale et spatiale, ainsi que des empêchements et des handicaps résultant des diagnostics médicaux. Il y a par ailleurs lieu de tenir compte des indications de l'assuré et de consigner dans le rapport les éventuelles opinions divergentes des participants. Enfin, le texte du rapport doit apparaître plausible, être motivé et rédigé de manière suffisamment détaillée par rapport aux différentes limitations, de même qu'il doit correspondre aux indications relevées sur place. Si toutes ces conditions sont réunies, le rapport d’enquête a pleine valeur probante. Lorsque le rapport constitue une base fiable de décision dans le sens précité, le juge n’intervient pas dans l’appréciation de l’auteur du rapport sauf lorsqu’il existe des erreurs d’estimation que l’on peut clairement constater ou des indices laissant apparaître une inexactitude dans les résultats de l’enquête (ATF 129 V 67 consid. 2.3.2 non publié au Recueil officiel mais dans VSI 2003 p. 22; arrêt du Tribunal fédéral I.733/06 du 16 juillet 2007).

11.         Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3; ATF 126 V 353 consid. 5b; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

12.          

12.1 En l'espèce, il y a d’emblée lieu de rappeler que la question de la capacité de travail a été tranchée par la chambre de céans dans les deux arrêts susmentionnés : l’assuré présente une capacité de travail nulle comme chauffeur (ATAS/122/2016 du 16 février 2016), mais de 100% dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, telle que celle de directeur et administrateur de la société (ATAS/1172/2017 du 20 décembre 2017).

12.2 Dans sa décision du 6 août 2019, qu’elle a confirmée le 16 avril 2020, la SUVA a considéré, au vu des témoignages entendus, que l’activité de pure conduite de véhicules représentait une part négligeable de l’activité de l’assuré et que celui-ci assumait en réalité principalement les fonctions de direction et d’administration de la société (tâches d'organisation, de coordination, de direction de personnel lors de déplacements de véhicules, impliquant notamment de rester disponible pour entretenir ou nouer de bonnes relations d'affaires, et assurer les relations commerciales).

12.2.1 L’assuré souligne que Messieurs F______ et G______ ont au contraire déclaré qu’il n’exerçait qu’une activité de chauffeur et précise que son activité professionnelle au sein de l'entreprise consistait aussi bien à conduire, qu'à se rendre disponible pour ses clients, leur rendant toute sorte de services (faire leurs courses, porter leurs valises) et à amener de nouveaux clients à l'entreprise, ce qui impliquait un grand nombre de déplacements en Europe et dans les Émirats ou à Dubaï.

Il en résulte, pour l’essentiel, les déclarations suivantes :

12.2.2 Lors d'un entretien entre un collaborateur de la SUVA et l'assuré le 17 juillet 2018, ce dernier a affirmé que « la partie administrative de l'entreprise a toujours été assurée par son frère, qui lui est en possession d'un diplôme universitaire de comptable et maîtrise la langue française et anglaise parlées et écrites ». L'assuré confirmait « ne pas écrire le français et ne pas maîtriser assez [cette langue] pour pouvoir assumer la gestion administrative de l'entreprise. Depuis le début ( ), soit 1993, [celui-ci confirmait] avoir toujours exercé l'unique fonction de chauffeur de clients privés, VIP. Le titre de directeur restait "honorifique" pour le "prestige", pour représenter l'image de la société vis-à-vis des clients ( ). En ce qui [concernait] l'organisation des visites présidentielles et VIP, et la gérance du personnel, [l'assuré expliquait] que lors de déplacements de ce genre de clientèles, plusieurs limousines [formaient] un convoi et se [suivaient] (jusqu'à 12 parfois), [il] coordonnait les chauffeurs, donnait des instructions. [Il confirmait] qu'il n'a toujours fait qu'accompagner les clients, pas d'organisation de voyages, ni de réservations d'hôtels, etc. Il n'a jamais "géré" de personnel, jamais engagé du personnel. Au moment de l'accident, la direction de l'entreprise était assurée par Messieurs H______, I______ et C______, qui s'occupaient de toute la partie administrative de la société (gestion du personnel, comptabilité, etc.) et qui organisaient toutes les activités (réservations hôtels, formalités, etc.). En ce qui [concernait] la "coordination avec les organismes officiels" [l'assuré expliquait] qu'il portait un badge qui lui permettait l'accompagnement des VIP ( ) dans les aéroports, il assurait [aussi] la coordination sur le terrain avec la police ou les autorités officielles » (pièce 217 SUVA).

À l'occasion d'un second entretien avec la SUVA le 28 janvier 2019, l'assuré a indiqué que « dans l'activité même de chauffeur, [il] était appelé à coordonner des déplacements de convois de nombreuses limousines (jusqu'à 260 voitures ou plus), et aussi assurer la sécurité et suivre les protocoles. Ce travail était très exigeant en termes de présence (plusieurs heures par jour), de déplacements d'hôtel en hôtel, de lieux en lieux [aéroport etc.) et d'organisation. Le service [ne] pouvait [pas] être assuré par une autre personne car il était le référent auprès des clients. Il était aidé par le secrétariat pour faire la liste des clients et des lieux, mais sur le terrain, il était le responsable de la bonne marche des déplacements, courses et autre » (pièce 241 SUVA).

12.2.3 La chambre de céans constate que le frère et les deux employés de la société ont expliqué que :

« La seule activité de [l'assuré] a été celle de chauffeur de limousine de personnalités VIP, politique, familles royales. Organisation de convoi, il faisait office de "public relation". Il n'a jamais eu de fonction administrative, il ne possède pas le niveau de maîtrise de la langue française suffisante » (pièce 227 SUVA, audition du frère le 6 décembre 2018).

« En tant que chauffeur, [l'assuré] conduisait les véhicules, mais également était à la totale disposition des clients pour toute sorte de services, courses etc. Il portait également les valises etc. Il s'agit d'un travail très exigeant au point de vue physique (déplacements très nombreux et parfois très loin). D'autre part, c'est lui qui apportait les clients à l'entreprise, cela impliquait énormément de déplacements en Europe et dans les pays des Émirats ou Dubaï par exemple. Il n'a jamais fait d'administratif, il a toujours travaillé avec les clients, soit en tant que chauffeur au service des clients, soit en tant que public relation » (pièce 241 SUVA, audition de M. G______ le 29 janvier 2019).

« [L'activité de l'assuré] consistait à fidéliser la relation clientèle, il pouvait être chef chauffeur voiture N°1 de convois importants de nombreuses limousines. Il se rendait dans les hôtels, il accueillait les clients dans les aéroports ( ). Il organisait les séjours mais aussi toute la logistique sur le terrain (réservation de chambres, hôtels, palais, patinoire, dispache des valises), gestion des aléas. Pas du tout d’activité administrative au bureau, [l'assuré] a toujours été sur le terrain, au service et disponibilité totale de jour comme de nuit de la clientèle (port de valise, de paquet pendant les courses, des courses de confiance particulière etc.) et sur plusieurs jours d'affilée » (pièce 244 SUVA, audition de M. F______ le 6 février 2019).

12.2.4 Tous ces témoignages concordent avec les déclarations de l’assuré lui-même pour dire qu’il exerçait essentiellement une activité de chauffeur.

Dans son arrêt du 20 décembre 2017, la chambre de céans avait toutefois constaté que l’assuré « avait beaucoup varié dans ses déclarations au sujet de la nature et du contenu exact de son activité professionnelle, exposant dans sa déclaration d’accident avoir travaillé en tant que chauffeur, alléguant ensuite qu’il s’occupait avant tout de tâches de direction, avant d’indiquer dans son écriture de recours contre la décision litigieuse (du 7 décembre 2016) qu’il était occupé en qualité de chauffeur à raison de dix heures par jour » (ATAS/1172/2017 consid. 8 p. 21-22).

La variation des déclarations de l'assuré au sujet de la nature et du contenu exact de son activité professionnelle est de nature à affaiblir la valeur probante des témoignages recueillis.

La chambre de céans observe en outre que les déclarations de l'assuré et celles de M. F______ se contredisent, dans la mesure où le second confirme que le premier effectuait également l'organisation de voyages et les réservations d'hôtels, alors que l'assuré nie avoir assumé ces tâches dans le cadre de ses activités professionnelles.

Il est vrai, ainsi que l'a relevé la chambre de céans dans l'arrêt précité, que l'assuré a poursuivi son activité de chauffeur à tout le moins à temps partiel après 2001 et jusqu'à l'accident de 2012 (ATAS/1172/2017 consid. 8 p. 22). En effet, on rappellera à cet égard que, lors d'un entretien avec un collaborateur de la SUVA le 6 février 2013, l'assuré avait indiqué que, dans le cadre de sa profession, il était « fréquemment amené à devoir faire du shopping ou accompagner à pied [ses] clients dans leurs déplacements. Il [lui fallait] également manipuler des bagages (valises, paquets, sacs encombrants etc.) dont les charges [pouvaient] parfois atteindre 30 voire 40 kg » (pièce 25 SUVA). Dans leurs rapports des 16 août et 2 septembre 2013, les Drs D______ et E______, médecin d'arrondissement de la SUVA, respectivement médecin traitant, attestaient que l'assuré était inapte à exercer son activité habituelle de chauffeur. Dans le questionnaire pour l'employeur (adressé à l'OAI) signé le 19 février 2014 vraisemblablement par M. H______, il est mentionné que les tâches faisant partie de l'activité de l'assuré comprenaient parfois la conduite de véhicule, le port de bagages et l'attente du client à l'extérieur.

Cela étant, comme l'a déjà mis en évidence la chambre de céans, l'activité de l'assuré ne consistait pas uniquement en une activité de chauffeur salarié. Celui-ci occupait également la position de directeur depuis 2001 (certificat de travail du 7 avril 2014 signé par M. H______; pièce 150 SUVA) de la société qu'il avait co-fondée et dont il était l'unique administrateur (ATAS/122/2016 du 16 février 2016 consid. 9c p. 19-20).

Lors de l'enquête pour activité professionnelle indépendante réalisée par l'OAI le 17 septembre 2015, l'assuré avait déclaré qu'il « élaborait et appliquait des stratégies afin de mettre en valeur son entreprise. Son objectif était également de satisfaire la clientèle et d'assurer un taux d'occupation des véhicules le plus élevé possible. Il faisait de la supervision et coordonnait les activités des différents services. [Il] se rendait à ses rendez-vous d'affaires en avion. Il se déplaçait régulièrement car la société avait deux succursales à l'étranger (à Londres et à Paris). De plus, [il] allait régulièrement au Moyen-Orient pour ses affaires. Dans des cas très particuliers, amis proches, familles, il lui arrivait encore de servir de chauffeur ou d'escorte. Il lui arrivait également de faire du transport de valeurs » (rapport du 25 septembre 2015 p. 5).

Du reste, dans sa réplique du 9 octobre 2015, rédigée dans le cadre de la procédure ayant fait l'objet de l'ATAS/122/2016, l'assuré avait relevé que la société en plein essor, dont il était directeur et administrateur, ne pouvait pas fonctionner sans lui.

Lors de l'audience d'enquêtes du 24 août 2021, le frère de l'assuré a confirmé que ce dernier était l'unique administrateur et directeur de la société « depuis le début », les employés le considéraient comme le « patron » avant 2012. Le frère en était devenu l'administrateur unique et directeur depuis quelques mois. « Maintenant », c'était le frère le « patron » (procès-verbal y relatif).

Si le frère a mentionné à cette occasion qu'il s'occupait à l'époque de la comptabilité et de la réservation des clients, car « négocier les détails et les chiffres, c'était compliqué » pour l'assuré, cela ne signifie pas encore que ce dernier ne s'assurait pas de la conduite stratégique de la société ou de la gestion des activités opérationnelles et organisationnelles, ainsi qu'il l'avait déclaré à l'enquêteur de l'OAI (voir plus haut).

Enfin, l'assuré explique qu'un chauffeur privé, comme lui, s’occupe du transport de particuliers, de touristes ou d’hommes d’affaires et s’attache ce faisant à apporter un service sur mesure et de qualité. Outre la conduite pure, le chauffeur privé doit se rendre disponible pour ses clients et leur rendre des services. Or, l’assuré inclut dans l’activité d’un chauffeur privé le fait d’amener de nouveaux clients à l’entreprise, ce qui implique des déplacements en Europe et dans les Émirats Arabes Unis, et à Dubaï en particulier. Lors de l'audience d'enquêtes du 24 août 2021, le frère a souligné que l'assuré avait un talent certain pour acquérir de nouveaux clients. Cette tâche supplémentaire paraît ainsi outrepasser l’activité d’un simple chauffeur et devoir être comprise plutôt dans celle de directeur.

C'est dire que, contrairement à ce qu'allègue encore et présentement l'assuré, il n'effectuait pas uniquement une activité de pure conduite avant son accident.

12.2.5 L'assuré allègue qu'il ne maîtrise pas ou peu le français, de sorte qu’il lui était difficile d’assumer les tâches d’un directeur. Il est vrai que son frère a déclaré que :

« [l'assuré] n'a jamais eu de fonction administrative, il ne possède pas le niveau de maîtrise de la langue française suffisante » (pièce 229 SUVA). Le frère a confirmé ses propos lors de l'audience d'enquêtes du 24 août 2021.

Cette méconnaissance toutefois ne revêt pas une importance aussi grande que l'assuré voudrait le faire croire, dans la mesure où il apparaît que la clientèle de la société est plutôt constituée d’étrangers aisés, et ne l'a pas empêché, ainsi que le relève la SUVA, d’avoir un entretien seul avec un de ses collaborateurs à deux reprises, les 6 février et 6 août 2013, et de signer le procès-verbal y relatif (pièces 25 et 54 SUVA; attestation du case manager du 27 août 2021).

Du reste, la chambre de céans constate que, dans sa demande de prestations déposée auprès de l'OAI le 10 février 204, l'assuré avait indiqué qu'il était de langues maternelles française et arabe (chiffre 5.3). Lors d'un entretien avec un collaborateur de l'OAI le 8 mai 2014 en présence également de l'épouse de l'assuré qui officiait comme traductrice, le collaborateur avait observé que l'assuré parlait pourtant relativement bien le français (rapport d'évaluation du 8 mai 2014; pièce 109 SUVA). On voit par ailleurs mal comment l'assuré, en sa qualité d'administrateur unique de la société avec signature individuelle (depuis la création de celle-ci le 26 mai 1993), aurait pu l'engager, en signant divers documents, s'il ne maîtrisait pas suffisamment bien le français.

12.3 Après son accident, si l'assuré ne pouvait effectivement plus exercer en tant que chauffeur, il n'en demeure pas moins qu'il a continué, de son aveu même à travailler dans une certaine mesure au sein de la société (courrier du 31 mars 2016, attestation de la société du 23 mars 2016). Vu son atteinte à la santé au genou droit (l'empêchant de conduire), il ne pouvait dès ce moment qu'effectuer des activités de direction, ce qui est corroboré par le fait que ses pouvoirs d'administrateur unique de la société n'ont été radiés qu'en décembre 2019, date à compter de laquelle cette fonction a été conférée à son frère selon les informations ressortant du registre du commerce du canton de Neuchâtel (où la société était inscrite du 27 février 2015 au 15 octobre 2020 avant le transfert de son siège à nouveau à Genève, où elle a été créée le 26 mai 1993). À cet égard, l'enquêteur de l'OAI avait relevé qu'il était peu vraisemblable que, aux dires de l'assuré, son frère l'ait remplacé après son atteinte à la santé, car cela aurait impliqué pour celui-ci un temps de travail de nonante heures hebdomadaires, dès lors qu’il était directeur de la société J______ Ltd (rapport d'enquête du 25 septembre 2015, p. 6).

La chambre de céans constate en outre que le revenu obtenu par l'assuré en 2014 (CHF 8'500.- [bulletin de salaire de janvier à mars 2014]) était identique à celui réalisé juste avant l'atteinte à la santé (CHF 8'500 [fiche de salaire du 30 juillet 2012]), alors même qu’il affirmait ne pas avoir travaillé en 2014 pour la société. S'il fallait se référer aux revenus perçus, il faudrait alors conclure à l'absence d'invalidité au sens de la loi, puisque l'assuré n'a pas subi une perte de gain liée à son état de santé. À ce sujet, si l'assuré a indiqué que la société lui avait fait des avances en 2014 (car il ne recevait plus d'indemnisation de la part de la SUVA) et qu'il avait donc une dette vis-à-vis de celle-ci (pièce 97 SUVA), aucune pièce toutefois n’en confirme l'existence.

L'assuré allègue que, en 2015, son salaire a été réduit à CHF 1'200.- suite à la diminution de son activité et que, dès mars 2016, il a mis un terme à son activité de directeur (courrier du 31 mars 2016, attestation du 23 mars 2016). Or, étant âgé de 65 ans dès le 1er janvier 2015, il ne démontre pas que la prétendue réduction de son activité serait liée à son handicap, d'autant moins qu'il a conservé ses pouvoirs d'administrateur de la société jusqu'en décembre 2019 et que, depuis octobre 2020, une signature individuelle lui a été conférée (registre du commerce du canton de Genève).

Force est ainsi de constater que, en sa qualité d'administrateur unique ce qui implique en particulier de se mettre régulièrement au courant de la marche des affaires de la société, de la gérer, et de disposer d'un pouvoir décisionnel , et muni de la signature individuelle, l'assuré, postérieurement à son atteinte à la santé, a bien dû signer divers documents au nom et pour le compte de la société, et notamment à des fins de gestion stratégique de celle-ci (dans l'optique d'augmenter son chiffre d'affaires, objectif que vise en effet chaque chef d'entreprise). Si l'assuré était incapable d'assumer la fonction d'administrateur unique, il n'aurait pas manqué d'entreprendre les démarches pour que son inscription au registre du commerce fût radiée bien avant décembre 2019.

12.4 Il y a encore lieu de déterminer si une réorganisation de son emploi du temps est ou non exigible de l’assuré.

12.4.1 La SUVA a relevé que l’assuré pouvait se faire conduire par un employé afin de mettre à profit sa capacité de travail dans les activités de coordination ou de gestion qu'il assumait au moment de l'accident, selon le rapport d'enquête de l'OAI. Elle estime que l’assuré devait réorganiser ses tâches au sein de la société afin de réduire la perte de gain subie dans l’exercice de la pure conduite. Une telle réorganisation pouvait être compensée par un temps consacré plus important dans l'acquisition de clientèle nouvelle et/ou le maintien et les bonnes relations avec la clientèle habituelle ainsi que pour les diverses activités mentionnées dans la FOSC. Une telle réorganisation était d'autant plus possible que la société avait modifié ses statuts le 10 novembre 2011 (pièce 257 SUVA p. 8) en ajoutant à l'activité précédente de location de voitures avec ou sans chauffeur celles d'agence de tourisme, d'organisation de séjours, émissions de billets, réservation d'hôtels, location de guides, agents IATA agréés et toutes prestations y relatives (pièce 257 susmentionnée, page 8), activités dans lesquelles l'atout des relations partenariales et commerciales de l'intéressé prenait tout son poids, et qui sont exigibles avec les aptitudes résiduelles.

12.4.2 Contrairement à ce que soutient l'assuré, au vu de l'augmentation du chiffre d'affaires engendré par la société (passant de CHF 2'768'928.- en 2012 à CHF 4'028'717.- en 2013 [rapport d'enquête du 25 septembre 2015 p. 8) ainsi que de la taille de la société (80 employés [rapport précité p. 4]) si bien qu'il ne s'agit pas d'une micro-entreprise dans laquelle la proportion des activités administratives serait très limitée , il apparaît raisonnable de lui demander d'augmenter sa participation aux tâches de direction, de gestion, et de représentation (développement de la clientèle et relations publiques), fonctions qu'il occupait avant son atteinte à la santé et qui sont toutes adaptées à ses limitations fonctionnelles, les déplacements qu'elles impliquent en avion n'étant pas proscrits conformément à l'avis du Dr D______ du 20 octobre 2016 (ATAS/1172/2017 consid. 8 p. 21). D'autant plus qu'en exerçant la fonction d'administrateur unique de la société jusqu'en décembre 2019, il n'existe aucun motif de considérer que l'assuré ne pourrait pas assumer cette charge après la survenance de son atteinte à la santé et la réorganisation de son travail.

Par ailleurs, l'on ne peut pas suivre l'assuré lorsqu'il prétend que du fait qu'il a un associé, son frère de surcroît, une telle obligation de limiter le préjudice subi ne saurait lui être imputée, de sorte que l’on ne peut lui demander de procéder à une réorganisation de ses tâches au sein de la société. En effet, actionnaire à 50% de la société (rapport d’enquête du 25 septembre 2015 p. 3), administrateur unique de la société jusqu'en décembre 2019, et ayant perçu un salaire supérieur à celui de son frère encore en 2014 malgré son atteinte à la santé, - car, culturellement, le fils aîné ne peut avoir un revenu inférieur à celui de son frère cadet (rapport précité p. 7) -, il est difficilement concevable que l'assuré ne puisse pas, au titre de son obligation de réduire le dommage, imposer, après la survenance de son atteinte à la santé, une réorganisation de la société à son frère cadet.

Ainsi, il peut être exigé de l'assuré qu'il consacre davantage de temps aux activités de direction, de coordination ou de relations publiques.

À cet égard, l'assuré se méprend lorsqu'il argue que la SUVA ne pouvait pas, dans la décision litigieuse, se prévaloir des indications contenues dans la FOSC 224/2011 du 17 novembre 2011 (pièce 257 SUVA p. 8), au motif qu'elles lui étaient déjà connues. Ce faisant, l'assuré fait valoir que les conditions d'une révision procédurale de la décision initiale du 3 mars 2015 n'étaient pas réunies. Or, dans la mesure où cette décision a été annulée par la chambre de céans le 16 février 2016 et la cause renvoyée à la SUVA pour instruction complémentaire et nouvelle décision (ATAS/122/2016), cette décision n'était pas entrée en force, et la procédure administrative a été reprise au stade auquel elle se trouvait avant le prononcé de celle-ci. La SUVA n'était donc pas liée par les conditions d'une révision procédurale d'une décision entrée en force à savoir si les données ressortant de la FOSC précitée constituaient des faits et moyens de preuve nouveaux pour se prononcer sur le droit à une rente d'invalidité de l'assurance-accidents après l'arrêt du 16 février 2016 (voir dans ce sens: arrêt du Tribunal fédéral I.581/06 du 25 mai 2007).

12.5 Cela étant, dans le précédent arrêt de renvoi du 20 décembre 2017, la chambre de céans a relevé qu'on « ne peut suivre [la SUVA] lorsqu’elle soutient ( ) que les fonctions de direction et d’administration représentaient 100 % du revenu [de l'assuré], cet élément n’étant nullement démontré au degré de la vraisemblance prépondérante applicable en assurances sociales, ( ) et que le rapport d’enquête du 25 septembre 2015 est insuffisamment étayé et motivé pour admettre que [l'assuré] aurait été en mesure de se consacrer exclusivement à des tâches de direction après s’être réattribué certaines tâches de la société ». La chambre de céans a alors renvoyé la cause à la SUVA afin qu'elle établisse en particulier la répartition temporelle des activités de l'assuré.

Or, elle ne l'a pas fait.

Dans la présente procédure, la SUVA part de la prémisse que l'assuré ne subit aucune perte de gain, puisque le temps consacré jusqu'alors à la conduite serait dévolu, proportionnellement, aux tâches de gestion et de direction, entraînant une augmentation desdites activités pour un revenu plus élevé. Elle mentionne que les tâches de direction et de gestion représentent un revenu supérieur à celui d'un chauffeur, soit CHF 6'475.- par mois, correspondant au salaire qu’un homme travaillant dans une activité de niveau 3 lequel implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé, telles celles que possèdent l'assuré peut réaliser selon la ligne n°77,79-82 (activités de services administratifs [sans 78]) du tableau TA1_tirage_skill_level (secteur privé) de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ci-après: ESS) 2014 (date de l'examen du droit à la rente) contre CHF 5'742.- par mois (tableau précité de l'ESS 2014, homme, ligne 49-52 [transports terrestres, par eau, aériens; entreposage], niveau 2).

On ne peut toutefois pas, à ce stade, confirmer le point de vue de la SUVA. Même si on peut exiger de l'assuré qu'il réorganise son emploi du temps après son atteinte à la santé, à défaut d'une enquête probante pour activité professionnelle indépendante, on ne peut pas encore admettre, au degré de la vraisemblance requis (ATF 126 V 353 consid. 5b), alors qu'on ignore la pondération des différents champs d'activité avant et après la survenance de l'atteinte à la santé , que, avec handicap, le temps consacré à l'activité « direction » augmenterait dans la même proportion que celui dédié auparavant à l'activité « chauffeur ».

13.         Par conséquent, il convient d'annuler la décision du 16 avril 2020 et de renvoyer la cause à la SUVA pour qu'elle mette sur pied une enquête pour activité professionnelle indépendante afin de déterminer la pondération des différents champs d'activité sans et avec handicap (y compris avant et après réorganisation du travail), puis rende une nouvelle décision.

À cette fin, l'enquêteur(trice) pourrait, entre autres, interroger plusieurs autres employés (à l’exception de M. H______, du fait qu’il a été licencié et qu’une plainte pénale a été déposée contre lui par la société [pièce 171 SUVA p. 4; pièce 150 SUVA p. 5]), notamment les secrétaires, ainsi que consulter la correspondance avec la clientèle, les fournisseurs, et les deux succursales de la société. L'enquêteur(trice) devra également, et au préalable, examiner si l'assuré, qui a continué à percevoir en 2014 le même salaire que celui qu'il touchait avant son accident, a véritablement eu une dette vis-à-vis de la société (celui-ci détient, aux dires du frère, toujours 50% des actions de la société [procès-verbal d'enquêtes du 24 août 2021]). Pour rappel, en l'absence d'une perte de gain liée au handicap, l'assuré n'est pas invalide (voir consid. 12.3 ci-dessus).

14.         Vu le renvoi de la cause à la SUVA, il n'est pas nécessaire d'entendre les témoins cités par l'assuré ni son épouse.

15.         L'assuré, représenté par son avocat, obtient partiellement gain de cause, de sorte qu'il a droit à une indemnité de dépens, fixée en l’espèce à CHF 800.- (art. 61 let. g LPGA; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA – E 5 10.03]).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. a LPGA).


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet partiellement.

3.        Annule la décision du 16 avril 2020.

4.        Renvoie la cause à la SUVA pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.

5.        Alloue à l'assuré une indemnité de CHF 800.- à titre de dépens, à la charge de la SUVA.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie LOCHER

 

La présidente

 

 

 

 

Doris GALEAZZI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le