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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2231/2020

ATAS/394/2021 du 29.04.2021 ( AI ) , ADMIS

Recours TF déposé le 15.06.2021, rendu le 09.08.2021, IRRECEVABLE, 9C_336/2021
*** ARRET DE PRINCIPE ***
Descripteurs : DÉPENDANCE(MALADIE);TOXICOMANIE;ALCOOLISME;AI(ASSURANCE);ÉVALUATION DE L'INVALIDITÉ
Normes : LPGA.17.al1; RAI.87
Résumé : Applicabilité de la nouvelle jurisprudence du Tribunal fédéral, selon laquelle le caractère invalidant de syndromes de dépendance et de troubles liés à la consommation de substances doit être apprécié dans le cadre d'une procédure structurée d'administration des preuves à l'aide d'indicateurs, de la même manière qu’en cas d’autres atteintes à la santé psychique (ATF 145 V 215), à une nouvelle demande de prestations d’invalidité d’un assuré qui s’est vu antérieurement refuser ces prestations par une décision entrée en force. Après un examen de la jurisprudence relative à l'éventuelle modification d'une décision entrée en force (avec des effets pour l'avenir) en cas de changement de jurisprudence, il y a lieu de retenir que l’ATF 145 V 215 a une telle portée générale que ne pas l’appliquer au recourant le discriminerait de manière choquante par rapport aux assurés dont la demande de prestations AI était en cours au moment de l’adoption de cette nouvelle jurisprudence ou qui ont déposé une demande après celle-ci ; une non-application, qui n’est soutenue par aucun intérêt public pertinent, ne serait pas compatible avec le principe de l’égalité de traitement. Au surplus, au regard des pièces du dossier, on ne peut pas d’emblée conclure au caractère superflu d’un examen des indicateurs standards pour le cas de l’intéressé, selon la jurisprudence. Il convient, partant, d’entrer en matière et d’examiner sa demande, d'une manière similaire à une entrée en matière dans le cadre d’un examen sous l’angle des art. 87 al. 2 et 3 RAI ainsi que, par analogie, de l'art. 17 LPGA.
En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2231/2020 ATAS/394/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 29 avril 2021

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié c/o Mme B______, à LES ACACIAS

 

 

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE, sis rue des Gares 12, GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

1.        Le 20 avril 2006, Monsieur A______ (ci-après : l’assuré, l’intéressé ou le recourant), né en janvier 1969, titulaire d’un CFC d’employé de bureau et ayant travaillé de septembre 1999 à octobre 2003 comme aide monteur en ventilation pour une entreprise dont il avait été licencié en raison de la fermeture de cette dernière, et au bénéfice désormais de prestations de l’Hospice général
(ci-après : l’hospice), a déposé auprès de l’Office cantonal de l’assurance-invalidité (ci-après : l'OAI, l’office ou l’intimé) une demande de prestations de
l’assurance-invalidité (ci-après : AI) qu’il avait signée le 8 mars 2006, invoquant une incapacité de travail de 100 % depuis le 1er septembre 2004 pour maladie, plus précisément « dépression – difficultés psychiques ».

2.        Dans le cadre de l’instruction de cette demande, ont été reçus par l’OAI différents rapports médicaux, parmi lesquels un rapport réceptionné le 12 juin 2006 et émanant du docteur C______, médecin interne auprès des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), faisant notamment état d’un probable trouble de personnalité avec des traits dyssociaux, certainement antérieurs au début de sa toxicomanie, ainsi que des rapports de ces mêmes hôpitaux relatifs à des hospitalisations pour les périodes du 30 novembre au 7 décembre 1992 et du 27 septembre au 11 octobre 1993 en raison en particulier d’une dépendance aux opiacés.

3.        Sur mandat de l’office, la doctoresse D______, psychiatre et psychothérapeute FMH, a, le 2 juillet 2008, établi un rapport d’expertise, à la suite d’un examen de l’assuré effectué le 24 juin précédent.

D’après l’experte, les diagnostics avec une répercussion sur la capacité de travail étaient des troubles mentaux et des troubles du comportement liés à l’utilisation de dérivés du cannabis, un syndrome de dépendance, avec utilisation actuelle de drogue (CIM F12.24), présents depuis l’âge de 14 ans et entraînant des difficultés de concentration, des troubles de la mémoire, une démotivation et une anhédonie. Les autres diagnostics, dont un trouble anxieux et dépressif mixte (F41.2) présent depuis au moins 2002, étaient sans répercussion sur la capacité de travail.

Dans une activité exercée à 100 %, sa capacité actuelle de travail était de 60 %, sans diminution de rendement. L’activité exercée jusqu’en 2003 comme d’autres activités simples étaient exigibles à raison de 5 heures par jour.

4.        Le 16 juillet 2008, le service médical régional de l’AI (ci-après : SMR), tout en estimant que l’expertise était convaincante et détaillée, a considéré que la toxicodépendance était primaire et non pas secondaire à une pathologie psychiatrique. En l’absence d’un telle pathologie, il pouvait être raisonnablement exigé de l’assuré qu’il mette tout en œuvre pour réduire son dommage, c’est-à-dire s’abstienne de consommation de cannabis qui réduisait sa capacité de travail de 40 %, sa capacité de travail étant entière sans cette consommation.

5.        À la suite d’un projet de décision du 29 août 2008 auquel l’intéressé s’est opposé par écrit du 24 septembre 2008, l’OAI a, par décision du 23 octobre 2008 – non contestée par recours –, repris les conclusions précitées du SMR et a rejeté la demande de prestations AI.

6.        Le 1er décembre 2015, l’assuré a déposé une nouvelle demande de prestations AI (signée le 25 novembre 2015), sur la base en particulier de certificats d’incapacité de travail de 100 % établis régulièrement par les HUG dès le 1er octobre 2004.

7.        Le 24 mars 2016, il a indiqué être suivi – depuis janvier 2014 – par la doctoresse E______, spécialiste FMH en médecine interne générale, médecin adjointe de l’unité des dépendances du département de médecine communautaire, de premier recours et d’urgences des HUG, par le docteur F______, psychiatre et psychothérapeute FMH, par le docteur G______, spécialiste FMH en angiologie et médecine interne générale, ainsi que par le docteur H______, de la Consultation pour personnes ayant une addiction aux opiacés Arve (ci-après : CAAP Arve), service d’addictologie
(ci-après : PEPS), département de psychiatrie des HUG, aux Acacias.

8.        Après un avis du 26 avril 2016 du SMR considérant qu’une aggravation de l’état de santé de l’assuré n’était pas rendue plausible, ainsi que, sur cette base, l’expédition d’un projet de décision de l’OAI du 9 juin 2016 envisageant de ne pas entrer en matière sur la demande de prestations, l’office a reçu de nombreux rapports médicaux, notamment une lettre de sortie du département de médecine interne des HUG à la suite d’une hospitalisation du 23 au 26 juin 2015 visant à investiguer un état fébrile d’origine indéterminée, ainsi que des rapports de la Dresse E______.

En particulier, dans un rapport du 29 juillet 2016, la Dresse E______ posait les diagnostics avec effet sur la capacité de travail suivants : un état fébrile d’origine indéterminée vespéral, majoré depuis mai 2015, des acouphènes bilatéraux invalidants et des céphalées invalidantes, également depuis mai 2015, « le tout formant un syndrome encore inexpliqué et en voie d’expiration », ce à quoi s’ajoutait une dépendance aux opiacés, utilisation continue, en cure de substitution au programme de prescription d’héroïne. Il était difficile d’établir un pronostic de l’état fébrile vespéral, d’origine toujours indéterminée – malgré de nombreuses investigations effectuées par des services et laboratoires des HUG figurant au dossier – ; l’évolution était lentement favorable grâce aux efforts multiples du patient : éviction de tous les écrans, diminution de l’effort physique, ce à quoi s’ajoutait la diminution drastique de l’utilisation du traitement de prescription d’héroïne – autorisé par décision de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) du 6 novembre 2015 – pour un traitement de méthadone. Une consultation des maladies rares allait être demandée. L’incapacité de travail était totale pour des raisons physiques depuis le mois de mai 2015, sans qu’on puisse s’attendre à une « reprise de l’activité ».

9.        À la demande du SMR formulée le 31 août 2016, l’OAI a, par lettre du 5 septembre 2016, sollicité de la Dresse E______ l’envoi d’une copie du rapport de la consultation des maladies rares qui devait être demandée selon son rapport du 29 juillet 2016. En l’absence de réponse, il lui a adressé un rappel le 27 octobre 2016.

À teneur d’une « note téléphonique », un gestionnaire de l’OAI a eu, le 13 décembre 2016, un entretien téléphonique avec la Dresse E______, dont il ressortait que la consultation des maladies rares n’avait pas encore pu être effectuée.

Par courrier spontané du 10 février 2017 se référant au rappel du 27 octobre 2016 précité qu’il avait reçu en copie, l’intéressé a fait état de consultations prévues.

Après des entretiens téléphoniques de l’OAI avec l’intéressé les 31 mai et 14 août 2017 dont il ressortait notamment qu’il était suivi non seulement par la Dresse E______ mais aussi par la doctoresse I______, neurologue FMH, depuis la mi-juillet 2017, l’assuré a écrit le 9 septembre 2017 à l’office qu’à ce jour, malgré une multitude d’examens divers, les différents médecins qu’il avait consultés n’avaient pas pu lui dire ce qui lui arrivait (maux de tête, de nuque, de gorge, acouphènes permanents, fièvre quotidienne survenant après un effort quelconque, jusqu’à 39°). La dernière neurologue qu’il avait consultée fin juillet 2017 lui avait dit, sans certitude, que la cause était un dérèglement de l’hypotalamus.

À la suite d’un nouveau rappel de l’OAI, du 30 mars 2017, la Dresse E______, mentionnant désormais un cabinet privé comme adresse, lui a, le 5 octobre 2017, écrit que le patient souffrait toujours de la même problématique. La dernière consultation mettait en évidence la poursuite de l’état fébrile inexpliqué. La consultation de la Dresse I______, appuyée sur un « ENMG », « [proposait] un trouble de la thermorégulation centrale » ; un rendez-vous était « en cours » à la consultation « diagnostics difficiles et symptômes inexpliqués ». Les symptômes présentés par l’intéressé, à savoir les céphalées, l’état fébrile, les acouphènes, survenant à l’effort physique modéré et à l’exposition aux écrans, lui enlevaient toute capacité de travail et justifiaient la demande de prestations AI en cours. Allait par ailleurs être instauré un traitement de l’hépatite C chronique du patient d’ici la fin de l’année.

En réponse à sa demande du 13 novembre 2017 de transmission d’une copie de l’ensemble des rapports de consultation du service des maladies rares des HUG, l’office a reçu plusieurs rapports du service de neurologie de ceux-ci.

10.    Selon un avis du 23 janvier 2018 du SMR, qui a relevé que la toxicomanie primaire n’était pas reconnue comme un diagnostic incapacitant dans le sens de l’AI, les éléments médicaux à disposition ne rendaient pas une aggravation de l’état de santé de l’intéressé plausible.

11.    Par décision du 6 février 2018 – dont aucun élément ne permet de retenir qu’elle aurait fait l’objet d’un recours –, se référant aux avis du SMR et aux rapports médicaux produits, l’OAI n’est pas entré en matière sur la demande de prestations AI déposée le 1er décembre 2015 par l’assuré.

12.    Par nouvelle demande signée le 18 février 2020 et déposée le 24 février suivant, l’assuré a sollicité des prestations AI, mentionnant, comme atteintes à la santé, une dépendance aux opiacés ainsi qu’à la cocaïne (polytoxicomanie), un état fébrile d’origine indéterminée, une « déficience homozigote facteur S Leiden », une hépatite C, une « encéphalée chronique, acouphène », ce depuis plus de vingt ans, et indiquant être suivi par la doctoresse J______, de la CAAP Arve, de même que par la Dresse E______ pour sa santé générale.

13.    Par courrier du 2 mars 2020, l’OAI a imparti à l’intéressé un délai de trente jours pour lui faire parvenir tous les documents médicaux permettant de rendre plausible l’aggravation de son état de santé depuis la date de la dernière décision dudit office, du 23 octobre 2008, notamment un rapport médical circonstancié démontrant une aggravation probante (diagnostics, évolution, capacité de travail dans son activité habituelle et dans une activité adaptée, limitations fonctionnelles), à défaut de quoi il ne serait pas entré en matière sur sa nouvelle demande de prestations, conformément à la loi.

14.    Par projet de décision du 20 mai 2020, l’OAI a envisagé de ne pas entrer en matière sur la nouvelle demande de l’intéressé déposée le 24 février 2020, sa demande de documents médicaux formulée le 2 mars 2020 étant restée sans réponse. Le destinataire pouvait apporter ses objections dans les trente jours.

15.    Par décision du 1er juillet 2020, l’OAI n’est pas entré en matière sur la nouvelle demande de l’assuré, pour le même motif que celui indiqué dans son projet de décision du 20 mai 2020, l’absence de contestation de sa part dans le délai fixé conduisant l’office à partir de l’idée que l’intéressé était d’accord avec ledit projet de décision, repris ainsi intégralement dans la décision.

16.    Par acte daté du 17 juillet 2020 mais expédié le 23 juillet suivant, l’assuré a formé recours contre cette décision auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre des assurances sociales ou la chambre de céans).

À teneur de ses explications, il avait effectivement reçu la décision de refus du 23 octobre 2008. Toutefois, la jurisprudence concernant la toxicomanie avait changé depuis l’été 2019, raison pour laquelle, sur conseils de nombreux médecins, il avait déposé le 24 février 2020 une nouvelle demande de prestations AI.

À la suite d’un épisode de rechute, il n’avait malheureusement pas été en état d’ouvrir régulièrement son courrier et avait « raté » la lettre de l’OAI du 2 mars 2020, sans compter la période de crise sanitaire de la Covid-19 durant laquelle ses différents suivis avaient été suspendus, y compris son suivi social auprès de l’hospice.

Le recourant concluait à ce que sa nouvelle demande du 24 février 2020 soit reconsidérée et que l’intimé prenne directement contact avec ses médecins, les Dresses E______ et J______, celles-ci attendant des nouvelles de l’office pour établir et envoyer leurs rapports.

À teneur d’un certificat de la Dresse E______ du 5 juin 2020, l’assuré était en incapacité totale de travail du 1er février au 30 juin 2020.

17.    Par réponse du 6 août 2020, l’OAI a conclu au rejet du recours, un rapport que lui avait adressé le 23 juillet 2020 la Dresse E______ et qu’il avait reçu le 6 août suivant, au stade du recours, ne pouvant de surcroît pas être pris en considération dans le cadre du présent litige.

Dans ce dernier rapport, la Dresse E______ diagnostiquait une dépendance aux opiacés (F11.2) et à la cocaïne (F14.2), une dépendance au tabac ainsi que des vertiges et un état fébrile d’étiologie indéterminée, et s’opposait à la décision de non-entrée en matière attaquée. S’il était correct que la situation médicale du patient « [n’avait] pas changé essentiellement depuis le dernier refus », la loi avait quant à elle changé, permettant d’obtenir le statut d’invalide pour une atteinte sévère de la santé globale qu’était la dépendance aux opiacés et à la cocaïne, ce qui était le cas de l’intéressé depuis l’adolescence. Bien que, « grâce à son traitement de longue date au programme de prescription médicale d’héroïne », il ne consommait plus d’héroïne, le recourant présentait toujours les caractéristiques de dépendance à la cocaïne, qu’il consommait presque quotidiennement depuis quelques années, sans arriver à y mettre un terme malgré le suivi et ses efforts. Par ailleurs, si l’étiologie de ses vertiges, céphalées et état fébrile intermittent (ce dernier ayant été objectivé pendant une hospitalisation), affections ayant été « lourdement » investiguées, n’avait pas pu être élucidée, il n’en demeurait pas moins que le patient souffrait de manière invalidante, après les efforts physiques.

Dans le dossier produit par l’intimé figure une attestation de la
Dresse J______ du 10 juillet 2020 certifiant que l’assuré était suivi à la CAAP Arve, du PEPS, depuis le 14 mars 1996 et se tenant à disposition pour tout renseignement complémentaire.

18.    En réponse notamment aux questions de la chambre des assurances sociales posées par lettre du 13 août 2020 quant à la nature de l’épisode de rechute mentionné dans le recours et quant au motif pour lequel celui-ci aurait empêché l’intéressé d’ouvrir le courrier de l’OAI du 2 mars 2020, le recourant a, par réplique du 11 septembre 2020 faisant suite à une demande de prolongation de délai du 15 août 2020 – et transmise le 16 septembre 2020 par l’OAI –, fait part de son incompréhension de ne pas avoir été mis au bénéfice de l’AI malgré son parcours de vie chaotique et a résumé une partie de sa vie en lien avec la toxicomanie et ses problèmes de santé.

Selon les explications du recourant, à la suite de divers changements d’assistante sociale de l’hospice et au regard de la période de Covid-19, il avait vu son conseiller une seule fois en neuf mois, à savoir le 17 juillet 2020, date de la rédaction de son recours. Ainsi, l’ouverture de ses courriers n’était à cette époque pas sa priorité. Il avait ouvert l’enveloppe contenant le projet de décision du 20 mai 2020 trop tard, contrairement à celle contenant la décision attaquée. La dizaine de médecins qui l’avaient suivi depuis environ vingt ans n’avaient pas établi des certificats médicaux à son sujet par hasard. Au PEPS, les médecins changeaient presque chaque année, et la Dresse J______ avait été surprise de ne pas avoir reçu de questionnaire concernant son cas.

Il avait l’impression de devoir se battre seul « contre des moulins ». L’hospice, qui l’épaulait dans sa démarche de demande de prestations AI, lui avait dit que ce n’était pas à ladite institution de s’occuper de lui, qui était « sous certificats médicaux ». Il avait déposé sa dernière demande de prestations AI parce que sa famille l’avait appelé pour lui dire de regarder le téléjournal de la TSR, lors duquel il avait été indiqué que « la toxicomanie (de longue date) était considérée comme une maladie pouvant être prise en charge par l’AI ». Avant de lui refuser des prestations AI, les autorités devraient le rencontrer, le connaître et comprendre sa situation (via une expertise). Il était disposé, au besoin, à expliquer sa situation de visu à la chambre de céans.

19.    Par plis du 22 septembre 2020, celle-ci a informé les parties que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.        Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, l'acte de recours, dans la mesure où il permet de comprendre que le recourant conclut principalement à l'annulation de la décision querellée en tant qu’elle refuse d’entrer en matière sur sa nouvelle demande de prestations AI (art. 89B al. 1 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]), est recevable
(art. 56 ss LPGA et 62 ss LPA).

3.        L'objet du litige, déterminé par la décision du 1er juillet 2020 querellée, porte sur le point de savoir si l'intimé était en droit de refuser d'entrer en matière sur la demande de révision – ou nouvelle demande – déposée le 24 février 2020 par le recourant.

Il ressort des écritures de l’intéressé que celui-ci ne sollicite pas une révision
(art. 53 al.1 LPGA) ou une reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA) de la décision passée en force de chose décidée rendue le 23 octobre 2008, sa nouvelle demande portant, implicitement, sur des prestations à lui octroyer au plus tôt dès la date d’adoption de la nouvelle jurisprudence du Tribunal fédéral énoncée dans l’ATF 
145 V 215.

4.        a. Selon l'art. 87 du règlement sur l'assurance-invalidité, du 17 janvier 1961
(RAI - RS 831.201), lorsqu'une demande de révision est déposée, celle-ci doit établir de façon plausible que l'invalidité, l'impotence ou l'étendue du besoin de soins ou du besoin d'aide découlant de l'invalidité de l'assuré s'est modifiée de manière à influencer ses droits (al. 2). Lorsque la rente, l’allocation pour impotent ou la contribution d’assistance a été refusée parce que le degré d’invalidité était insuffisant, parce qu’il n’y avait pas d’impotence ou parce que le besoin d’aide ne donnait pas droit à une contribution d’assistance, la nouvelle demande ne peut être examinée que si les conditions prévues à l’al. 2 sont remplies (al. 3).

Cette exigence doit permettre à l'administration qui a précédemment rendu une décision entrée en force d'écarter sans plus ample examen de nouvelles demandes dans lesquelles l'assuré se borne à répéter les mêmes arguments, sans rendre plausible une modification des faits déterminants (ATF 133 V 108 consid. 5.2 ; ATF 130 V 64 consid. 5.2.3 ; ATF 117 V 198 consid. 4b et les références citées). À cet égard, une appréciation différente de la même situation médicale ne permet pas encore de conclure à l'existence d'une aggravation (ATF 112 V 371 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_748/2013 du 10 février 2014 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 716/2003 du 9 août 2004 consid. 4.1). Les conditions d'entrée en matière prévues par l'art. 87 al. 2 et 3 RAI ont pour but de restreindre la possibilité de présenter de manière répétée des demandes de rente identiques (ATF 133 V 108 consid. 5.3.1).

b. Lorsqu'elle est saisie d'une nouvelle demande, l'administration doit commencer par examiner si les allégations de l'assuré sont, d'une manière générale, plausibles. Si tel n'est pas le cas, l'affaire est liquidée d'entrée de cause et sans autres investigations par un refus d'entrée en matière. À cet égard, l'administration se montrera d'autant plus exigeante pour apprécier le caractère plausible des allégations de l'assuré que le laps de temps qui s'est écoulé depuis sa décision antérieure est bref. Elle jouit sur ce point d'un certain pouvoir d'appréciation, que le juge doit en principe respecter. Ainsi, le juge ne doit examiner comment l'administration a tranché la question de l'entrée en matière que lorsque ce point est litigieux, c'est-à-dire quand l'administration a refusé d'entrer en matière et que l'assuré a interjeté recours pour ce motif. Ce contrôle par l'autorité judiciaire n'est en revanche pas nécessaire lorsque l'administration est entrée en matière sur la nouvelle demande (ATF 109 V 108 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_789/2012 du 27 juillet 2013 consid. 2.2). Dans cette dernière hypothèse, l'administration doit procéder de la même manière que dans les cas de révision au sens de l'art. 17 LPGA et comparer les circonstances prévalant lors de la nouvelle décision avec celles existant lors de la dernière décision entrée en force et reposant sur un examen matériel du droit à la rente (ou à l'allocation pour impotent ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_412/2010 du 22 février 2011 consid. 3 ; Ulrich MEYER/ Marco REICHMUTH, Bundesgesetz über die Invalidenversicherung [IVG], in STAUFFER/CARDINAUX [éd.], Rechtsprechung des Bundesgerichts zum Sozialversicherungsrecht, 3ème éd., 2014, n. 139 ad art. 30-31 LAI).

c. Le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d'office par l'autorité (cf. art. 43 al. 1 LPGA), ne s'applique pas à la procédure de l'art. 87 al. 3 – actuellement 2 – RAI (ATF 130 V 64 consid. 5.2.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_880/2017 du 22 juin 2018 consid. 5.1). Eu égard au caractère atypique de celle-ci dans le droit des assurances sociales, le Tribunal fédéral a précisé que l'administration pouvait appliquer par analogie l'art. 73 aRAI (cf. art. 43 al. 3 LPGA depuis le 1er janvier 2003) - qui permet aux organes de l'AI de statuer en l'état du dossier en cas de refus de l'assuré de coopérer - à la procédure régie par l'art. 87 al. 2 RAI, à la condition de s'en tenir aux principes découlant de la protection de la bonne foi (art. 5 al. 3 ainsi que 9 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101 ; ATF 124 II 265 consid. 4a).

Ainsi, lorsqu'un assuré introduit une nouvelle demande de prestations ou une procédure de révision sans rendre plausible que son invalidité s'est modifiée, notamment en se bornant à renvoyer à des pièces médicales qu'il propose de produire ultérieurement ou à des avis médicaux qui devraient selon lui être recueillis d'office, l'administration doit lui impartir un délai raisonnable pour déposer ses moyens de preuve, en l'avertissant qu'elle n'entrera pas en matière sur sa demande pour le cas où il ne se plierait pas à ses injonctions. Cela présuppose que les moyens proposés soient pertinents, en d'autres termes qu'ils soient de nature à rendre plausibles les faits allégués. Lorsque ces exigences concernant la fixation d'un délai et l'avertissement des conséquences juridiques de l'omission sont remplies, le juge doit se fonder sur les faits tels qu'ils se présentaient à l'administration au moment de la décision litigieuse (ATF 130 V 64 consid. 5.2.5 in fine ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_880/2017 précité consid. 5.1). L'examen du juge se limite donc au point de savoir si les pièces déposées en procédure administrative (telles que se présentant au moment où l’administration a statué) justifient ou non la reprise de l'instruction du dossier. Il ne sera donc pas tenu compte des rapports produits postérieurement à la décision litigieuse (arrêt du Tribunal fédéral 9C_789/2012 précité consid. 4.1).

d. L'exigence relative au caractère plausible ne renvoie pas à la notion de vraisemblance prépondérante usuelle en droit des assurances sociales. Les exigences de preuves sont, au contraire, sensiblement réduites en ce sens que la conviction de l'autorité administrative n'a pas besoin d'être fondée sur la preuve pleinement rapportée qu'une modification déterminante est survenue depuis le moment auquel la décision refusant les prestations a été rendue. Des indices d'une telle modification suffisent alors même que la possibilité subsiste qu'une instruction plus poussée ne permettra pas de l'établir (Damien VALLAT, La nouvelle demande de prestations AI et les autres voies permettant la modification de décisions en force, RSAS, 2003, p. 396 ch. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 724/99 du 5 octobre 2001 consid. 1c/aa).

Lors de l'appréciation du caractère plausible d'une modification déterminante des faits influant sur le droit aux prestations, on compare les faits tels qu'ils se présentaient au moment de la décision administrative litigieuse et les circonstances prévalant à l'époque de la dernière décision d'octroi ou de refus des prestations (ATF 130 V 64 consid. 2 ; ATF 109 V 262 consid. 4a).

5.        En l’espèce, le recourant n’a réagi ni à la demande du 2 mars 2020 de l’intimé qui lui impartissait un délai pour fournir tous les documents médicaux permettant de rendre plausible l'aggravation de son état de santé depuis le 23 octobre 2008, ni au projet de décision du 20 mai 2020. Il ne soutient pas, et il ne ressort pas non plus du dossier, qu’au moment du prononcé de la décision litigieuse, soit le 1er juillet 2020, il aurait rendu plausible une aggravation de son état de santé survenue depuis le 23 octobre 2008, date de la décision initiale au fond entrée en force.

Sous ce seul angle, l’intimé a à juste titre refusé d’entrer en matière sur sa demande de révision du 24 février 2020.

Il est au demeurant relevé que, dans son rapport du 23 juillet 2020, produit au stade de la procédure de recours, la Dresse E______ admet que la situation médicale du patient n’a pas changé de manière « essentielle » depuis le dernier refus.

6.        Cela étant, il ressort des écritures de recours de l’assuré qu’il fonde en réalité sa nouvelle demande du 24 février 2020 sur un changement de jurisprudence du Tribunal fédéral intervenu durant l’été 2019 relativement à la prise en compte de la toxicomanie en matière d’AI.

De l’avis de l’office, le Tribunal fédéral a certes, le 11 juillet 2019
(ATF 145 V 215), modifié sa jurisprudence relative à l’appréciation du droit à des prestations de l’AI en cas de syndrome de dépendance. Cependant, d’après lui, cette nouvelle jurisprudence doit être appliquée à tous les cas pour lesquels la décision n’était pas encore entrée en force à la date du changement de pratique (cf. notamment arrêt du Tribunal fédéral 8C_259/2019 du 14 octobre 2019 consid. 5). En revanche, toujours selon l’intimé, la nouvelle jurisprudence ne constitue pas en soi un motif permettant de revenir sur une décision entrée en force, ni au titre d’une reconsidération au sens de l’art. 53 al. 2 LPGA, ni au titre de l’adaptation à une modification de la jurisprudence (cf. ATF 135 V 201).

7.        Selon l’ancienne jurisprudence constante du Tribunal fédéral, une dépendance comme l’alcoolisme, la pharmacodépendance ou la toxicomanie ne constituait pas en soi une invalidité au sens de la loi. En revanche, elle jouait un rôle dans l’AI lorsqu’elle avait provoqué une atteinte à la santé physique ou mentale qui nuisait à la capacité de gain de l’assuré, ou si elle résultait elle-même d’une atteinte à la santé physique ou mentale qui avait valeur de maladie (ATF 124 V 265 consid. 3c ; ATF 99 V 28 consid. 2; VSI 2002 p. 32 consid. 2a, 1996 p. 319 consid. 2a). Dans son arrêt du 11 juillet 2019 précité, le Tribunal fédéral a expliqué que cette jurisprudence partait du principe que l’assuré, souffrant de dépendance, avait provoqué lui-même fautivement cet état et qu’il aurait pu, en faisant preuve de diligence, se rendre compte suffisamment tôt des conséquences néfastes de la consommation de substances et s’en détourner ou à tout le moins entreprendre une thérapie (ATF 145 V 215 consid. 4.2).

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence en ce sens que les syndromes de dépendance (« Abhängigkeitssyndromen ») et les troubles liés à la consommation de substances (« Substanzkonsumstörungen »), diagnostiqués en bonne et due forme, ne sauraient se voir dénier d’emblée toute pertinence sous l’angle de l’AI, mais doivent être considérés comme d’autres atteintes à la santé psychique pouvant entraîner une invalidité (ATF 145 V 215 consid. 5.3.3 et 6 ; aussi ATAS/773/2019 du 2 septembre 2019 consid. 10b). Dès lors qu’il n’existe pas, en matière de syndromes de dépendance – comme pour la plupart des maladies (ATF 140 V 193 consid. 3.1) – de relation directe entre le diagnostic posé et l’incapacité de travail, respectivement l’invalidité, il est nécessaire de constater médicalement les conséquences de l’atteinte à la santé sur les possibilités de gain dans chaque cas particulier (art. 7 al. 2 LPGA ; ATF 145 V 215 consid. 6.1 et la référence à l’ATF 143 V 409 consid. 4.2.1). Dans ledit ATF 143 V 409, le Tribunal fédéral avait modifié sa pratique en cas de troubles psychiques comme suit : la jurisprudence développée pour les troubles somatoformes douloureux, selon laquelle il y avait lieu d'examiner la capacité de travail et la capacité fonctionnelle de la personne concernée dans le cadre d'une procédure structurée d'administration des preuves à l'aide d'indicateurs (ATF 141 V 281), s'appliquait dorénavant à toutes les maladies psychiques, y compris troubles dépressifs de degré léger ou moyen (ATF 143 V 409 consid. 4.5 ; ATF 143 V 418 consid. 6, 7 et 8). Et, depuis le revirement jurisprudentiel opéré le 11 juillet 2019, cette même procédure structurée d’administration des preuves s’applique également aux syndromes de dépendance et troubles liés à la consommation de substances, sans qu’il y ait lieu de faire de distinction entre leur caractère primaire ou secondaire (ATF 145 V 215 consid. 7 et 8.1 ; aussi ATAS/773/2019 précité consid. 10b).

L'examen des indicateurs standards reste toutefois superflu lorsque l'incapacité de travail est niée sur la base de rapports probants établis par des médecins spécialistes et que d'éventuelles appréciations contraires n'ont pas de valeur probante du fait qu'elles proviennent de médecins n'ayant pas une qualification spécialisée ou pour d'autres raisons (ATF 145 V 215 consid. 7 ; ATF 143 V 409 consid. 4.5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_14/2018 du 12 mars 2018 consid 2.1).

8.        a. En droit des assurances sociales, les décisions de prestations, assorties d'effets durables, initialement non erronées doivent en règle générale être adaptées aux modifications du droit qui résultent d'une intervention du législateur – lois et ordonnances (Thomas FLÜCKIGER, in Basler Kommentar, 2020, n. 11 ad art. 17 LPGA) –, sous réserve de dispositions de droit transitoires contraires et, le cas échéant, des droits acquis (ATF 135 V 215 consid. 5.1.1 ; ATF 135 V 201 consid. 6.1.1 = RDAF 2010 I 375 [rés.] ; ATF 121 V 157 consid. 4a ; aussi, par exemple, pour le « réexamen des rentes octroyées en raison d’un syndrome sans pathogenèse ni étiologie claire et sans constat de déficit organique », la let. a des dispositions finales de la modification du 18 mars 2011 [6ème révision de l’AI, premier volet], en vigueur depuis le 1er janvier 2012).

b. En revanche, un changement dans la pratique judiciaire ou administrative ne conduit en principe pas à modifier des prestations périodiques fondées sur une décision (assortie d'effets durables) entrée en force formelle (ATF 135 V 215 consid. 5.1.1 ; ATF 135 V 201 consid. 6.1.1 = RDAF 2010 I 375 [rés.] ;
ATF 129 V 200 consid. 1.2 ; ATF 121 V 157 consid. 4a ; ATF 112 V 371 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_439/2007 du 28 février 2008
consid. 3.2 in fine).

Exceptionnellement, un changement de jurisprudence peut cependant entraîner la modification d'une décision entrée en force (avec des effets pour l'avenir) lorsque la nouvelle jurisprudence a une telle portée générale qu'il serait contraire au droit à l'égalité de ne pas l'appliquer dans tous les cas, en particulier en maintenant une ancienne décision pour un seul assuré ou un petit nombre d'assurés
(ATF 141 V 585 consid. 5.2 ; ATF 135 V 215 consid. 5.1.1 ; ATF 135 V 201 consid. 6.1.1 = RDAF 2010 I 375 [rés.] ; ATF 129 V 200 consid. 1.2 ;
ATF 121 V 157 consid. 4a ; ATF 112 V 387 consid. 3c ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances C 222/99 du 23 octobre 2000 consid. 3b, SVR 2001 ALV n. 4 p. 10), cette pratique restrictive valant en tout cas lorsque l’application d’une jurisprudence nouvelle s’opérerait au détriment du justiciable (ATF 120 V 128 consid. 3c ; ATF 119 V 410 consid. 3b).

Une telle manière de procéder s'applique en particulier lorsque le maintien de la décision initiale ne peut simplement plus être justifié du point de vue de la nouvelle jurisprudence et que celle-ci a une telle portée générale que ne pas l'appliquer dans un cas particulier reviendrait à privilégier (ou discriminer) l'intéressé de manière choquante et à porter atteinte au principe de l'égalité de traitement (art. 8 al. 1 Cst. ; ATF 141 V 585 consid. 5.2 ; ATF 135 V 215 consid. 5.1.1 ; ATF 135 V 201 consid. 6.1.1 = RDAF 2010 I 375 [rés.] ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 382/94 consid. 4a, SVR 1995 IV n. 60 p. 171 ; Michel VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [LAI], 2018, n. 67 ad art. 31 LAI ; Ulrich MEYER/Marco REICHMUTH, op. cit., n. 66 ad art. 30-31 LAI).

c. En application des principes exposés, le Tribunal fédéral des assurances a, à diverses reprises, admis qu'une décision de prestations, assortie d'effets durables, entrée en force soit adaptée à un changement de jurisprudence ou de la pratique administrative intervenu entre-temps et plus favorable pour l'intéressé
(ATF 135 V 215 consid. 5.1.2.1).

Ainsi, il a jugé qu'une rente d'invalidité de l'assurance-militaire fixée selon une jurisprudence antérieure devait être adaptée à la modification de la jurisprudence intervenue en 1984, laquelle a reconnu l'indemnisation cumulative de l'incapacité de gain et de l'atteinte à l'intégrité ; la solution contraire entraînait des inégalités manifestes (ATF 121 V 157 consid. 4c). L'application d'une nouvelle pratique administrative de l’administration fédérale – étendant la qualification de salaire à l’indemnité de licenciement –, qui permettait dans certains cas d'ouvrir le droit à des indemnités de l'assurance-chômage, non reconnu jusqu'alors, dans des situations qui avaient déjà fait l'objet de décisions entrées en force défavorables, a également été admise – avec effet dès l’entrée en vigueur fixée par la directive administrative en cause –, la Haute Cour faisant ici exceptionnellement primer le principe de l’égalité de traitement sur le principe de la légalité malgré l’illicéité de ladite nouvelle pratique administrative (arrêt du Tribunal fédéral des assurances C 222/99 précité consid. 4, SVR 2001 IV n. 4 p. 9 ; aussi ATF 120 V 128). Le Tribunal fédéral des assurances en a jugé de même en ce qui concerne l'application directe - d'abord niée, puis reconnue ultérieurement (ATF 119 V 171) - des dispositions de droit international admettant de manière limitée la réduction des prestations pour faute (ATF 120 V 128 consid. 4 ; ATF 119 V 410 consid. 3c ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 382/94 consid. 4, SVR 1995 IV n. 60 p. 171).

En défaveur de l'assuré en cause, le Tribunal fédéral des assurances a, entre autres, confirmé l'adaptation d'une rente pour atteinte à l'intégrité, dont le calcul reposait encore sur une jurisprudence antérieure, considérée comme erronée par les ATFA 1966 p. 148 et 1968 p. 88, aux nouvelles bases de calcul déterminantes (ATF 135 V 215 consid. 5.1.2.2 ; ATF 112 V 387 consid. 3c, confirmé par l'ATF 115 V 308).

d. En résumé, la jurisprudence n'a guère admis d'exceptions au principe selon lequel un changement de jurisprudence ne justifie pas de modifier des décisions de prestations assorties d'effets durables lorsque l'application de la nouvelle jurisprudence s'opère au détriment des assurés (ATF 141 V 585 consid. 5.2 ; ATF 135 V 215 consid. 5.1.3 ; ATF 135 V 201 consid. 6.1.3 = RDAF 2010 I 375 [rés.]). Dans les cas où une telle adaptation (dans le sens d'une réduction) a été admise (ATF 112 V 387 confirmé par l'ATF 115 V 308), le Tribunal fédéral des assurances a précisé qu'il s'agissait d'une situation exceptionnelle - au regard des critères étrangers à l'affaire sur lesquels se fondait la jurisprudence antérieure -, laquelle exigeait une solution particulière (ATF 115 V 308 consid. 4b ; cf. aussi ATF 121 V 157 consid. 4b p. 162). En faveur des assurés, le Tribunal fédéral des assurances a en revanche admis une adaptation à des conditions moins strictes, dans des cas particuliers (ATF 141 V 585 consid. 5.2 ; ATF 135 V 215 consid. 5.1.3 ; ATF 135 V 201 consid. 6.1.3 = RDAF 2010 I 375 [rés.] ; ATF 107 V 153 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances C 222/99 précité consid. 3b, SVR 2001 ALV n. 4 p. 9).

e. Les aspects liés à la sécurité du droit et - en cas d'adaptation au détriment de l'assuré - à la confiance dans le maintien de prestations étatiques une fois accordées peuvent entrer en conflit avec l'intérêt public à une mise en œuvre de l'assurance conforme au droit et objectivement justifiable. La résolution de ce conflit passe par une pesée des intérêts concernés qui comprend un jugement de valeurs. En fin de compte, la jurisprudence en matière de droit des assurances sociales repose donc aussi sur une pesée des intérêts. Dès lors que dans le droit des assurances sociales, un changement de jurisprudence concerne souvent un grand nombre de cas, qui présentent en règle générale une constellation semblable en ce qui concerne les conditions du droit aux prestations, le principe de l'égalité de traitement des personnes touchées par une éventuelle adaptation des rentes revêt une importance considérable. De ce point de vue, il n'apparaît pas justifié de tenir compte dans chaque cas particulier des effets individuels et concrets d'une adaptation. Ainsi, on ne voit pas d'emblée pour quelle raison un assuré, qui, confiant dans le fait que la rente est en cours, a loué un appartement plus cher, ne devrait pas voir ses prestations réduites, contrairement à un assuré plus économe. La constellation de départ « typique » dans le droit des assurances sociales requiert au contraire une solution uniforme pour l'ensemble des personnes concernées. À cet égard, en cas de suppression ou de réduction de rentes, où en plus de l'aspect de la sécurité du droit, celui de la confiance suscitée joue également un rôle, les éléments qui parlent en faveur du maintien de la prestation prennent en règle générale le pas sur l'égalité de traitement entre les bénéficiaires d'une rente et les personnes qui viennent juste de requérir une telle prestation. Pour justifier une adaptation de la jurisprudence modifiée à une décision de prestations, assortie d'effets durables, entrée en force, en plus de la portée générale de cette jurisprudence nouvelle (qui ne suffit à elle seule pas), des éléments qualifiés doivent être réunis qui laisseraient apparaître la
non-application du changement de la pratique judiciaire à des prestations en cours comme incompatible avec le principe de l'égalité de traitement. Un tel élément existe lorsque l'ancienne jurisprudence ne trouve application qu'à un petit nombre de personnes concernées, de sorte qu'elles apparaissent privilégiées (ou discriminées), de même que si l'octroi de la prestation ne peut simplement plus être justifié du point de vue de la nouvelle jurisprudence. Dans son résultat, cette jurisprudence correspond dans une large mesure à celle des Cours de droit public du Tribunal fédéral, laquelle n'admet une intervention dans un rapport de droit durable en raison d'un changement de jurisprudence que si des intérêts publics prépondérants sont concernés (ATF 141 V 585 consid. 5.2 ; ATF 135 V 215 consid. 5.2, 5.3 et 5.4 et les références citées ; ATF 135 V 201 consid. 6.2, 6.3 et 6.4 = RDAF 2010 I 375 [rés.]).

f. S'agissant en particulier de la problématique des troubles somatoformes douloureux, le Tribunal fédéral a considéré que la précision de jurisprudence qui les concernait et qui énonçait des critère précis (ATF 130 V 352) ne saurait constituer un motif de reconsidération (au sens de l’art. 53 al. 2 LPGA) de la décision de rente (arrêt du Tribunal fédéral I 138/07 du 25 juin 2007 consid. 4, SVR 2008 IV n. 5 p. 12), pas plus qu'elle ne justifie, au titre d'une adaptation à un changement des fondements juridiques, de réduire ou de supprimer des rentes en cours, qui ont été allouées par le passé à des assurés souffrant de troubles somatoformes douloureux. En effet, l'ATF 130 V 352 n'a pas modifié la situation juridique en ce sens qu'une rente aurait été d'emblée allouée par le passé en cas de diagnostic de troubles somatoformes douloureux, alors que cela serait désormais exclu. Le diagnostic de troubles somatoformes douloureux peut conduire - avant comme après l'arrêt ATF 130 V 352 - tant à l'admission qu'au rejet du droit à la rente. L'octroi de rentes dans le passé n'apparaît dès lors ni contraire au droit, ni inapproprié ou encore choquant dans la perspective actuelle. Aussi, une adaptation des rentes en cours ne se justifie-t-elle pas du point de vue de la mise en œuvre de l'assurance conforme au droit et objectivement justifiable. Par ailleurs, on ne se trouve pas ici dans un cas où, sous l'angle du principe de l'égalité de traitement (art. 8 al. 1 Cst.), une adaptation par le juge s'impose en particulier lorsque les décisions fondées sur l'ancienne jurisprudence ne valent plus que pour un petit nombre d'assurés : au regard du fait que le diagnostic de « troubles somatoformes douloureux » a pris une nette importance depuis le début des années nonante, la question de l'adaptation se poserait pour un grand nombre de rentes en cours. En raison du principe de l'égalité de traitement, l'administration serait tenue de soumettre tous les cas de ce genre à un examen, qui ne pourrait se limiter du point de vue de son contenu à certains aspects limités, mais devrait porter dans chaque cas particulier sur les critères nuancés dégagés dans l'ATF 130 V 352. Enfin, dans l'appréciation de l'exigibilité, il y aurait lieu de tenir compte de façon appropriée du fait que l'intéressé a bénéficié jusque-là d'une rente de manière conforme au droit et de la situation qui en est résultée. À cet égard, la doctrine exige que soit effectuée une soigneuse pesée des intérêts, sur la base de laquelle il y aurait lieu d'examiner si une adaptation dans le cas concret apparaît conforme au principe de la proportionnalité. La discussion porte donc sur l'appréciation d'un grand nombre de cas, qui supposent un examen étendu et dont le résultat est incertain. Dans ces circonstances, les conditions strictes, exposées plus haut, de l'application par le juge d'un changement de jurisprudence à des prestations en cours qui ont fait l'objet d'une décision entrée en force ne sont pas réalisées (ATF 135 V 215 consid. 6 et les références citées, dont le consid. 7 a de surcroît retenu que l'art. 7 al. 2 LPGA, entré en vigueur le 1er janvier 2008, ne correspond pas à une modification du droit en tant que telle, mais à l'inscription dans la loi de la jurisprudence dégagée jusqu'alors sur la notion d'invalidité, de sorte qu’il ne peut pas être considéré comme un fondement légal pour modifier des rentes qui ont fait l'objet d'une décision entrée en force ;
ATF 135 V 201 consid. 7 = RDAF 2010 I 375 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_675/2008 du 12 mai 2009 consid. 5.3 ; ATAS/757/2015 du 12 octobre 2015 consid. 7c ; Michel VALTERIO, op. cit., n. 67 ad art. 31 LAI ; Ulrich MEYER/Marco REICHMUTH, op. cit., n. 68 ad art. 30-31 LAI).

La nouvelle jurisprudence développée pour les troubles somatoformes douloureux, selon laquelle il y a lieu d'examiner la capacité de travail et la capacité fonctionnelle de la personne concernée dans le cadre d'une procédure structurée d'administration des preuves à l'aide d'indicateurs (ATF 141 V 281), n’a pas non plus été considérée par le Tribunal fédéral comme justifiant des révisions – à la demande d’assurés – de décisions entrées en force qui leur avaient refusé des prestations. En effet, la jurisprudence créée par l’ATF 130 V 352 pouvait conduire tout autant à l’approbation qu’à la négation du caractère invalidant d’un trouble somatoforme douloureux persistant ou d’un « tableau » douloureux équivalent, et ceci vaut aussi dans le cadre de la nouvelle jurisprudence introduite par
l’ATF 141 V 281. Cette dernière jurisprudence n’entraîne pas une modification des conditions pour les demandes de prestations, mais met en place une nouvelle procédure structurée d'administration des preuves à l'aide d'indicateurs, sans augmenter a priori les chances d’obtenir des prestations. Les refus de rentes prononcés sous l’ancienne pratique (ATF 130 V 352) n’apparaissent pas, à l’aune de cette nouvelle jurisprudence (ATF 141 V 281) et à l’aune de l’art. 7 al. 2 LPGA, comme contraires au droit, inappropriés ou simplement injustifiables. Partant, il n’y a pas lieu de s’écarter du principe de non-application d'un changement de jurisprudence tel qu'exposé plus haut, des motifs importants conduisant à une autre conclusion n’étant ni invoqués ni visibles (ATF 141 V 585 consid. 5.3).

Il est rappelé que cette nouvelle jurisprudence développée pour les troubles somatoformes douloureux (ATF 141 V 281) s’est ultérieurement étendue à toutes les maladies psychiques (ATF 143 V 409 consid. 4.5 ; ATF 143 V 418 consid. 6, 7 et 8).

g. La nouvelle jurisprudence introduite le 11 juillet 2019 par l’ATF 145 V 215 concernant les syndromes de dépendance et les troubles liés à la consommation de substances s’applique immédiatement et vaut pour les cas futurs, ainsi que pour les affaires pendantes devant un tribunal au moment de l’adoption de la modification jurisprudentielle (ex nunc et pro futuro ; ATF 140 V 154 consid. 6.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_259/2019 précité consid. 5.1 ; ATAS/773/2019 précité consid. 10c).

Tant que la décision initiale de l’OAI querellée n’est pas entrée en force, la modification de jurisprudence du 11 juillet 2019 (ATF 145 V 215) doit être prise en considération pour résoudre le litige (ATAS/1036/2019 du 12 novembre 2019 consid. 17). Ceci vaut également lorsque l’office est entré en matière sur une nouvelle demande de prestations AI, mais l’a rejetée, sous l’angle de
l’art. 17 al. 1 LPGA, puisque ladite autorité doit examiner l’affaire quant au fond (arrêt du Tribunal fédéral 8C_259/2019 précité ; ATAS/1183/2019 du 5 décembre 2019 consid. 14). En effet, une administration ne saurait limiter son examen à la question de savoir si un changement important susceptible d’influencer le degré d’invalidité s’est produit, lorsqu’elle entre en matière sur une nouvelle demande au sens de l’art. 87 al. 3 (et ancien al. 4) RAI, étant donné que, se saisissant du fond d’une nouvelle demande, elle doit en instruire tous les aspects (médicaux et juridiques, notamment) et déterminer si la modification de l’invalidité s’est effectivement produite, comme si elle se prononçait pour la première fois sur le droit aux prestations (ATF 117 V 198 consid. 3 et 4; arrêt du Tribunal fédéral 9C_142/2012 du 9 juillet 2012 consid. 4 ; Michel VALTERIO, op. cit., n. 31
ad art. 31 LAI).

9.        a. Dans le cas présent, à la date du prononcé le 11 juillet 2019 de l’ATF 145 V 215, modifiant la jurisprudence du Tribunal fédéral afférente aux syndromes de dépendance et aux troubles liés à la consommation de substances, le recourant faisait l’objet d’une décision de refus de toutes prestations AI rendue le 23 octobre 2008 par l’intimé et entrée en force.

La question de savoir si ce changement de jurisprudence peut être appliqué, ex nunc et pro futuro, à des assurés atteints de syndromes de dépendance et de troubles liés à la consommation de substances malgré des décisions de refus entrées en force antérieures audit 11 juillet 2019 n’a, à la connaissance de la chambre de céans, pas encore été tranchée.

b. Tout d’abord, la présente situation se distingue en grande partie de celle faisant l’objet de l’abondante jurisprudence citée plus haut (en particulier ATF 141 V 585 consid. 5.2 ; ATF 135 V 215 ; ATF 135 V 201 = RDAF 2010 I 375 [rés.]) concernant la réduction ou la suppression de prestations durables octroyées à des assurés par une décision entrée en force, suite à une nouvelle jurisprudence. Contrairement à cette dernière situation, on se trouve en l’espèce dans un cas où le changement de jurisprudence est potentiellement favorable à un nombre non négligeable d’assurés qui, à l’instar de l’intéressé, souffrent de syndromes de dépendance et de troubles liés à la consommation de substances et qui, comme lui, se sont vu refuser toute prestation AI au motif que ceux-ci étaient primaires et non pas secondaires à d’autres affections.

Certes, le recourant se trouve dans une situation où l’application de la nouvelle jurisprudence (ATF 145 V 215) pourrait conduire tout autant à l’approbation qu’à la négation du caractère invalidant des troubles invoqués, comme tel était le cas, de manière similaire, pour les assurés qui avaient fait l’objet d’une décision de refus de toutes prestations fondée sur l’ATF 130 V 352 et qui en sollicitaient la révision afin que soient appliqués à leur situation les critères (indicateurs) de l’ATF 141 V 281 (ATF 141 V 585). Toutefois, la situation initiale de l’intéressé diffère de celle des assurés concernés par l’ATF 141 V 585, dans la mesure où les syndromes de dépendance et troubles liés à la consommation de substances dont il souffre ont initialement été qualifiés de primaires (et non secondaires) et, partant, ont été exclus de toute évaluation allant au-delà de cette qualification et donc de toute possibilité d’obtenir de quelconques prestations de l’AI. Ainsi, à la différence des personnes concernées par l’ATF 141 V 585, l’application de la nouvelle jurisprudence de l’ATF 145 V 215 représenterait pour l’assuré une nette amélioration de ses chances d’obtenir des prestations de l’AI par rapport à sa situation initiale. Elle exigerait en particulier un examen approfondi de sa situation, notamment médicale, à l’aune de la procédure structurée d’administration des preuves à l’aide d’indicateurs utilisée initialement pour les troubles somatoformes douloureux (ATF 141 V 218), qui pourrait seulement conduire soit au statu quo, soit à l’octroi de mesures professionnelles ou d’une rente d’invalidité, qu’elle soit entière ou partielle
(art. 28 al. 2 LAI), sans que le caractère primaire ou secondaire de ses troubles puisse être pertinent, ce alors qu’une telle procédure d’évaluation et toute possibilité d’obtenir des prestations étaient jusqu’alors exclues pour lui. Le recourant se trouve à cet égard dans le cas présent dans une situation proche de celle où est adoptée une disposition légale octroyant des prestations à des personnes qui n’en bénéficiaient pas auparavant, par exemple par une modification en leur faveur des conditions d’octroi.

Ensuite, le principe de l’égalité de traitement tend à ce que les personnes assurées qui font l’objet d’une décision de refus entrée en force rendue avant la modification de jurisprudence (ATF 145 V 215) soient traitées de manière similaire par rapport à celles dont la demande de prestations AI était en cours au moment de l’adoption de cette nouvelle jurisprudence ou qui ont déposé une demande après celle-ci. La présente situation est proche de celle des cas cités plus haut où le Tribunal fédéral des assurances a admis l’application de changements de jurisprudence ou de pratique administrative en faveur d’assurés, dont les conditions sont moins restrictives qu’en cas de modification défavorable à ceux-ci.

Par ailleurs, l’intérêt public à l’application conforme du droit ne s’oppose aucunement à une application de la nouvelle jurisprudence introduite par
l’ATF 145 V 215 aux assurés qui ont fait l’objet d’une décision de refus entrée force rendue avant ladite modification jurisprudentielle et dont les syndromes de dépendance et troubles liés à la consommation de substances ont été qualifiés de primaires et donc exclus de toute évaluation allant au-delà de cette qualification, mais est au contraire en faveur d’une telle application. D’autres éventuels intérêts publics, visant par exemple à limiter les coûts de l’AI, ne seraient pas d’un poids suffisant pour s’y opposer. À cet égard, la question de savoir si les personnes concernées sont ou non nombreuses importe peu. Au surplus, le principe de la confiance ne serait aucunement heurté en cas d’application immédiate de cette nouvelle jurisprudence, la sécurité du droit non plus du reste, s’agissant de l’éventuel octroi ex nunc et pro futuro de prestations AI à des assurés qui n’en recevaient jusqu’à présent aucune.

Vu ce qui précède, il y a lieu de retenir que l’ATF 145 V 215 a une telle portée générale que ne pas l’appliquer au recourant le discriminerait de manière choquante par rapport aux assurés dont la demande de prestations AI était en cours au moment de l’adoption de cette nouvelle jurisprudence ou qui ont déposé une demande après celle-ci. Une telle solution, qui n’est soutenue par aucun intérêt public pertinent, ne serait pas compatible avec le principe de l’égalité de traitement, tant on voit mal ce qui justifierait une telle différence de traitement, et compte tenu de surcroît de la grande importance que pourrait représenter pour l’intéressé l’octroi éventuel de prestations AI.

c. Au surplus, au regard des pièces du dossier, notamment d’avis de spécialistes ainsi que du rapport d’expertise de la Dresse D______, on ne peut pas d’emblée conclure au caractère superflu d’un examen des indicateurs standards pour le cas de l’intéressé, selon la jurisprudence citée plus haut.

d. Partant, le changement de jurisprudence susmentionné doit s’appliquer à l’assuré, par une entrée en matière sur sa demande de prestations AI déposée le 24 février 2020 et par un traitement de cette demande, d’une manière similaire à celle d’une entrée en matière dans le cadre d’un examen sous l’angle des art. 87 al. 2 et 3 RAI ainsi que, par analogie, 17 LPGA.

10.    En conséquence, le recours sera admis, la décision querellée annulée et la cause renvoyée à l’intimé pour entrée en matière sur la demande de prestations AI déposée le 24 février 2020 par le recourant, instruction et nouvelle décision, dans le sens des considérants.

11.    Le recourant, qui obtient gain de cause, n'est pas représenté par un mandataire et n’a pas allégué des frais particulièrement importants pour défendre ses droits dans le cadre de la présente procédure, de sorte qu'aucune indemnité ne lui sera accordée à titre de participation à des frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

12.    Un émolument de CHF 200.- sera mis à la charge de l'intimé (art. 69 al. 1bis LAI).

 

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PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

Conformément à l'art. 133 al. 2 de la LOJ

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision de l’intimé du 1er juillet 2020.

4.        Renvoie la cause à l’intimé pour entrée en matière sur la demande de prestations de l’assurance-invalidité déposée le 24 février 2020 par le recourant, instruction et nouvelle décision, dans le sens des considérants.

5.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l’intimé.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le