Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/716/2025 du 24.06.2025 sur JTAPI/885/2024 ( ICC ) , ADMIS
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/3209/2023-ICC ATA/716/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 24 juin 2025 4ème section |
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dans la cause
ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE recourante
contre
A______
représentée par Me Romain JORDAN, avocat
et
ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS intimées
_________
Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 9 septembre 2024 (JTAPI/885/2024)
A. a. Le litige concerne les impôts fédéraux (ci-après : IFD) et cantonaux et communaux (ci-après : ICC) 2022 de A______.
b. Cette dernière exploite un restaurant à B______ sous la forme d’une entreprise individuelle, dans un immeuble faisant partie de sa fortune commerciale, dont elle est copropriétaire par moitié.
B. a. En 2022, elle a fait installer une pergola bioclimatique lui ayant coûté CHF 109'164.-, montant comptabilisé comme charge commerciale dans sa déclaration fiscale 2022.
b. Le 19 mai 2023, la contribuable a répondu à une demande de renseignements de l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) du 3 mai précédent. Les coûts de construction de la pergola avaient été comptabilisés comme charge et non comme investissement, car les installations ne se revendraient pas. Elle a produit une copie du compte « entretien des locaux », ainsi que des factures.
c. Par bordereaux ICC et IFD du 19 juillet 2023, l’AFC-GE a taxé la contribuable pour l’année 2022, refusant la déduction de la charge commerciale et ajoutant un montant de CHF 54'582.- à la valeur des actifs commerciaux. Les frais liés à l’installation de la pergola étaient qualifiés de travaux à plus-value augmentant la valeur de l’immeuble à concurrence de CHF 54'582.- (CHF 109'164.- / 2), la contribuable étant copropriétaire de l’immeuble.
d. Le 28 juillet 2023, la contribuable a élevé réclamation à l’encontre des bordereaux.
Les dépenses engagées pour la construction de la pergola ne représentaient pas des frais d’amélioration de l’immeuble, mais des coûts tendant à l’augmentation du confort et du service à la clientèle, visant à maintenir le caractère de standing élevé de son restaurant. S’il s’était agi d’un immeuble à prépondérance privée, jamais elle n’aurait fait entreprendre de tels travaux. Il s’agissait donc d’une charge commerciale. Par ailleurs, si l’immeuble était vendu, la pergola serait vraisemblablement détruite.
e. Par décisions sur réclamation du 31 août 2023, l’AFC-GE a rejeté les réclamations.
L’aménagement d’une pergola qui n’existait pas avant la période fiscale ne représentait pas une charge, mais un investissement à activer, lequel pouvait faire l’objet d’amortissements.
f. Par acte du 2 octobre 2023, la contribuable a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le TAPI), concluant à l’annulation des bordereaux du 19 juillet 2023 et des décisions sur réclamation du 31 août 2023 et à la déduction des coûts de construction de la pergola.
Avant l’installation de celle-ci, le restaurant utilisait des parasols et des tentes. En cas d’orages ou de fortes pluies, la clientèle devait être rapatriée à l’intérieur. Les coûts de construction de la pergola étaient nécessaires à l’acquisition du revenu. Facilement démontable, la structure ne nécessitait pas d’autorisation de construire.
g. Dans sa réponse du 4 décembre 2023, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.
La pergola aurait dû être comptabilisée comme un actif. Sa construction représentait une dépense d’investissement, dont la durée d’utilisation s’étendait sur plusieurs périodes, qui devait être activée au bilan, et non une dépense d’entretien déductible immédiatement.
h. Par jugement du 9 septembre 2024, le TAPI a partiellement admis le recours et renvoyé le dossier à l’AFC-GE pour nouvelle décision de taxation.
Conformément à la jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_878/2010 du 19 avril 2011 consid. 6.1), les dépenses engagées pour l’installation d’une pergola ne constituaient pas des frais d’entretien déductibles. Ces coûts représentaient des dépenses d’investissement immobilier (art. 34 let. d de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11, disposition s’appliquant de la même manière aux immeubles privés et commerciaux). Elles ne représentaient donc pas des charges justifiées par l’usage commercial et ne pouvaient donc être déduites à ce titre du bénéfice.
Cependant, l’AFC-GE avait à tort ajouté CHF 54'582.- à la valeur des actifs commerciaux de la contribuable, considérant que la moitié de la valeur des travaux représentait un investissement à activer, qui pouvait faire l’objet d’amortissements. Un tel procédé n’était pas conforme à la jurisprudence, en particulier à l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_1166/2016 du 4 octobre 2017.
C. a. Par acte du 9 octobre 2024, l’AFC-GE a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant principalement à son annulation.
Le TAPI avait retenu de manière erronée que la jurisprudence fédérale s’opposait à l’activation dans les comptes commerciaux d’un investissement. Au contraire, il n’apparaissait pas que cet arrêt concernait l’activation ou non d’un investissement mais uniquement la différence entre des frais d’entretien et des frais d’amélioration et dans quelle mesure certains frais de remise en état pouvaient être déductibles, à savoir uniquement dans le cas où ce n’étaient pas des dépenses ayant un réel caractère d’amélioration. Contrairement à ce que le TAPI avait retenu, dans le consid. 4.2 dudit arrêt, le Tribunal fédéral reconnaissait la déductibilité de certains frais de remise en état.
L’installation de la pergola avait amélioré l’établissement de la contribuable, ce qu’elle déclarait d’ailleurs clairement. Le TAPI lui-même avait conclu que les coûts étaient des frais d’acquisition, de production ou d’amélioration d’éléments de fortune. Le raisonnement du TAPI était donc contradictoire et le jugement devait être annulé.
b. Dans sa réponse du 2 décembre 2024, la contribuable a conclu au rejet du recours. Un transport sur place devait être organisé afin de constater la nature commerciale de l’exploitation du restaurant et le caractère réversible ainsi que différents éléments techniques de la pergola.
L’arrêt cité par l’AFC-GE concernait le canton de Vaud et n’était pas transposable au cas d’espèce, où la pergola avait remplacé une installation précédente faite de parasols et de diverses toiles de tente. Elle était nécessaire à l’acquisition du revenu.
L’installation n’avait pas amélioré son établissement commercial mais simplement permis de protéger sa clientèle sans devoir « monopoliser une charge de travail conséquente (sic) », afin que les clients installés à l’extérieur puissent rester dehors en cas d’orage. L’AFC-GE la sanctionnait en réalité doublement : elle l’empêchait de déduire une charge nécessaire à l’acquisition de son revenu et parallèlement d’amortir la dépense dans le temps.
c. Dans sa réplique du 6 janvier 2025, l’AFC-GE a rappelé que la contribuable ne semblait plus contester que la pergola constituait une dépense d’investissement immobilier au sens des art. 34 let. d LIFD et 38 al. 1 let. c de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08), comme l’avait retenu le TAPI.
Elle s’opposait à un transport sur place qui ne pouvait que déboucher sur la constatation de l’existence de la pergola, ce qu’aucune partie ne contestait. La pergola représentait, selon l’expérience de la vie, des frais d’amélioration de fortune. Il était erroné de considérer que l’activation dans le bilan fiscal d’une nouvelle dépense d’investissement (réserve latente imposée) sanctionnait doublement la contribuable. Cette activation n’avait qu’une influence minime sur l’impôt sur la fortune au moment de son ajout mais engendrait par la suite la possibilité de comptabiliser des amortissements justifiés par l’usage commercial à la charge du revenu imposable jusqu’à l’extinction de la réserve latente. À défaut, en l’absence de constatation d’une réserve latente (actifs commerciaux) dans la fortune imposable de la contribuable, celle-ci ne pouvait pas revendiquer ultérieurement la déduction d’amortissements justifiés par l’usage commercial.
Juridiquement, l’activation d’une réserve latente imposée au titre d’impôt sur le capital ne faisait pas de doute pour les sociétés de capitaux et les sociétés coopératives, conformément au texte clair de l’art. 29 al. 2 let. a de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14). Par analogie, il en allait de même pour les indépendants.
d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 145 LIFD).
2. L’intimée sollicite au préalable un transport sur place pour démontrer la nature propre de l’exploitation commerciale du restaurant et le caractère réversible de l’installation. L’AFC-GE s’y oppose, l’existence de la pergola et ces deux éléments n’étant pas contestés.
2.1 Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend notamment le droit pour l'intéressé d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre. L'autorité peut cependant renoncer à procéder à des mesures d'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 et les références citées).
2.2 En l'espèce, ni l’existence de la pergola, ni ses caractéristiques techniques, ni l’exploitation commerciale du restaurant, soit les faits dont l’intimée souhaite apporter la preuve par le biais d’un transport sur place, ne sont contestés. Leur utilité et leur pertinence pour résoudre le litige n’est ainsi pas démontrée.
Il sera dès lors renoncé à la mesure d’instruction sollicitée.
3. Le litige concerne la période fiscale 2022, tant pour l’ICC que pour l’IFD, de sorte qu’il convient au préalable d’examiner le droit matériel applicable.
3.1 De jurisprudence constante, les questions de droit matériel sont résolues en fonction du droit en vigueur lors des périodes fiscales litigieuses (ATA/379/2018 du 24 avril 2018 consid. 2a et les références citées). Ainsi, la LIPP trouve application, de même que la LIFD et la LHID, dans leur teneur lors de la période fiscale en cause.
Par ailleurs, la question étant traitée de la même manière en droit fédéral et en droit cantonal harmonisé, le présent arrêt traite simultanément des deux impôts, comme l’admet la jurisprudence (ATA/379/2018 précité consid. 2b et les références citées).
3.2 Pour un indépendant, sont imposables tous les revenus provenant de l'exploitation d'une entreprise commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou sylvicole et de l'exercice d'une profession libérale ou de toute autre activité lucrative indépendante (art. 18 al. 1 LIFD et 19 al. 1 LIPP). Sont également imposables tous les bénéfices en capital provenant de l'aliénation, de la réalisation ou de la réévaluation comptable d'éléments de la fortune commerciale, laquelle comprend tous les éléments de fortune qui servent, entièrement ou de manière prépondérante, à l'exercice de l'activité lucrative indépendante (art. 18 al. 2 LIFD et 19 al. 2 LIPP).
Le revenu net se calcule en défalquant du total des revenus imposables les déductions générales et les frais mentionnés aux art. 26 à 33a LIFD (art. 25 LIFD).
Les contribuables exerçant une activité indépendante peuvent déduire de leurs revenus les frais qui sont justifiés par l’usage commercial ou professionnel, dont notamment les dépenses faites pour l’exploitation d’un commerce, d’une industrie ou d’une entreprise et celles qui sont nécessaires pour l’exercice d’une profession ou d’un métier (art. 27 al. 1 LIFD et 30 let. a LIPP). Font notamment partie de ces frais les amortissements et les provisions au sens des art. 28 et 29 (art. 27 al. 2 let. a LIFD). Les amortissements des actifs justifiés par l’usage commercial sont autorisés, à condition qu’ils soient comptabilisés ou, en cas de tenue d’une comptabilité simplifiée en vertu de l’art. 957 al. 2 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220), qu’ils apparaissent dans un plan spécial d’amortissements (art. 28 al. 1 LIFD ; art. 30 let. d LIPP). L'amortissement permet de tenir compte de l'usure progressive ou de la baisse de valeur d'un actif. Il peut s'agir d'immobilisations corporelles (bâtiments, machines, outils et autres installations notamment) ainsi que d'immobilisations incorporelles (brevets, marques, concessions ; ATA/773/2024 du 25 juin 2024 consid. 4.2.2 ; Robert DANON, in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], Commentaire romand de la loi sur l'impôt fédéral direct, 2e éd., 2017, n. 19 ad art. 62 LIFD). Leur déductibilité est conditionnée par la preuve de leur nécessité au regard de l’activité en cause (Yves NOËL in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], op. cit., n. 2 ad art. 27 LIFD).
Les cantons doivent imposer l'ensemble du bénéfice net, dans lequel sont notamment inclus les charges non justifiées par l'usage commercial, portées au débit du compte de résultats, ainsi que les produits et les bénéfices en capital, de liquidation et de réévaluation, qui n'ont pas été portés au crédit du compte de résultats (art. 24 al. 1 let. a et b LHID).
Les dépenses d’entretien d’immeubles faisant partie de la fortune commerciale de contribuables exerçant une activité lucrative indépendante peuvent constituer des « frais justifiés par l’usage commercial ou professionnel » au sens de l’art. 27 al. 1 LIFD. Elles sont alors déductibles du bénéfice. En revanche, ne peuvent pas être déduits les autres frais et dépenses tels que les frais d’acquisition, de production ou d’amélioration d’éléments de fortune (art. 34 let. d LIFD). Cet article s’applique tant aux personnes privées qu’aux professionnels (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1166/2016 du 4 octobre 2017, traduit in RDAF 2018 II p. 156ss, p. 161). Il s’agit de frais d’acquisition, de production ou d’amélioration d’éléments de fortune, dont la déductibilité est déniée pour tous les contribuables, pas seulement les indépendants, par l’art. 34 let. d LIFD. Dans ce cas, la capacité contributive de l’indépendant n’est pas diminuée par la dépense d’acquisition. Celui-ci voit seulement son patrimoine commercial modifié dans sa composition, le bien acquis remplaçant dans ses actifs le montant des liquidités utilisées à son achat. Le résultat comptable n’est affecté qu’ensuite, lors de l’enregistrement comptable de l’usure du bien, soit l’amortissement déductible aux termes des art. 27 al. 2 let. a et 28 LIFD (Yves NOËL in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], op. cit., 2e éd., 2017, n. 20 ad art. 27 LIFD).
À Genève, ne peuvent être déduits notamment les frais d’acquisition, de production ou d’amélioration d’éléments de fortune, y compris les intérêts sur crédit de construction (art. 38 let. d LIPP, dans sa version en vigueur lors de la période fiscale considérée, désormais art. 38 al. 1 let. c LIPP).
3.3 Parmi les frais d’entretien, la doctrine distingue entre les travaux de maintien en état, effectués régulièrement, les travaux de remise en état, faits à intervalles plus espacés et ceux de remplacement d’installations obsolètes (Nicolas MERLINO, in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], op. cit., n. 65 ad art. 32 LIFD).
Font en revanche notamment partie des dépenses d’investissement non déductibles « l’agrandissement d’un immeuble ». En droit de la construction, constitue un agrandissement d’immeuble toute augmentation du volume extérieur de la construction et toute adjonction d’éléments extérieurs nouveaux (Nicolas MERLINO, in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], op. cit., n. 140 ad art. 32 LIFD)
Qu’il s’agisse de frais d’entretien courants ou de frais d’entretien extraordinaires (remise en état ou remplacement de vieilles installations), il se produit automatiquement une augmentation de la valeur brute de l’installation immobilière par rapport à sa valeur avant son remplacement ou sa remise en état. Ce type d’augmentation de valeur n’a pas d’influence sur la déductibilité de ces dépenses tant qu’elle n’est liée qu’au cycle de vie de ces travaux ; il s’agit d’une augmentation de valeur se produisant à court terme uniquement. Il est indispensable d'opérer une distinction entre cette augmentation de valeur à court terme qui n'empêche pas la déduction fiscale car l'on reste en présence de frais d'entretien au sens technique et fiscal, et l'augmentation de valeur durable à long terme par rapport à la valeur du bien à l'origine, laquelle est liée à l'amélioration de la qualité des équipements, ce qui exclut cette déduction fiscale à due concurrence, car on bascule alors dans un investissement (Nicolas MERLINO, , in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], op. cit., n. 68 ad art. 32). Un tel investissement immobilier n'est alors pas déductible en application de l'art. 34 let. d LIFD.
Selon la jurisprudence, les dépenses engagées pour l’installation d’une pergola ne constituent pas des frais d’entretien déductibles. Ces coûts représentent des dépenses d’investissement immobilier (art. 34 let. d LIFD), disposition qui s’applique de la même manière aux immeubles privés et commerciaux). Elles ne représentent donc pas des charges justifiées par l’usage commercial et ne peuvent donc être déduites à ce titre du bénéfice (arrêt du Tribunal fédéral 2C_878/2010 du 19 avril 2011 consid. 6.1).
3.4 En ce qui concerne le fardeau de la preuve, conformément au principe général de l'art. 8 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), il appartient à l'autorité fiscale d'établir les faits qui justifient l'assujettissement et qui augmentent la taxation. Le contribuable doit quant à lui prouver les faits qui diminuent la dette fiscale ou la suppriment (ATF 140 II 248 consid. 3.5). C'est partant au contribuable qui fait valoir une dépense d'apporter la preuve de son existence, ainsi que celle de sa justification commerciale (notamment arrêts du Tribunal fédéral 2C _149/2022 du 13 octobre 2022 consid. 5.2 ; 2C_484/2019 du 6 novembre 2019 consid. 7.2 et 2C_760/2017 du 15 juin 2018 consid. 7.1). Une fois qu'un fait est tenu pour établi, la question du fardeau de la preuve ne se pose plus (ATF 137 III 226 consid. 4.3 ; aussi arrêts du Tribunal fédéral 2C_11/2018 du 10 décembre 2018 consid. 6.2 ; 2C_674/2015 du 26 octobre 2017 consid. 7.4 ; 2C_445/2015 du 26 août 2016 consid. 7.1).
3.5 En l’espèce, la contribuable conteste que la pergola soit une dépense d’investissement. Il s’agit selon elle de frais d’entretien. Celle-ci n’a toutefois pas formé recours auprès de la chambre administrative contre le jugement du TAPI et, la procédure administrative ne connaissant pas l’institution du recours joint (ATA/622/2024 du 21 mai 2024 consid. 5 ; ATA/437/2023 du 25 avril 2023 consid. 2 ; ATA/463/2020 du 7 mai 2020 consid. 7), le jugement est entré en force sur ce point. Il sera constaté à toutes fins utiles que le raisonnement du TAPI ne prête pas le flanc à la critique sur ce point. La pergola est une construction nouvelle, qui remplace des aménagements extérieurs (parasols et toiles de tente) afin de protéger les clients en cas d’orage ou de pluie. Il ne s’agit pas de frais visant à pallier à la détérioration naturelle ou à l’usure d’un bien préexistant. En tant qu’ils visent l’amélioration de l’immeuble, ces coûts représentent des dépenses d’investissement immobilier et donc des frais d’acquisition, de production ou d’amélioration d’éléments de fortune commerciale, non déductibles.
4. Le litige porte sur le point de savoir si c’est à juste titre que le TAPI a retenu que l’AFC-GE n’aurait pas dû ajouter CHF 54'582.- à la valeur des actifs commerciaux de la contribuable, considérant ces derniers comme un investissement à activer. Selon l’AFC-GE, l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_1166/2016 précité n’a pas été interprété correctement par le TAPI. La contribuable estime pour sa part que l’activation de cette dépense d’investissement l’empêche d’amortir celle-ci et la pénalise doublement.
4.1 Selon l’art. 58 al. 1 let. a LIFD, relatif aux personnes morales mais applicable par analogie aux contribuables tenant une comptabilité en bonne et due forme (art. 18 al. 3 LIFD), le bénéfice imposable comprend le solde du compte de résultats, compte tenu du solde reporté de l’exercice précédent, et tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial avant le calcul du solde du compte de résultat qui ne servent pas à couvrir les dépenses justifiées par l’usage commercial, tels que les frais d’acquisition, de production ou d’amélioration d’actifs immobilisés (art. 58 al. 1 let. b premier tiret LIFD).
Cette disposition énonce le principe de l'autorité du bilan commercial (ou principe de déterminance), selon lequel les comptes, et notamment le compte de résultats, établis conformément aux règles du droit commercial (ou comptable) lient les autorités fiscales à moins que le droit fiscal ne prévoie des règles correctrices particulières (ATF 137 II 353 consid. 6.2). L'autorité du bilan commercial tombe en revanche lorsque des normes impératives du droit commercial sont violées ou que des normes fiscales correctrices l'exigent (ATF 141 II 83 consid. 3 ; 137 II 353 consid. 6.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_484/2019 du 6 novembre 2019 consid. 7.1 ; 2C_443/2017 du 15 janvier 2018 consid. 6.3). Le principe d'autorité du bilan lie non seulement l'autorité fiscale, mais également le contribuable
lui-même, qui est tenu par sa comptabilité (autorité formelle du droit comptable ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_455/2017 du 17 septembre 2018 consid. 6.1 et la référence citée ; Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 5e éd., 2021, pp. 260 à 262).
Aux termes de l'art. 12 al. 1 let. a LIPM, applicable également aux contribuables tenant une comptabilité en bonne et due forme, est considéré comme bénéfice net imposable le bénéfice net tel qu'il résulte du compte de profits et pertes. L'art. 12 al. 1 let. a LIPM correspond à l'art. 58 al. 1 let. a LIFD, de sorte que l'interprétation donnée par la jurisprudence en relation avec la LIFD est aussi applicable en matière d'ICC (arrêt du Tribunal fédéral 2C_687/2018 du 15 février 2019 consid. 4.2). Sont également considérées comme bénéfice net imposable, les sommes qui sont prélevées, avant le calcul du bénéfice net, sur les résultats de l’exercice, pour couvrir des dépenses qui ne peuvent pas être considérées comme des frais d’exploitation, telles que des dépenses pour l’acquisition, la production ou l’amélioration d’actifs immobilisés (art. 12 al. 1 let. d LIPM).
Suivant l’art. 58 al. 1 let. b LIFD, les charges de l’entreprise doivent être réintégrées au bénéfice imposable lorsqu’elles ne servent pas à couvrir des « dépenses justifiées par l’usage commercial ». Cette reprise peut intervenir en raison d’une violation du droit commercial ou encore pour assurer la périodicité de l’impôt. Contrairement à ce qui prévaut en présence d’une distribution dissimulée de bénéfice, la reprise n’est pas liée à un appauvrissement de la société. En effet, une charge non justifiée a uniquement pour conséquence de créer une réserve latente qui réduit le résultat de la société (Robert DANON in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], op. cit., n. 129 ad art. 57,58)
Le droit comptable prévoit l’obligation d’activer les dépenses liées à des frais d’acquisition, de production ou d’amélioration d’actifs immobilisés (Robert DANON in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], op. cit., n. 131 ad art. 57,58). Celles-ci ne peuvent être enregistrées dans le compte de résultats. En disposant que ces frais doivent être réintégrés au bénéfice imposable, ce premier tiret rappelle uniquement l’exigence de conformité au droit commercial. Cette norme n’a pas de portée propre (Robert DANON in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], op. cit., 2e éd., 2017, Impôt fédéral direct, n. 131 ad art. 57,58).
Le droit commercial fixe des valeurs maximales pour l'évaluation des actifs (art. 960a ss de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le CC - CO, Code des obligations - RS 220) et que la doctrine économique est à la recherche des valeurs « justes », alors que d'un point de vue fiscal, on privilégie des valeurs minimales (limites inférieures d'évaluation) (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1155/2014 du 1er février 2016 consid. 3.3.1). Celles-ci résultent du fait que les amortissements sur la fortune commerciale ne sont admis fiscalement que s'ils sont également justifiés par l'usage commercial (dans le domaine de l'activité lucrative indépendante : art. 27 al. 2 let. a LIFD). La limitation légale des amortissements découle directement du principe de droit fiscal de la proportionnalité (art. 127 al. 2 Cst.). L'impôt sur le revenu ou le bénéfice doit se baser sur les gains périodiques effectivement réalisés. À cet égard, les autorités fiscales doivent intervenir d'office (art. 130 al. 2 LIFD) lorsque la valeur réelle d'un actif de la fortune commerciale dépasse la valeur maximale admissible en droit commercial ou est au contraire inférieure à la valeur minimale autorisée en droit fiscal.
La question de l’activation au bilan est réglée par l’art. 959 al. 2 CO, qui prévoit que l’actif comprend les éléments du patrimoine dont l’entreprise peut disposer en raison d’événements passés, dont elle attend un flux d’avantages économiques et dont la valeur peut être estimée avec un degré de fiabilité suffisant. Aucun autre élément du patrimoine ne peut être porté au bilan. L’actif circulant comprend la trésorerie et les actifs qui seront vraisemblablement réalisés au cours des douze mois suivant la date du bilan, dans le cycle normal des affaires ou d’une autre manière. Tous les autres actifs sont classés dans l’actif immobilisé (art. 959 al. 3 CO).
4.2 Dans un arrêt 2C_1166/2016 traduit in RDAF 2018 II 156 qui concernait la différence entre des frais d’entretien et des frais d’amélioration et dans quelle mesure des frais de remise en état étaient déductibles, le Tribunal fédéral a rappelé sa jurisprudence relative aux frais conduisant à une amélioration de l’immeuble concernant les immeubles privés, ces frais devant être distinguées des frais d’entretien (consid. 2.3). Il a ensuite analysé en détail la position du Tribunal administratif thurgovien, cité par la recourante, qui retenait que les dépenses engagées en vue d’augmenter la valeur d’un immeuble dans la fortune commerciale (dépenses de plus-value) ou d’améliorer sensiblement leur état de manière durable (frais de remise en état) ne devaient pas être mis à charge de la période commerciale courante mais activés au bilan. Le Tribunal fédéral a rappelé que cet arrêt et un auteur de doctrine postulaient à tort l’obligation d’activer les frais de remise en état pour les indépendants ayant procédé à un amortissement de la valeur comptable. Ce point de vue était, selon le Tribunal fédéral, contraire à la conception prévue par la loi pour la déduction des frais immobiliers : les contribuables exerçant une activité lucrative indépendante pouvaient déduire les frais qui étaient justifiés par l’usage commercial ou professionnel (art. 27 al. 1 LIFD). N’étaient pas déductibles du revenu, selon la lettre de l’art. 34 let. d LIFD, qui s’appliquait de la même manière aux personnes privées et aux professionnels, les frais d’acquisition, de production ou d’amélioration d’éléments de fortune. Pour les personnes morales, l’art. 58 al. 1 let. b tiret 1 LIFD prévoyait, de la même manière, que les frais d’acquisition, de production ou d’amélioration d’actifs immobilisé devaient être ajoutés au solde du compte de résultat pour faire partie du bénéfice net imposable (consid. 4.2).
Dans un arrêt rendu par la Cour fiscale du canton de Fribourg, celle-ci, après avoir passé en revue les principes liés à la distinction entre frais d’entretien et frais d’investissement immobilier pour des immeubles faisant partie de la fortune commerciale, a rappelé qu’en droit fiscal, il existait une obligation d’activer les dépenses apportant une plus-value durable, obligation qui découlait de l’art. 34 let. d LIFD. Elle est arrivée à la conclusion qu’une partie des frais dont le contribuable fribourgeois demandait la déduction ne servait pas au simple maintien des possibilités d’utilisation de l’immeuble mais visait à son amélioration et étaient donc des frais d’acquisition d’éléments de la fortune commerciale, qui n’étaient pas déductibles et devaient être activés. L’autorité intimée était donc fondée à opérer une reprise sur les frais d’entretien comptabilisés (arrêt de la Cour fiscale du Tribunal cantonal de Fribourg 604 2016 30 et 604 2016 31 du 25 août 2017 consid. 3b).
4.3 En l’occurrence, contrairement à ce qu’a retenu le TAPI, le Tribunal fédéral ne s’est pas prononcé, dans l’arrêt précité, sur la question de l’activation ou non d’une dépense d’investissement, mais bien sur la distinction à opérer entre frais d’entretien et frais d’amélioration des immeubles commerciaux et dans quelle mesure certains frais de remise en état pouvaient malgré tout être déductibles et non activés.
L’AFC-GE explique, sans être contredite par la contribuable, que l’activation des frais de construction querellés permettra à cette dernière d’amortir la construction de la pergola sur plusieurs exercices fiscaux. Si, certes, l’activation au bilan de la dépense d’investissement querellée influence à la hausse l’impôt sur la fortune au moment de son ajout en 2022, elle engendre ensuite la possibilité de comptabiliser des amortissements justifiés par l’usage commercial pour les exercices fiscaux subséquents. En omettant de prendre en compte cet actif commercial dans le bilan, la contribuable ne pourrait ensuite pas procéder à l’amortissement de la pergola. Enfin, la doctrine et la jurisprudence confirment que des frais d’amélioration de la fortune, non déductibles, augmentent la valeur de l’immeuble et doivent donc être activés.
Ce raisonnement doit être confirmé. L’arrêt du Tribunal fédéral cité par le TAPI n’implique pas que les frais d’acquisition, de production ou d’amélioration ne puissent pas être activés et la contribuable n’apporte aucun élément à cet égard permettant d’aboutir à une autre conclusion. Il sera au surplus rappelé que le fait d’activer ces dépenses, quoi qu’en pense la contribuable, lui permettra justement d’amortir celles-ci, dès lors qu’il s’agit d’un investissement servant à améliorer cet actif, ce que confirme d’ailleurs l’AFC-GE dans ses écritures. Comme mentionné supra, le droit comptable prévoit l’obligation d’activer les dépenses liées à des frais d’acquisition, de production ou d’amélioration d’actifs immobilisés, comme en l’espèce.
Ainsi, le raisonnement du TAPI, qui a retenu que l’activation par l’AFC-GE des dépenses d’investissement dans les comptes commerciaux de la contribuable était contraire à la jurisprudence, tout en considérant que les frais engagés pour la construction de la pergola n’étaient pas des charges déductibles, ne peut être confirmé.
Partant, le recours de l’AFC-GE doit être admis. Le jugement querellé sera annulé en tant qu’il retient que l’AFC-GE a, à tort, ajouté CHF 54'582.- à la valeur des actifs commerciaux de la contribuable et en tant qu’il annule les décisions sur réclamation du 31 août 2023 et les bordereaux notifiés à la contribuable le 19 juillet 2023. Ces derniers seront rétablis. Pour le surplus, le jugement du TAPI sera confirmé.
5. Vu l’issue du litige, un émolument de procédure de CHF 700.- sera mis à la charge de la contribuable, celle-ci ayant conclu au rejet du recours (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée, l’autorité recourante ayant recouru dans son propre intérêt et disposant d’un service juridique (art. 87 al. 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 9 octobre 2024 par l’administration fiscale cantonale contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 9 septembre 2024 ;
au fond :
l’admet ;
annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 9 septembre 2024 en tant qu’il retient que l’AFC-GE a ajouté, à tort, CHF 54'582.- à la valeur des actifs commerciaux de la contribuable et en tant qu’il annule les décisions sur réclamation du 31 août 2023 et les bordereaux de taxation du 19 juillet 2023 ;
rétablit les bordereaux de taxation du 19 juillet 2023 concernant l’ICC et l’IFD 2022 et les décisions sur réclamation du 31 août 2023 ;
le confirme pour le surplus ;
met à la charge de A______ un émolument de CHF 700.- ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à l’administration fiscale cantonale, à Me Romain JORDAN, avocat de l'intimée, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu’à l’administration fédérale des contributions.
Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Eleanor McGREGOR, Fabienne MICHON RIEBEN, juges.
Au nom de la chambre administrative :
le greffier-juriste :
M. MAZZA
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| le présidente siégeant :
J.-M. VERNIORY |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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