Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/522/2025 du 12.05.2025 ( FPUBL ) , IRRECEVABLE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/1280/2025-FPUBL ATA/522/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Décision du 12 mai 2025 |
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dans la cause
A______ demandeur
contre
DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE défendeur
A. a. A______, né le ______ 1969, a effectué de nombreux remplacements dans des établissements scolaires, entre septembre 1991 à juin 1998, puis après avoir été employé de l’B______ de Genève d’août 2005 à juillet 2012, à nouveau à partir d’août 2012, dans différents cycles d’orientation du canton de Genève, en particulier auprès du C______ et celui des D______.
b. Le 15 juin 2020, il a adressé un courrier à une élève, âgée de 15 ans, à qui il a proposé d’entretenir une relation épistolaire.
c. Dans un courrier du 16 juillet 2020, la direction générale de l’enseignement obligatoire (ci-après : DGEO) a informé A______ que le fait d’écrire à une élève, de lui transmettre son adresse privée, son adresse électronique, son numéro de téléphone portable, son compte E______ et de lui proposer une correspondance allait à l’encontre de l’attitude exigée des enseignants et dénotait qu’il n’avait pas su garder la distance adéquate et le positionnement attendu dans le cadre de son remplacement. À la suite de l’entretien qu’il avait eu avec le directeur, A______ lui avait adressé une longue lettre expliquant son action, qu’il avait qualifiée de « naïve », qu’il avait commis « une erreur de jugement » qu’il regrettait et qui lui servirait d’avertissement.
Toutefois, la DGEO l’informait qu’au vu des faits, il ne serait plus fait appel à lui pour des remplacements dans l’enseignement secondaire I. Il pouvait faire valoir ses observations dans un délai de dix jours.
d. À la suite des observations faites par A______, dans lesquelles il a indiqué assumer le contenu de son courrier à l’élève et regretter l’effet inattendu qu’il avait eu sur elle, qui avait une fragilité qu’il ne soupçonnait pas, et qu’il avait manqué de chance, une autre élève ayant probablement mieux réagi, la direction des ressources humaines du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : DIP) a maintenu sa position, dans un courrier du 28 juillet 2020. L’enseignant avait manqué à son obligation de maintenir une distance adéquate, même avec une future ex-élève. Tant le contenu du courrier à celle-ci que les observations de l’enseignant allaient à l’encontre du comportement attendu de sa part.
Contrairement à ce qu’il souhaitait, le DIP ne pouvait lui infliger une sanction, la réglementation applicable aux remplaçants ne la prévoyant pas.
Le contrat de remplaçant relevait du droit privé. Il commençait lorsque le remplaçant acceptait une mission et se terminait à l’échéance de cette mission. Le remplaçant ne faisait pas partie du personnel permanent de l’État de Genève. En cas d’insatisfaction, le DIP renonçait à proposer une nouvelle mission. Le contrat de A______ s’était terminé le 26 juin 2020 et, faisant application de sa liberté contractuelle, la DGEO l’avait informé qu’il ne serait plus fait appel à ses services en qualité de remplaçant. Le DIP ne pouvait que confirmer ce choix.
e. À la suite d’un nouveau courrier de A______ du 3 août 2020, d’un entretien à la DGEO le 28 octobre 2020 et d’un nouveau courrier de l’intéressé le 20 septembre 2021, la conseillère d’État en charge du DIP lui a confirmé, par courrier du 7 octobre 2021, qu’il ne serait plus fait appel à ses services en qualité de remplaçant. Elle précisait qu’il s’agissait de l’ultime communication du DIP qu’il recevrait à ce sujet.
B. a. Par acte déposé le 10 avril 2025 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a formé une demande « d’indemnisation pour tort moral subi et récupération de [s]on autorisation à remplacer au DIP ».
Il avait travaillé pour le DIP pendant une quinzaine d’années, toujours à la satisfaction de son employeur. En 2020, son autorisation d’effectuer des remplacements lui avait été retirée. Il avait été confronté à deux hauts fonctionnaires « technocrates », qui avaient décidé de le « détruire professionnellement ». Au bénéfice d’une longue expérience d’enseignant mais sans le diplôme d’enseignement, il lui était impossible de retrouver un emploi. Après deux ans de recherches infructueuses de travail, des difficultés personnelles et du travail temporaire très mal payé, il était contraint d’entamer ses économies et la succession laissée par ses parents, afin de subvenir à ses besoins et ceux de ses deux enfants, dont il assumait la garde alternée.
Le manque à gagner subi depuis 2020 et qu’il risquait de subir jusqu’à sa retraite était de l’ordre d’un million de francs. Il n’avait commis aucune faute. Son courrier à l’élève avait été respectueux. Sa suspension en 2020 n’était pas fondée. Le DIP n’avait jamais répondu en détail à son courrier du 3 août 2020, avait omis de procéder à un avertissement, de tenir compte de ses excellents antécédents et de la situation désastreuse dans laquelle la décision le plaçait.
Des tiers, y compris des enseignants à qui il avait montré la lettre litigieuse, lui avaient confirmé l’« innocuité » de celle-ci. La jeune femme n’avait pas été traumatisée et pu poursuivre sa formation. Elle n’était pas victime. C’était lui la victime ainsi que ses deux enfants, dont le père avait eu trop de soucis en raison de cette affaire. Ses recours administratifs n’ayant pas abouti par la faute de deux hauts fonctionnaires procéduriers, il avait fait appel au bon sens de la conseillère d’État, qui, peu intéressée, avait confirmé la décision inique de ses hauts fonctionnaires.
Il faisait manifestement l’objet d’une vague de stigmatisation des hommes de plus de 50 ans. Il en voulait pour preuve un article d’un quotidien local dénonçant le climat délétère au DIP. Il citait des exemples d’autres enseignants, qui avaient commis des faits graves, mais été déplacés au sein du DIP, certains percevant un salaire important, alors qu’il avait été empêché d’effectuer des remplacements au prétexte d’une lettre inoffensive. Il était stupéfait de constater que le directeur du collège dans lequel il avait fait le remplacement non-renouvelé avait fait l’objet de reproches de remarques homophobes, de propos à caractère sexuel et de diffusion d’une vidéo inopportune, mais avait uniquement été déplacé dans un autre collège, puis nommé adjoint scientifique au sein du DIP. Il n’était pas étonnant que ce directeur ne l’ait pas soutenu, puisqu’il était couvert par sa propre hiérarchie.
Son courrier du 11 mars 2021 audit directeur était demeuré sans réponse. Il devinait sur instruction de quelle personne celui-ci avait agi. La situation avait des conséquences psychiques et familiales très importantes. Il y avait « deux poids deux mesures », certains enseignants restants impunis pour des actes graves, alors que lui-même était sévèrement puni pour une simple lettre, quand bien même il n’avait jamais été averti et n’avait pas d’antécédents disciplinaires.
Il avait toujours fait preuve de sens civique, en défendant par exemple une femme inconnue dans la rue, une footballeuse dans un bus, une élève de 13 ans qui se faisait harceler à l’extérieur du collège par un jeune homme de 17 ans ou encore en éteignant deux débuts d’incendie. Il était ainsi dans l’intérêt des élèves et celui de leur sécurité qu’il se trouve dans un cycle d’orientation.
L’heure était venue de mettre un terme à cette sanction arbitraire qui durait depuis cinq ans et qui n’avait jamais été examinée par un tribunal. S’il avait été titulaire, il aurait juste été averti ou blâmé. Le traitement qui lui avait été réservé consacrait une inégalité de traitement avec les enseignants « titulaires ».
Il pourrait demander des montants importants à titre d’indemnité pour les torts moraux subis et les pertes de revenus et de cotisation au second pilier. À titre de conciliation, il limitait ses prétentions à CHF 30'000.-. Il renonçait à réclamer l’intégralité de l’indemnisation qui lui revenait si la chambre administrative « poussait » le DIP à rétablir son autorisation d’effectuer des remplacements pour la rentrée scolaire 2025 ou avec effet immédiat, avec l’assurance qu’il ne serait pas « blacklisté » sur la liste des remplaçants.
Il retirait de cette affaire « ubuesque » qu’il n’était plus possible d’écrire une lettre anodine et respectueuse à une jeune femme quittant la scolarité obligatoire.
b. Le DIP n’a pas été invité à déposer des observations.
c. Les parties ont été informées le 16 avril 2025 que la cause était gardée à juger.
1. Le demandeur sollicite des dommages et intérêts qu’il dit accepter de limiter à CHF 30'000.-, à condition d’être à nouveau engagé par le DIP pour des remplacements.
1.1 Selon l’art. 132 al. 2 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), le recours à la chambre administrative est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des art. 4, 4A, 5, 6 al. 1 let. a et e et 57 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10). Sont réservées les exceptions prévues par la loi. L’art. 132 al. 6 LOJ prévoit que le recours à la chambre administrative est ouvert dans d’autres cas lorsque la loi le prévoit expressément.
1.2 Sont considérées comme des décisions au sens de l’art. 4 al. 1 LPA les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal, communal et ayant pour objet : a) de créer, de modifier ou d’annuler des droits ou des obligations ; b) de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits ; c) de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations.
1.3 Le recours contre une décision finale doit être formé dans le délai de 30 jours (art. 62 al. 1 let. a LPA).
1.4 Selon l’art. 2 al. 1 de la loi sur la responsabilité de l'Etat et des communes du 24 février 1989 (LREC - A 2 40), l’État de Genève et les communes du canton sont tenus de réparer le dommage résultant pour des tiers d’actes illicites commis soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence par leurs fonctionnaires ou agents dans l’accomplissement de leur travail.
Les prétentions en dommages et intérêts contre l’État relèvent de la compétence du Tribunal civil de première instance conformément à l’art. 7 al. 1 LREC (ATA/202/2024 du 13 février 2024 consid. 4 ; ATA/211/2023 du 7 mars 2023 consid. 8e ; ATA/1148/2019 du 19 juillet 2019 consid. 2a et les arrêts cités).
1.5 En l’espèce, l’acte formé devant la chambre administrative est une demande et non un recours. L’intéressé ne fait, en effet, pas valoir qu’il souhaite recourir contre une décision le concernant, mais dit agir en vue d’obtenir réparation du dommage subi, conditionnant le montant de celui-ci à l’accord du DIP de le réengager rapidement comme remplaçant.
Or, la chambre administrative n’est pas compétente pour se prononcer sur la demande en dommages et intérêts formée par A______. Celle-ci relève de la compétence du Tribunal civil de première instance. La chambre administrative ne peut donc pas entrer en matière sur les prétentions en dommages et intérêts.
Il est encore relevé qu’elle n’est pas non plus compétente pour inscrire l’intéressé sur la liste des remplaçants ni pour l’engager, cette prérogative relevant de la compétence de la DGEO (art. 152 du règlement fixant le statut des membres du corps enseignant primaire, secondaire et tertiaire ne relevant pas des hautes écoles du 12 juin 2002 – RstCE - B 5 10.04).
Au vu de ce qui précède, la demande est manifestement irrecevable, ce que la chambre administrative peut constater sans échange d’écritures (art. 72 LPA).
2. Vu l’issue du litige, un émolument, réduit, de CHF 200.- sera mis à la charge du demandeur et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 LPA).
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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
déclare irrecevable la demande formée le 10 avril 2025 par A______ contre le du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse ;
met un émolument de CHF 200.- à la charge de A______ ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;
- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;
- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;
- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;
le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique la présente décision à A______ ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière :
N. DESCHAMPS
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| la juge déléguée :
F. KRAUSKOPF |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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