Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/63/2025 du 14.01.2025 ( FORMA ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/3547/2024-FORMA ATA/63/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 14 janvier 2025 2ème section |
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dans la cause
A______ recourant
contre
UNIVERSITÉ DE GENÈVE intimée
A. a. A______ a suivi les cours du bachelor en mathématiques au sein de la faculté des sciences de l’Université de Genève durant l’année académique 2021‑2022.
b. Sa demande d’aménagement des conditions d’examen a été rejetée par la commission d’évaluation des aménagements pour les besoins particuliers (ci‑après : CEBP) le 12 avril 2022.
c. N’ayant pas obtenu les 20 crédits ETCS requis après deux semestres, l’étudiant a été éliminé du bachelor en mathématiques.
d. La demande de changement de formation en vue d’intégrer, pour l’année académique 2022-2023, le bachelor en sciences de la Terre a été admise, à condition de valider tous les examens de première année en deux semestres, sans redoublement possible.
e. N’ayant pas validé tous les examens dans le délai fixé, A______ a été éliminé du bachelor en sciences de la Terre.
f. Par décision sur opposition du 2 novembre 2023, la Doyenne de la faculté des sciences a autorisé A______ à réintégrer le cursus de bachelor en sciences de la Terre. Ainsi, était accordée une tentative supplémentaire pour les branches Mathématiques générales – automne, Mathématiques générales – statistiques, Chimie générale et Introduction à la chimie organique. Il s’agissait d’une seule tentative dérogatoire et non d’un redoublement.
Dans son opposition, l’étudiant avait fait valoir que son état mental ne l’avait pas rendu apte à suivre une formation universitaire. Il était à la recherche d’un psychologue ou psychiatre.
g. L’étudiant a échoué aux examens de mai-juin 2024 et, ainsi, été éliminé du cursus en question par décision du 12 juillet 2024.
h. Dans son opposition, il a fait valoir que trois traitements contre les punaises de lit avaient eu lieu dans son logement durant l’année académique et que sa mère avait dû être hospitalisée du 24 au 28 mars 2024 en raison d’une grave crise d’épilepsie. Ces événements, outre leur impact psychologique sur lui, avaient induit une charge de travail l’empêchant de se concentrer sur ses études.
i. Par décision du 26 septembre 2024, la Doyenne a rejeté l’opposition.
B. a. Par acte déposé le 25 octobre 2024 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre cette décision.
Il vivait, au bénéfice de l’aide de l’Hospice général, avec sa mère, victime d’un AVC il y a deux ans, et son frère. Il était responsable d’une grande partie du travail domestique et administratif. Ils avaient dû quitter leur domicile en raison d’une infection aux punaises de lit à l’automne 2023. C’était le cumul de ces facteurs qui constituait une situation exceptionnelle. Il allait produire un certificat médical attestant du lien de causalité entre ces événements et leurs effets.
Il a annexé, notamment, un courrier de la régie en charge de l’immeuble dans lequel il habite indiquant que trois traitements contre les punaises de lit avaient eu lieu les 20 et 29 septembre ainsi que le 6 octobre 2023 ayant nécessité de quitter les lieux chaque fois pendant quatre heures.
b. Le recourant a produit un certificat médical, daté du 6 novembre 2024, portant le timbre humide du Docteur B______, médecin interne, indiquant qu’en tant que psychiatre, il certifiait avoir évalué l’état psychiatrique de A______ entre février 2023 et juin 2024. Afin d’évaluer cet état, il allait essayer de retracer les événements majeurs qui s’étaient produits depuis février 2023. Il a ensuite décrit le contexte familial de son patient. À la suite de l’AVC hémorragique de sa mère, ce dernier s’était trouvé dans un état de fatigabilité psychique et physique. Il ne pouvait compter sur l’aide de son frère, qui souffrait d’un trouble bipolaire, personnalité de type borderline I et TDAH. « Avec ses responsabilités scolaires, c’était encore plus difficile à [sic] faire face aux multiples tâches de la vie quotidienne ». Le praticien estimait qu’à compter de septembre 2023, son patient présentait un « burn out ».
c. L’Université a conclu au rejet du recours.
d. Dans sa réplique, le recourant a souligné le fait qu’il avait dû faire face à des difficultés survenues de manière concomitante. Si l’Université éprouvait des doutes relatifs au certificat médical produit, elle aurait dû mettre en œuvre son médecin conseil. Le « burn out » était une maladie, qui par définition ne pouvait être diagnostiquée qu’après les faits. Il n’avait pas obtenu d’aménagement des conditions d’examen en raison de l’absence de documents médicaux. Ceux-ci n’étant pas remboursés, il n’avait pas eu les moyens de les obtenir.
Il a produit l’attestation d’aide financière de l’Hospice général, la décision d’octroi à sa mère par l’assurance-invalidité d’outils informatiques en 2018 et le projet de juillet 2024 d’octroi d’une rente d’invalidité entière en faveur de sa mère.
e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10 ; art. 43 al. 2 de la loi sur l’Université du 13 juin 2008 - LU - C 1 30 ; art. 91 al. 1 du statut de l'université).
2. La décision querellée a pour objet l’élimination du recourant du bachelor en sciences de la Terre à la suite de son échec aux examens après deux semestres.
Elle ne concerne pas sa demande d’aménagement des conditions d’examen, l’étudiant n’ayant pas recouru contre la décision de la CEBP du 12 avril 2022 ni requis une telle aide pour les examens auxquels il s’est présenté après les deux premiers semestres du bachelor en sciences de la Terre. La chambre de céans n’examinera donc pas ces points.
3. Il n’est pas contesté que le recourant ne remplit pas les conditions de réussite de première année de bachelor en sciences de la Terre, qui ont entraîné son élimination.
Est en revanche litigieuse la question de savoir s’il remplit les conditions restrictives permettant d’admettre qu’il se trouvait lors des examens de l’année académique 2023-2024 dans une situation exceptionnelle justifiant de déroger aux conditions permettant de se présenter à nouveau aux examens.
3.1 L'art. 58 al. 4 du statut prévoit la prise en compte des situations exceptionnelles lors d'une décision d'élimination.
3.2 Selon la jurisprudence, l'admission d'une situation exceptionnelle au sens de cette disposition doit se faire avec restriction. Il en va de l'égalité de traitement entre tous les étudiants s'agissant du nombre de tentatives qu'ils sont autorisés à effectuer pour réussir leurs examens. N'est ainsi exceptionnelle que la situation particulièrement grave et difficile pour l'étudiant, ce tant d'un point de vue subjectif qu'objectif. Les effets perturbateurs doivent avoir été dûment prouvés par l'étudiant et être en lien de causalité avec l'événement. Les autorités facultaires disposent dans ce cadre d'un large pouvoir d'appréciation, dont l'autorité de recours ne censure que l'abus. La chambre de céans n'annule donc le prononcé attaqué que si l'autorité intimée s'est laissée guider par des motifs sans rapport avec l'examen ou d'une autre manière manifestement insoutenable (ATF 136 I 229 consid. 6.2 ; ATA/768/2024 du 25 juin 2024 consid. 3 ; ATA/185/2023 du 28 février 2023 consid. 4.1 ; ATA/128/2023 du 7 février 2023 consid. 2.2).
3.3 Ont été considérées comme des situations exceptionnelles le décès d'un proche s'il est établi qu'il a causé un effet perturbateur en lien de causalité avec l'échec de l'étudiant, de graves problèmes de santé ou encore l'éclatement d'une guerre civile avec de très graves répercussions sur la famille de l'étudiant. En revanche, des difficultés financières, économiques ou familiales ainsi que l'obligation d'exercer une activité lucrative en sus des études ne constituent pas des circonstances exceptionnelles, même si elles représentent une contrainte. Ces difficultés sont certes regrettables, mais font partie d'une réalité commune à de très nombreux étudiants (ATA/768/2024 précité consid. 3.6 ; ATA/185/2023 précité consid. 4.1 ; ATA/128/2023 précité consid. 2.2.1 ; ATA/250/2020 du 3 mars 2020 consid. 4b).
3.4 Les candidats qui ne se sentent pas aptes, pour des raisons de santé, à se présenter à un examen doivent l'annoncer avant le début de celui-ci. À défaut, l'étudiant accepte le risque de se présenter dans un état déficient qui ne peut justifier par la suite l'annulation des résultats obtenus. Un motif d'empêchement ne peut, en principe, être invoqué par le candidat qu'avant ou pendant l'examen (ATA/768/2024 précité consid. 3.4 ; ATA/185/2023 précité consid. 4.2 ; ATA/128/2023 précité consid. 2.2.2 ; ATA/250/2020 précité consid. 4c).
3.5 Des exceptions au principe évoqué ci-dessus permettant de prendre en compte un certificat médical présenté après que l'examen a été passé ne peuvent être admises que si cinq conditions sont cumulativement remplies : la maladie n'apparaît qu'au moment de l'examen, sans qu'il ait été constaté de symptômes auparavant, le candidat à l'examen acceptant, dans le cas contraire, un risque de se présenter dans un état déficient, ce qui ne saurait justifier après coup l'annulation des résultats d'examens ; aucun symptôme n'est visible durant l'examen ; le candidat consulte un médecin immédiatement après l'examen ; le médecin constate immédiatement une maladie grave et soudaine qui, malgré l'absence de symptômes visibles, permet à l'évidence de conclure à l'existence d'un rapport de causalité avec l'échec à l'examen ; l'échec doit avoir une influence sur la réussite ou non de la session d'examens dans son ensemble (ATA/768/2024 précité consid. 3.5 ; ATA/128/2023 précité consid. 2.2.2 et les références citées).
4. En l’espèce, le recourant se prévaut de son état psychique, des problèmes de santé de sa mère et de l’infestation de punaises de lit.
Il établit par pièce que sa mère est atteinte dans sa santé, une rente d’invalidité entière lui ayant d’ailleurs été accordée. Il n’y a pas de raison de douter du fait que son logement avait été infesté de punaises de lit à l’automne 2023.
L’attestation médicale produite expose que le médecin a évalué l’état de santé du recourant en retraçant les événements majeurs dont celui-ci avait fait état, à savoir sa situation familiale, l’état de santé de sa mère et de son frère ainsi que l’infestation de punaises de lit, pour en déduire qu’il souffrait dès septembre 2023 d’un « burn out ». Ce document ne fait pas état d’un suivi médical. Il ne retient pas non plus l’existence d’un lien de causalité entre l’état de santé du recourant et son échec aux examens durant l’année académique en cause. L’attestation ne constate pas non plus que le recourant n’aurait pas eu le discernement nécessaire pour renoncer à participer aux examens en raison d’un problème de santé. Au contraire, le recourant avait déjà dans son opposition à la première décision d’élimination, en novembre 2022, fait état de son état de santé psychique. Il se savait donc affaibli, mais a néanmoins choisi de se présenter aux examens tout au long de l’année académique 2023-2024. Partant, les conditions permettant de prendre en compte un certificat médical établi plusieurs mois après les examens ne sont pas remplies.
Ainsi, bien que la chambre de céans n'entende pas minimiser les difficultés auxquelles le recourant a dû faire face durant l’année académique passée, il ne peut être considéré que les éléments qui précèdent, même cumulés, constituent des circonstances exceptionnelles au sens de l’art. 58 al. 4 statut. En effet, celles-ci n’atteignent pas un degré de gravité, subjectif et objectif, susceptible d’avoir un effet perturbateur en lien de causalité avec l'échec de l'étudiant.
Par conséquent, l’autorité intimée n’a pas violé le droit ni abusé de son large pouvoir d’appréciation en retenant que la situation du recourant ne remplissait pas la condition d’une situation exceptionnelle au sens de l’art. 58 al. 4 du statut.
Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.
5. Malgré l'issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge du recourant, bénéficiaire de l’Hospice général dispensé des taxes universitaires (art. 11 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée, le recourant succombant (art. 87 al. 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 25 octobre 2024 par A______ contre la décision de l’Université de Genève du 26 septembre 2024 ;
au fond :
le rejette ;
dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;
- par la voie du recours en matière de droit public ;
- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, s'il porte sur le résultat d'examens ou d'autres évaluations des capacités, en matière de scolarité obligatoire, de formation ultérieure ou d'exercice d'une profession (art. 83 let. t LTF) ;
le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à l'Université de Genève.
Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges
Au nom de la chambre administrative :
le greffier-juriste :
J. PASTEUR
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| la présidente siégeant :
F. KRAUSKOPF |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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