Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/423/2018 du 22.05.2018 ( LAMAL ) , ADMIS
En droit
rÉpublique et | canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/2411/2016 ATAS/423/2018 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 22 mai 2018 10ème Chambre |
En la cause
Madame A______, domiciliée à GENÈVE, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Fabienne FISCHER
| recourante |
contre
MUTUEL ASSURANCE MALADIE SA, 5, sise rue des Cèdres MARTIGNY
| intimé |
1. Par décision du 19 octobre 2015 du Tribunal de première instance de Genève, le tribunal civil a constaté le changement de statut personnel de Monsieur B______, né le ______ 1959, en ce sens qu'il est de sexe féminin et porte le prénom « A______ »; il a ainsi ordonné la rectification du registre de l'État civil. ![endif]>![if>
2. Madame A______ (ci-après: l'assurée, la patiente ou la recourante), est assurée pour l'assurance-maladie obligatoire des soins (AOS) selon la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10) auprès de Mutuel assurance-maladie SA (ci-après: l'assureur-maladie, Mutuel ou l'intimé).![endif]>![if>
3. Par courrier du 15 décembre 2015, adressé au médecin-conseil de l'assureur-maladie, la Consultation spécialisée de sexologie du département de santé mentale et de psychiatrie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), sous la signature du docteur C______, médecin adjoint et spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, et de Madame D______, psychologue, a exposé que l'assurée était en traitement psychothérapeutique dans ce service depuis le 30 mai 2014. Après une évaluation psychiatrique et sexologique, il lui a été diagnostiqué une dysphorie de genre (DSM V, F64.2). Depuis novembre 2014, elle prenait des hormones féminisantes de manière contrôlée par son endocrinologue, suite à de nombreuses années de prise d'hormones sans contrôle médical qui lui avait permis d'atteindre le profil hormonal d'une femme (attesté par ce spécialiste lors du début de sa prise en charge). Elle se faisait pratiquer une épilation de la barbe, des fesses et du thorax pour être plus crédible au niveau de son identité de genre. Le 6 juillet 2015, elle avait effectué une greffe de cheveux à Istanbul, ayant une calvitie importante qui décrédibilisait sa féminisation. Le 19 octobre 2015, elle avait été reconnue par la justice comme étant de sexe féminin. Elle aimerait faire une opération de réassignation chirurgicale du sexe (MtF), une chirurgie de la poitrine et quelques points du visage afin de rendre ce dernier plus féminin. Elle avait été informée des effets de ces opérations ainsi que des effets secondaires. Elle avait sa capacité de discernement vis-à-vis de cette décision. Il n'y avait pas de contre-indication psychiatrique à ce type de traitements. Les traitements, déjà effectués et à venir, lui permettraient de vivre dans son corps plus en harmonie avec son identité de genre et de diminuer les difficultés d'intégration sociale. Cela amènerait une amélioration de son état psychologique et de sa qualité de vie, avec une diminution de la dysphorie de genre. Les signataires soutenaient donc pleinement la demande de prise en charge (par l'AOS) de ces traitements liés aux modifications de ses caractéristiques sexuelles primaires (chirurgie de réassignation génitale) et secondaires (chirurgie mammaire, faciale, greffe des cheveux ainsi que l'épilation du visage, des fesses et du thorax). ![endif]>![if>
4. L'assureur-maladie a sollicité des renseignements complémentaires concernant la chirurgie faciale, tant des HUG que, pour le détail de cette intervention, du docteur E______, chef de service de la clinique de chirurgie plastique et de la chirurgie de la main de l'hôpital universitaire de Zurich (ci-après: USZ), et notamment des photographies actuelles du visage (face et profil) de l'intéressée. ![endif]>![if>
5. Les HUG et le Dr E______ ont confirmé l'indication médicale en fonction du diagnostic; concrètement il ne s'agissait pas d'une féminisation de tout le spectre du visage, mais seulement de l'abaissement de la ligne frontale des cheveux, la situation actuelle étant extrêmement dérangeante pour la patiente.![endif]>![if>
6. L'assurée, représentée par un conseil, s'est adressée à l'assureur-maladie par courrier du 9 février 2016. En date du 2 décembre 2015, Mutuel avait pris position favorablement pour la prise en charge d'une vaginoplastie (SRS), valable pour une hospitalisation en Suisse, mais refusé la prise en charge de la chirurgie mammaire, par décision du 22 décembre 2015, actuellement objet d'opposition. L'assurée requérait la prise en charge complémentaire des interventions sur les caractères sexuels secondaires suivants: s'agissant de l'intervention chirurgicale destinée à la féminisation de son visage (FFS), par le Dr E______, l'abaissement de la ligne frontale, une correction des arcades orbitales et l'élévation des sourcils; et par le docteur F______, spécialiste FMH en médecine interne et dermatologie à Genève, une épilation des fesses au laser, la prise en charge de l'épilation du visage étant déjà acceptée par Mutuel. Chacun de ces types de prestations répondait à une indication médicale et remplissait toutes les conditions d'économicité du traitement.![endif]>![if>
7. Sur demande expresse du conseil de l'assurée, Mutuel a rendu une décision formelle le 14 mars 2016, refusant la prise en charge de l'intervention (FFS) envisagée (Dr E______): les conditions ouvrant le droit aux prestations de l'AOS n'étaient pas remplies, le visage ne pouvant être considéré comme un «caractère sexuel secondaire »; ce traitement devait ainsi être qualifié d'esthétique, ne relevant pas de l'AOS. ![endif]>![if>
8. Par courrier recommandé du 28 avril 2016, l'assurée a formé opposition contre cette décision. Elle conclut à l'annulation de la décision du 14 mars 2016 et à ce que la FFS qui sera pratiquée par le Dr E______ soit prise en charge par l'assureur-maladie. Selon la jurisprudence la chirurgie de féminisation faciale appartient au traitement courant de la dysphorie de genre; elle est généralement associée à la chirurgie de réassignation sexuelle génitale et à la chirurgie mammaire. Il s'agit d'une intervention complémentaire, d'un traitement efficace et approprié de la dysphorie de genre, dont les résultats attendus sont notamment une amélioration de la santé mentale sur les plans physique, social et émotionnel, ainsi qu'une amélioration de l'état psychologique et finalement une diminution de la dysphorie de genre.![endif]>![if>
9. Par décision sur opposition du 13 juin 2016, Mutuel a rejeté l'opposition du 28 avril 2016 et confirmé la décision du 14 mars 2016. Le diagnostic de dysphorie de genre n'est pas contesté, l'assurée remplissant les conditions permettant à l'assureur-maladie d'allouer ses prestations pour les étapes reconnues par la législation et la jurisprudence. La FFS litigieuse s'inscrit dans un contexte global fait de diverses phases qui ont fait ou font l'objet de procédures séparées. Selon la jurisprudence le visage ne peut pas être considéré comme un caractère sexuel secondaire; la prise en charge de la chirurgie envisagée ne peut donc être acceptée, pour ce seul motif. Selon le médecin-conseil de Mutuel, la phase de chirurgie faciale visant à abaisser la ligne frontale des cheveux doit être considérée comme une amélioration esthétique, de la même manière qu'un traitement visant à modifier l'aspect du visage d'un homme ou d'une femme biologiquement né(e) comme tel(le) le serait, dans le cas où il/elle ne serait pas satisfait(e) de son apparence. Les critères de la notion de maladie au sens de la loi n'étant pas remplis pour l'intervention chirurgicale litigieuse, aucune prestation ne pouvait être allouée à charge de l'AOS.![endif]>![if>
10. Par courrier recommandé du 14 juillet 2016, l'assurée, représentée par son conseil, a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice d'un recours contre la décision sur opposition du 13 juin 2016. Elle conclut à l'annulation de la décision entreprise, et à ce qu'il soit dit que la chirurgie de féminisation faciale réalisée par le Dr E______ à l'USZ doit être prise en charge par l'intimé, avec suite de frais et dépens. Dans l'intervalle, lors d'une consultation préopératoire, elle avait décidé de renoncer à l'abaissement de la ligne frontale des cheveux en raison de l'impact négatif possible sur l'autogreffe de cheveux qu'elle avait subie en juillet 2015. Elle avait demandé en outre qu'un léger lifting du visage soit réalisé à ses frais, consciente que contrairement aux autres corrections, cette dernière était de nature esthétique. L'intervention portant sur la correction des arcades orbitaires, le rehaussement de la ligne des sourcils et un léger lifting facial avaient eu lieu comme prévu, par le Dr E______, le 27 avril 2016. La littérature médicale spécialisée, traitant du dimorphisme sexuel du crâne humain, atteste que les caractéristiques morphologiques des crânes masculin et féminin sont manifestement différentes. Selon la littérature scientifique, le crâne masculin est plus volumineux, d'aspect plus archaïque; l'aspect archaïque est représenté par la persistance de caractères marqués comme la saillie des arcades et le développement de la gabelle. Il s'agit d'un signe très important pour différencier les deux sexes. La recourante fait grief à l'intimé d'avoir constaté les faits pertinents de manière inexacte et incomplète en n'établissant pas correctement l'objet de l'intervention chirurgicale litigieuse, et en ignorant le dimorphisme sexuel du crâne humain, concluant ainsi à tort que l'intervention litigieuse ne serait pas une intervention complémentaire au sens de la jurisprudence. En comparant une femme transsexuelle (trans) avec une femme biologique (cis) pour rejeter la demande de prise en charge au nom du principe de l'égalité de traitement, l'intimé procède à une comparaison insoutenable. L'intimé viole la loi en ignorant l'indication médicale établie par le médecin référent de la patiente, en l'espèce le psychiatre. L'intervention litigieuse répond aux critères jurisprudentiels pour l'examen des conditions de l'art. 25 LAMal, soit le caractère efficace de la prestation, son caractère approprié et le caractère économique; dans un arrêt récent, la Cour des assurances sociales du tribunal cantonal vaudois s'est prononcée sur la prise en charge d'une intervention impliquant une chirurgie de réassignation sexuelle et une chirurgie de féminisation faciale (arrêt AM 67/09 - 4/2016 du 9 décembre 2015 page 5). Enfin la décision entreprise ne tient pas compte du fait que les caractères sexuels secondaires ne sont pas répertoriés dans une liste exhaustive définie médicalement ou juridiquement, mais doivent être établis sur la base des connaissances scientifiques et de la situation personnelle de la recourante. L’atteinte à la santé diagnostiquée se caractérise notamment par le besoin pathologique de se construire une image de soi, corporelle et psychique, dans le genre féminin qu'elle ressent depuis de nombreuses années comme le sien, sans pouvoir vivre dans ce genre.![endif]>![if>
11. L'intimé a répondu au recours par mémoire du 30 septembre 2016. Il a conclu à son rejet. On ne saurait considérer les arcades oculaires ou la ligne des sourcils comme des caractères sexuels secondaires. Ces derniers sont les traits qui distinguent l'homme et la femme, mais qui ne participent pas directement au système reproducteur. La pilosité et la mue de la voix sont, par exemple, spécifiques à l'homme. Les éléments du visage, tels que les arcades oculaires, ne sont pas l'attribut d'un genre en particulier mais doivent être considérés comme des éléments généraux d'un visage, contrairement à la barbe ou à la pomme d'Adam par exemple, qui sont des attributs masculins. On ne saurait comprendre la jurisprudence invoquée par la recourante comme donnant droit à la prise en charge infinie de tout traitement permettant de modifier toutes les parties du corps pour les personnes d'origine transsexuelle; seules peuvent l'être les interventions portant sur les caractères sexuels secondaires répondant à certaines conditions de nécessité médicale et d'économicité. À supposer que les éléments litigieux devraient être considérés comme des caractères sexuels secondaires, les prestations objet de la contestation ne seraient, en l'espèce, pas à charge de l'AOS faute d'indication médicale claire pour le traitement litigieux. Les demandes de prise en charge de la recourante sont subjectives, relevant de son propre bien-être.![endif]>![if>
12. La recourante a répliqué par mémoire du 24 octobre 2016. Elle persiste dans ses conclusions et sollicite préalablement son audition et celle de ses médecins et psychologue traitants. Elle se plaint préalablement de l'attitude discriminatoire et persécutrice de l'intimé, grief qu'elle a fait constater par l'OFSP. Elle pointe ainsi le caractère purement dilatoire des prolongations de délai sollicitées par l'intimé, l'usage répété du masculin pour la désigner, et encore en la malmenant dans une procédure parallèle portant sur la prise en charge d'une chirurgie mammaire, refusée, admise ensuite, puis retirée par décision formelle de reconsidération, la contraignant à une autre procédure judiciaire (A/3972/2016 voir ci-dessous ad ch. 14 ab). Sur le fond, elle reprend, pour l'essentiel, son argumentation précédente, en la développant en fonction des observations de l'intimé. ![endif]>![if>
13. La chambre de céans a entendu les parties en comparution personnelle le 28 novembre 2016:![endif]>![if>
La recourante a déclaré: « Je travaille en qualité de directeur adjoint chez G______. J’ai commencé dans cet emploi le 1er novembre 2011. S’agissant de mon évolution personnelle, j’ai perçu un mal-être depuis mon enfance. Le premier souvenir date de l’époque où j’avais à peu près 4 ou 5 ans. Nous étions allées faire du shopping avec ma mère et ma sœur. Nous avions commencé par le rayon des petites filles pour habiller ma sœur et j’avais disparu dans les rayons. Lorsque ma mère m’a retrouvée, elle m’a demandé ce que je faisais là. Je lui ai désigné une robe rouge en lui disant que c’est cela que je voulais. Elle m’a indiqué que ce n’était pas pour moi car j’étais un petit garçon. Quelques mois plus tard, j’ai été circoncis. Ma mère s’était aperçue que je voulais toujours faire comme si je voulais enlever mon pénis. Elle m’a donc emmenée chez le pédiatre qui a pensé que je devais souffrir de quelques problèmes d’hygiène et a proposé cette opération. Je me souviens de mon arrivée sur la table d’opération, au moment où (l') on m’a appliqué un masque d’éther, et d’avoir pensé à ce moment-là : « On veut me tuer parce que je veux être une petite fille ! ». Par la suite, à l’adolescence, j’ai remarqué que ma voix muait. J’en étais horrifiée car je perdais alors ma voix aiguë. Il en a été de même lorsque je me suis aperçue que des poils poussaient sur mes jambes. Ma mère m’a expliqué les choses en essayant de banaliser la problématique. Dans ma vie d’adulte, j’ai alors décidé d’être l’homme que l’on voulait que je sois : un bon employé, un bon cadre, un bon compagnon également, et aussi un bon fils. J’ai vécu en couple avec une femme, avec laquelle j’ai même fait des projets de mariage à un moment donné. Toutefois, dans la relation honnête que je vivais avec elle, il m’est arrivé de m’habiller en femme lorsque nous étions entre nous. Je lui expliquais que j’en avais besoin, sans comprendre à vrai dire les raisons de ce besoin. Au bout d’un certain temps, elle a mis un terme à notre relation, me disant que je n’étais pas l’homme qu’elle souhaitait comme père de ses enfants. Cette rupture m’a amenée à réaliser que finalement je jouais le rôle d’homme que l’on souhaitait que je joue, et malgré cela, l’être que j’aimais le plus me rejetait de la manière que j’ai expliquée. C’est là que j’ai réalisé qu’il y avait un véritable problème. Quelques temps plus tard, et je situe cet épisode à 1991, je suis allé chercher mon fusil d’assaut, avec la ferme intention de me supprimer. J’avais également pris des somnifères. A un moment donné, j’ai mis le canon de mon arme dans la bouche et j’ai tiré, mais cela n’a fait qu’un « clic » ! Je me souviens m’être fait la réflexion que je n’étais même pas capable de me suicider. Ma mère et ma sœur, qui m’ont retrouvée à l’hôpital, ne comprenaient pas mon geste et ont essayé de me raisonner, en faisant valoir que j’avais une très bonne situation professionnelle, que j’étais appréciée par mes supérieurs et promise à une belle carrière, et que malgré cela je voulais commettre l’irréparable. J’ai à nouveau réagi dans le sens que l’on souhaitait pour moi. Par la suite, mon employeur m’a envoyé en Angleterre, puis j’ai accompli l’IMD à Lausanne. En Angleterre, j’avais eu la possibilité de me rendre dans un studio où l’on pouvait s’habiller comme on le souhaitait, se faire maquiller et vivre là quelques heures : c’était un service. Je me souviens d’un grand apaisement que j’ai ressenti à ce moment-là. De retour en Suisse, j’avais consulté une doctoresse psychiatre, qui m’avait écoutée et à qui j’avais expliqué l’épisode en Angleterre. Elle avait conclu que je n’étais pas homosexuel et que je n’étais donc pas transsexuel ! En 1996 environ, j’ai pris l’initiative de me prendre moi-même en charge, en me faisant épiler sur certaines parties de mon corps. Plus tard, en 2006, j’ai acheté des hormones sur Internet ; en 2013, je me suis même fait poursuivre par les douanes et par Swiss Medic pour importation de produits non autorisés. Je me sentais de plus en plus mal dans ma peau et dans ma quête de comprendre, je me suis adressée à Espace 360, où l’on m’a expliqué que je souffrais probablement d’une dysphorie de genre, vraie maladie, rare. On m’a adressée à un psychiatre : j’avais demandé qu’il connaisse la matière, et c’est ainsi que je suis entrée en contact avec le Dr C______ et Mme D______. On m’a confirmé le diagnostic de dysphorie, après six mois d’évaluation, selon le protocole. Je me souviens avoir dit au Dr C______ : « Alors, vous allez pouvoir me soigner » et il m’a répondu : « On ne guérit pas de qui l’on est ». En discutant avec des proches de mon problème et de la nécessité pour moi d’effectuer une transition, on m’a fortement déconseillé de le faire, au risque de perdre mon emploi. J’ai toutefois décidé d’en parler tout de même à mon supérieur, qui a accueilli les choses avec bienveillance. Il en a d’ailleurs été de même avec les patrons de la banque, qui m’ont admirablement soutenue dans ma démarche. C’est ainsi que j’ai entrepris la procédure judiciaire au TPI en septembre 2015. J’avais besoin de m’éloigner de l’homme qui m’avait rendue prisonnière pendant une cinquantaine d’années et pour cela je devais faire disparaître ce qui me caractérisait comme un homme. C’était une démarche que je ressentais au plus profond de moi et que je souhaitais assumer personnellement. Je suis donc allée me faire faire une autogreffe de cheveux à Istanbul. Ensuite, j’ai également approché le Dr E______ à Zurich pour discuter des interventions chirurgicales que je projetais dans le cadre du plan de transition. C’est ainsi que nous avons discuté de la vagino-plastie d’une part, de la chirurgie mammaire et de la chirurgie faciale des arcades sourcilières : j’ai également évoqué des aspects que je considérais comme purement esthétiques, soit un lifting et le relèvement des sourcils. Je tenais effectivement, dès lors que je devenais véritablement la femme que j’ai toujours ressenti être, devenir la plus jolie possible, comme femme de 57 ans. Je dois encore préciser que j’étais allée rencontrer le Dr H______ au CHUV à Lausanne, pour lui parler de ces opérations. Les choses se sont assez mal passées, comme évoqué dans la procédure parallèle à la présente. Il me proposait d’ailleurs une opération de vaginoplastie en deux temps. J’ai donc reparlé avec les associations de soutien aux transgenres, et c’est ainsi que je me suis retrouvée en Thaïlande. J’y ai consulté plusieurs centres hospitaliers spécialisés, dont l’un pouvait du reste pratiquer les trois interventions chirurgicales simultanément. S’agissant de la chirurgie mammaire, je savais qu’en Suisse, on savait le faire, de sorte que j’avais repris contact avec la Dresse I______ pour cette opération-là. C’est elle qui m’a envoyée à Zurich. J’avais ainsi décidé de faire la première opération de chirurgie faciale avec abaissement de la ligne de cheveux, rabotage des arcades et les aspects supplémentaires esthétiques dont j’ai parlé plus haut vers fin mai 2016. Le Dr E______ m’a alors indiqué que l’un des médecins que j’avais consultés en Thaïlande se trouverait précisément à Zurich à ce moment-là et que je pourrais le rencontrer, si je le souhaitais, en même temps que lui. C’est ainsi que, la veille de l’opération, le Dr J______ m’a expliqué qu’en Thaïlande, ils ne pratiquent plus l’abaissement de la ligne des cheveux lorsqu’il y a eu greffe des cheveux préalable, car cela présente des risques de perte de cheveux. Vu l’importance de l’opération que j’avais subie à Istanbul, je ne voulais pas tout perdre et c’est ainsi que j’ai renoncé à l’abaissement de la ligne des cheveux. Le lendemain donc, j’ai subi l’opération prévue, à l’exception de l’abaissement de la ligne de cheveux. S’agissant de la vaginoplastie et de la chirurgie mammaire, je souhaitais subir ces opérations le 14 juillet, coïncidant avec mon anniversaire. J’avais finalement décidé de faire les deux ensemble avec le Dr E______. Cette opération a malheureusement dû être reportée, car j’ai dû subir l’ablation d’un mélanome, et en plus, des suites de cette intervention, chaque jour on me traitait pour un lymphocèle dans l’aine. C’est ainsi que la vaginoplastie a dû être reportée, mais j’ai quand même fait la chirurgie mammaire le 30 août 2016. Pour ce qui est de la vaginoplastie, le Dr E______ m’a indiqué que tant et aussi longtemps que je n’avais pas réglé mon problème de lymphocèle, je ne pourrais pas (la) faire. Il m’a toutefois proposé de faire la chirurgie mammaire, afin que, pour mon image extérieure, je me sente déjà mieux. Je rappelle que le groupe Mutuel avait finalement accepté la vaginoplastie et la chirurgie mammaire au début mai et était revenu en août 2016 sur sa décision en ce qui concerne la chirurgie mammaire, et quelques jours plus tard à mon souvenir également sur la vaginoplastie. En résumé, j’ai pratiqué toutes les opérations prévues, sauf la vaginoplastie. Cette opération est prévue le 12 janvier 2017.
Mme K______, pour l'intimé, a déclaré: « Je souhaiterais clarifier, en tout cas dans mon esprit, le problème de la couverture admise à ce jour par notre assurance. S’agissant de la demande de garantie de l’hôpital de Zurich, je pense qu’il y a eu un problème du fait que la demande était formulée pour deux interventions, soit la vaginoplastie et la chirurgie mammaire. Dans ces conditions, nous ne pouvons pas accepter les deux en une seule fois, ce qui implique que les établissements hospitaliers reformulent la demande. »
La recourante a poursuivi: « S’agissant de ce qu’à ce jour le groupe Mutuel a admis, après les péripéties d’acceptation, de refus et de nouvelle acceptation, cela ne concerne que la vaginoplastie. En revanche, par rapport à ce que vient de dire la représentante de l’intimée, la prise en charge par les caisses-maladie des interventions de réassignation, la chirurgie mammaire est incluse dans la demande de vaginoplastie. Cela m’a été confirmé tant par mon chirurgien à Zurich que par des tierces personnes, et même le groupe Mutuel donne son acceptation pour les deux interventions ensemble, en Suisse alémanique. Je suis d’ailleurs allée hier à Zurich rencontrer une personne qui s’est trouvée dans cette situation. Cette personne-là était toutefois assurée par Assura. »
Mme K______ : « Je tiens à préciser que toutes les demandes de couverture entrant dans le cadre de plans de transition ne comportent pas nécessairement la double intervention vaginoplastie et chirurgie mammaire: certaines personnes ne font pas nécessairement les deux en même temps, d’autres ne font purement et simplement pas la chirurgie mammaire, après des traitements hormonaux ayant permis une modification de la poitrine jugée suffisante, par exemple. »
La recourante : « Ce que vient de dire l’intimée correspond précisément à ce que j’ai essayé d’expliquer, et les médecins également en procédure: ce type de démarche doit être individuelle, et dépend donc de chaque personne. S’agissant du motif pour lequel le groupe Mutuel a refusé la prise en charge de la chirurgie mammaire, en dernier lieu, en invoquant le fait que je n’avais pas terminé mon traitement hormonal, je souhaite expliquer ceci: dans ma situation, lorsqu’on prend des hormones, celles-ci sont de trois types: œstrogènes, anti-androgènes et progestérone (cette dernière catégorie, en particulier, entraîne une augmentation de la poitrine). Plus jeune est une personne qui prend de telles hormones, plus importants sont les résultats. Pour ma part, j’ai absorbé des hormones depuis six ans. Le résultat concernant la taille de ma poitrine n’a pas été très probant, puisque je ne parvenais pas même à remplir un bonnet A, ce qui m’a posé d’ailleurs des problèmes pratiques, car vu ma taille, je trouvais difficilement des soutiens-gorge adaptés. Mon endocrinologue m’a donc indiqué que ma poitrine n’évoluerait plus, malgré la poursuite du traitement hormonal. En revanche, et par rapport aux objections de l’intimée, si un transsexuel arrête le traitement hormonal, la pilosité réapparaît, de même que d’autres caractères masculins. Pour ma part, je prends le traitement des anti-androgènes par piqûre mensuelle. Après l’intervention de vaginoplastie, cela ne sera plus nécessaire dès lors qu’on supprimera les testicules, et donc la production d’hormones masculines. »
14. La recourante a produit sous chargé complémentaire, outre deux photos d'elle-même, les rapports médicaux complémentaires suivants :![endif]>![if>
aa. Un rapport du docteur L______, FMH en endocrinologie, du 6 décembre 2016: en tant que spécialiste de ce domaine, il s'occupe régulièrement de la prescription d'hormonothérapie aux personnes présentant une dysphorie de genre. Il suit la recourante depuis fin 2014. À l'époque, la patiente bénéficiait déjà d'un traitement hormonal féminisant, débuté en 2008, sous forme d'une automédication qu'elle commandait à l'étranger, sans suivi médical. Pour l'essentiel, ce rapport traite spécifiquement de la problématique mammaire.
ab. Dans un premier temps (décision du 3 mai 2016) Mutuel avait accepté la prise en charge cette intervention, puis avait reconsidéré sa décision en la refusant (décision de reconsidération du 12 août 2016, confirmée sur opposition le 17 octobre 2016); dans le cadre du recours du 17 novembre 2016 (A/3972/2016), les parties avaient entrepris des pourparlers extrajudiciaires - censés porter également sur l'objet du présent litige -, qui avaient finalement abouti à une convention transactionnelle, signée les 2 et 3 mars 2017, de prise en charge pour un montant forfaitaire de l'intervention d'augmentation mammaire; ce qui a entrainé le retrait du recours (arrêt de la chambre de céans du 27 mars 2017 [ATAS/236/2017]).
b. Un rapport du Dr E______ (USZ) du 19 décembre 2016 et sa traduction française: il comprend le détail des consultations (4 consultations du 18/12/2015 au 11/7/2016, dont l'une après celle du chirurgien viscéral); le spécialiste retient le diagnostic de dysphorie de genre au sens d'un transsexualisme avéré, homme vers femme (CIM 10 F64.0); la patiente est sous hormonothérapie de réassignation sexuelle depuis 6 ans, et fait l'objet d'une prise en charge psychologique aux HUG depuis mai 2014; y sont décrites, à mesure du suivi, les plaintes et attentes de la patiente, les constatations objectives et renseignements anamnestiques pertinents; le descriptif des opérations prévues dans le cadre de la réassignation sexuelle (vaginoplastie (SRS), augmentation mammaire (AM), et féminisation du visage (FFS) comprenant l'abrasion de la proéminence osseuse supra-orbitaire, l'abaissement de la ligne des cheveux, un lifting partiel du visage et une blépharoplastie des deux côtés, une application filler (Volift), lèvres supérieure et inférieure; le médecin confirme les raisons pour lesquelles la vaginoplastie a dû être reportée et traitée séparément des autres interventions. Au jour du rapport les opérations réalisées étaient: la FFS (27/4/2016), l'abrasion de la proéminence osseuse supra-orbitaire ayant notamment permis la disparition complète de la proéminence des arcades et de la glabelle typiquement masculines; l'AM (30/08/2016) à la satisfaction de la patiente qui se trouve nettement plus féminine qu'auparavant.
c. Un rapport du 12 décembre 2016 du Dr C______, et de Mme D______ (sexologie HUG), complémentaire à celui du 15 décembre 2015: rappel du contexte du suivi de la patiente, et du diagnostic posé après une évaluation psychiatrique de plusieurs mois. Une anamnèse très détaillée décrit l'évolution de la patiente: l'apparition des premiers symptômes de mal-être dès l'enfance, les drames personnels vécus à raison de ce mal-être (séparation d'avec sa compagne de l'époque, qui ne le trouvait pas assez « homme » pour être le père de ses enfants, tentative de suicide ), l'annonce de sa transition à son proche entourage dès janvier 2015, sa tenue vestimentaire en femme de plus en plus systématique sauf au travail; elle se sentait alors soulagée, mais était très anxieuse de perdre son emploi à cause de sa transition; d'un côté elle se sentait plus femme au niveau psychologique, mais d'un autre, son mal-être par rapport à son corps sexué augmentait. Confirmation de l'indication médicale pour la chirurgie d'augmentation mammaire et la chirurgie faciale de rabotage de l'arcade sourcilière, vu sa souffrance marquée par rapport à sa morphologie masculine. Les opérations déjà effectuées avaient permis de réduire la souffrance provoquée par sa dysphorie de genre: effet bénéfique sur son image d'elle-même, lui permettant d'avoir une partie des caractéristiques sexuelles secondaires du sexe féminin, de vivre plus en conformité avec son genre féminin, et de s'éloigner physiquement de B______, ce qui était important pour elle. Au niveau social ces opérations ont été utiles pour qu'elle soit crédible en tant que femme, et donc traitée comme telle par les autres. En ce qui concerne en particulier la chirurgie faciale et l'augmentation mammaire, au vu du parcours personnel de la patiente, la demande de prise en charge par l'assurance-maladie de ces opérations chirurgicales est justifiée, leur utilité thérapeutique pour la patiente étant évidente.
15. L'intimé s'est prononcé sur ces rapports médicaux, après les avoir soumis à son médecin-conseil, avec l'ensemble du dossier. Selon l'intimé rien au dossier ne permet d'attester que la recourante présentait un défaut esthétique hors du commun. Aucun rapport médical ne fait valoir une répercussion déterminante sur son état psychique notamment. Le Dr L______ ne fait aucune mention de l'intervention sur les arcades sourcilières. Le Dr E______ ne démontre pas que la patiente souffrait d'une affection ayant valeur de maladie au sens de la loi, en lien avec l'intervention subie. En résumé, l'intervention subie par la recourante avait principalement des visées esthétiques; elle ne saurait être mise à charge de l'AOS. Il a donc suivi les conclusions de son médecin-conseil, le docteur M______, spécialiste FMH en médecine interne et responsable des médecins-conseils du Groupe Mutuel![endif]>![if>
Ce dernier s'est prononcé par avis du 21 avril 2017: il a confirmé sa position initiale de refus de prise en charge: après avoir énuméré les pièces médicales à disposition, retenant le diagnostic de dysphorie de genre, il s'est prononcé sur le traitement de la FFS. L'assurée a subi parallèlement diverses interventions esthétiques payées par elle-même. Le Dr E______ indique, qu'à l'examen, la patiente présente une ligne de sourcils basse typiquement masculine. Selon le médecin-conseil, cette spécificité n'est pas liée uniquement à l'identité masculine et il conclut sur la base des rapports médicaux complémentaires de décembre 2016 qu'il n'y a pas d'élément nouveau justifiant la prise en charge de la FFS. A contrario, il existe même, selon lui, des contradictions par rapport à la demande initiale du 2 février 2016 du Dr E______: ce dernier y indiquait alors que la seule intervention envisagée consistait dans l'abaissement de la ligne des cheveux; et finalement dans son rapport du 9/12/2016 il liste diverses interventions que l'assurée a fait pratiquer sur son visage. Selon le médecin-conseil, les diverses interventions esthétiques, payées par l'assurée elle-même, soulignent sa recherche de «perfection». Cela n'est pas associable à une prise en charge ayant valeur de maladie au sens de l'AOS. Le caractère sexuel secondaire correspond plus à la recherche de perfection et à l'image que la patiente souhaite avoir en tant que femme.
16. La recourante s'est déterminée sur ce qui précède, par mémoire du 26 mai 2017; elle persiste dans ses conclusions. La lecture par l'intimé des rapports médicaux commentés est empreinte de mauvaise foi. Le Dr L______, endocrinologue, n'avait à se prononcer que sur la question de l'augmentation mammaire, la chirurgie faciale ne concernant pas sa spécialité. Le Dr E______ a indiqué le fort besoin de la patiente de s'éloigner de son image masculine, envisageant la FFS pour la correction des caractères masculins les plus marqués (proéminence supra-orbitaire), ce médecin relevant que ces caractères typiquement masculins sont mentionnés dans la littérature médicale qu'il cite. Le Dr C______ insiste sur le fait qu'au fur et à mesure de sa transition, d'un côté la patiente se sentait plus femme au niveau psychologique, mais d'un autre, son mal-être par rapport à son corps sexué augmentait. Le besoin d'une transition corporelle vers un corps plus féminin s'imposait de plus en plus. Il indique clairement que chez cette patiente les deux opérations sont indiquées médicalement, vu sa souffrance marquée par rapport à sa morphologie masculine. Il indique clairement que l'utilité thérapeutique pour la patiente était évidente. L'intimé est encore de mauvaise foi lorsqu'il soutient que l'utilisation des termes « féminisation du visage » démontrerait les visées purement esthétiques de l'intervention, alors que le Dr E______ ne fait que reprendre la terminologie de la littérature médicale. Il en va de même de l'utilisation, contre la recourante, du fait que celle-ci ait spontanément distingué les aspects thérapeutique et esthétique de l'intervention chirurgicale litigieuse: l'assureur s'appuie sur les gestes esthétiques dont la recourante ne demande pas la prise en charge par l'AOS, effectués au cours de la même opération chirurgicale, pour qualifier toute l'opération d'esthétique. Selon le Dr C______, le but de l'intervention au niveau des arcades sourcilières était de réduire la souffrance de la patiente provoquée par sa morphologie masculine. Il fait ainsi clairement valoir les répercussions, déterminantes sur l'état psychique de la recourante, des caractéristiques sexuelles secondaires ayant fait l'objet de l'opération litigieuse. Ainsi l'intervention chirurgicale ne visait pas un but «esthétique » (c'est-à-dire répondant aux exigences ou à des lois de beauté, comme le prétend l'intimé); elle ne visait pas non plus une «recherche de perfection» comme le prétend le médecin-conseil de MUTUEL. L'action chirurgicale visait à répondre au « fort besoin de s'éloigner de son image masculine» et à être « nettement plus féminine qu'auparavant », pour réduire la douleur de la dysphorie de genre. En résumé, la recourante aspire à être une femme dans un corps féminin, par opposition à être une femme dans un corps masculin, ce qui avait été son vécu douloureux pendant plus de la moitié de sa vie. Elle recherche la féminité, pas la beauté. Le bénéfice de l'opération chirurgicale a permis, grâce aux changements corporels, de diminuer la souffrance provoquée par la dysphorie de genre, le traitement psychothérapeutique ayant pu être réduit d'une consultation par semaine à une consultation chaque 3 ou 4 semaines, ceci démontrant l'économicité du traitement chirurgical, dès lors qu'il a permis de réduire actuellement le coût du traitement psychothérapeutique de 60 à 75 %. Le rapport du médecin-conseil de l'assureur ne saurait se voir reconnaître une valeur probante. Son avis montre qu'il ne connaît manifestement pas la pathologie de dysphorie de genre qui n'entre pas dans sa spécialité médicale. L'avis des médecins traitants, spécialistes de la question, qui tous deux ont considéré que l'intervention chirurgicale était médicalement indiquée, est en revanche probant. Enfin, le médecin-conseil se refuse à analyser le cas « de manière globale » comme l'exige la jurisprudence, écartant purement et simplement l'aspect psychologique que la Haute cour demande de prendre en considération dans le cas d'un diagnostic de dysphorie de genre. Ainsi l'intervention litigieuse répondait entièrement aux conditions légales pour sa prise en charge: efficace d'un point de vue scientifique, appropriée vu le résultat qu'elle a permis d'atteindre dans le cas de la recourante, et économique, le coût de l'opération étant conforme aux tarifs en vigueur et proportionné à l'atteinte à la santé, ayant permis, a posteriori, de réduire les coûts de traitement psychothérapeutique à charge de l'assureur. ![endif]>![if>
17. À la demande de la chambre de céans, la recourante a encore produit la facture de l'USZ dont il ressort que la chirurgie faciale litigieuse a été facturée à hauteur de CHF 6'000.-, le lifting partiel réalisé pendant la chirurgie faciale - dont elle ne demande pas la prise en charge par son assurance-maladie - ayant été facturé sur une ligne distincte pour un montant de CHF 2'000.-.![endif]>![if>
18. La chambre de céans a entendu les parties et le Dr C______ le 21 août 2017:![endif]>![if>
a. La recourante a déclaré : « Je confirme que la seule question litigieuse est aujourd’hui celle de la prise en charge par l’intimée du (coût) du rabotage des arcades orbitales pour la somme de CHF 6'000.-. L’intervention chirurgicale de modification des organes sexuels primaires a finalement été effectuée début janvier 2017. Il n’y a pas eu de litige par rapport à la prise en charge de ces prestations. »![endif]>![if>
b. Le Dr C______ a déclaré: « (La patiente) s’est présentée à nos services le 30 mai 2014. Je dois préciser que je ne l’ai pas vue à chaque occasion, car c’était plutôt Mme D______ qui procédait à l’évaluation, mais je l’ai notamment revue deux mois après la première consultation, soit après la première phase d’évaluation. (La patiente) est venue à notre consultation dans un contexte de malaise, de tristesse, de rejet, de sentiment de ne pas être soi-même, ceci en lien avec la non-congruence avec son corps, qui était encore masculin à l’époque, et le sentiment d’appartenir à l’autre genre. On a remarqué cela depuis les toutes premières fois. Ceci correspond effectivement à un diagnostic connu de la nomenclature médicale, soit la dysphorie de genre. Elle avait en effet également connu des épisodes difficiles, voire dramatiques, notamment une tentative de suicide. Elle avait été suivie psychiatriquement par un confrère qui n’était pas spécialiste de la dysphorie de genre et les choses ne s’étaient pas bien passées. La matière n’est encore pas très bien connue de tous les psychiatres, et pour ma part, je dois dire qu’il apparaît tout à fait illusoire et inutile de vouloir faire changer le sentiment d’appartenance au genre féminin à une personne qui éprouve ce type de malaise dans un corps d’homme. J’ajoute encore que dans la définition de la dysphorie de genre, outre le malaise ressenti, le patient éprouve le besoin de faire modifier chirurgicalement et/ou hormonalement, les organes sexuels, et les caractères sexuels secondaires. Je précise bien sûr que c’était le cas pour (la patiente) d’emblée. La longueur du protocole préalable à la démarche consistant à poser le diagnostic de dysphorie de genre tient à plusieurs motifs : tout d’abord, en ce qui concerne le thérapeute, nous devons prendre du temps pour poser un tel diagnostic, et notamment pour nous assurer qu’un autre diagnostic présentant le cas échéant des symptômes comparables ne devrait pas être posé. Un deuxième élément consiste à donner un temps de réflexion à la personne qui nous consulte, notamment par rapport à la question de savoir pourquoi elle en est arrivée là, s’il y avait un certain nombre de raisons ou aucune, mais également pour lui permettre de bien évaluer ce qui est le mieux pour elle, soit plutôt de garder son ressenti pour elle-même, en privé, ou au contraire pour passer à l’étape supérieure, soit de procéder aux transformations nécessaires et au changement de sexe. Mais tout dépend des cas, car nous sommes parfois confrontés à des personnes qui ont déjà fait ce cheminement et qui nous prennent pour des casse-pieds, et d’autres qui doivent encore le faire. Pour ce qui est de la recourante, la réflexion existait déjà depuis toujours, soit depuis l’enfance, et des étapes avaient déjà été franchies avant qu’elle se présente chez nous – et Mme D______ pourrait sans doute vous en dire plus si nécessaire car elle était directement impliquée dans le courant de cette réflexion -, mais il y avait un autre aspect sur lequel nous avons beaucoup travaillé : au-delà de ce que ressentait la patiente, par rapport à son identité, il y avait une angoisse, une crainte, par rapport aux enjeux car il y avait beaucoup à perdre, et notamment au niveau de sa profession, pour prendre cet exemple. »![endif]>![if>
En relation avec son rapport/courrier du 15 décembre 2015, - évoquant le fait que la patiente a été informée des effets de ces opérations, ainsi que des effets secondaires, relevant qu'elle a la capacité de discernement vis-à-vis de cette décision - et à la question de savoir si les effets de ces opérations et effets secondaires entrent en ligne de compte pour le seul aspect désormais litigieux (FFS), le témoin a répondu : « Je dois dire que mes propos concernent globalement l’ensemble des interventions chirurgicales. En effet, lorsque nous avons posé le diagnostic et que nous retenons l’indication chirurgicale, cela se situe après la discussion avec la personne, et elle est bien entendu consciente des risques que nous lui avons signalés, concernant ces interventions, quand bien même il est vrai que l’aspect des conséquences est plus marqué pour ce qui concerne l’intervention sur les organes génitaux. »
En relation avec la fin du même paragraphe (où il indique qu'il n'y a pas de contre-indication psychiatrique à ce type de traitements, le paragraphe suivant mentionnant en revanche que ces traitements, déjà effectués ou à faire, lui permettront de vivre son corps plus en harmonie avec son identité de genre et de diminuer les difficultés d'intégration sociale, et amèneraient une amélioration de son état psychologique et de sa qualité de vie avec une diminution de la dysphorie de genre), à la question de savoir si l'on doit finalement admettre de façon prépondérante une absence de contre-indication psychiatrique ou au contraire une indication psychiatrique claire, ce qui semble ressortir de manière beaucoup plus claire de la deuxième page et en conclusion (fin de la troisième et quatrième page) de son courrier/rapport du 12 décembre 2016, le témoin a répondu: « Lorsque j’établis un certificat médical de cette nature, il faut avoir à l’esprit les deux aspects: contre-indications et indications sur le plan psychiatrique. En effet, le premier aspect, qui concerne l’indication sur le plan psychiatrique, concerne la démarche en tant qu’elle pourra diminuer l’intensité de la dysphorie de genre et améliorer la qualité de vie de la personne. Mais l’autre aspect, que l’on ne peut pas négliger, est celui de s’assurer qu’il n’y a pas de contre-indication sur le plan psychiatrique. Je prends en effet un exemple pour illustrer cet aspect : on peut se trouver en présence – ce qui n’était pas le cas de (la patiente) – d’un patient se trouvant atteint d’une autre affection psychiatrique, par exemple de schizophrénie. Dans un tel cas, il pourrait y avoir une contre-indication psychiatrique en ce sens que, en cas de prescription de la testostérone, on pourrait assister à une décompensation psychiatrique du sujet, d’où une contre-indication. Je confirme bien sûr les trois rapports que j’ai établis respectivement en décembre 2015, décembre 2016 et mai 2017, mentionnés ci-dessus. Sur question du conseil de la recourante, qui me demande ce que l’on doit comprendre dans les divers documents que j’ai rédigés lorsque j’évoque le souhait ou le désir de la patiente d’entreprendre ces interventions chirurgicales, notamment si l’on doit considérer que cela reflétait simplement un choix de la personne, ou si au contraire il s’agissait d’un véritable besoin répondant à une indication médicale susceptible de traiter l’affection de dysphorie de genre, j’indique que dans notre démarche, on suit le patient, dans ses réflexions, et dans les choix qu’il peut faire par rapport à ses besoins (je rappelle en effet qu’il y a plusieurs solutions possibles sur le plan du traitement envisageable) et c’est ce qui nous amène à poser véritablement l’indication médicale. Pour prendre, dans le cas particulier, l’aspect dont nous parlons, soit l’intervention sur les arcades sourcilières, je me souviens clairement que c’était une chose qui provoquait chez la patiente une très grande souffrance, et dans ce sens, l’indication médicale était clairement donnée : il y avait toute une focalisation sur cet aspect qui renvoyait manifestement à l’aspect masculin, et le besoin de (le) chasser ; pour répondre à votre remarque, d’ailleurs, il ne s’agissait pas d’une simple coquetterie de la part de la patiente, mais de la recherche profonde de résoudre un problème plus intense. Le but était effectivement de diminuer l’intensité de la dysphorie de genre, et les résultats se sont révélés conformes aux attentes, par ailleurs « arithmétiquement » aussi, se sont traduits par une diminution de la fréquence des séances de psychothérapie. Nous sommes à cet égard partis d’une séance par semaine à une séance par mois. Le fait que la psychothérapie se poursuive, sur le principe, encore actuellement n’est pas surprenant, et ne se traduit pas en termes de succès partiel ou d’échec partiel, même si je ne peux pas aujourd’hui dire si et quand la patiente pourra « voler de ses propres ailes », cette question devant encore être discutée avec sa thérapeute, mais je pense que ce jour-là arrivera. S’agissant de la question de savoir si les arcades sourcilières proéminentes sont une caractéristique masculine, je ne suis pas expert pour le dire, mais il faudrait plutôt poser la question à un chirurgien. En revanche, dans le cas particulier, nous avons discuté de cet aspect et la patiente l’a également évoqué avec plusieurs chirurgiens associés à notre service ou d’ailleurs, et la réponse émanant de ces spécialistes et ma propre appréciation, de non-spécialiste, sont clairement « oui » dans le cas particulier. C’était le cas pour (la patiente). Sur la question de savoir comment j’appréhende la notion d’égalité de traitement entre une femme cis (femme biologique de naissance) et une personne transsexuelle par rapport à certains traitements, et dans le cas particulier en relation avec l’objet du litige, ce principe (d’égalité de traitement) n’entre pas en ligne de compte sur la réflexion qu’il convient de mener de mon point de vue de psychiatre, car en effet il s’agit encore et toujours de savoir comment traiter les composantes de la dysphorie de genre, pour la réduire. Sur question de la représentante de l’intimée, qui me demande si la réduction de la fréquence des séances de psychothérapie est due spécifiquement à l’opération des arcades sourcilières, ou s’il s’agit d’une amélioration qui se mesure globalement par rapport à toutes les interventions subies par la recourante, je réponds qu’il est évidemment impossible de quantifier l’impact d’une seule de ces opérations, mais qu’il s’agit bien d’un effet d’ensemble. Je pourrais dire que plus la personne se sentira bien dans son corps, moins elle devra consacrer d’énergie à lutter dans le cadre de son conflit de dysphorie de genre, et plus elle pourra ainsi libérer de l’énergie qu’elle pourra consacrer à mener une vie harmonieuse et normale. »
Mme K______ pour l'intimé: « Indépendamment du fait que nous persistons dans nos conclusions, je souhaiterais indiquer ici que j’ai soumis à toutes fins utiles à notre service médical la facture de l’Hôpital universitaire de Zurich du 9 juin 2016 (pièce 29 recourante). Ce service nous a précisé que la tarification « 999 » ne correspond à aucune tarification Tarmed, respectivement pratiquée dans l’AOS, et que de toute manière, elle n’entrerait jamais dans le système. J’observe en effet qu’il s’agit d’une tarification forfaitisée, et j’observe que s’agissant d’une intervention stationnaire, elle serait de toute manière du ressort de l’APDRG (Ndr.: All Patients Diagnoses Related Groups:mode de remboursement des hôpitaux basé sur leurs activités), ce qui procède d’un partage de la prise en charge entre le canton et l’assureur. »
Me FISCHER : « Il est évident que dès lors que l’intimée refusait la prise en charge, l’hôpital de Zurich a utilisé sans doute la tarification qui lui convenait. Nous avons écrit à deux reprises à l’hôpital pour tenter d’obtenir une facturation selon Tarmed, respectivement les principes régissant la prise en charge par l’AOS, mais tant la démarche initiale de ma mandante que la mienne, postérieure, n’ont pas été suivies de réponses. Je n’ai pas sous les yeux la copie des correspondances que j’évoque, mais je serais prête à les viser à l’appui d’une écriture que vous pourriez ordonner. »
Sur quoi la chambre de céans a imparti un délai au 18 septembre 2017 à l’intimé pour demander à l’hôpital de Zurich une facture des prestations litigieuses (CHF 6'000.-), selon l'APDRG, ainsi que pour se prononcer sur la facture litigieuse et sur le fond après enquêtes.
19. L'intimé a sollicité plusieurs prolongations de délai, invoquant le fait qu'il était toujours dans l'attente d'informations de la part du fournisseur de soins.![endif]>![if>
20. Par courrier du 1er novembre 2017, la recourante a fait tenir à la chambre de céans une facture nouvellement établie par l'USZ, au sujet de l'intervention de chirurgie faciale du 27 avril 2016, déterminant un montant total de CHF 5'779.80 à charge de l'intimé.![endif]>![if>
21. Par courrier du 10 novembre 2017, l'intimé a indiqué à la chambre de céans avoir soumis une nouvelle fois le dossier complet à son service médical pour une évaluation du montant qui aurait pu être facturé à l'assureur si la prestation litigieuse avait en l'espèce été facturable au titre de la LAMal. Malgré de nombreuses relances tant à l'USZ qu'au Dr E______, ni le service médical ni l'assureur-maladie n'avaient reçu de détermination à ce jour. Quant à la facture de l'USZ, produite par la recourante, censée établir le montant que l'assureur-maladie devrait payer si la prestation litigieuse devait être mise à charge de l'AOS, l'intimé estime en résumé que l'on ne saurait conclure au fait que c'est un montant de CHF 5'779.80 dont il serait redevable, notamment parce que le décompte de l'hôpital ne tiendrait pas compte de la somme qui serait facturée à charge du canton; et par ailleurs le montant de CHF 500.- (solde de l'avance versée à l'époque par la patiente à l'USZ) resterait à charge de l'assurée dans la mesure où il représenterait la taxe des hospitalisations extra-cantonales volontaires. S'agissant du Dr M______, il est spécialiste FMH en médecine interne; il a également le titre FMH de médecin-conseil; il est par ailleurs le responsable des médecins-conseils du Groupe Mutuel, et l'un des référents pour les demandes liées aux dysphories de genre. En l'espèce, l'intervention litigieuse ne visait pas un caractère sexuel secondaire. Il n'y a pas de prise en charge par l'AOS de corrections chirurgicales dont le but principal est de rendre une partie du corps plus belle ou plus conforme aux mensurations idéales (arrêt du TF 9C_255/2016 du 17/02/2017; K 132/04). Or tel est précisément le cas en l'espèce.![endif]>![if>
22. Par mémoire du 7 décembre 2017, la recourante a encore formulé des observations au sujet de la détermination du 10 novembre 2017 de l'intimé. De jurisprudence constante depuis 1994 le Tribunal fédéral raisonne en termes de besoins psychologiques, d'apparence extérieure et d'image de la personne transsexuelle pour justifier la prise en charge, par l'AOS, d'opérations chirurgicales portant sur des caractères sexuels secondaires. Ainsi les interventions complémentaires destinées à modifier les caractères sexuels secondaires qui accompagnent la chirurgie de réassignation sexuelle (caractère sexuel primaire) font partie des prestations obligatoires à charge des caisses-maladie et doivent être déterminées au cas par cas en fonction de la morphologie de la personne concernée. Dans cette logique le Tribunal fédéral s'est bien gardé de dresser une liste déterminée des caractères sexuels secondaires, dont la modification chirurgicale déterminerait des prestations obligatoires de l'AOS, laissant au juge un large pouvoir d'appréciation sur la base des caractéristiques particulières de la cause. L'approche globale de la prise en charge a encore récemment été confirmée par la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois. Dans cette décision, la prise en charge d'une intervention chirurgicale comportant deux volets, soit la chirurgie de réassignation sexuelle (SRS) et la chirurgie de féminisation faciale (FFS) a été entièrement confirmée sans que la cour ne fasse de distinctions entre ces deux volets (arrêt AM 67/09 - 4/2016 du 9 décembre 2015 page 5). En l'espèce, la chirurgie faciale litigieuse répond en tous points aux exigences jurisprudentielles (les conditions justifiant l'opération chirurgicale de réassignation sexuelle étaient réalisées, puisque cela a été pris en charge par l'intimé, ainsi que le besoin psychologique; Dans le cas d'espèce. le Dr C______ a confirmé que les arcades sourcilières de la recourante étaient typiquement masculines.![endif]>![if>
L'intimé apparaît de très mauvaise foi dans les arguments qu'il développe au sujet des questions de tarification. Il évoque pour la première fois dans sa détermination du 10 novembre 2017 une hospitalisation extra-cantonale « non validée par le médecin cantonal », alors même qu'il ressort des différentes correspondances que l'intervention litigieuse, - comme celle qu'elle a prises en charge - a toujours été prévue à l'hôpital de Zurich (les chirurgies de réassignation n'étant pas pratiquées aux HUG [SRS, AM, FFS]), sans que l'intimé n'évoque ce motif à l'appui de son refus de prise en charge. Il en va de même de la discussion des montants qui seraient à sa charge si la prestation litigieuse relevait bien de l'AOS. Ces questions n'entrent pas dans l'objet du litige car c'est bien sur le fond, soit sur le principe de la prise en charge, que la chambre de céans doit se prononcer et condamner l'intimé à couvrir totalement la recourante de ce chef.
23. Sur quoi la chambre de céans a indiqué aux parties que la cause était gardée à juger.![endif]>![if>
1. Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 4 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) en vigueur depuis le 1er janvier 2011, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-maladie, du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10).![endif]>![if>
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
2. La LPGA s'applique à l'assurance-maladie sauf dans les domaines mentionnés à l'art. 1 LAMal, dont notamment celui des tarifs, prix et budget global (art. 43 à 55 LAMal).![endif]>![if>
3. Interjeté dans les forme et délai prévus par la loi, le recours est recevable (art. 38 et 56ss LPGA). ![endif]>![if>
4. Le litige porte sur la prétention de la recourante à la prise en charge au titre de l'assurance-maladie obligatoire des soins (AOS) d'une intervention chirurgicale de correction des arcades orbitales, faisant partie des traitements liés aux modifications de ses caractéristiques sexuelles primaires (chirurgie de réassignation génitale) et secondaires (chirurgie mammaire, faciale, greffe des cheveux ainsi que l'épilation du visage, des fesses et du thorax), dans le cadre d'une dysphorie de genre; singulièrement de déterminer si la correction des arcades sourcilières doit être ou non considérée dans le cas d'espèce comme un caractère sexuel secondaire justifiant la prise en charge par l'AOS sur la base d'une indication médicale claire, ou s'il s'agit d'une intervention à caractère purement esthétique, comme le soutient l'intimé. ![endif]>![if>
5. a. Selon l'art. 24 LAMal, l'AOS prend en charge les coûts des prestations définies aux art. 25 à 31 en tenant compte des conditions des art. 32 à 34. ![endif]>![if>
b. Aux termes de l'art. 25 LAMal, l'AOS prend en charge les coûts des prestations qui servent à diagnostiquer ou à traiter une maladie et ses séquelles (al. 1). Ces prestations comprennent notamment les examens et traitements dispensés sous forme ambulatoire, en milieu hospitalier ou dans un établissement médico-social, ainsi que les soins dispensés dans un hôpital par des médecins, des chiropraticiens, ou des personnes fournissant des prestations sur prescription ou sur mandat d'un médecin ou d'un chiropraticien (al. 2 let. a).
c. L'art. 32 LAMal prescrit que les prestations mentionnées aux art. 25 à 31 doivent être efficaces, appropriées et économiques. L'efficacité doit être démontrée selon des méthodes scientifiques (al. 1). L'efficacité, l'adéquation et le caractère économique des prestations sont réexaminés périodiquement (al. 2 let. a).
6. Selon la jurisprudence, l'opération de changement de sexe en cas de dysphorie de genre (ou troubles de l'identité sexuelle) doit être envisagée de manière globale pour des raisons tant physiques que psychiques. Aussi, lorsque les conditions justifiant l'opération chirurgicale sont réalisées, les interventions complémentaires destinées à modifier les caractères sexuels secondaires font partie, en principe, des prestations obligatoires à la charge de l'assurance obligatoire des soins (ATF 142 V 316 consid. 5.1 p. 320 et la référence). Dans le contexte d'une dysphorie de genre, pour autant que l'indication à une opération de changement de sexe est établie, une augmentation mammaire doit être reconnue comme une intervention complémentaire destinée à modifier les caractères sexuels secondaires si cette mesure fait partie d'un programme thérapeutique global établi en fonction de l'ensemble des éléments recueillis et si, à l'intérieur de ce plan, elle peut être considérée comme efficace, appropriée et économique. En principe, la prise en charge des coûts entre alors en considération pour une prestation qui en soi ne constitue pas une mesure à la charge de l'assurance obligatoire des soins (ATF 142 V 316 consid. 5.2 p. 320 et la référence). Au regard de ces principes applicables en cas de dysphorie de genre, la prise en charge de l'intervention chirurgicale en cause ne saurait en principe être examinée au regard de la seule jurisprudence sur les défauts esthétiques, en ce sens qu'un défaut esthétique ayant valeur de maladie devrait être exigé pour ouvrir le droit à la prestation thérapeutique. En effet, dès lors que le droit aux mesures complémentaires destinées à modifier les caractères sexuels secondaires est reconnu, le traitement y relatif correspond à celui qui est appliqué en principe, selon les règles de l'art médical, étant rappelé que le but d'un traitement médical, en tant que prestation obligatoire au sens de l'art. 25 al. 1 LAMal, est d'éliminer de la manière la plus complète possible les atteintes physiques ou psychiques à la santé (ATF 138 V 131 consid. 5.1 p. 134). (arrêt du TF 9C_255/2016 du 17 février 2017 consid. 5 et 6.1).![endif]>![if>
Déjà sous l'empire de la LAMA le TF considérait que pour le (la) transsexuel(le), les caractères sexuels secondaires ne revêtent pas moins d'importance que les caractères sexuels primaires. Aussi l'intéressé(e) ne peut-il(-elle) acquérir l'apparence extérieure de son nouveau sexe que si les caractères sexuels secondaires correspondent à cette nouvelle image. Pour des raisons tant physiques que psychologiques, l'opération de changement de sexe doit donc être envisagée de manière globale. Aussi, lorsque les conditions justifiant l'opération chirurgicale sont réalisées, les interventions complémentaires destinées à modifier les caractères sexuels secondaires font aussi partie, en principe, des prestations obligatoires à la charge des caisses-maladie au sens de l'art. 12 LAMA. Encore faut-il, d'une part, qu'il existe une indication médicale clairement posée et, d'autre part, que le principe de l'économie du traitement énoncé à l'art. 23 LAMA soit respecté. En effet, cette norme légale s'applique aussi dans le domaine de la chirurgie esthétique lorsque, exceptionnellement, un traitement relevant de cette discipline ressortit aux prestations obligatoires des caisses-maladie. (ATF 120 V 463 consid 6b).
7. Selon la doctrine, la jurisprudence a établi l'absence de limitations à la portée de l'obligation d'allouer des prestations au sens de la LAMal : si les prestations liées à la réassignation sexuelle sont efficaces, appropriées et économiques, leur coût doit être pris en charge. Cette règle s'applique notamment au suivi psychiatrique, au traitement hormonal (y compris bloqueurs hormonaux), à la chirurgie mammaire, à l'ablation des organes reproducteurs, à la reconstruction d'organes génitaux, à l'épilation faciale (barbe), à la chirurgie faciale, à la réduction de la pomme d'Adam, au raccourcissement des cordes vocales, aux séances de logopédie (qui ont été prescrites) et à la transplantation capillaire » (Alecs RECHER, « Les droits des personnes trans*» n° 96 p. 150sv. In Droit LGBT, Andreas R. Ziegler, Michel Montini, Eylem Ayse Copur et autres, Helbing & Lichtenhahn, 2e éd. 2015). ![endif]>![if>
8. a. Selon CIM-10 (Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes, 10e révision) - version 2008 en français, sans modifications dans les versions ultérieures - le ch. F64.0 définit le transsexualisme comme suit: Il s'agit d'un désir de vivre et d'être accepté en tant que personne appartenant au sexe opposé. Ce désir s'accompagne habituellement d'un sentiment de malaise ou d'inadaptation par rapport à son sexe anatomique et du souhait de subir une intervention chirurgicale ou un traitement hormonal afin de rendre son corps aussi conforme que possible au sexe désiré. ![endif]>![if>
b. De son côté, l'Association Américaine de Psychiatrie, éditrice du DSM-5 (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), précise que la non-conformité de genre n'est pas en soi un trouble mental. L'élément primordial dans la dysphorie de genre est la présence de la détresse clinique significative associée à la condition. Sur la notion de « condition »: pour qu'une personne soit diagnostiquée dysphorique de genre, il doit être mis en évidence une différence marquée entre l'expression individuelle/le genre expérimenté, et le genre que d'autres lui ont assigné (à la naissance). La dysphorie de genre se manifeste de diverses manières, parmi lesquelles un puissant désir d'être traité en tant que (membre) de l'autre genre ou de se débarrasser de ses caractéristiques sexuelles, ou une forte conviction que l'on éprouve des sentiments et réactions typiques de l'autre genre. (Gender Dysphoria, American Psychiatric Association © 2013).
Ainsi, selon le manuel américain, qui rejoint la nomenclature internationale (F 64.1), la dysphorie de genre est diagnostiquée lorsque la personne satisfait cumulativement aux deux critères A et B suivants : A. Non-congruence marquée entre le genre vécu/exprimé par la personne et le genre assigné, d'une durée minimale de 6 mois, se manifestant par au moins deux des items suivants: 1. Non-congruence marquée entre le genre vécu/exprimé par la personne et ses caractéristiques sexuelles primaires et/ou secondaire ; 2. Désir marqué d'être débarrassé(e) de ses caractéristiques sexuelles primaires et/ou secondaire en raison d'une incompatibilité avec le genre vécu/exprimé ; 3. Désir marqué d'avoir les caractéristiques sexuelles primaires et/ou secondaire de l'autre sexe; 4. Désir marqué d'appartenir à l'autre genre (ou d'un genre différent de celui qui lui est assigné) ; 5. Désir marqué d'être traité(e) comme une personne de l'autre genre (ou d'un genre différent de celui qui lui est assigné); 6. Conviction marquée d'avoir les sentiments et les réactions de l'autre genre (ou d'un genre différent de celui qui lui est assigné); B. Le trouble est accompagné d'une détresse cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d'autres domaines importants.
c. Quant à l'état des connaissances scientifiques et des recommandations pour la prise en charge des patients atteints de dysphorie de genre: sur le plan international, l'Association mondiale des professionnels pour la santé transgenre (WPATH) publie depuis près de 40 ans les normes de prise en charge (WPATH SoC7 - actuellement 7e éd., publiée en 2011), standards de soins représentant le consensus des professionnels de la santé sur les aspects psychiatriques, physiologiques, psychologiques, médicale et chirurgicale à prendre en compte pour le traitement des personnes transgenre. Sur le plan suisse, le Forum médical suisse a adopté des recommandations qui reprennent en grande partie les normes du WPATH. Les professionnels de la santé, actifs en Suisse dans la médecine transgenre, se basent sur ces normes et recommandations et mettent en place avec leurs patients des plans de transition individualisés, tenant compte des besoins réels des patients de s'éloigner du genre assigné à leur naissance. (Sur ces questions, voir notamment Forum Med Suisse 2014;14/19 382-387 ; Alecs RECHER, op. cit. ch.88 à 92, et références p. 147sv). Les WPATH SoC7 indiquent que les traitements chirurgicaux suivants peuvent être pertinents: Chirurgie de la poitrine et des seins; chirurgie génitale; autres chirurgies (féminisation faciale, liposuccion, remodelage, chirurgie de la voix, réduction du cartilage thyroïdien, augmentation glutéale, implants capillaires et diverses procédures esthétiques.). Ces normes précisent au sujet de cette dernière catégorie, que, « bien que ces chirurgies soient habituellement considérées comme "purement esthétiques", les mêmes opérations chez un individu ayant une sévère dysphorie de genre peuvent être envisagées comme médicalement nécessaires, selon la situation clinique singulière de la situation de vie d'un patient donné.»![endif]>![if>
S'agissant des caractéristiques physiques et en particulier du crâne ou du visage distinguant un homme et une femme (dimorphisme sexuel du crâne humain), il résulte de plusieurs études, déjà anciennes, et référencées dans un ouvrage - dont un extrait a d'ailleurs été produit par la recourante - récent et actualisant les recherches en la matière, que l'anthropologie médico-légale atteste que les caractéristiques morphologiques des crânes masculin et féminin sont d'une façon générale différentes et permettent de les distinguer sinon à déterminer le sexe en fonction de la structure osseuse du crâne. Ainsi, en moyenne, - car il existe des crânes « intermédiaires » où il est très difficile de se prononcer en faveur d'un sujet de sexe masculin ou féminin - le crâne masculin est plus volumineux, d'aspect plus archaïque, avec des insertions musculaires plus marquées que le crâne féminin. L'aspect archaïque est représenté par la persistance de caractère marqué comme la saillie des arcades (sourcilières) et le développement de la glabelle, signe important pour différencier les deux sexes. Il est rare en effet qu'un crâne féminin présente une saillie importante des arcades et de la région glabelle. Il peut d'ailleurs résulter du développement de la glabelle et des arcades un caractère fuyant du crâne (oblique vers l'arrière), par opposition au front droit typiquement féminin. Le crâne masculin peut également être caractérisé par des zones d'insertions musculaires plus marquées, ou encore le caractère massif des condyles occipitaux ou encore le caractère globalement plus massif de la mandibule, et gonions marqués voire éversés (Gérald Quatrehomme, Traité d'anthropologie médico-légale, de Boeck 2015 p.222-227).
d. L'efficacité de la féminisation chirurgicale du visage de personnes atteintes de dysphorie de genre a notamment été reconnue: au terme d'une étude publiée en 2016, portant sur la satisfaction des patient(e)s après une chirurgie de féminisation faciale, les résultats convergent avec ceux d'une étude précédente, qui avait démontré une qualité de vie améliorée sur le plan de la santé mentale pour les patients transgenres ayant effectué une chirurgie de réassignation sexuelle et/ou de féminisation du visage (Full Facial Feminization Surgery: Patient Satisfaction Assessment Based on 180 Procedures Involving 33 Consecutive Patients Raffaini, Mirco M.D., D.D.S., Ph.D.; Magri, Alice Sara M.D.; Agostini, Tommaso M.D.publié dans le Plastic and Reconstructive Surgery: February 2016 - Volume 137 - Issue 2 - p 438–448 journal de la Société américaine de chirurgie plastique (https://journals.lww.com/plasreconsurg/Abstract/2016/02000/Full_Facial_Feminization_Surgery___Patient.11.aspx). Cette étude confirme que la chirurgie faciale a un effet thérapeutique notable, voire majeur sur la santé mentale des patients transgenre.
9. Dans le cas d'espèce, l'intimé ne conteste pas le diagnostic posé de dysphorie de genre (CIM-10 F64.0 Transsexualisme, DSM 5 p. 536). La décision entreprise considère que la recourante remplit les conditions permettant à l'assureur-maladie d'allouer ses prestations pour les étapes reconnues par la législation et la jurisprudence. Elle constate que la demande de prise en charge d'une intervention de chirurgie faciale est destinée à rendre le visage de l'assuré plus féminin, dans le cadre d'une dysphorie de genre et des interventions visant à la transition du sexe masculin au sexe féminin, et s'inscrit dans un contexte global comportant plusieurs phases ayant fait ou faisant l'objet de procédures séparées. Mais elle nie que ces conditions soient réunies dans le cas de la recourante.![endif]>![if>
a. Cette dernière reproche à l'intimé une constatation inexacte et incomplète des faits pertinents: en considérant que le « visage » ne peut pas être considéré comme un caractère sexuel secondaire au sens de la jurisprudence en matière de réassignation sexuelle, l'intimé n'a pas correctement établi l'objet de la FFS, qui en l'occurrence a porté sur la correction des arcades orbitaires, caractéristique notoirement masculine du crâne. Dans sa réponse au recours, l'intimé insiste encore sur le fait, que selon lui, les arcades oculaires ou la ligne des sourcils ne sauraient être considérés comme des caractères sexuels secondaires, opposant à ces caractéristiques, à titre d'exemple, la barbe ou la pomme d'Adam, typiquement masculines. Entendu en comparution personnelle, le 28 novembre 2016, l'intimé a notamment observé qu'en termes de plan de transition d'homme à femme, les demandes de prise en charge ne comportent pas nécessairement la double intervention vagino-plastie et chirurgie mammaire (ce dernier aspect était encore litigieux à l'époque). Il n'empêche que cet exemple démontre bien, comme le relèvent les études et directives visées précédemment, aussi bien que la jurisprudence du Tribunal fédéral, que le plan de transition et les différentes étapes de la réattribution sexuelle ne suivent pas un standard, mais doivent être définis et planifiés de façon très attentive et personnalisée, en fonction des caractéristiques propres à chaque cas particulier. Il ne faut pas non plus perdre de vue, dans ce même contexte, que le fondement médical de la demande de prise en charge repose sur un diagnostic relevant d'une affection psychiatrique qui se caractérise et se manifeste de diverses manières, parmi lesquelles un puissant désir d'être traité en tant que (membre) de l'autre genre ou de se débarrasser de ses caractéristiques sexuelles, et dont les conditions pour être posé ont été rappelées précédemment (ci-dessus consid. 8b), le trouble devant être accompagné d'une détresse cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d'autres domaines importants. C'est ainsi que d'un cas à l'autre, les caractères physiques de la personne concernée n'étant pas les mêmes que ceux d'une autre, certaines interventions chirurgicales ne sont pas nécessaires, et inversement: par exemple l'augmentation mammaire - dans les cas où le traitement hormonal aurait à lui seul donné des résultats satisfaisants quant à la taille des seins -; la chirurgie faciale – lorsque les arcades sourcilières et la glabelle, (ou encore la pomme d'Adam), ne seraient pas particulièrement développées, et en tout cas pas au point de provoquer une souffrance ou participer à la détresse de la patiente -; voire d'autres encore. Dans le cas particulier, le Dr C______, entendu par la chambre de céans a notamment expliqué: « Pour prendre, dans le cas particulier, l’aspect dont nous parlons, soit l’intervention sur les arcades sourcilières, je me souviens clairement que c’était une chose qui provoquait chez la patiente une très grande souffrance, et dans ce sens, l’indication médicale était clairement donnée: il y avait toute une focalisation sur cet aspect qui renvoyait manifestement à l’aspect masculin, et le besoin de (le) chasser; il ne s’agissait pas d’une simple coquetterie de la part de la patiente, mais de la recherche profonde de résoudre un problème plus intense. Le but était effectivement de diminuer l’intensité de la dysphorie de genre, et les résultats se sont révélés conformes aux attentes, ». Dans ce même contexte, l'intimé perd également de vue que dans le cas d'espèce l'abaissement de la ligne des cheveux et celle de la ligne des sourcils (que l'intimé prend à titre d'exemples pour désigner des modifications purement esthétiques) n'ont pas été entreprises: la première pour les risques inhérents à la greffe capillaire préalable; la seconde parce que la correction osseuse s'est révélée suffisante pour atteindre le résultat espéré. Ainsi, les considérations de l'intimé et de son médecin-conseil qui n'ont eu de cesse que de vouloir réduire les interventions litigieuses à un aspect purement esthétique, voire à la seule recherche de « perfection » de l'assurée, ne sauraient être suivies.![endif]>![if>
b. Dans le même ordre d'idées, la recourante reproche également à l'intimé d'avoir fondé son refus sur le fait que, considérant l'intervention litigieuse comme une étape d'améliorations purement esthétiques, elle ne saurait être prise en charge par l'AOS. De la même manière qu'un traitement visant à modifier l'aspect du visage d'un homme ou d'une femme biologiquement né(e) comme tel(le) le serait dans le cas où il/elle ne serait pas satisfait(e) de son apparence, au risque de commettre une inégalité de traitement, en versant une prestation qui ne serait pas octroyée hors du contexte d'un changement de sexe. Ce grief est fondé. De jurisprudence constante, le principe de l'égalité de traitement commande que l'on traite de manière identique des situations semblables, mais de manière différente des situations qui ne sont pas identiques. Or, dans le cas d'espèce, l'intimé se réclame du respect de ce principe, en assimilant deux types de situations qui sont fondamentalement différentes: l'intimé ignore délibérément que dans le cas d'espèce, la demande de prise en charge par l'assurance-maladie de base repose sur une indication médicale claire, fondée sur le diagnostic de dysphorie de genre, le but étant la transition d'homme à femme, et le résultat espéré étant une diminution sensible de la détresse qui s'attache à la dysphorie de genre. Ce faisant l'intimé perd de vue le principe de jurisprudence rappelé précédemment, selon lequel, en cas de dysphorie de genre, la prise en charge de l'intervention chirurgicale en cause ne saurait en principe être examinée au regard de la seule jurisprudence sur les défauts esthétiques (ATF 138 V 131 consid. 5.1 p. 134 et arrêt du TF 9C_255/2016 du 17 février 2017 consid. 5 et 6.1).![endif]>![if>
c. Par identité de motifs, c'est à juste titre que la recourante reproche à l'intimé d'avoir violé le droit fédéral (en l'occurrence l'art. 25 al. 1 LAMal) en ignorant l'indication médicale retenue par le médecin référent de la patiente, en l'espèce le psychiatre, vu la nature psychiatrique de l'affection à traiter. De l'avis unanime et réitéré des spécialistes, pluridisciplinaires, qui ont pris en charge la recourante, à commencer par le principal, le Dr C______, assisté de Madame D______, psychologue spécialisée dans ce type de problématique, tous deux à l'unité de consultation de sexologie aux HUG, et à leur suite le Dr E______ de l'USZ, chirurgien spécialisé lui aussi, ont retenu l'indication médicale de l'intervention chirurgicale litigieuse: les premiers (HUG) dans leur courrier du 12 décembre 2016, dans lequel ils ont décrit par le menu l'ensemble des étapes du suivi de la patiente, dès fin mai 2014, et continuant à la suivre à l'époque, après les premières étapes de la réassignation sexuelle, ont confirmé que les opérations déjà effectuées avaient permis de réduire la souffrance provoquée chez la patiente par la dysphorie de genre; que le rabotage de l'arcade sourcilière (comme la chirurgie d'augmentation mammaire) étaient nécessaires, car le visage et le torse de la patiente renvoyaient à la morphologie masculine de « Pierre-André » : ainsi ils concluaient que ces deux opérations étaient médicalement indiquées, vu la souffrance marquée de la patiente par rapport à sa morphologie masculine. L'utilité thérapeutique pour la patiente, dans le cas d'espèce de la chirurgie faciale consistant en un rabotage de l'arcade sourcilière était évidente. Le Dr C______ l'a clairement confirmé lors de son audition par la chambre de céans. ![endif]>![if>
Dans le cas d'espèce, la chambre des assurances sociales considère que les avis exprimés par le médecin-conseil de l'intimé les 2 juin 2016 et 21 avril 2017, à la différence de ceux exprimés par les médecins traitants de la recourante, en particulier le Dr C______, ne sauraient se voir reconnaître une valeur probante. Ces avis, extrêmement sommaires, trahissent plus l'idée, à tout prix, de refuser la prise en charge de l'intervention chirurgicale litigieuse, sans dire en quoi les médecins traitants qui se sont prononcés ne devraient être suivis, et en particulier en quoi l'opération de chirurgie faciale litigieuse ne serait pas indiquée médicalement, se contentant d'affirmer que « selon lui » elle ne relèverait que d'un souci esthétique, allant jusqu'à prétendre que les différentes interventions esthétiques, d'ailleurs payées par la patiente elle-même, souligneraient la recherche de « perfection » de l'assurée. À l'inverse, les avis successivement exprimés par le psychiatre traitant, le Dr C______, par écrit, dans un premier temps, puis devant la chambre de céans, sont fondés sur une connaissance approfondie du dossier, sur une anamnèse complète, extrêmement importante dans le contexte de la dysphorie de genre, les plaintes et souffrance de la patiente, tout au long de son suivi, la description de tout le processus ayant abouti d'abord au diagnostic, et ensuite à la détermination minutieuse du plan de transition et de réassignation sexuelle, aboutissant à des conclusions convaincantes, exempte de contradictions, doivent quant à eux se voir reconnaître une pleine valeur probante. Les explications du psychiatre traitant sont d'ailleurs très largement corroborées par les explications mêmes de la recourante, entendue à plusieurs reprises et longuement par la chambre de céans.
10. a. Comme rappelé supra, les prestations mentionnées aux art. 25 à 31 LAMal doivent être efficaces, appropriées et économiques, critères qui sont réexaminés périodiquement (art. 32 al. 2 LAMal). ![endif]>![if>
b. Une mesure est efficace lorsqu'elle est démontrée selon des méthodes scientifiques et permet objectivement d'obtenir le résultat diagnostique ou thérapeutique recherché (art. 32 al. 1 LAMal ; ATF 139 V 135, 128 V 159 consid. 5c/aa p. 165 ; voir également arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 151/99 du 7 juillet 2000 consid. 2b, in RAMA 2000 p. 279).
c. La question de son caractère approprié s'apprécie en fonction du bénéfice diagnostique ou thérapeutique dans le cas particulier, en tenant compte des risques qui y sont liés au regard du but thérapeutique. Le caractère approprié relève en principe de critères médicaux et se confond avec la question de l'indication médicale : lorsque l'indication médicale est clairement établie, le caractère approprié de la prestation l'est également (ATF 125 V 99 consid. 4a ; RAMA 2000 n° KV 132 p. 282 consid. 2c). L'examen consiste à évaluer, en se fondant sur une analyse prospective de la situation, la somme des effets positifs de la mesure envisagée et de la comparer avec les effets positifs de mesures alternatives ou par rapport à la solution consistant à renoncer à toute mesure. Est appropriée la mesure qui présente, compte tenu des risques existants, le meilleur bilan diagnostique ou thérapeutique (ATF 127 V 138 consid. 5 p. 146 ; GEBHARD EUGSTER, Krankenversicherung, in Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, 2e éd. 2007, p. 494 n. 293 ss).
d. Le critère de l'économicité concerne le rapport entre les coûts et le bénéfice de la mesure, lorsque, dans le cas concret, différentes formes et/ou méthodes de traitement efficaces et appropriées entrent en ligne de compte pour combattre une maladie (ATF 127 V 146 consid. 5 ; RAMA 2004 n° KV 272 p. 111 consid. 3.1.2). Il s’applique également lorsqu'il s'agit de déterminer, sous l'angle de l'efficacité, laquelle de deux mesures médicales entrant alternativement en ligne de compte, doit être choisie au regard de la prise en charge par l'assurance obligatoire des soins (ATF 130 V 304 consid. 6.1). Il y a alors lieu de procéder à une balance entre coûts et bénéfices de chaque mesure. Si l'une d'entre elles permet d'arriver au but recherché en étant sensiblement meilleur marché que les autres, l'assuré n'a pas droit au remboursement des frais de la mesure la plus onéreuse (ATF 124 V 196 consid. 4 p. 200 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 29/96 du 16 septembre 1997 consid. 3c, in RAMA 1998 p. 1).
e. Dans le cas particulier, il est établi que l'intervention litigieuse consistant dans le rabotage des arcades sourcilières, s'inscrivait dans le cadre d'une pathologie diagnostiquée, la dysphorie de genre, et au vu de ce qui a été dit précédemment, par rapport aux différents aspects, notamment chirurgicaux, entrant dans le cadre du plan de transition et de réassignation sexuelle, elle répondait à une indication médicale claire, son caractère approprié était d'emblée justifié, dès lors qu'elle entrait, dans le cas d'espèce manifestement dans le type d'interventions propres à réduire les effets de la dysphorie de genre, - et ceci, en fonction des caractéristiques personnelles de la recourante et de ses souffrances intenses et exprimées de façon constante et crédible aux yeux des spécialistes, par rapport à la problématique litigieuse.
f. Quant à l'aspect économique de l'opération chirurgicale litigieuse, en l'occurrence, la question de savoir s'il existait une alternative thérapeutique à cette intervention ne se pose guère: en effet, comme le rappellent les spécialistes et les recommandations nationales ou internationales évoquées précédemment, le traitement de la dysphorie de genre se fait principalement selon trois axes, cumulatifs ou non selon les patients, soit le traitement psychiatrique, le traitement hormonal, et le traitement chirurgical. L'intimé ne remet pas en cause ce principe, pas plus d'ailleurs qu'il ne discute le fait que cette intervention ait permis d'atteindre le but recherché. Le coût de cette opération, est relativement modeste, dès lors qu'il s'agit d'un montant de l'ordre de CHF 6'000.-, au maximum, montant facturé directement à la patiente par l'USZ, hors tarif LAMal, et donc hors convention entre assureurs-maladie et prestataires de soins. Selon le psychiatre traitant, le Dr C______, entendu par la chambre de céans, il résulte de l'ensemble des interventions chirurgicales qui ont été pratiquées sur la patiente, dans le cadre du plan de transition et de réassignation sexuelle, que celles-ci ont eu l'effet recherché du point de vue de la thérapie de la dysphorie de genre, ce qui concrètement a permis de sensiblement réduire la fréquence et partant le nombre des séances de psychothérapie (prises en charge par l'assurance de base). Il indique: « Nous sommes à cet égard partis d’une séance par semaine à une séance par mois. Le fait que la psychothérapie se poursuive, sur le principe, encore actuellement n’est pas surprenant, et ne se traduit pas en termes de succès partiel ou d’échec partiel, même si je ne peux pas aujourd’hui dire si et quand la patiente pourra « voler de ses propres ailes », cette question devant encore être discutée avec sa thérapeute, mais je pense que ce jour-là arrivera ». Et aussi : « Sur la question (de savoir) si la réduction de la fréquence des séances de psychothérapie est due spécifiquement à l’opération des arcades sourcilières, ou s’il s’agit d’une amélioration qui se mesure globalement par rapport à toutes les interventions subies par la recourante, je réponds qu’il est évidemment impossible de quantifier l’impact d’une seule de ces opérations, mais qu’il s’agit bien d’un effet d’ensemble. Je pourrais dire que plus la personne se sentira bien dans son corps, moins elle devra consacrer d’énergie à lutter dans le cadre de son conflit de dysphorie de genre, et plus elle pourra ainsi libérer de l’énergie qu’elle pourra consacrer à mener une vie harmonieuse et normale ». Certes, si l'efficacité du traitement se détermine, comme on l'a vu plus haut, au moyen de méthodes scientifiques fondées sur la recherche et la pratique médicale - ce qui est acquis en l'espèce - et non sur le résultat, même positif (ATF 133 V 115), on observera incidemment que, dans le cas d'espèce, les éléments figurant au dossier permettent de constater, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l'opération litigieuse semble non seulement avoir eu un effet bénéfique sur la santé de la recourante, en relation avec la souffrance engendrée par la dysphorie de genre - effet principalement recherché -, mais également à terme, sur le plan économique du point de vue de l'AOS.
Au vu de ce qui précède, on ne saurait nier le caractère économique de la prestation litigieuse: indépendamment du fait que la loi ne prévoit pas de limite quant à la prise en charge des coûts d'une prestation qui paraît justifiée, la jurisprudence fixe une limite de principe, lorsqu'il n'existe pas un rapport raisonnable entre le coût et l'utilité (ATF 136 V 395), ce qui n'est manifestement pas le cas en l'occurrence.
Il résulte donc de ce qui précède que l'intervention de chirurgie faciale qui a consisté dans le rabotage des arcades orbitaires doit être prise en charge par l'intimé.
11. Enfin, l'argumentation développée par les parties, en particulier les objections de l'intimé par rapport à la question de savoir quel montant il devrait supporter, dans l'hypothèse où la chambre de céans devrait décider que la prestation doit être prise en charge au titre de l'AOS, ne fait pas partie du litige. La chambre de céans n'est en effet compétente en l'occurrence que pour statuer sur la question de savoir si la prestation litigieuse était à la charge de l'intimé, ce qui est le cas en l'espèce. Le seul but de l'instruction sur la question des factures de l'USZ, était évidemment, pour la chambre de céans, de pouvoir se faire une idée, au moins approximative, du coût de l'opération litigieuse au regard des principes d'économicité du traitement, comme on vient de le voir. Il appartiendra en effet à l'intimé de régler la question du montant qu'il devra en définitive débourser vis-à-vis de l'USZ, directement avec le prestataire de soins, d'autant qu'il s'agit d'une hospitalisation, cet aspect impliquant des paramètres n'intéressant pas directement la recourante. Il convient toutefois d'observer que l'intimé, à qui la cause sera renvoyée pour nouvelle décision, devra tenir compte d'éventuelles franchises ou quote-part, (art. 64 LAMal ainsi que 103 et 104 OAMAL). Mais il ne saurait en revanche imputer à la recourante, comme il semble le prétendre, une participation supplémentaire de l'ordre de CHF 500.- au titre de taxe d'hospitalisation extra-cantonale volontaire (courrier de l'intimé à la chambre de céans du 10 novembre 2017 page 1 dernier §). Dès lors que l'ensemble des opérations chirurgicales entrant dans le plan de réassignation sexuelle ont toujours été prévues à l'USZ, où ce type d'opérations sont pratiquées, alors qu'elles ne le sont pas à Genève, que l'intimé a toujours indiqué dans ses décisions d'accord de prise en charge que les prestations concernées étaient valables pour toute la Suisse, qu'à aucun moment il n'a soulevé d'objection quant à la détermination de l'hôpital de Zurich où ses interventions étaient planifiées, de sorte que si la question devait se poser d'une très éventuelle taxe d'hospitalisation extra-cantonale devant générer une surtaxe, la recourante devrait être protégée dans sa bonne foi, et l'intimé en assumer les conséquences découlant de son propre comportement.![endif]>![if>
12. Ainsi, le recours sera admis et la décision entreprise annulée.![endif]>![if>
13. La recourante obtenant gain de cause, une indemnité lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA en corrélation avec l’art. 89H al. 3 de la loi du 12 septembre 1985 sur la procédure administrative). L’autorité cantonale chargée de fixer l’indemnité de dépens jouit d’un large pouvoir d’appréciation (ATF 111 V 49 consid. 4a). Ainsi l'indemnité allouée sera fixée à CHF 4'000.-.![endif]>![if>
14. Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. a LPGA).![endif]>![if>
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable![endif]>![if>
Au fond :
2. L'admet.![endif]>![if>
3. Annule la décision sur opposition de Mutuel assurance-maladie SA du 13 juin 2016.![endif]>![if>
4. Dit que la recourante a droit à la prise en charge par l'intimé du coût de l'intervention de chirurgie faciale de correction par rabotage des arcades sourcilières dont elle a bénéficié à l'hôpital universitaire de Zurich en date du 27 avril 2016.![endif]>![if>
5. Renvoie le dossier à l'intimé pour nouvelle décision dans le sens des considérants.![endif]>![if>
6. Condamne l’intimé à verser à la recourante une indemnité de CHF 4'000.- à titre de dépens.![endif]>![if>
7. Dit que la procédure est gratuite.![endif]>![if>
8. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.![endif]>![if>
La greffière
Florence SCHMUTZ |
| Le président
Mario-Dominique TORELLO |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le