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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1860/2023

ATA/700/2024 du 10.06.2024 sur JTAPI/1218/2023 ( LCI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1860/2023-LCI ATA/700/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 juin 2024

3e section

 

dans la cause

 

A______ et B______

C______

D______

représentés par Me Romain JORDAN, avocat recourants

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

et

E______
représenté par Mark MULLER, avocat intimés

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 2 novembre 2023 (JTAPI/1218/2023)


EN FAIT

A. a. E______ (ci-après : le propriétaire) est propriétaire de la parcelle n° 4'667, d’une surface de 919 m2, à l’adresse chemin de F______ n° 25, dans la commune de Veyrier (ci‑après : la commune).

La parcelle fait angle avec l’entrée d’un chemin sans issue (ci-après : le chemin), étroit au niveau de la parcelle de E______. Il dessert également les parcelles nos 4'668 à 4'671.

Un garage de 36 m², pour deux véhicules, se trouve à l’angle des deux chemins.

b. A______ et B______ sont copropriétaires de la parcelle n° 4'668, voisine, au sud de la parcelle précitée, sise chemin de F______ 23A.

c. D______ sont copropriétaires des parcelles nos 4'669 et 4'670 sises chemin de F______ 23B et 23C, voisines au sud de la précédente.

d. C______ sont copropriétaires de la parcelle n° 4'671 sise chemin de F______ 23D, voisine au sud de la n° 4'670 et éloignée d’environ 70 m de la parcelle n° 4'667.

e. Toutes les parcelles sont sises en 5e zone.

f. Le plan directeur communal de Veyrier (ci-après : PDCom) a été adopté par le Conseil municipal de la commune le 15 novembre 2022 et approuvé par le Conseil d’État le 26 avril 2023.

Les parcelles précitées sont situées dans un secteur de densification accrue à teneur du plan directeur communal relatif à la stratégie d’évolution de la 5e zone.

B. a. Le 27 juin 2022, E______ a déposé auprès du département du territoire (ci-après : DT ou le département) une demande d’autorisation de construire portant sur la réalisation de trois villas mitoyennes (46.1% à très haute performance énergétique [ci-après : THPE]) et d’un garage, et l’abattage d’arbres et/ou l’élagage hors forêt (DD 1______).

À teneur des termes employés dans le projet, il se compose d’un volume compact rapproché au maximum du chemin. Quatre places véhicules sont intercalées entre le volume d’habitation et le chemin de manière à dégager un espace pleine terre d’un seul tenant en partie sud-ouest. Un garage couvert de deux places est prévu en remplacement de l’actuel.

b. Divers préavis ont été recueillis. Leur contenu sera détaillé, en tant que de besoin, dans la partie en droit du présent arrêt.

c. Par décision du 28 avril 2023, le département a délivré l’autorisation de construire.

C. a. Par acte du 30 mai 2023, A______ et B______, C______, D______ (ci-après : les voisins) ont recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI) contre cette autorisation de construire, concluant préalablement à leur comparution personnelle et à ce qu’un transport sur place soit ordonné et, au fond, à son annulation.

b. Après un double échange d’écritures, le TAPI a, par jugement du 2 novembre 2023, rejeté le recours.

Le transport sur place et la demande d’audition étaient refusés.

La commission d’architecture (ci-après : CA), instance appelée à se prononcer notamment sur les questions d’esthétique, avait rendu un préavis favorable le 8 février 2023. Elle avait cependant demandé un projet modifié le 23 août 2022, estimant que la surface végétale était insuffisante et les espaces verts résiduels (les surfaces de cheminement ne pouvant pas être considérées comme de la pleine terre), et que les pompes à chaleur (ci-après : PAC) avaient un impact visuel péjorant et devaient par exemple être prévues au sous-sol. Elle avait rendu un second préavis sollicitant un projet modifié le 6 décembre 2022, retenant que les modifications apportées étaient minimes, que la surface végétale restait insuffisante, peu qualitative et les espaces verts résiduels, et que les PAC en toiture devaient être retirées sur certaines élévations. Il en découlait que la CA avait effectué une analyse minutieuse du projet sur tous ses aspects – implantation, intégration dans son environnement, mais également esthétique, sur laquelle elle n’avait fait aucune remarque.

La commune avait également rendu un préavis favorable le 17 novembre 2022, après avoir demandé un projet modifié le 27 juillet 2022 concernant les accès et les surfaces de pleine terre. Ce préavis était en adéquation avec le PDCom.

Enfin, le projet litigieux était conforme à l’affectation de la zone. Il n’était par ailleurs pas contesté que toutes les prescriptions relatives aux distances, vues droites et gabarits étaient in casu respectées, l’indice d’utilisation du sol (ci-après : IUS) proposé (46.1% THPE) restant en deçà du maximum admissible pour une construction THPE en zone villas (48%, voire 50% pour une parcelle supérieure à 5'000 m2). Plusieurs projets de constructions étaient en cours sur des parcelles avoisinantes et le quartier comptait de nombreuses villas mitoyennes, notamment celles des recourants directement voisines du projet querellé. La densité du projet apparaissait ainsi mesurée. Le quartier de villas concerné ne bénéficiait d'aucune protection particulière.

Le nombre de quatre places de stationnement devant deux des futurs logements, prévues perpendiculairement aux façades, respectait l’art. 5 al. 3 du règlement relatif aux places de stationnement sur fonds privés du 17 mai 2023 (RPSFP - L 5 05.10). L’office cantonal des transports (ci-après : OCT), soit l’instance spécialisée en matière de sécurité liée au trafic avait rendu un préavis favorable le 3 janvier 2023, le conditionnant à la création de sept places pour les vélos. Il avait demandé un projet modifié le 1er septembre 2023, concernant notamment la limitation à deux places de stationnement par villa.

Le département n’avait en conséquence ni abusé ni excédé son pouvoir d’appréciation en se fondant sur l’ensemble des préavis rendus dans le cadre de l’instruction de la requête, lesquels étaient tous favorables, et notamment ceux de l’OCT, de la CA et de la commune, pour délivrer l’autorisation de construire. En réalité, les recourants ne faisaient que substituer leur propre appréciation à celles des instances spécialisées, notamment en ce qui concernait l’esthétique du bâtiment et son implantation dans le quartier et la sécurité sur le chemin.

D. a. Par acte du 6 décembre 2023, les voisins ont interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement et ont conclu à son annulation. Préalablement, leur audition et un transport sur place devaient être ordonnés. Le TAPI avait violé leur droit d’être entendu en refusant leur audition et un transport sur place ainsi qu’en ne motivant pas suffisamment son jugement. Les art. 15 al. 1 et 59 al. 4 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) avaient été violés, à l’instar des art. 22 al. 2 let. b et 19 al. 1 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700).

b. Le département a conclu au rejet du recours tout comme le propriétaire.

c. Après une réplique des voisins et une duplique du propriétaire, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

d. Les arguments des parties seront repris, en tant que de besoin, dans la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Les recourants sollicitent préalablement un transport sur place et leur audition. Ils soutiennent que seul un transport sur place permettrait aux juridictions administratives de se rendre compte des caractéristiques du quartier, cet élément ne ressortant pas du dossier et les outils disponibles sur Internet n’étant pas suffisants pour s’en faire une idée fidèle. Seul un transport sur place leur offrirait la possibilité d’expliquer les risques liés à l’étroitesse du chemin et la disposition des places de parc, en exposant des exemples concrets de manœuvre ayant manqué de causer des accidents.

2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour la personne intéressée de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s’exprimer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre. Il n’empêche toutefois pas l’autorité de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient pas l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_359/2022 du 20 avril 2023 consid. 3.1 et les références citées).

2.2 En l’espèce, un transport sur place n’est pas nécessaire, compte tenu des plans versés au dossier ainsi que des données disponibles dans le Système d’Information du Territoire à Genève (ci‑après : SITG). Les photos, plans et mensurations à disposition illustrent suffisamment les caractéristiques du quartier. Les recourants ont d’ailleurs largement illustré leur recours d’extraits issus du SITG. Ils ont eu l’occasion d’expliquer les risques liés à l’étroitesse du chemin et la disposition des places de parc. Il n’est pas nécessaire que la chambre de céans se déplace pour « des exemples concrets de manœuvre ayant manqué de causer des accidents ». La chambre de céans considère qu’elle dispose d’un dossier complet comprenant notamment les écritures des parties et toutes les pièces produites à leur appui. Il est en état d’être jugé, de sorte qu’il ne sera pas donné suite à la demande d’actes d’instruction.

Pour les mêmes motifs, le TAPI n’était pas tenu de procéder à l’audition des parties ni à un transport sur place. Le droit d’être entendu des voisins n’a en conséquence pas été violé.

3.             Dans un second grief, les recourants se plaignent d’une violation de leur droit d’être entendus, sous l’angle d’un défaut de motivation du jugement querellé. Ils avaient notamment invoqué que les logements sériels bordés de places de stationnement « en barrière » étaient à éviter. La motivation du jugement ne leur permettait pas de comprendre pour quelles raisons leurs arguments tenant à l’esthétique et à l’intégration du projet dans son environnement, pourtant fondés sur le guide « Les nouveaux Quartiers-Jardins du XXIe siècle, guide pour une densification de qualité en zone 5 sans modification de zone à Genève » ou selon le PDCom, avaient été rejetés.

3.1 La jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de droits constitutionnels a également déduit du droit d’être entendu le droit d’obtenir une décision motivée (ATF 148 III 30 consid. 3.1 ; 142 II 154 consid. 4.2). L’autorité n’est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives, mais doit se prononcer sur celles-ci (ATF 143 III 65 consid. 5.2 ; 142 II 154 consid. 4.2). Il suffit, du point de vue de la motivation de la décision, que les parties puissent se rendre compte de sa portée à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 148 III 30 consid. 3.1).

3.2 En l’espèce, le jugement détaille sur une page les raisons pour lesquelles le TAPI retient que le département n’a ni abusé ni excédé de son pouvoir d’appréciation, en se fondant sur l’ensemble des préavis rendus dans le cadre de l’instruction de la requête, tous favorables. Il fait spécialement référence à ceux de l’OCT, de la CA et de la commune considérant que les recourants ne font que substituer leur propre appréciation à celle des instances spécialisées, notamment en ce qui concerne l’esthétique du bâtiment et son implantation dans le quartier, ainsi que sur la sécurité du chemin. En conséquence, le jugement apparaît suffisamment motivé, étant rappelé que le TAPI n’a pas l’obligation de discuter tous les griefs. Les recourants ont pu se rendre compte de la portée de celui-ci à leur égard et ont été en mesure de faire valoir, dans leur acte de recours et leur réplique, leur argumentation. La motivation du jugement entrepris apparaît ainsi suffisante au regard des exigences requises en la matière.

Le grief sera en conséquence rejeté.

4.             Dans un troisième grief, les recourants invoquent une violation des art. 15 al. 1 et 59 al. 4 LCI. Le bâtiment projeté consisterait en un simple parallélépipède octogonal, qui ne présenterait aucune diversité formelle et typologique. Les trois villas prévues seraient disposées en bande, le long de l’espace public, créant un effet de barrière à l’instar des places de stationnement « en barrière », contre l’espace public. Les espaces de seuils ne favoriseraient aucun usage quotidien, étant exclusivement dévolus au stationnement de véhicules. L’effet de barrière serait accentué par le couvert pour véhicules situé dans le prolongement du bâtiment principal. Un projet alternatif de qualité pourrait prévoir une autre disposition des places de stationnement et d’accès, sans pour autant diminuer le nombre de logements. L’objectif des art. 15 al. 1 et 59 al. 4 LCI ne consistait pas à autoriser des projets dont les principales caractéristiques architecturales, appartenant au passé, étaient expressément dénoncées par le guide et le PDCom, au motif que des constructions plus anciennes du quartier présenteraient ces mêmes caractéristiques architecturales, qu’il convenait précisément d’éviter à l’avenir.

4.1 Selon l’art. 15 al. 1 LCI, le département peut interdire ou n’autoriser que sous réserve de modification toute construction qui, par ses dimensions, sa situation ou son aspect extérieur nuirait au caractère ou à l’intérêt d’un quartier, d’une rue ou d’un chemin, d’un site naturel ou de points de vue accessibles au public.

La décision du département se fonde notamment sur le préavis de la CA. Elle tient compte également, le cas échéant, de ceux émis par la commune ou les services compétents du département (art. 15 al. 2 LCI).

La compatibilité du projet avec le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier, exigée par l’art. 15 LCI est une clause d’esthétique qui fait appel à des notions juridiques imprécises ou indéterminées, dont le contenu varie selon les conceptions subjectives de celui qui les interprète et selon les circonstances de chaque cas d’espèce ; ces notions laissent à l’autorité une certaine latitude de jugement. Lorsqu’elle estime que l’autorité inférieure est mieux en mesure d’attribuer à une notion juridique indéterminée un sens approprié au cas à juger, l’autorité de recours s’impose une certaine retenue. Il en va ainsi lorsque l’interprétation de la norme juridique indéterminée fait appel à des connaissances spécialisées ou particulières en matière de comportement, de technique, en matière économique, de subventions et d’utilisation du sol, notamment en ce qui concerne l’esthétique des constructions (ATA/1205/2023 du 7 novembre 2023 consid. 5.2 et les arrêt cités).

4.2 Dans sa teneur actuelle applicable, l’art. 59 al. 4 let. a LCI prévoit que dans les périmètres de densification accrue définis par un PDCom approuvé par le Conseil d’État et lorsque cette mesure est compatible avec le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier, le département peut autoriser, après la consultation de la commune et de la CA, un projet de construction en ordre contigu ou sous forme d’habitat groupé dont la surface de plancher habitable n’excède pas 44% de la surface du terrain, 48% lorsque la construction est conforme à un standard de THPE, reconnue comme telle par le service compétent.

Les conditions imposées par l’art. 59 al. 4 let. a LCI, soit le caractère justifié des circonstances, et la compatibilité du projet, qui pose des critères relatifs à l’esthétique et à l’aménagement du territoire, relèvent de l’exercice du pouvoir d’appréciation de l’autorité compétente, qui doit s’exercer dans le cadre légal dont les instances de recours sont habilitées à sanctionner, selon l’art. 61 al. 1 let. a LPA, l’excès ou l’abus (arrêt du Tribunal fédéral 1C_204/2021 du 28 octobre 2021 consid. 5.3).

La compatibilité du projet avec le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier, exigée par l’art. 59 al. 4 LCI est une clause d’esthétique, analogue à celle contenue à l’art. 15 LCI.

4.3 Selon la jurisprudence, un projet de construction conforme au droit cantonal ne peut être refusé au seul motif qu’il contreviendrait à un PDCom (arrêt du Tribunal fédéral 1C_257/2013 du 13 janvier 2014 consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1A.154/2002 du 22 janvier 2003). Par « conforme au droit cantonal », il faut entendre conforme au plan d’affectation. En effet, le refus d’une autorisation au seul motif que le projet de construction contreviendrait au PDCom reviendrait à donner à ce plan directeur un effet anticipé inadmissible et à aboutir à une modification du plan d’affectation en vigueur (arrêt du Tribunal fédéral 1A.154/2002 précité consid. 4.1). Toutefois, il ne faut pas tirer de cette argumentation la conclusion que le plan directeur ne serait d’aucune importance dans le cadre d’une autorisation de construire. L’effet obligatoire d’un tel plan se déploie là où l’ordre juridique confère un pouvoir d’appréciation ou introduit des concepts juridiques indéterminés ménageant de la sorte une marge de manœuvre. Si le droit applicable exige une pesée globale des intérêts, alors le contenu du plan directeur doit être considéré, dans la pesée des intérêts, comme le résultat obligatoire du processus de coordination spatiale, étant précisé que le plan directeur n’exprime les besoins spatiaux que du point de vue de la collectivité publique. Reste réservée la pesée des intérêts qui doit être faite dans un cas particulier en prenant aussi en compte les intérêts publics qui ne relèvent pas de l’aménagement du territoire ainsi que les intérêts privés. Le plan directeur s’impose aux seules autorités chargées des tâches dont l’accomplissement a des effets sur l’organisation du territoire, et non aux autorités judiciaires qui ont pour fonction d’examiner la légalité des actes étatiques (ATA/1086/2023 du 3 octobre 2023 consid. 5.3 et les arrêts cités).

4.4 L’autorité administrative jouit d’un large pouvoir d’appréciation dans l’octroi de dérogations. Cependant, celles-ci ne peuvent être accordées ni refusées d’une manière arbitraire. Tel est le cas lorsque la décision repose sur une appréciation insoutenable des circonstances et inconciliable avec les règles du droit et de l’équité et se fonde sur des éléments dépourvus de pertinence ou néglige des facteurs décisifs. Quant aux autorités de recours, elles doivent examiner avec retenue les décisions par lesquelles l’administration accorde ou refuse une dérogation. L’intervention des autorités de recours n’est admissible que dans les cas où le département s’est laissé guider par des considérations non fondées objectivement, étrangères au but prévu par la loi ou en contradiction avec elle. Les autorités de recours sont toutefois tenues de contrôler si une situation exceptionnelle justifie l’octroi de ladite dérogation, notamment si celle-ci répond aux buts généraux poursuivis par la loi, qu’elle est commandée par l’intérêt public ou d’autres intérêts privés prépondérants ou encore lorsqu’elle est exigée par le principe de l’égalité de traitement, sans être contraire à un intérêt public (ATA/514/2018 du 29 mai 2018 consid. 4b ; ATA/281/2016 du 5 avril 2016 consid. 7a ; ATA/451/2014 du 17 juin 2014 consid. 5c et les références citées).

4.5 Selon une jurisprudence constante, s’ils sont favorables, les préavis de la CA n’ont, en principe, pas besoin d’être motivés (ATA/724/2020 du 4 août 2020 consid. 3g ; ATA/414/2017 du 11 avril 2017 confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_297/2017 du 6 décembre 2017 consid. 3.4.2).

4.6 En l’espèce, la CA s’est prononcée le 23 août 2022, le 6 décembre 2022 puis le 8 février 2023. L’application de l’art. 59 al. 4 LCI, compte tenu du taux de 46% THPE, était mise en suspens lors des deux premiers préavis avant d’être acceptée dans le dernier. La CA a ainsi préavisé favorablement le projet, sans jamais émettre de réserve sur sa compatibilité avec l’harmonie et le caractère du quartier. Il est expressément mentionné que la dérogation de l’art. 59 al. 4 LCI est acceptée, le projet répondant aux remarques émises dans les précédents préavis.

Certes le bâtiment projeté sera de forme rectangulaire et d’une longueur d’environ 20 m parallèlement au chemin. Il ne s’agit toutefois pas du seul immeuble de cette forme dans le quartier, à l’instar de celui sis sur les parcelles nos 16'058, 16'059 et 16'060 aux adresses 7 à 11, chemin du G______, de la parcelle n° 4'778 au 32, chemin H______ ou n° 2'953 au 4, chemin du G______. Si certes les projets immobiliers évoqués par les recourants dans leur réplique devant le TAPI, illustrations à l’appui, offrent des élancements ou décrochements, le projet ne contient aucun élément de construction problématique – d’un point de vue esthétique – particulièrement évident, si bien qu’il n’existe aucun motif de s’écarter du préavis positif de la CA, étant rappelé que le chambre de céans s’impose une certaine retenue, lorsque, comme en l’espèce, la norme juridique indéterminée fait appel à des connaissances spécialisées ou particulières en matière d’esthétique des constructions (ATA/206/2024 du 13 février 2024 consid. 5.1 ; ATA/1346/2023 du 12 décembre 2023 consid. 7.3 et les références citées).

La brièveté de la motivation de la CA, que la loi et la jurisprudence n’exigent au demeurant pas, ne saurait signifier que cette instance n’aurait pas examiné de manière complète et circonstanciée l’intégration des constructions projetées dans le site et le quartier. L’analyse de la CA, composée de spécialistes en matière d’architecture et d’urbanisme, apparaît parfaitement défendable. Aucun élément ne permet de retenir que la CA n’aurait, dans le cas présent, pas disposé des éléments suffisants pour procéder à un examen minutieux de la clause d’esthétique contenue à l’art. 59 al. 4 LCI.

En qualifiant l’architecture d’ « indigente » et comparant le bâtiment à une « brique de Lego, manifestement sans aucun intérêt architectural », les recourants ne font que substituer leur propre appréciation à celle de la CA, laquelle est plus à même que les recourants de se prononcer objectivement sur des questions d’esthétique, à l’instar de celles portant, comme en l’occurrence, sur la compatibilité d’un projet avec l’harmonie et le caractère d’un quartier.

Dès lors, rien ne permet de retenir que l’autorité intimée aurait abusé de son pouvoir d’appréciation en considérant, sur la base du préavis de la CA auquel elle s’est référée à juste titre, que le projet ne nuira pas au caractère et à l’harmonie du quartier.

Par ailleurs et comme l’a retenu le TAPI, tous les préavis des instances spécialisées consultées sont favorables, parfois sous conditions.

Ainsi, dans son préavis du 15 juillet 2022 la direction des autorisations de construire (ci-après : DAC) s’est dite favorable, avec une dérogation à l’art. 59 al. 4 let. a LCI.

La commune de Veyrier s’est prononcée les 27 juillet et 17 novembre 2022. Lors de son premier préavis, elle a indiqué que la dérogation à l’art. 59 al. 4 LCI était acceptée dans ce secteur. Elle n’a fait mention que d’une condition en lien avec cet alinéa, soit que le nombre d’accès à la parcelle soit limité à un seul. Il était nécessaire que les accès projetés depuis la dépendance n° 2______ soient remplacés par un accès commun et unique aux trois unités d’habitation. Elle a soulevé une problématique relative à l’indice de pleine terre qui devait être supérieur ou égal à 40% à teneur du PDCom. Dans son préavis du 14 novembre 2022, elle s’est déclarée favorable au projet. Manifestement, les accès étaient réglés à sa satisfaction. Seule une condition était posée, relative à de nouvelles plantations.

L’OCT s’est prononcé à deux reprises. Lors de son premier préavis, du 1er septembre 2022, il a relevé que vu l’absence de plan d’alignement, conformément à la loi sur les routes du 28 avril 1967 (LRoutes - L 1 10), il convenait de maintenir un retrait du bâti à 1.5 m depuis la limite parcellaire, le long du domaine public. Par ailleurs, en référence au règlement idoine, il convenait de limiter le stationnement à deux places de voitures par villa. Bien que le nombre de places de stationnement pour les logements fût un minimum, il était recommandé de ne pas proposer des surfaces de stationnement supplémentaires. Dans son second préavis, du 3 janvier 2023, l’OCT s’est dit favorable sous condition et avec souhait. Celle-là portait sur le nombre de places de vélo, non pertinent en l’espèce. Au titre de souhait, il était demandé de corriger le nombre de places voiture indiquées dans le formulaire N06 dès lors qu’il s’agissait de six et non de sept places.

L’office de l’urbanisme (ci-après : OU) s’est déclaré favorable le 3 août 2022 sous conditions. Il rappelait que l’analyse architecturale et la compatibilité du projet avec le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier selon l’art. 59 al. 4 LCI relevaient de la compétence de la CA.

Comme précédemment indiqué, la CA s’est prononcée le 23 août 2022, le 6 décembre 2022 puis le 8 février 2023. Son dernier préavis était favorable.

Enfin, le nouveau PDCom prévoit une densification, tant pour la parcelle querellée que pour celles des voisins, dès lors qu’elles se trouvent dans un secteur de densification accrue où des dérogations selon l’art. 59 LCI sont possibles. Trois précisions sont faites dans le PDCom relatives à la gestion qualitative de la pleine terre, aux dérogations admises à plus de 80 m du début d’une desserte ainsi qu’aux parcelles d’une surface égale ou supérieure à 5’000 m². Aucune de ces réserves ne trouvant application, le grief sera par voie de conséquence écarté. De surcroît, si certes, le PDCom souhaite lutter contre « des ruptures importantes en même temps que la poursuite d’une forme de sérialisation du paysage bâti » et éviter les stationnements barrières ou les logements sériels dans ce secteur de renouvellement urbain, force est de constater que le PDCom ne les interdit pas.

Quant au guide « Les nouveaux Quartiers-Jardins du XXIe siècle ; Guide pour une densification de qualité de la zone 5 sans modification de zone à Genève » publié fin juin 2017 par le département, aucun élément ne permet de penser qu’il n'aurait pas été pris en considération dans le cadre de l’instruction de la demande d’autorisation. Pour le surplus, il est destiné aux cantons, aux communes et aux requérants propriétaires. Il contient des recommandations de planification, une aide à la conception, une méthode d’évaluation et une incitation aux démarches participatives. De même, la « marche à suivre, densification de la zone 5, modalités d’application du nouvel article 59 al. 4 LCI » dans sa version de novembre 2022 s’adresse aux propriétaires, porteurs de projets, aux communes ainsi qu’aux mandataires. Elle se définit comme plus opérationnelle que le guide précité, et précise les conditions à respecter désormais pour l’élaboration et l’instruction des dossiers de demande d’autorisation de construire et des stratégies de densification de la zone 5 des PDCom. Toutefois, à l’instar du PDCom, et du guide précité, les voisins ne peuvent en déduire aucun droit à l’encontre d’un projet.

Les recourants soutiennent que le choix du gabarit et de l’implantation du bâtiment sur la parcelle a été fait en partant de l’idée que la piscine pourrait être conservée, conformément à la première version de la demande d’autorisation, refusée par le département en raison des prescriptions matière de surfaces de pleine terre. Cet argument, s’il est éventuellement de nature à expliciter l’évolution du dossier, est sans pertinence sur l’issue du litige, les préavis des instances spécialisées nécessaires ayant été recueillis et étant positifs.

Il sera enfin relevé que le stationnement en « barrière » reproché au projet par les recourants se compose de quatre places perpendiculaires au chemin, les deux dernières étant situées dans le garage, à l’instar de la situation actuelle. Seules deux places sont prévues par villa ce qui est conforme à la demande de l’OCT. Il n’existe aucune interdiction légale quant à l’implantation des places de stationnement. La place de stationnement la plus dangereuse selon les recourants, sise au nord-est de la parcelle bénéficiera d’une largeur de chemin de 4.43 m à l’endroit le plus étroit, à teneur de l’extrait du plan cadastral, ce que confirment les plans du rez-de chaussée. Une distance de plus de 10 m s’étendra devant le bâtiment, largeur du chemin comprise, pour manœuvrer. L’appréciation de l’OCT quant à la sécurité et de la CA, voire de la commune quant à l’adéquation esthétique, sont favorables. Les recourants ne peuvent en conséquence pas être suivis dans leur critique quant à la compatibilité et la dangerosité de l’emplacement des places de stationnement et l’étroitesse alléguée du chemin.

En conséquence, les griefs des recourants ne trouvent aucune assise dans le dossier. Tous les préavis ayant traité des griefs des recourants ont été positifs, après un examen manifestement minutieux du projet par chacun des services spécialisés.

Il s’ensuit que le projet litigieux, qui s’inscrit dans l’évolution législative de l’art. 59 LCI, n’apparaît pas incompatible avec le nouveau visage du quartier, tel qu’il est appelé à se dessiner, conformément à la volonté du législateur (ATA/1485/2017 du 14 novembre 2017 consid. 8d ; ATA/284/2016 du 5 avril 2016 consid. 7e), étant souligné que la 5e zone ne bénéficie en soi d’aucune protection particulière, de sorte que les constructions n’y sont pas soumises, s’agissant de leur expression architecturale, à une contrainte autre que celle résultant de la clause d’esthétique de l’art. 59 al. 4 let. a LCI (ATA/1061/2023 du 26 septembre 2023 consid. 8 ; ATA/1485/2017 du 14 novembre 2017 consid. 8d ; ATA/1274/2017 du 12 septembre 2017 consid. 6f).

Le grief tiré de la violation des art. 15 et 59 al. 4 LCI devra ainsi être écarté.

5.             Dans un dernier grief, les recourants se plaignent d’une violation des art. 22 al. 1 let. b et 19 LAT. Le chemin d’accès serait très étroit, bien équipé de trottoirs et utilisé par les enfants en bas âge demeurant dans le chemin. Le fait que tous les véhicules sortiraient en marche arrière sur le chemin de desserte, et ce sur toute la longueur de la parcelle, poserait des problèmes de sécurité pour les autres usagers du chemin, notamment les enfants, à pied ou à vélo.

5.1 À teneur de l’art. 22 al. 2 let. b LAT, une autorisation de construire ne peut être délivrée que si le terrain est équipé. Tel est le cas, selon l’art. 19 al. 1 LAT, notamment lorsqu’il est desservi d’une manière adaptée à l’utilisation prévue par des voies d’accès.

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, une voie d’accès est adaptée à l’utilisation prévue lorsqu’elle est suffisante d’un point de vue technique et juridique pour accueillir tout le trafic de la zone qu’elle dessert (ATF 121 I 65 consid. 3a). La loi n’impose ainsi pas des voies d’accès idéales ; il faut et il suffit que, par sa construction et son aménagement, une voie de desserte soit praticable pour le trafic lié à l’utilisation du bien-fonds et n’expose pas ses usagers ni ceux des voies publiques auxquelles elle se raccorderait à des dangers excessifs (ATF 121 I 65 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_585/2021 du 27 octobre 2022 consid. 3.1.1).

Par ailleurs, la sécurité des usagers doit être garantie sur toute sa longueur, la visibilité et les possibilités de croisement doivent être suffisantes et l’accès des services de secours (ambulance, service du feu) et de voirie doit être assuré (ATF 121 I 65 consid. 3a ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_548/2021 et 1C_549/2021 du 24 février 2023 consid. 10.1.1 ; 1C_368/2021 du 29 août 2022 consid. 3.1).

5.2 En l’espèce, l’accès à la parcelle querellée, situé à l’angle avec le chemin de la F______ n’est en lui‑même pas problématique et est garanti au sens de la LAT.

De surcroît, la disposition des places a été voulue et cautionnée par le service spécialisé, à savoir l’OCT.

Les arguments des recourants portent en réalité sur l’accès à leur propre portion du chemin, au sud du projet querellé. Cette problématique ne fait pas l’objet du présent litige, limité à la conformité aux droit des constructions du projet querellé. Toutefois, même à considérer que les voisins invoqueraient une violation de l’art. 14 al. 1 LCI, le grief devrait être rejeté. En effet, aux termes de ladite disposition, le département peut notamment refuser une autorisation lorsqu'une construction ou une installation peut être la cause d'inconvénients graves pour les usagers, le voisinage ou le public (let. a), ne remplit pas les conditions de sécurité et de salubrité qu’exige son exploitation ou son utilisation (let. b) ou ne remplit pas des conditions de sécurité et de salubrité suffisantes à l’égard des voisins ou du public (let. c). Cette disposition appartient aux normes de protection qui sont destinées à sauvegarder les particularités de chaque zone, en prohibant les inconvénients incompatibles avec le caractère d'une zone déterminée. Elle n'a toutefois pas pour but d'empêcher toute construction dans une zone à bâtir qui aurait des effets sur la situation ou le bien-être des voisins. La construction d'un bâtiment conforme aux normes ordinaires applicables au régime de la zone ne peut en principe pas être source d'inconvénients graves, notamment s'il n'y a pas d'abus de la part du constructeur. Le problème doit être examiné par rapport aux caractéristiques du quartier ou des rues en cause (ATA/730/2023 du 4 juillet 2023 consid. 7.2 et les arrêts cités).

Il sera enfin relevé que si le chemin est actuellement étroit à son embouchure, notamment en raison d’une haie imposante, il ressort du projet que celle-ci devrait être supprimée, ce qui améliorerait notablement la situation en termes de largeur de l’accès et la visibilité. La situation s’en trouvera facilitée pour les propriétaires des parcelles au sud.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

6.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge solidaire de A______ et B______, C______, D______ (art. 87 al. 1 LPA).

Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à E______ à la charge solidaire de A______ et B______, C______, D______ (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 6 décembre 2023 par A______ et B______, C______, D______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 2 novembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge solidaire A______ et B______, C______, D______ ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à E______ à la charge de A______ et B______, C______, D______, pris solidairement ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain JORDAN, avocat des recourants, au département du territoire - OAC, à Me Mark MULLER, avocat de E______, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Patrick CHENAUX, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Claudio MASCOTTO, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. BALZLI

 

 

le président siégeant :

 

 

P. CHENAUX

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :