Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/743/2025 du 03.07.2025 ( MARPU ) , REFUSE
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/1902/2025-MARPU ATA/743/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Décision du 3 juillet 2025 sur effet suspensif |
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dans la cause
A______ recourante
représentée par Me Alison VUISSOZ et Me Frédéric FORCLAZ, avocats
contre
VILLE DE GENÈVE - CENTRALE MUNICIPALE D'ACHAT
ET D'IMPRESSION
représentée par Me Michel D'Alessandri, avocat
et
B______ intimées
Attendu, en fait, que :
A. a. A______ (ci-après : A______), avec siège à C______ (Valais), a pour but l’exécution de tout mandat en relation avec les études techniques forestières et d’environnement.
D______ en est son président et E______ son secrétaire. Les intéressés disposent de la signature collective à deux.
b. B______ (ci-après : B______), avec siège à F______ (Bâle-Campagne), a pour but toutes activités en lien avec l’élaboration et la gestion de projets, la supervision et la direction de travaux en matière d’ingénierie en foresterie, en agriculture et en environnement.
G______ en est son président avec signature individuelle.
B. a. Le 7 avril 2025, la Ville de Genève (ci-après : la ville), soit pour elle la centrale municipale d’achat et d’impression, a publié sur la plateforme www.simap.ch un appel d’offres pour un marché portant sur la mise à jour du plan de gestion, la rédaction du cahier des charges et l’assistance au service des espaces verts pendant quatre années. Les offres devaient être remises avant le 9 mai 2025.
b. A______ et B______ ont, chacune, déposé une offre dans le délai.
c. Par décision du 20 mai 2025, la ville a adjugé le marché à B______ pour le montant de CHF 136’995.13.
Le tableau suivant récapitule les offres et la notation des critères :
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| Notation des critères |
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Nom ou | Montant TTC des offres (en CHF) | A 35% | B 45% | C 10% | D 5% | E 5% | Note pon-dérée | Classe-ment |
A______ | 155'192.68 | 4.07 | 4.00 | 3.00 | 3.00 | 3.00 | 3.82 | 2 |
B______ | 136'995.13 | 5.00 | 3.50 | 3.00 | 3.00 | 3.00 | 3.93 | 1 |
C. a. Par acte remis à la poste le 30 mai 2025, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision d’adjudication, concluant préalablement à l'octroi de l'effet suspensif, principalement à son annulation.
Les notes attribuées aux critères B, C, D et E étaient sous-évaluées. Elle aurait dû obtenir des notes de 4.5 aux critères B, 4 au C, 4 au D et 4 au E, ce qui conduisait à une note pondérée de 4.25, la plaçant au premier rang.
b. Par réponse du 4 juin 2025, B______ a conclu au rejet du recours. Si certains des arguments de la recourante étaient admissibles, cela entraînerait « automatiquement » une reconsidération de ses propres notes.
c. Par réponse du 17 juin 2025, la ville a conclu au rejet du recours et de la demande d’octroi de l’effet suspensif.
Les conditions de l’octroi de l’effet suspensif n’étaient pas réunies, dès lors que le recours était dépourvu de chances raisonnables de succès. La recourante se limitait à substituer sa propre appréciation à celle du pouvoir adjudicateur. L’intérêt public lié à la conclusion et à l’exécution du recours était prépondérant. Entrer en matière sur ses griefs reviendrait à remettre en cause le pouvoir d’appréciation du pouvoir adjudicateur, alors même qu’aucun abus ou excès du pouvoir n’existait en l’espèce. La notation reposait sur une méthode comparative et non sur une notation absolue.
S’agissant du critère B, les deux offres présentaient un certain nombre d’avantages au regard des éléments d’appréciation. Comparativement, les avantages de la recourante étaient supérieurs à ceux de B______, ce qui avait amené à la notation de 4, respectivement de 3.5. Les avantages des deux entreprises étaient, en revanche, semblables s’agissant du critères C, D et E.
Elle a notamment produit l’évaluation générale des offres.
d. Par réplique sur effet suspensif du 24 juin 2025, la recourante a invoqué une violation de son droit d’être entendue, faute de motivation de la décision entreprise. Le tableau de pondération ne présentait aucunement les motifs des notes attribuées.
Aucun élément ne permettait de retenir qu’il y avait une urgence particulière à recourir aux services d’une société externe s’agissant de la gestion, de la rédaction du cahier des charges et de l’assistance du service des espaces verts de la Ville de Genève.
e. Sur quoi, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.
Considérant, en droit, que :
1. Le recours a été interjeté en temps utile devant l’autorité compétente, conformément aux art. 15 al. 1bis let. d et al. 2 de l’Accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05), 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’AIMP (L‑AIMP - L 6 05.0) et 55 let. c et 56 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01).
2.
2.1 Aux termes des art. 17 al. 1 AIMP et 58 al. 1 RMP, le recours n’a pas d’effet suspensif. Toutefois, en vertu des art. 17 al. 2 AIMP et 58 al. 2 RMP, l’autorité de recours peut, d’office ou sur demande, octroyer cet effet pour autant que le recours paraisse suffisamment fondé et qu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose.
L’examen de la requête suppose une appréciation prima facie du bien-fondé du recours ; le but est alors de refuser l’effet suspensif au recours manifestement dépourvu de chances de succès, dont le résultat ne fait aucun doute ; inversement, un diagnostic positif prépondérant ne suffit pas d’emblée à justifier l’octroi d’une mesure provisoire mais suppose de constater et de pondérer le risque de préjudice (ATA/852/2024 du 17 juillet 2024 consid. 3 ; ATA/543/2024 du 30 avril 2024 consid. 3 ; Benoît BOVAY, Recours, effet suspensif et conclusion du contrat, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STÖCKLI, Marchés publics 2010, 311-341, p. 317 n. 15).
L’octroi de l’effet suspensif constitue cependant une exception en matière de marchés publics (arrêt du Tribunal fédéral 2D_34/2018 du 17 août 2018 consid. 5.2), et représente une mesure dont les conditions ne peuvent être admises qu’avec restriction (ATA/189/2025 du 18 février 2025 consid. 4).
Lorsqu'une autorité judiciaire se prononce sur des mesures provisoires, elle peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit, en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles, tout en ayant l'obligation de peser les intérêts respectifs des parties (ATF 139 III 86 consid. 4.2 ; 131 III 473 consid. 2.3).
2.2 L’AIMP a pour objectif l’ouverture des marchés publics, notamment des communes (art. 1 al. 1 AIMP). Il vise à harmoniser les règles de passation des marchés et à transposer les obligations découlant de l’accord GATT/OMC ainsi que de l’accord entre la communauté européenne et la Confédération suisse (art. 1 al. 2 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l’égalité de traitement entre
ceux-ci et assurer l’impartialité de l’adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l’utilisation parcimonieuse des données publiques (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 let. a et b AIMP).
Le droit des marchés publics est formaliste. L'autorité adjudicatrice doit procéder à l'examen de la recevabilité des offres et à leur évaluation dans le respect de ce formalisme, qui permet de protéger notamment le principe d'intangibilité des offres remises et le respect du principe d'égalité de traitement entre soumissionnaires garanti par l'art. 16 al. 2 RMP. Le respect de ce formalisme est nécessaire pour concrétiser l'obligation d'assurer l'égalité de traitement entre soumissionnaires dans la phase d'examen de la recevabilité des offres et de leur évaluation (ATA/496/2024 du 16 avril 2024 consid. 3.2).
2.3 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend le droit d’obtenir une décision motivée (ATF 142 II 154 consid. 4.2 ; ATF 141 V 557 consid 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_954/2020 du 26 juillet 2021 consid. 4.1). L’autorité n’est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives (ATF 142 II 154 consid. 4.2 ; 141 V 557 consid 3.2.1 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, p. 531 n. 1573). Il suffit, de ce point de vue, que les parties puissent se rendre compte de la portée de la décision prise à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; 138 I 232 consid. 5.1).
En matière de marchés publics, cette obligation se manifeste par le devoir qu’a l’autorité d’indiquer au soumissionnaire évincé les raisons du rejet de son offre. Ce principe est concrétisé par les art. 13 let. h AIMP et 45 al. 1 RMP, qui prévoient que les décisions d'adjudication doivent être sommairement motivées.
Selon la jurisprudence de la chambre administrative, le prix d'adjudication ainsi que la méthode de pondération des critères d’adjudication font partie des éléments nécessaires à la bonne compréhension d'une décision d'adjudication. L'une de ces deux indications doit au moins figurer dans une décision d'adjudication afin que l'autorité adjudicatrice respecte son devoir légal de motivation sommaire (ATA/51/2025 du 14 janvier 2025 consid. 3.2 ; ATA/1112/2024 du 24 septembre 2024 consid. 5.3).
2.4 Les offres sont évaluées en fonction des critères d’aptitude et des critères d’adjudication (art. 12 RMP). L'autorité adjudicatrice choisit des critères objectifs, vérifiables et pertinents par rapport au marché. Elle doit les énoncer clairement et par ordre d'importance au moment de l'appel d'offres (art. 24 RMP).
Selon l’art. 43 RMP, l'évaluation des offres est faite selon les critères prédéfinis conformément à l'art. 24 RMP et énumérés dans l'avis d'appel d’offres et/ou les documents d'appel d’offres (al. 1). Le résultat de l'évaluation des offres fait l'objet d'un tableau comparatif (al. 2). Le marché est adjugé au soumissionnaire ayant déposé l'offre économiquement la plus avantageuse, c'est-à-dire celle qui présente le meilleur rapport qualité/prix. Outre le prix, les critères suivants peuvent notamment être pris en considération : la qualité, les délais, l'adéquation aux besoins, le service après-vente, l'esthétique, l'organisation, le respect de l'environnement (al. 3).
En matière d'évaluation des offres, la jurisprudence reconnaît une grande liberté d'appréciation au pouvoir adjudicateur (ATF 125 II 86 consid. 6 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_35/2017 du 5 avril 2018 consid. 5.1 ; ATA/1685/2019 du 19 novembre 2019 consid. 8b et les références citées), y compris s'agissant de la méthode de notation (ATA/676/2020 du 21 juillet 2020 consid. 4b et les références citées). La juge doit veiller à ne pas s'immiscer de façon indue dans la liberté de décision de l'autorité chargée de l'adjudication (arrêt du Tribunal fédéral 2D_35/2017 précité consid. 5.1). L'appréciation de la chambre administrative ne saurait donc se substituer à celle de ladite autorité. Seul l'abus ou l'excès du pouvoir d'appréciation doit être sanctionné (ATF 130 I 241 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_35/2017 précité consid. 5.1 ; ATA/1685/2019 du 19 novembre 2019 consid. 8b et les références citées). En outre, pour que le recours soit fondé, il faut encore que le résultat, considéré dans son ensemble, constitue un usage abusif ou excessif du pouvoir d'appréciation (décision de la Commission fédérale de recours en matière de marchés publics du 29 juin 1998, publiée in JAAC 1999, p. 136, consid. 3a ; ATA/1389/2019 du 17 septembre 2019 consid. 5).
2.5 En l'espèce, le grief de violation du droit d’être entendu n’apparaît à première vue pas suffisant pour admettre le recours, dès lors que la décision attaquée mentionnait le montant de l’offre retenue et que la recourante a eu connaissance du tableau récapitulatif des offres, ce qui suffit en principe à assurer la motivation sommaire de la décision d’adjudication selon la jurisprudence.
Le seul grief d’ordre matériel invoqué par la recourante porte sur la notation des critères B à E. Elle soutient que ceux-ci auraient été sous-évalués et reprend la notation de chacun de ces critères. Ce faisant, elle ne fait à première vue que substituer sa propre appréciation à celle de l’autorité. Les indications données par l’autorité intimée sur son évaluation n’apparaissent, prima facie, pas critiquables au point de justifier l’octroi de l’effet suspensif. Il ressort en particulier du tableau d’évaluation générale que les deux offres présentaient de nombreux avantages dans chacun de ces quatre critères. Ainsi que le relève l’autorité, les notes ont été attribuées en application de la méthode comparative, qui tient compte des avantages particuliers du soumissionnaire par rapport aux autres concurrents. Or, dans son écriture, la recourante se limite à critiquer sa note de manière absolue, sans tenir compte des avantages que présente son offre par rapport à celle de sa concurrente. Sans préjudice de l’examen au fond, il appert toutefois à ce stade de la procédure que l’offre de l’adjudicataire présente – elle aussi – un certain nombre d’avantages au regard des éléments d’appréciation, en plus de proposer le prix le plus bas.
Ainsi, et à ce stade de la procédure, il ne peut être retenu que le pouvoir adjudicateur aurait, manifestement, commis un abus ou un excès du large pouvoir d’appréciation qui lui est reconnu en matière d’appréciation des critères et sous-critères. Les chances de succès du recours apparaissent donc insuffisantes en l’état pour octroyer l’effet suspensif au recours, étant rappelé que l'absence d'effet suspensif au recours constitue la règle en matière de marchés publics. Point n’est besoin dès lors d’examiner s’il existe un intérêt public ou privé prépondérant à l’exécution immédiate du marché (ATA/290/2025 du 19 mars 2025 consid. 8).
3. Le sort des frais sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.
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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
refuse d’octroyer l’effet suspensif au recours ;
réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF-RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;
- par la voie du recours en matière de droit public :
si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;
si elle soulève une question juridique de principe ;
- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;
le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;
communique le présent arrêt à Me Alison VUISSOZ et Me Frédéric Forclaz, avocats de la recourante, à B______, à Me Michel D'Alessandri, avocat de Ville de Genève - centrale municipale d'achat et d'impression, ainsi qu’à la commission fédérale de la concurrence.
Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Eleanor McGREGOR, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière :
S. CARDINAUX
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| le président siégeant :
C. MASCOTTO |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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