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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1749/2024

ATA/742/2024 du 18.06.2024 ( AIDSO ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1749/2024-AIDSO ATA/742/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 juin 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Christine RAPTIS, avocate

contre

HOSPICE GÉNÉRAL intimé



EN FAIT

A. a. Par décision du 6 février 2024, l’unité « aide aux migrants - accueil Ukraine » de l’Hospice général (ci-après : l’hospice) a refusé à A______ la prise en charge des frais de formation à l’IFAGE et de la facture de la redevance SERAFE. Il n’est pas fait mention des voie et délai d’opposition.

b. A______ a formé opposition contre cette décision. Elle l’a adressée, par courriel, à plus de dix destinataires.

c. Par décision du 3 avril 2024, notifiée le 18 avril 2024, l’assistante sociale d’A______ auprès de l’hospice a fait suite à la réclamation et confirmé le contenu de la décision du 6 février 2024. Il n’est pas fait mention de voies de droit.

B. a. Par acte du 21 mai 2024, A______, sous la plume d’une avocate, a interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci‑après : la chambre administrative). Elle a conclu à l’annulation de la décision du 3 avril 2024 et cela fait, à ce qu’il soit dit que l’aide aux migrants, accueil Ukraine devait rembourser le montant de CHF 199.- au titre des cours de français qu’elle avait payés, procéder au remboursement de la facture de la redevance radiotélévision d’un montant de CHF 335.- et procéder à son inscription au cours de français à l’IFAGE.

b. Le 30 mai 2024, l’hospice a conclu à l’irrecevabilité du recours. C’était par erreur que la décision du 6 février 2024 n’avait pas mentionné de voies de droit. L’opposition du 11 février 2024 aurait dû être transmise à sa direction générale pour raisons de compétence, ce qui n’avait malheureusement pas été fait. La décision du 3 avril 2024 prononcée par l’assistante sociale n’avait pas été soumise au directeur général ni signée par ce dernier. Il ne pouvait être considéré qu’il s’agissait d’une décision sur opposition valable pouvant faire l’objet du recours. Il sollicitait le renvoi de la cause à son directeur général pour raisons de compétence.

c. Le 31 mai 2024, A______ a sollicité des mesures provisionnelles. L’hospice avait unilatéralement décidé de refuser de rembourser CHF 90.- de frais de cantine scolaire pour son enfant, atteint de troubles. Il devait être fait interdiction à l’hospice de réduire les prestations dont elle bénéficiait, plus particulièrement le montant alloué pour la cantine de son fils.

d. Interpellée sur la compétence de la chambre de céans, la recourante a considéré que le vice formel avait été réparé puisqu’elle avait pu recourir en temps voulu auprès de la chambre administrative. Elle avait scrupuleusement respecté les procédures et il aurait été choquant d’exiger d’une réfugiée de guerre, à l’époque non représentée, qui sollicitait l’assistance d’associations bénévoles, non professionnelles dans le domaine, de discerner l’incompétence de l’autorité avec laquelle elle était en interaction. Il était de surcroît inadmissible qu’elle subisse les conséquences de l’erreur de l’hospice. Elle endurait depuis des mois l’anxiété et subissait les affres de l’unité accueil Ukraine avec une atteinte flagrante à son minimum vital et des abus de droit caractérisés. « Nous sommes face à une décision émanant d’une autorité compétente contre laquelle le recours est parfaitement recevable, en dépit de la violation formelle et l’autorité, n’ayant pas décliné sa compétence, pire elle l’a admis, puisque la mise en demeure ainsi que l’opposition étaient toutes deux adressées notamment à contact@hospicegeneral.ch, mais également à plusieurs membres de la direction ». Cette dernière était en conséquence informée de la mise en demeure ainsi que de l’opposition et avait sciemment choisi de laisser l’unité accueil Ukraine en répondre. Il était inconcevable, sans verser dans un formalisme excessif et la mauvaise foi, qu’elle soit rendue responsable des répercussions liées à l’incompétence d’une autorité qui n’avait pas transmis l’opposition et avait choisi de répondre à l’en-tête de l’hospice.

Une éventuelle irrecevabilité du recours impliquerait que l’autorité avait commis un déni de justice en ignorant ses nombreuses requêtes, constituant en soi une violation ouvrant ainsi le droit de recours. Elle s’opposait au renvoi de la cause au directeur général compte tenu de la notification valable à sa direction.

e. Selon les pièces jointes, A______ a envoyé sa mise en demeure et son opposition à huit adresses dont certaines génériques à l’instar de sai@etat.ge.ch ; secrétariatdt@etat.ge.ch, service-admin.ce@etat.ge.ch., l’adresse précitée ainsi qu’à sept députés du Grand Conseil genevois.

f. Sur ce, la cause a été gardée à juger sur compétence.

EN DROIT

1.             La compétence des autorités est déterminée par la loi et ne peut être créée par accord entre les parties (art. 11 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10). La chambre administrative examine d’office sa compétence (art. 1 al. 2, art. 6 al. 1 let. c et art. 11 al. 2 LPA). Si elle décline sa compétence, elle transmet d’office l’affaire à l’autorité compétente et en avise les parties (art. 11 al. 3 LPA).

1.1 La compétence de la chambre administrative est réglée par l’art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05). Selon
l’art. 132 al. 1 LOJ, la chambre administrative est l’autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative, sous réserve des compétences de la chambre des assurances sociales et de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice.

1.2 Toute décision prise par l’hospice en application de la loi sur l’insertion et l’aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI - J 4 04) est écrite et motivée. Elle mentionne expressément dans quel délai, sous quelle forme et auprès de quelle autorité il peut être formé une opposition (art. 50 LIASI).

Les décisions peuvent faire l’objet d’une opposition écrite, adressée à la direction de l’hospice dans un délai de 30 jours à partir de leur notification. Les décisions sur opposition doivent être rendues dans un délai de 60 jours (al. 1). Elles sont écrites et motivées. Elles mentionnent le délai de recours et l’autorité auprès de laquelle il peut être formé recours (al. 2 ; art. 51 LIASI).

Les décisions sur opposition de la direction de l’hospice peuvent faire l’objet d’un recours à la chambre administrative dans un délai de 30 jours à partir de leur notification (art. 52).

1.3 L’opposition (ou réclamation) constitue un moyen de droit ordinaire qui a pour effet de contraindre l’autorité qui a rendu la décision attaquée à se prononcer à nouveau sur l’affaire (art. 50 al. 1 LPA ; Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2e éd., 2014, p. 435). L’opposition est pourvue d’un effet dévolutif complet ; la nouvelle décision que l’autorité prend au terme de la procédure d’opposition se substitue à la décision attaquée et est seule susceptible de recours (Benoît BOVAY, op. cit., p. 436). En droit genevois, la loi définit les cas où une réclamation (ou une opposition) doit être présentée avant que les juridictions administratives ne puissent être saisies par la voie d’un recours (art. 50 al. 3 LPA).

1.4 La nullité absolue d’une décision, qui peut être invoquée en tout temps devant toute autorité et doit être constatée d’office, ne frappe que les décisions affectées d’un vice qui doit non seulement être particulièrement grave, mais doit aussi être manifeste ou dans, tous les cas, clairement reconnaissable, et pour autant que la constatation de la nullité ne mette pas sérieusement en danger la sécurité du droit. Hormis dans les cas expressément prévus par la loi, il n’y a lieu d’admettre la nullité qu’à titre exceptionnel, lorsque les circonstances sont telles que le système d’annulabilité n’offre manifestement pas la protection nécessaire. Entrent principalement en ligne de compte comme motifs de nullité la violation grossière de règles de procédure ainsi que l’incompétence qualifiée (fonctionnelle ou matérielle) de l’autorité qui a rendu la décision ; en revanche, des vices de fond n’entraînent qu’à de rares exceptions la nullité d’une décision (ATF 145 III 436 consid. 4 et les arrêts cités; 137 I 273 consid. 3).   

La décision d’une autorité fonctionnellement et matériellement incompétente pour statuer est affectée d’un vice grave lorsqu’elle ne dispose d’aucun pouvoir décisionnel général dans le domaine concerné (ATF 137 III 217 consid. 2.4.3; 127 II 32 consid. 3g et les références citées). Tel est le cas lorsque ladite autorité se prononce dans une affaire qui ne tombe manifestement pas dans son domaine de compétence (arrêts du Tribunal fédéral 2C_573/2020 du 22 avril 2021 consid. 6.2 ; 2C_1031/2019 du 18 septembre 2020 consid. 2.1; 1C_447/2016 du 31 août 2017 consid. 3.4 et les arrêts cités).

1.5 En l’espèce, il n’est pas contesté que la décision du 6 février 2024 a été prise par l’hospice en application de la LIASI. C’est à juste titre que l’intéressée y a fait opposition (art. 50 LIASI). C’est toutefois à tort que cette dernière n’a pas été transmise à la direction de l’hospice pour raison de compétence en application de l’art. 51 al. 1 LIASI et qu’une décision a été prononcée par l’assistante sociale.

Le présent recours est dirigé contre la décision prononcée par l’assistante sociale après une opposition de la justiciable. Il est à ce titre recevable, ayant été interjeté en temps utile et devant la juridiction compétente (art. 132 LOJ ; art. 62 al. 1 let. a LPA).

La décision querellée a toutefois été prononcée par une autorité incompétente. Elle est entachée d’un vice grave qui implique son annulation et le renvoi de la cause à l’autorité compétente, soit le directeur de l’hospice pour décision sur réclamation (art. 11 al. 3 LPA).

2.             La recourante s’oppose au renvoi de la cause invoquant une violation du principe de la bonne foi et du formalisme excessif.

Elle ne peut être suivie compte tenu des dispositions légales et de la jurisprudence précitées, étant pour le surplus précisé que parmi les nombreuses adresses de courriel utilisées par la recourante, aucune n’était celle du directeur général de l’hospice, seul compétent.

3.             Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA ; art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03).

Vu son issue, une indemnité de procédure, réduite à CHF 500.- au vu de la limitation de l’objet du litige, sera allouée à la recourante, à la charge de l’hospice (art. 87 al. 2 LPA).


* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 mai 2024 par A______ contre la décision de l’Hospice général du 3 avril 2024 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision du 3 avril 2024 de l’Hospice général ;

transmet l’opposition au directeur de l’Hospice général ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 500.- à A______ à la charge de l’Hospice général ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les 30 jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Christine RAPTIS, avocate de la recourante, ainsi qu’à l’Hospice général et à son directeur.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Patrick CHENAUX, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

J. PASTEUR

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

la greffière :