Skip to main content

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1044/2022

ATA/502/2024 du 23.04.2024 sur ATA/12/2023 ( TAXE ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1044/2022-TAXE ATA/502/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 avril 2024

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre


SERVICE DE LA TAXE D’EXEMPTION DE L’OBLIGATION DE SERVIR

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS intimés




EN FAIT

A. a. Lors de son recrutement en 2015, A______, né en ______ 1995, a, par décision du 15 octobre 2015, été déclaré inapte au service militaire, service civil et protection civile, pour des raisons de santé. Cette décision, non produite, n’est pas contestée et les raisons médicales ne sont pas explicitées dans la présente procédure.

b. Par décision du 28 janvier 2022, confirmée sur réclamation le 23 mars 2022, le service de la taxe d’exemption de l’obligation de servir (ci-après : STEO) de l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a fixé le montant de la taxe d’exemption de l’obligation de servir (ci-après : TEO) à CHF 1'058.25 pour l’année 2020. Dans la décision sur réclamation, le STEO a conclu que l’assujettissement de l’intéressé à ladite taxe était maintenu et qu’il demeurait valable, selon le droit actuel, jusqu’à la période 2025.

B. a. A______ a recouru le 4 avril 2022 contre cette décision sur réclamation auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) en concluant à son annulation, à ce qu’il soit dit qu’il n’était pas assujetti à la TEO pour 2020 ainsi qu’à l’octroi d’une indemnité équitable.

Il invoquait une violation des art. 14 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), en se référant à l’arrêt rendu en janvier 2021 par la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après : CourEDH) concernant l’affaire RYSER en matière de TEO (ACEDH RYSER c. Suisse du 12 janvier 2021, req. n° 23040/13). Il se trouvait, sous réserve d’une différence, dans la même situation que celle du justiciable traitée dans cet arrêt. Il avait été déclaré inapte pour des raisons médicales au service militaire et au service civil, avec la différence qu’il avait également été déclaré inapte à la protection civile. Il n’avait pas non plus recouru contre ces décisions.

b. L’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Déclaré inapte aux services militaire, civil et de protection civile en octobre 2015, il n’était ni incorporé dans une formation de l’armée, ni astreint au service civil. Il était ainsi soumis à la TEO en vertu de l’art. 2 al. 1 let. a de la loi fédérale sur la taxe d’exemption de l’obligation de servir du 12 juin 1959 (LTEO - RS 661), taxe qu’il avait payée de 2015 à 2019. Certes, de manière similaire audit arrêt de la CourEDH rendu en 2021 ainsi qu’à l’ACEDH GLOR c. Suisse du 30 avril 2009 (req. n° 13444/04), son degré d’atteinte à l’intégrité était inférieur à 40%. Toutefois, ces deux affaires étaient régies par l’ancien droit applicable aux exonérations de la TEO, alors que le cas de l’intéressé devait être traité selon le nouveau droit. Son inaptitude avait été déclarée en 2015. Il avait dès lors eu la possibilité de demander son incorporation spéciale dans l’armée afin d’effectuer un service de remplacement. Il aurait donc dû présenter une demande auprès des autorités militaires compétentes dans le formulaire 13444 intitulé « Confirmation de la volonté d’effectuer du service militaire », ce qu’il n’indiquait pas avoir fait.

c. L’AFC-CH a également conclu au rejet du recours.

L’intéressé s’était acquitté de la TEO entre 2015 et 2019 inclus, sans la contester. En outre, il n’avait jamais demandé à effectuer un service militaire avec restrictions médicales particulières selon le formulaire 13444. Sa situation se distinguait considérablement des deux affaires précitées portées devant la CourEDH, du fait qu’il avait eu, en 2015, la possibilité de faire une demande afin d’effectuer un service militaire avec restrictions médicales particulières. Or, il ne l’avait pas fait. Par ailleurs et en sus de l’opinion dissidente de la juge B______ dans l’affaire RYSER précitée, l’intéressé n’avait pas cherché activement à accomplir un service militaire ou de protection civile, de sorte qu’il ne répondait pas à l’exigence de la jurisprudence du Tribunal fédéral (arrêt 2C_924/2012 du 29 avril 2013), à savoir que si un justiciable voulait faire valoir qu’une taxe d’exemption n’était pas due car discriminatoire au regard de sa volonté de servir, il devait prouver qu’il était disposé à servir à partir de ladite année au plus tard. Ainsi, le recourant ne pouvait raisonnablement pas invoquer une discrimination du fait de l’absence d’alternative à l’obligation de s’acquitter de la TEO car il n’avait pas cherché à faire usage de la possibilité que représentait la demande d’effectuer un service militaire avec restrictions médicales particulières. Le problème du présent cas n’était pas l’absence d’alternative mais l’absence de démarche active de la part de l’intéressé tendant à avoir une alternative à la TEO. Il s’agissait d’une différence fondamentale avec l’affaire RYSER précitée, de sorte qu’on ne pouvait aboutir au même résultat.

d. Le recourant a ensuite répliqué.

Il n’avait jamais fait la demande d’effectuer un « service militaire adapté » car la possibilité d’être déclaré « apte au service militaire uniquement dans des fonctions particulières, sous réserve, inapte au tir » permettait seulement l’incorporation dans l’armée, comme l’indiquait le formulaire 13444 intitulé « Confirmation de la volonté d’effectuer du service militaire ». En d’autres termes, il n’existait pas, pour une personne déclarée inapte, la possibilité d’effectuer « un service civil adapté, en lieu et place du service militaire adapté ». Seules les personnes jugées aptes au service militaire pouvaient, selon les dispositions topiques, déposer une demande d’admission au service civil. En raison de circonstances personnelles explicitées, il était, depuis son très jeune âge, fermement opposé au service militaire et à toute forme de violence en général. Il s’était informé par téléphone auprès de l’armée sur la possibilité d’intégrer le service civil malgré une déclaration d’inaptitude. On lui avait répondu qu’il « était uniquement possible de rejoindre l’armée dans une forme adaptée pour effectuer son service », ce qui signifiait qu’il était impossible de rejoindre le service civil. Il n’avait, pour ce motif, pas fait la demande du formulaire 13444, de peur d’être incorporé dans l’armée. La CourEDH avait reconnu que l’art. 9 CEDH conférait un droit à l’objection de conscience dans certains cas.

Il était ainsi faux de considérer que le « service militaire adapté » avait mis fin à toute discrimination entre personnes aptes et inaptes au service militaire. La discrimination existait toujours en ce sens que les personnes aptes avaient le choix entre le service militaire et le service civil. En revanche, les personnes inaptes ne pouvaient qu’effectuer un « service militaire (adapté) ». Pour les objecteurs de conscience déclarés inaptes comme lui, la seule option restait la taxe, malgré la « volonté d’effectuer un service (dans le cadre du service civil de remplacement) ». Ce traitement était toujours contraire aux art. 14 et 8 CEDH.

e. Après que les parties ont été convoquées par pli simple à l’audience du 17 novembre 2022, seules les autorités intimées s’y sont présentées, à l’exclusion du recourant. Cette audience a fait l’objet d’un procès-verbal envoyé à ce dernier par pli simple du 17 novembre 2022 lui fixant un délai pour d’ultimes observations, suite à quoi la cause serait gardée à juger.

f. Le recourant a, par courrier du 21 novembre 2022, expliqué ne pas avoir reçu la convocation envoyée en courrier B et demandé la tenue d’une nouvelle audience en sa présence. Il a, quelques jours plus tard, renouvelé cette demande qui a été écartée par la chambre administrative dans son arrêt du 10 janvier 2023 (ATA/12/2023) rejetant son recours sur le fond.

g. À la suite de l’arrêt du Tribunal fédéral du 8 janvier 2024 (cause 9C_165/2023) annulant ledit arrêt de la chambre de céans, une nouvelle audience de comparution personnelle des parties s’est tenue, en leur présence, le 7 mars 2024.

Le recourant exposait avoir été confronté à deux options, soit effectuer le service militaire de remplacement dit service militaire avec restrictions médicales particulières, soit payer la taxe. Il n’avait pas la possibilité de faire de service civil de remplacement. Pour des raisons personnelles qu’il était disposé à développer, il n’envisageait pas d’effectuer le service militaire de remplacement.

Le représentant de l’AFC-CH confirmait qu’une personne inapte ne pouvait pas faire de service civil pour les raisons développées dans un rapport du Conseil fédéral du 29 mars 2022 donnant suite au postulat 20.4446 sur les conditions d’admission au service militaire, à la protection civile et au service civil pour les personnes ayant des restrictions médicales (ci-après : le rapport du Conseil fédéral de 2022). Si le but du recourant était de faire du service civil, il lui appartenait d’entreprendre des démarches pour pouvoir être déclaré apte. L’aptitude était examinée au moment du recrutement. Il était alors décidé de l’aptitude au service militaire et à la protection civile. Il appartenait au recourant, s’il n’était pas d’accord, soit de faire recours, soit de solliciter une nouvelle appréciation médicale. Après la décision d’inaptitude du recrutement, trois voies se présentaient : 1) demander à être reconnu apte par le biais du recours ou du réexamen ; 2) faire la demande pour le service militaire avec restrictions médicales particulières ; 3) accepter l’inaptitude et payer la taxe.

Selon le recourant, le rapport du Conseil fédéral de 2022, cité par l’AFC-CH, ne répondait pas à la question de savoir pourquoi la Confédération n’avait pas mis sur pied un service civil de remplacement, à l’instar du service militaire de remplacement institué en 2013. Il ne contestait pas que les personnes inaptes ne pouvaient pas faire de service civil. Le problème résidait dans le fait que les personnes aptes pouvaient évoquer des raisons personnelles et faire du service civil, contrairement aux personnes inaptes. L’arrêt du Tribunal fédéral du 25 janvier 2024 n’était pas pertinent car il concernait un cas de naturalisation.

Selon le représentant de l’AFC-CH, le rapport fédéral précité répondait à la question du recourant : il n’existait pas de droit à un service « personnel », ce qui découlait aussi de la réponse du Conseil fédéral du 24 février 2021 à l’interpellation 20.4669 (ci-après : la réponse du Conseil fédéral de 2021). La différence avec les affaires GLOR et RYSER susmentionnées consistait dans le fait qu’en l’espèce, c’était l’individu qui ne voulait pas du système mis en place, et non le système qui ne voulait pas de l’individu. L’arrêt du Tribunal fédéral du 25 janvier 2024 était pertinent en ce qu’il évoquait les alternatives à la taxe, lesquelles devaient être entreprises par l’intéressé pour pouvoir se prévaloir d’une discrimination.

Sur ce, les parties ont accepté que la cause soit gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente par le destinataire de la décision attaquée le soumettant à la TEO, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 31 al. 1 de la loi fédérale sur la taxe d’exemption de l’obligation de servir du 12 juin 1959 - LTEO - RS 661 ; art. 2 de la loi d’application des dispositions fédérales sur la TEO du 14 janvier 1961 - LaTE - G 1 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le présent litige porte sur la conformité de la décision litigieuse au droit international invoqué par le recourant à l’appui des deux affaires suisses précitées jugées par la CourEDH, fondées sur l’art. 14 CEDH en lien avec l’art. 8 CEDH.

2.1 Le recourant ne conteste en effet pas l’application du droit suisse en vigueur par les autorités intimées, mais critique l’absence d’alternative dans le droit suisse au paiement de la TEO pour une personne inapte et opposée au service militaire au sens de l’art. 9 CEDH. Il a déclaré être, depuis son jeune âge et pour des raisons personnelles évoquées dans sa réplique, fermement opposé au service militaire et à toute forme de violence en général. Contrairement aux personnes déclarées aptes, il n’avait, en tant que personne inapte, pas la possibilité d’effectuer le service militaire et le service civil, de sorte que, pour les objecteurs de conscience déclarés inaptes comme lui, la seule option était la TEO.

Les autorités fiscales lui font grief de ne pas avoir entrepris, en violation de la jurisprudence du Tribunal fédéral, toutes les démarches envisageables selon le droit suisse, raison pour laquelle il se trouvait dans la situation critiquée. Elles lui font deux reproches. Premièrement, le recourant n’a pas demandé à faire le service militaire avec restrictions médicales particulières à travers le formulaire 13444 mis en place à la suite de l’affaire GLOR, ce qu’il aurait dû faire, selon les autorités fiscales, pour pouvoir effectuer le service de remplacement. Deuxièmement, il n’a pas contesté la décision d’inaptitude, ce qu’il aurait dû faire, selon les autorités fiscales, s’il voulait faire du service civil.

2.2 Selon l’art. 190 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international. L’art. 5 al. 4 Cst. dispose que la Confédération et les cantons respectent le droit international.

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, ni l’art. 190 Cst. ni l’art. 5 al. 4 Cst. n’instaurent de rang hiérarchique entre les normes de droit international et celles de droit interne. En cas de conflit, les normes du droit international qui lient la Suisse priment celles du droit interne qui lui sont contraires. Il faut présumer que le législateur fédéral a entendu respecter les dispositions des traités internationaux régulièrement conclus, à moins qu’il ait en pleine connaissance de cause décidé d’édicter une règle interne contraire au droit international. En cas de doute, le droit interne doit s’interpréter conformément au droit international (ATF 149 I 41 consid. 4.2 ; 146 V 87 consid. 8.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_677/2022 du 17 juillet 2023 consid. 4.4). L’art. 190 Cst. ne fait pas obstacle à une interprétation qui irait à l’encontre du texte de la disposition légale. S’il existe de bonnes raisons d’admettre que le texte de la disposition ne reproduit pas son vrai sens – la ratio legis – il est possible de s’en écarter afin d’interpréter la disposition selon son sens véritable, surtout si celui-ci apparaît plus conforme à la Constitution (ATF 149 I 2 consid. 3.2.1 ; 145 II 270 consid. 4.1 ; 139 I 257 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_19/2023 du 11 octobre 2023, destiné à publication, consid. 3.2).

2.2.1 Dans sa jurisprudence (ATF 146 V 87 consid. 8.2.2), le Tribunal fédéral estime qu’il faut présumer que le législateur fédéral a entendu respecter les dispositions des traités internationaux régulièrement conclus, à moins qu’il ait en pleine connaissance de cause décidé d’édicter une règle interne contraire au droit international. En cas de doute, le droit interne doit s'interpréter conformément au droit international (ATF 99 Ib 39 consid. 3). Cette dernière référence jurisprudentielle est connue sous la dénomination du fameux « arrêt Schubert », selon lequel, en cas de conflit entre le droit international et les lois fédérales, si la loi fédérale – contraire au droit international liant la Suisse et ne faisant pas partie du jus cogens – est plus récente, elle l’emportait sur la norme de droit international (Samantha BESSON in Vincent MARTENET/Jacques DUBEY [éd.] Commentaire romand – Constitution fédérale, 1re éd., 2021, n. 190 ss ad art. 5 al. 4 Cst. ; Vincent MARTENET in Vincent MARTENET/Jacques DUBEY [éd.] Commentaire romand – Constitution fédérale, 1re éd., 2021, n. 70 ss ad art. 190 Cst.).

Cette exception à la primauté du droit international en cas de conflit avec une loi fédérale postérieure fait l’objet d’une contre-exception lorsqu’est en jeu le droit international des droits de l’Homme, en particulier la CEDH, ce qui a été confirmé par la jurisprudence fédérale (ATF 139 I 16 consid. 5.1 = JdT 2013 I 167 ; 125 II 417 consid. 4d ; Samantha BESSON, op. cit., n. 193 ad art. 5 al. 4 Cst.). Le Tribunal fédéral a rappelé qu’en présence d’un véritable conflit de règles entre le droit fédéral et le droit international, l’obligation internationale de la Suisse prévalait en principe. La primauté du droit international valait aussi à l’encontre des lois fédérales entrées en vigueur après la règle de droit international, la maxime « lex posterior derogat priori » ne s’appliquant pas dans les rapports du droit international avec le droit interne. La Suisse ne pouvait pas se prévaloir de dispositions de son droit interne pour justifier l’inexécution d’un traité (art. 5 al. 4 Cst. ; art. 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, conclue le 23 mai 1969 et entrée en vigueur pour la Suisse le 6 juin 1999 - CV - RS 0.111). En conséquence, une loi fédérale contraire au droit international demeurait en principe inapplicable (ATF 139 I 16 consid. 5.1 = JdT 2013 I 167 et les arrêts cités).

Selon Samantha BESSON, cette exception à l’exception découle en particulier du mécanisme d’application de la CEDH : en adhérant à la CEDH, la Suisse s’est engagée à prendre, à la suite des arrêts de la CourEDH, les mesures individuelles et générales nécessaires pour éviter toute violation analogue future de la convention, en modifiant le droit interne au besoin. Si le Tribunal fédéral donnait la priorité à la loi fédérale tout en constatant une violation de la convention, il se verrait relégué au rang de simple instance intermédiaire, le recourant ayant encore la possibilité de s’adresser à la CourEDH. Les lois fédérales doivent, selon cette autrice, pouvoir être soumises à un contrôle de conventionalité (Samantha BESSON, op. cit., n. 193 ad art. 5 al. 4 Cst.). Il semblerait que la jurisprudence Schubert soit désormais écartée par certaines cours du Tribunal fédéral et formations du Tribunal administratif fédéral, mais cette autrice considère que la question du maintien de l’exception Schubert demeure ouverte, y compris dans la jurisprudence du Tribunal fédéral (Samantha BESSON, op. cit., n. 199 ad art. 5 al. 4 Cst.).

2.2.2 Toute autorité chargée de l’application des normes doit examiner si celles-ci sont conformes au droit supérieur et, si tel n’est pas le cas, refuser de les mettre en œuvre. Cette obligation est désignée par l’expression « contrôle préjudiciel général » (Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER/Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKIGER, Droit constitutionnel suisse, vol. 1, 4e éd., 2021, p. 733 n. 1982). Le contrôle préjudiciel général se déduit de l’art. 5 al. 1 Cst. qui consacre le principe de la légalité, en vertu d’une interprétation téléologique de cette norme. Ce principe se contredirait lui-même s’il n’impliquait pas le contrôle préjudiciel, car il obligerait l’autorité à appliquer une règle non conforme au droit. Le rattachement au principe de la légalité exprime bien le caractère général du contrôle préjudiciel : celui-ci incombe, selon ces auteurs, à toute autorité et s’exerce, en principe, à l’égard de toute norme, par rapport à toute autre norme qui lui est supérieure (Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER/Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKIGER, op. cit., n. 1986 p. 734 ; ATA/176/2023 du 28 février 2023 consid. 10b).

2.3 L’art. 14 CEDH dispose que la jouissance des droits et libertés reconnus dans la CEDH doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

Selon l’art. 8 § 1 CEDH, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui (art. 8 § 2 CEDH).

2.4 En droit suisse, l’art. 13 al. 1 Cst. protège le droit au respect de sa vie privée et familiale. L’art. 8 Cst. garantit l’égalité de tous les êtres humains devant la loi (al. 1). Par ailleurs, nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d’une déficience corporelle, mentale ou psychique (art. 8 al. 2 Cst.). La loi prévoit des mesures en vue d’éliminer les inégalités qui frappent les personnes handicapées (art. 8 al. 4 Cst.).

En vertu de l’art. 36 al. 1 Cst., toute restriction d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale. Les restrictions graves doivent être prévues par une loi. Les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés. L’al. 2 de cette norme dispose que toute restriction d’un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui. Toute restriction d’un droit fondamental doit être proportionnée au but visé (art. 36 al. 3 Cst.). L’essence des droits fondamentaux est inviolable (art. 36 al. 4 Cst.).

3.             Le recourant se prévaut de deux affaires concernant la Suisse en matière de TEO portées devant la CourEDH rappelées ci-après.

3.1 Dans la première affaire visée par l’arrêt de la CourEDH GLOR c. Suisse du 30 avril 2009, req. n° 13444/04 (ci-après : l’affaire GLOR ou ACEDH GLOR), le justiciable suisse, né en 1978, avait été déclaré en 1997 inapte au service militaire en raison de diabète et affecté en 2000 à la réserve de la protection civile. Il avait contesté, en vain, la TEO notifiée en 2001 pour l’année 2000 devant les instances internes, invoquant un traitement discriminatoire du fait de son assujettissement à la TEO. Il estimait avoir été empêché d’accomplir son service militaire bien qu’il eût toujours déclaré vouloir le faire et contraint de payer la TEO parce que son taux d’invalidité (ou atteinte à son intégrité) était inférieur à 40%.

Ce seuil – non contesté – a été fixé par la jurisprudence du Tribunal fédéral, qui admet l’exonération de la TEO seulement si l’atteinte à l’intégrité physique ou psychique atteint 40%, le handicap étant alors considéré comme majeur au sens de l’art. 4 al. 1 LTEO (ATF 126 II 275 ; 124 II 241).

3.1.1 Les autorités suisses ont invoqué les trois arguments suivants. Premièrement, déclarer le requérant apte au service militaire serait objectivement dangereux et irresponsable compte tenu de la maladie dont il souffrait et des contraintes particulières liées au service militaire, dont l’accès limité aux soins médicaux et aux médicaments, les efforts physiques importants et la forte pression psychologique. Deuxièmement, la possibilité d’effectuer un service civil de remplacement était prévue exclusivement pour les personnes refusant d’accomplir leur service militaire pour des motifs de conscience. Troisièmement, la législation fédérale en cause (LTEO) poursuivait un objectif légitime. Celui-ci consistait à rétablir une certaine égalité entre les personnes soumises à l’obligation de servir qui effectuaient le service militaire ou le service civil et celles qui, pour quelque raison que ce soit, en étaient exemptées. Cette taxe visait à remplacer les efforts et les charges que les personnes exemptées du service ne devaient pas endurer (§ 57 ss).

Du côté du requérant, ont été soulevé les deux griefs suivants. Premièrement, une personne souffrant d’un handicap mineur pourrait accomplir un service civil puisque celui-ci ne posait pas les mêmes exigences physiques et psychiques que le service militaire. Il serait discriminatoire de prévoir un service de remplacement pour les personnes refusant d’accomplir leur service militaire pour des motifs de conscience, mais d’en exclure les personnes inaptes au service militaire en raison d’un handicap. Il n’existait aucun motif pertinent pour justifier une telle discrimination envers les personnes souffrant d’un handicap considéré comme mineur, par rapport aux personnes qui, en toute liberté, pouvaient faire un choix personnel, comme les objecteurs de conscience. Deuxièmement, il était injuste de traiter les personnes souffrant d’un handicap différemment selon le niveau de leur handicap, ce d’autant plus lorsque la personne concernée était disposée à accomplir un service civil (§ 65 s).

3.1.2 Après avoir admis la recevabilité du grief tiré de l’art. 14 CEDH combiné avec l’art. 8 CEDH (§ 52 ss), la CourEDH a rappelé les principes applicables en la matière (§ 71 ss). Une distinction est discriminatoire au sens de l’art. 14 CEDH si elle manque de justification objective et raisonnable. L’existence d’une telle justification doit s’apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure en cause, eu égard aux principes prévalent généralement dans les sociétés démocratiques. Outre l’existence d’un but légitime, il faut aussi un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Ainsi, l’art. 14 CEDH n’empêche pas une différence de traitement si elle repose sur une appréciation objective des circonstances de fait essentiellement différentes et si, s’inspirant de l’intérêt public, elle ménage un juste équilibre entre la sauvegarde des intérêts de la communauté et le respect des droits et libertés garantis par la CEDH.

Dans cette affaire, la CourEDH a admis, à double titre, l’existence d’une différence de traitement entre des personnes placées dans des situations analogues. Elle a rappelé que le requérant n’avait pas effectué son service militaire puisqu’il avait été déclaré inapte par le médecin militaire compétent, et que de ce fait il s’était trouvé dans l’obligation de payer la TEO, comme toutes les personnes se trouvant dans cette situation, à l’exception de celles qui souffraient d’un handicap grave et de celles qui effectuaient un service civil de remplacement (§ 79 s). La CourEDH a également admis le caractère objectif de la justification avancée par la Suisse, prenant acte de l’intention du législateur suisse de rétablir une certaine égalité entre les personnes effectuant le service militaire ou le service civil et celles qui en étaient exemptées (§ 82).

3.1.3 Dans le cadre de l’examen du caractère raisonnable de la justification, la CourEDH a d’abord jugé que la marge d’appréciation des États dans l’établissement d’un traitement juridique différent pour les personnes handicapées était fortement réduite (§ 84). Comme le cas d’espèce concernait une personne déclarée inapte à servir par les autorités compétentes et ayant toujours exprimé sa volonté d’effectuer son service, la CourEDH n’était pas convaincue de l’existence d’un intérêt de la communauté à obliger la personne en cause à verser une taxe de compensation pour ne pas avoir effectué le service militaire (§ 85). Après avoir entre autres observé la tendance récente des États européens à supprimer complètement la conscription et à la remplacer par des armées de métier, la CourEDH a estimé que le besoin de garantir la défense et la sécurité nationale, par l’intermédiaire de la taxe, n’était pas véritablement avéré (§ 86), tout en relevant que les rentrées financières provenant de la TEO n’étaient probablement pas négligeables (§ 87).

Selon la CourEDH, la manière dont les autorités internes compétentes avaient procédé en l’espèce était sujette à caution (§ 91). Elle notait l’absence de possibilité d’exemption de la taxe pour les personnes dont l’atteinte à l’intégrité était considérée comme inférieure à 40% mais qui disposaient d’un salaire relativement modeste (§ 93). Pour qu’une mesure puisse être considérée comme proportionnée et nécessaire dans une société démocratique, la CourEDH estimait que l’existence d’une mesure portant moins gravement atteinte au droit fondamental en cause et permettant d’arriver au même but devait être exclue. Elle rappelait que le requérant avait toujours déclaré être disposé à accomplir son service militaire mais qu’il avait été déclaré inapte par le médecin militaire compétent. Elle se demandait ce qui empêcherait la mise en place de formes particulières de service pour les personnes qui se trouvaient dans une situation semblable à celle du requérant, obligé de s’injecter de l’insuline quatre fois par jour (§ 94). Il n’était pas contesté que le requérant aurait également été prêt à accomplir un service civil de remplacement. Toutefois, la législation en vigueur en Suisse ne prévoyait cette option que pour les objecteurs de conscience, en partant de l’idée que le service civil exigeait les mêmes qualités physiques et psychiques que le service militaire. Cet argument n’a pas été suivi par la CourEDH qui était convaincue que des formes particulières de service civil, adaptées aux besoins des personnes se trouvant dans la situation du requérant, étaient parfaitement envisageables (§ 95).

En conclusion, la CourEDH a estimé que dans cette affaire, les autorités internes n’avaient pas ménagé un juste équilibre entre la sauvegarde des intérêts de la communauté et le respect des droits et libertés garantis au requérant, qui avait été empêché d’accomplir son service militaire ou de le remplacer par un service civil, tout en se voyant, parallèlement, astreint au paiement de la TEO. Elle prenait à cet égard en compte les circonstances spécifiques de la cause, notamment : le montant non négligeable de la taxe et la durée de l’obligation de la payer ; le fait que le requérant était disposé à accomplir son service militaire ou civil ; l’absence, dans la législation suisse, de formes de service adaptées aux personnes se trouvant dans la situation du requérant et l’importance mineure que revêtait de nos jours la taxe comme mesure de compensation ou de prévention du non-accomplissement du service militaire (§ 96). Ainsi, à la lumière du but et des effets de la taxe litigieuse, la justification objective de la distinction opérée par les autorités internes, notamment entre les personnes inaptes au service et exemptées de la TEO et les personnes inaptes au service qui étaient obligées de la verser, n’apparaissait pas raisonnable eu égard aux principes prévalant dans les sociétés démocratiques (§ 97). La CourEDH avait donc admis la violation de l’art. 14 CEDH combiné avec l’art. 8 CEDH, le requérant ayant été victime d’un traitement discriminatoire (§ 98).

3.2 Dans la seconde affaire visée par l’ACEDH RYSER c. Suisse du 12 janvier 2021, req. n° 23040/13 (ci-après : l’affaire RYSER ou ACEDH RYSER), la CourEDH a pris note des changements législatifs intervenus en Suisse à la suite de l’affaire GLOR, qui n’étaient toutefois pas déterminants pour le cas RYSER régi par l’ancien droit. Compte tenu de la similarité entre ces deux affaires, la CourEDH s’est limitée à examiner les différences factuelles alléguées par la Suisse (§ 55 ss). Elle a conclu que la situation de M. RYSER ne se distinguait pas suffisamment de celle de M. GLOR et a donc admis l’existence d’un traitement discriminatoire en violation de l’art. 14 CEDH combiné à l’art. 8 CEDH. Contrairement à l’affaire GLOR jugée à l’unanimité, l’affaire RYSER l’a été à la majorité de six voix contre une voix, avec une opinion dissidente émanant de la juge suisse.

3.2.1 Dans son appréciation (§ 56 ss), la CourEDH a écarté l’argument de la Suisse selon lequel le requérant n’aurait pas manifesté de volonté d’effectuer un service militaire. En effet, même si ce dernier n’avait peut-être pas exprimé sa volonté de manière expresse ou insistante, rien dans le dossier n’indiquait qu’il ne fût pas disposé à servir : il n’avait pas effectué de service militaire puisqu’il avait été déclaré inapte pour des raisons médicales, non précisées par les parties. La CourEDH faisait sienne la thèse du requérant, selon laquelle, puisqu’il avait été déclaré inapte pour des raisons médicales, l’existence ou non de pareille volonté n’était pas déterminante lorsque les médecins experts de l’armée avaient dit qu’il était inapte à servir (§ 56). Elle refusait de spéculer sur l’existence ou non d’un handicap, les parties à la procédure n’ayant donné aucune précision sur le type d’atteinte à la santé ou à l’intégrité physique en cause. La CourEDH ne pouvait dès lors accepter la thèse du gouvernement suisse selon laquelle la situation du requérant différait de celle de M. GLOR sur ce point (§ 57).

Quant à l’existence d’une alternative à la TEO, voire de possibilité de la réduire en se faisant affecter à la protection civile, la CourEDH relevait que le requérant avait été incorporé à la réserve de la protection civile et qu’il ne devait ainsi pas a priori accomplir son service. Les parties s’accordaient en outre à dire qu’il n’existait aucun droit à effectuer un service civil. La CourEDH estimait donc que la possibilité de réduire le montant de la TEO était resté purement théorique (§ 58). Quant à son montant, il n’était pas décisif. La CourEDH soulignait que, même s’il s’agissait d’un montant plutôt modeste, le requérant était étudiant à l’époque des faits. Par ailleurs, la TEO était due tant que l’obligation de servir subsistait, soit généralement de la vingtième année de l’intéressé jusqu’à la fin de sa trentième année (§ 59). Enfin, à défaut d’explications sur les raisons pour lesquelles le requérant avait été déclaré inapte au service militaire, la CourEDH ne voyait pas en quoi la manière dont les autorités avaient évalué le degré du handicap de ce dernier aurait été différente dans les deux affaires précitées (§ 60).

3.2.2 En sus de la recevabilité du grief qu’elle remettait en cause, la juge suisse a, sur le fond, dans son opinion dissidente, conclu à l’absence de manquement par la Suisse à ses obligations en vertu de la CEDH.

Les parties à la CEDH jouissaient d’une certaine marge d’appréciation en matière d’organisation et efficacité opérationnelle de forces armées, en particulier s’agissant de protéger l’intégrité de l’armée suisse. Il était parfaitement légitime au regard de la CEDH qu’un État membre du Conseil de l’Europe opte pour la création d’une « milice ». De plus, la création d’un système d’incitations financières visant à encourager le service militaire ordinaire et à décourager les services de remplacement relevait de la marge d’appréciation des États, ce qui allait de pair avec la jurisprudence de la CourEDH sur le service alternatif et l’objection de conscience. Il devait y avoir une alternative au service militaire régulier, mais les États jouissaient d’une large marge d’appréciation dans l’organisation des détails du service de remplacement (§ 13 s de l’opinion dissidente).

Elle partageait l’avis de la majorité selon lequel il n’était pas pertinent de savoir si le requérant avait exprimé sa volonté d’effectuer son service militaire, étant donné qu’il avait été jugé inapte à le faire par les autorités compétentes de l’État. Elle ne pouvait toutefois souscrire à l’argument consistant à dire que le requérant était également dispensé de tenter d’accomplir le service civil qui lui était imposé. Le fait que le requérant n’ait pris aucune mesure concrète pour satisfaire à cette obligation de servir était déterminant dans ce cas. En effet, le requérant ne pouvait pas faire valoir de bonne foi que l’occasion de se conformer à cette obligation ne lui était pas offerte : il aurait très bien pu s’y conformer s’il avait simplement pris les mesures appropriées à cette fin. S’il avait essayé d’accomplir ce service mais n’y était pas parvenu par la faute du gouvernement suisse, la question portée devant la CourEDH aurait été toute autre (§ 16 de l’opinion dissidente).

3.3 En l’espèce et en dépit de l’opinion dissidente susmentionnée, les deux arrêts précités de la CourEDH permettent d’admettre in casu l’application de l’art. 14 CEDH combiné avec l’art. 8 CEDH puisque le présent litige porte sur le même type d’affaire, à savoir la contestation de l’assujettissement à la TEO par un citoyen suisse déclaré inapte au service militaire par les autorités suisses compétentes. En effet, rappelant que la notion, large, de vie privée comprend l’intégrité physique d’une personne et qu’il existe un consensus européen et universel sur la nécessité de mettre les personnes souffrant d’un handicap à l’abri de traitements discriminatoires, la CourEDH estime qu’une taxe – telle que la TEO – perçue par l’État, qui trouve son origine dans l’incapacité de servir dans l’armée en raison d’une maladie, soit d’un état de fait échappant à la volonté du justiciable, tombe sous le coup de l’art. 8 CEDH, même si les conséquences de cette mesure sont avant tout pécuniaires (ACEDH GLOR § 52 ss).

Par ailleurs, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, une décision ou un arrêté viole le principe de l’égalité de traitement consacré à l’art. 8 al. 1 Cst. lorsqu’il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu’il omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances. Il faut que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante. La question de savoir s’il existe un motif raisonnable pour une distinction peut recevoir des réponses différentes suivant les époques et les idées dominantes. Le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans le cadre de ces principes (ATF 145 I 73 consid. 5.1 ; 142 I 195 consid. 6.1 ; 137 I 167 consid. 3.5).

Selon l’art. 8 al. 2 Cst., nul ne doit subir de discrimination du fait notamment d’une déficience corporelle, mentale ou psychique. Cette règle interdit toute mesure étatique défavorable à une personne et fondée sur le handicap de cette personne, si cette mesure ne répond pas à une justification qualifiée (ATF 145 I 142 consid. 5.2 ; 143 I 129 consid. 2.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_376/2023 du 23 février 2024 consid. 4.2). L’interdiction de la discrimination au sens du droit constitutionnel suisse ne rend pas absolument inadmissible le fait de se fonder sur un critère prohibé tels que ceux énumérés de manière non exhaustive par l’art. 8 al. 2 Cst. L’usage d’un tel critère fait naître une présomption de différenciation inadmissible qui ne peut être renversée que par une justification qualifiée : la mesure litigieuse doit poursuivre un intérêt public légitime et primordial, être nécessaire et adéquate et respecter dans l’ensemble le principe de la proportionnalité. L’art. 8 al. 2 Cst. interdit non seulement la discrimination directe, mais également la discrimination indirecte. Il y a discrimination indirecte lorsqu’une réglementation, sans désavantager directement un groupe déterminé, défavorise particulièrement, par ses effets et sans justification objective, les personnes appartenant à ce groupe. L’atteinte doit toutefois revêtir une importance significative, le principe de l’interdiction de la discrimination indirecte ne pouvant servir qu’à corriger les effets négatifs les plus flagrants d’une réglementation étatique (ATF 145 I 73 consid. 5.1 ; 143 I 129 consid. 2.3.1 ; 138 I 205 consid. 5.4 et 5.5).

3.4 Pour tenir compte de l’ACEDH GLOR, le droit suisse a été modifié, d’abord dès le 1er janvier 2013 au niveau de l’annexe 1 de l’ordonnance concernant l’appréciation médicale de l’aptitude au service militaire et de l’aptitude à faire du service militaire du 24 novembre 2004 (OAMAS - RS 511.12), puis dès le 1er janvier 2018 à l’art. 6 al. 1 de la loi fédérale sur l’armée et l’administration militaire du 3 février 1995 (LAAM - RS 510.10).

L’annexe 1 de l’OAMAS concrétise l’art. 9 al. 1 OAMAS, selon lequel la commission de visite sanitaire (ci-après : CVS) prend une décision concernant l’aptitude au service militaire conformément aux prescriptions de l’annexe 1. Cette décision est sujette à un recours interne (art. 14 OAMAS). Ladite annexe contient une liste énumérant les décisions des CVS concernant l’aptitude au service militaire ; elle en précise la teneur et les effets.

3.4.1 Le 1er janvier 2013, à la suite de l’ACEDH GLOR, l’annexe 1 de l’OAMAS a été modifiée par l’introduction de la nouvelle let. E. Celle-ci a ajouté à ladite liste un nouveau type de décision, sous l’intitulé « Décision de la CVS spéciale », en ces termes : « "Apte au service militaire uniquement dans des fonctions particulières, sous réserve" : En principe, la personne examinée devrait être déclarée inapte au service militaire et au service de protection civile pour des raisons médicales ou a reçu la décision (…). Si elle n’est pas libérée de l’obligation de payer la taxe d’exemption et qu’elle a exprimé par écrit sa volonté d’effectuer du service, elle peut être incorporée comme soldat d’exploitation dans une formation de l’instruction et du support "dét exploit" par une CVS constituée spécialement à cet effet. Les exigences du service doivent correspondre à l’activité civile ainsi qu’aux aptitudes physiques et intellectuelles de la personne concernée. Le médecin qui préside la CVS peut émettre des réserves contraignantes pour l’accomplissement du service ».

3.4.2 Le 1er janvier 2018 est entré en vigueur l’art. 6 al. 1 let. c LAAM, selon lequel le Conseil fédéral peut ordonner que soient attribués ou affectés à l’armée : les personnes déclarées inaptes au service militaire et au service de protection civile pour des raisons médicales dont le taux d’invalidité est inférieur à 40% et qui déposent une demande pour accomplir du service plutôt que de payer la taxe d’exemption de l’obligation de servir.

Dans son message du 3 septembre 2014 relatif à la modification des bases légales concernant le développement de l’armée, le Conseil fédéral explique ainsi l’origine de cette disposition en référence à l’ACEDH GLOR : la CourEDH a décidé qu’il était discriminatoire qu’une personne présentant un taux d’invalidité inférieur à 40% soit déclarée inapte au service et donc soumise au paiement de la taxe militaire sans qu’il lui soit offert de solution de remplacement. Suite à cela, le Conseil fédéral a décidé de permettre aux personnes concernées d’effectuer, si elles le souhaitent expressément, une forme de service militaire adaptée à leur invalidité comme alternative à la taxe d’exemption. Un service militaire spécial de ce type nécessite une base légale formelle, qui doit être créée dans le présent contexte. Les personnes ainsi affectées à l’armée doivent être employées comme soldats d’exploitation dans le domaine de l’instruction et du support (FF 2014 6693 p. 6743).

Quant à la décision spéciale introduite à la let. E de l’Annexe 1 de l’OAMAS, elle est maintenue, dès le 1er janvier 2018, sous le ch. 4, dans une teneur similaire comportant quelques différences, à savoir : « "Apte au service militaire uniquement dans des fonctions particulières, sous réserve, inapte au tir" : En principe, la personne examinée devrait être déclarée inapte au service militaire et au service de protection civile pour des raisons médicales. Si elle est assujettie à la taxe d’exemption ou qu’elle veut se mettre volontairement à la disposition de l’armée en tant que personne attribuée ou affectée et qu’elle a exprimé par écrit sa volonté d’effectuer du service, elle peut être incorporée comme soldat d’exploitation dans une formation de l’instruction et du support (détachement d’exploitation) par une CVS constituée spécialement à cet effet. Les exigences du service doivent correspondre à l’activité civile ainsi qu’aux capacités physiques et intellectuelles de la personne concernée. Le médecin qui préside la CVS peut émettre des réserves contraignantes en vue de l’accomplissement du service. Il y a lieu d’examiner systématiquement les contraintes ci-après : activités sportives et nécessité de loger chez soi. La personne concernée ne reçoit pas d’arme personnelle ou doit la restituer ». La mention « inapte au tir » a été introduite en janvier 2018, tandis que l’alternative « ou qu’elle veut se mettre volontairement à la disposition de l’armée en tant que personne attribuée ou affectée » date du 1er janvier 2023.

3.5 Dans un arrêt récent 9C_648/2022 du 9 janvier 2024, destiné à publication, concernant la modification légale de la durée de l’assujettissement à la TEO d’une personne naturalisée suisse en 2017, le Tribunal fédéral rappelle que l’ACEDH GLOR a jugé discriminatoire la différence opérée par les autorités suisses entre les personnes inaptes au service exemptées de la TEO et celles qui étaient néanmoins obligées de la verser (consid. 8.2.1).

3.5.1 Résumant l’argumentation de la CourEDH, le Tribunal fédéral retient les éléments suivants. Le contribuable a toujours affirmé être disposé à accomplir son service militaire, mais a été déclaré inapte audit service par les autorités militaires compétentes. La discrimination résidait dans le fait que, contrairement à d’autres personnes qui souffraient d’un handicap plus grave, l’intéressé n’avait pas été exempté de la taxe litigieuse – son handicap n’étant pas assez important – et que, alors qu’il avait clairement exprimé sa volonté de servir, aucune possibilité alternative de service ne lui avait été proposée. À ce sujet, le Tribunal fédéral relève que la CourEDH a notamment souligné « l’absence, dans la législation suisse, de formes de service adaptées aux personnes se trouvant dans la situation du requérant » (consid. 8.2.1 et les références citées).

3.5.2 Le Tribunal fédéral souligne avoir, à plusieurs reprises, jugé qu’il n’était pas possible pour un intéressé de se prévaloir d’une violation des art. 8 et 14 CEDH en lien avec l’affaire GLOR, dans l’hypothèse où celui-ci ne s’était pas montré actif pour effectuer un service militaire ou un service civil (consid. 8.2.2 et les arrêts cités).

3.5.3 Ladite affaire différait de l’affaire GLOR sur un point fondamental, à savoir le fait que le justiciable n’avait pas demandé à être mis au bénéfice d’un recrutement ultérieur au sens de la disposition topique, qui lui aurait permis, le cas échéant, d’accomplir un service militaire ou un service civil. Partant, le recourant n’avait pas effectué, du point de vue individuel, toutes les démarches visant à profiter de la possibilité d’effectuer un tel recrutement ultérieur, de sorte qu’il ne pouvait pas se plaindre d’une discrimination fondée sur les art. 8 et 14 CEDH ou sur l’ACEDH GLOR. Ce qui était déterminant dans cette cause, selon le Tribunal fédéral, c’était la situation individuelle du recourant et les démarches qu’il avait ou non concrètement effectuées (consid. 8.2.3). Le Tribunal fédéral a également écarté le grief fondé sur l’art. 8 Cst., dans la mesure où le recourant ne pouvait pas se prévaloir d’une discrimination en vertu des art. 8 et 14 CEDH faute de démarches concrètes visant à effectuer un recrutement ultérieur (consid. 8.2.4).

3.6 Dans une jurisprudence plus ancienne de 2016 évoquant l’ACEDH GLOR et la modification susmentionnée de l’Annexe 1 de l’OAMAS, le Tribunal fédéral a confirmé, à la suite de l’ATA/127/2016 du 9 février 2016, le refus d’exempter un citoyen suisse de la TEO pour les années 2008 et suivantes (arrêt du Tribunal fédéral 2C_170/2016 du 23 décembre 2016).

3.6.1 Ce justiciable, déclaré en 2003 inapte au service militaire et au service de la protection civile en raison d’un diabète de type 1, avait, à trois reprises, entre février 2010 et mai 2011, manifesté son refus de s’acquitter de la TEO pour les années 2008 à 2010. Il avait, entre 2005 et 2012, effectué de nombreuses démarches visant à trouver une alternative à la TEO. En août 2012, il avait été déclaré apte au service de la protection civile. En mars 2013, son taux d’atteinte à l’intégrité a été évalué par l’autorité médicale militaire à moins de 40%. Il avait maintenu son opposition à l’acquittement de la TEO par un courrier du 18 novembre 2012. Le 3 décembre 2012, l’autorité compétente lui avait expliqué qu’à la suite d’une modification du cadre légal évoquée ci-dessus, il avait la possibilité de demander une incorporation spéciale dans l’armée dès le 1er janvier 2013. Il était invité à présenter une telle demande auprès des autorités militaires compétentes. Il avait répondu en janvier 2013 qu’après ses nombreuses et vaines demandes d’incorporation il appartenait à ces dernières de prendre spontanément contact avec lui.

3.6.2 Selon le Tribunal fédéral, depuis le 1er janvier 2013, le droit suisse prévoyait la possibilité d’une incorporation spéciale dans l’armée, à condition que la personne concernée exprime par écrit sa volonté en ce sens, contrairement à l’ancien droit ayant conduit à l’ACEDH GLOR. Ce changement normatif avait été annoncé par l’autorité compétente au recourant invité, début décembre 2012, à présenter une demande écrite pour pouvoir profiter du nouveau cadre légal et ainsi bénéficier d’une forme de service adaptée à sa situation. En refusant de déposer une telle demande écrite, l’intéressé avait lui-même renoncé à une incorporation spéciale dans l’armée, ce qui lui aurait permis de s’acquitter de ses obligations militaires conformément à la nouvelle réglementation mise en place par la Suisse à la suite de l’ACEDH GLOR. Cette possibilité n’avait pas été offerte à M. GLOR puisque le droit suisse ne le permettait alors pas. Dans ces circonstances et compte tenu des différences avec l’affaire GLOR, le recourant, qui n’avait pas voulu faire une telle demande, ne pouvait pas se plaindre d’un traitement discriminatoire fondé sur les art. 8 et 14 CEDH (arrêt 2C_170/2016 du Tribunal fédéral précité consid. 6.2 et 6.3).

3.7 Dans une affaire de 2021 (ATA/925/2021 du 7 septembre 2021), la chambre administrative a été saisie du recours d’un justiciable, déclaré inapte aux services militaire et civil et à la protection civile en 2010, qui s’était acquitté de la TEO de 2010 à 2017 et qui se prévalait de l’ACEDH RYSER. Il contestait le refus du STEO de l’exempter de la TEO dès 2018, exemption qu’il avait requise en 2018. Ce refus prononcé en 2021 était fondé sur l’absence d’un handicap majeur, puisque le service médico-militaire avait, en 2020, constaté que son atteinte à l’intégrité était inférieure à 40%. Le justiciable s’étonnait de ne pas être capable d’effectuer un quelconque service, mais apte à payer la taxe militaire.

La chambre administrative a confirmé, sous une réserve liée à la taxation 2021, le refus d’exemption. Elle a écarté l’argument tiré d’une discrimination, fondé sur l’affaire RYSER et sur le fait qu’il n’avait pas pu effectuer un service de remplacement comme alternative au paiement de la TEO. Bien que son degré d’atteinte à l’intégrité inférieur à 40% soit similaire à ladite affaire, le droit suisse avait entretemps, et ce depuis le 1er janvier 2013, été modifié pour se conformer à la jurisprudence de la CourEDH. L’intéressé n’avait toutefois pas sollicité, à partir du 1er janvier 2013, de faire l’objet d’une incorporation spéciale. Il ne ressortait pas du dossier qu’il aurait manifesté, après le 1er janvier 2013 et avant sa réclamation de janvier 2021, son intérêt en vue d’accomplir un service de remplacement comme alternative au paiement de la TEO (consid. 3).

4.             En dépit de la modification susmentionnée du droit suisse, le recourant invoque une discrimination à l’égard des objecteurs de conscience déclarés inaptes comme lui, la seule option étant la TEO alors qu’il était disposé à accomplir le service civil. Selon l’AFC-CH, il n’existe pas de droit à un service personnel et une personne inapte ne peut pas faire du service civil, précisant que, pour faire du service civil, l’intéressé aurait dû entreprendre les démarches afin d’être déclaré apte. Il n’avait en outre pas fait usage de la possibilité offerte par le droit suisse depuis le 1er janvier 2013 à la suite de l’arrêt ACEDH GLOR, en remplissant le formulaire 13444 intitulé « Confirmation de la volonté d’effectuer du service militaire ».

4.1 Selon l’art. 9 CEDH, évoqué par le recourant, toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites (§ 1). La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui (§ 2).

La liberté de conscience et de croyance est garantie (art. 15 al. 1 Cst.). Toute personne a le droit de choisir librement sa religion ainsi que de se forger ses convictions philosophiques et de les professer individuellement ou en communauté (art. 15 al. 2 Cst.). L’art. 36 Cst. cité plus haut pose les conditions de restriction aux droits fondamentaux.

4.2 Dans un arrêt récent (ACEDH KANATLI c. Turquie du 12 mars 2024, req. n° 18382/15), la CourEDH a constaté la violation de l’art. 9 CEDH concernant un requérant se plaignant d’avoir été condamné pénalement pour avoir refusé en 2009 d’accomplir le service de réserve d’une journée, refus motivé par des raisons de conscience, après avoir accompli le service militaire en 2005 et le service de réserve d’une journée de 2006 à 2008. La CourEDH a confirmé sa jurisprudence relative à l’art. 9 CEDH en rappelant qu’un système qui ne prévoit aucun service de remplacement et aucune procédure accessible et effective au travers de laquelle un individu aurait pu faire établir s’il pouvait ou non bénéficier du droit à l’objection de conscience, ne peut passer pour avoir ménagé un juste équilibre entre l’intérêt de la société dans son ensemble et celui des objecteurs de conscience (§ 67).

Ayant déjà jugé qu’en tant que philosophie, le pacifisme peut être considéré comme une conviction protégée par l’art. 9 CEDH (§ 45) et que la liberté de conscience est protégée sans réserve et fait partie du noyau dur de l’art. 9 CEDH (§ 60), la CourEDH rappelle que l’opposition au service militaire, lorsqu’elle est motivée par un conflit grave et insurmontable entre l’obligation de servir dans l’armée et la conscience d’une personne ou ses convictions sincères et profondes, de nature religieuse ou autre, constitue une conviction atteignant un degré suffisant de force, de sérieux, de cohérence et d’importance pour entraîner l’application des garanties de l’art. 9 CEDH (§ 42). Dans le même temps, elle a estimé que lorsqu’un individu, invoquant l’art. 9 CEDH, demande à bénéficier d’un privilège ou du droit à l’objection de conscience, il n’est pas contraire à l’art. 9 CEDH d’exiger un certain niveau de preuve pour justifier cette demande et de ne pas accorder le bénéfice demandé si cette justification n’est pas fournie. La question de la portée et des limites de la liberté de religion et de conscience est alors en jeu (§ 43).

Dans les circonstances particulières de cette affaire, la CourEDH a considéré que l’objection du requérant à l’accomplissement du service de réserve était motivée par des convictions atteignant un degré suffisant de force, de sérieux, de cohérence et d’importance pour entraîner l’application des garanties de l’art. 9 CEDH. Outre les déclarations du requérant, ses activités militantes et la manière dont il insistait sur son refus de servir dans l’armée malgré les mesures prises à son encontre, la CourEDH a relevé qu’en l’état de la législation applicable, le requérant n’avait pas la possibilité d’introduire une demande d’exemption, ni a fortiori de l’étayer, et s’exposait, en cas de refus, à des poursuites pénales (§ 46 ss). La plainte du requérant portait dans cette affaire non seulement sur une action de l’État, mais également et surtout sur un manquement de celui-ci à mettre en œuvre le droit à l’objection de conscience, ainsi qu’en l’absence d’une procédure qui lui aurait permis de demander que soit déterminé s’il remplissait ou non les conditions pour bénéficier d’un tel droit (§ 64).

4.3 Dans l’arrêt PAPAVASILAKIS c. Grèce du 15 septembre 2016 (req. n° 66899/14), la CourEDH a rappelé que l’obligation positive des États ne se limitait pas à celle de prévoir dans leur ordre juridique interne une procédure d’examen des demandes aux fins de la reconnaissance de la qualité d’objecteur de conscience, mais que cette obligation englobait aussi celle d’établir une enquête effective et accessible en la matière. Une des conditions essentielles pour qu’une telle enquête puisse être considérée comme effective est celle de l’indépendance des personnes qui en ont la charge (§ 60).

4.4 Dans l’arrêt BAYATYAN c. Arménie du 7 juillet 2011 (Grande Chambre, req. n° 23459/03), la CourEDH s’est prononcée, pour la première fois, sur l’applicabilité de l’art. 9 CEDH aux objecteurs de conscience (§ 99). Constatant un consensus quasi général sur la reconnaissance d’un droit à l’objection de conscience en Europe, la CourEDH a jugé que, même si l’art. 9 CEDH ne mentionne pas expressément le droit à l’objection de conscience, l’opposition au service militaire, lorsqu’elle est motivée par un conflit grave et insurmontable entre l’obligation de servir dans l’armée et la conscience d’une personne ou ses convictions sincères et profondes, de nature religieuse ou autre, constitue une conviction atteignant un degré suffisant de force, de sérieux, de cohérence et d’importance pour entraîner l’application des garanties de l’art. 9 CEDH. La question de savoir si et dans quelle mesure l’objection au service militaire relève de cette disposition doit être tranchée en fonction des circonstances propres à chaque affaire (§ 101 ss et 110). La Grande Chambre a ainsi annulé l’arrêt de la chambre précédemment saisie qui, sur la base de la jurisprudence antérieure, considérait que l’art. 9 CEDH ne garantissait pas le droit de refuser d’accomplir le service militaire pour des motifs de conscience (§ 4 s, 72 et 93 ss). Elle a admis l’applicabilité de l’art. 9 CEDH à la situation du requérant qui faisait partie des témoins de Jéhovah, groupe religieux dont les croyances comportent la conviction qu’il y avait lieu de s’opposer au service militaire, indépendamment de la nécessité de porter les armes. Son objection était motivée par des convictions religieuses sincères qui entraient en conflit, de manière sérieuse et insurmontable, avec son obligation d’effectuer le service militaire (§ 111).

La CourEDH a souligné qu’il fallait distinguer la situation du requérant de celle d’une personne qui se trouverait face à une obligation n’ayant en soi aucune incidence sur le plan de la conscience, comme l’obligation générale de payer des impôts (§ 111). Elle a aussi constaté que la quasi-totalité des États membres du Conseil de l’Europe ayant connu ou connaissant encore un service militaire obligatoire avaient mis en place des formes de service de remplacement afin d’offrir une solution en cas de conflit entre la conscience individuelle et les obligations militaires. Dès lors, un État qui n’avait pas encore pris de mesure en ce sens ne disposait que d’une marge d’appréciation limitée et devait présenter des raisons convaincantes et impérieuses pour justifier quelque ingérence que ce soit. Il devait en particulier faire la preuve que l’ingérence répondait à un « besoin social impérieux » (§ 123).

Faute d’alternative au refus d’être enrôlé dans l’armée, telle que le service civil de remplacement ou l’exemption pour des raisons de conscience, la CourEDH a estimé que la peine infligée au requérant, alors que rien n’était prévu pour tenir compte des exigences de sa conscience et de ses convictions, ne pouvait être considérée comme une mesure nécessaire dans une société démocratique, ce d’autant moins qu’il existait des solutions de remplacement viables et effectives propres à ménager les intérêts concurrents en présence, comme en témoignaient les pratiques suivies dans l’immense majorité des États membres (§ 124).

La CourEDH reconnaît que tout système de service militaire obligatoire impose aux citoyens une lourde charge. Celle-ci peut être acceptée si elle est partagée équitablement entre tous et si toute dispense de l’obligation d’accomplir le service se fonde sur des raisons solides et convaincantes. Dans cette affaire, la CourEDH relève que l’intéressé avait des motifs solides et convaincants justifiant son exemption du service militaire et qu’il n’avait jamais refusé d’accomplir ses obligations civiques en général, précisant qu’il avait demandé aux autorités de lui donner la possibilité d’effectuer un service civil de remplacement. Le requérant était donc disposé, pour des raisons convaincantes, à partager sur un pied d’égalité avec ses compatriotes accomplissant leur service militaire obligatoire la charge pesant sur les citoyens (§ 125).

4.5 Dans l’arrêt THLIMMENOS c. Grèce du 6 avril 2000 (Grande Chambre, req. n° 34369/97), la CourEDH a examiné, sous l’angle de l’art. 14 CEDH combiné avec l’art. 9 CEDH, le refus des autorités internes de nommer le requérant, membre des témoins de Jéhovah, à un poste d’expert-comptable à la suite de sa condamnation pénale pour avoir refusé de porter l’uniforme en raison de ses convictions religieuses, sans distinguer selon que les raisons ayant conduit à ladite sanction étaient fondées sur les convictions religieuses ou sur d’autres motifs.

Selon la CourEDH, bien qu’il n’ait pas d’existence indépendante car il vaut uniquement pour la jouissance des droits et libertés garantis par les autres dispositions de la CEDH et des Protocoles, l’art. 14 CEDH peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, possède une portée autonome. Pour l’application de l’art. 14 CEDH, il suffit que les faits du litige tombent sous l’empire de l’une au moins desdites dispositions (§ 40). Dans cette affaire, le requérant ne se plaignait pas de la distinction contenue dans les règles internes fixant l’accès à ladite profession, mais du fait que, pour appliquer la loi interne pertinente, aucune distinction ne soit établie entre les personnes condamnées pour des infractions commises exclusivement en raison de leurs convictions religieuses et les personnes reconnues coupables d’autres infractions. L’argument du requérant consistait à se prétendre victime d’une discrimination dans l’exercice de sa liberté de religion, garantie par l’art. 9 CEDH, en ce qu’il avait subi le même traitement que toute autre personne condamnée pour crime, alors que sa propre condamnation découlait de l’exercice même de cette liberté (§ 42). Si jusqu’alors la CourEDH avait conclu à la violation du droit garanti par l’art. 14 CEDH de ne pas subir de discrimination dans la jouissance des droits reconnus par la CEDH lorsque les États faisaient subir sans justification objective et raisonnable un traitement différent à des personnes se trouvant dans des situations analogues, elle estimait que ce n’en était pas la seule facette. Le droit de jouir des droits garantis par la CEDH sans être soumis à discrimination était également transgressé lorsque, sans justification objective et raisonnable, les États n’appliquaient pas un traitement différent à des personnes dont les situations sont sensiblement différentes (§ 44). La CourEDH admet ainsi que le grief du requérant relevait de l’art. 14 CEDH en combinaison avec l’art. 9 CEDH compte tenu des circonstances concrètes (§ 45).

Pour examiner si l’art. 14 CEDH avait été respecté, la CourEDH devait d’abord déterminer si le fait de n’avoir pas traité le requérant différemment d’autres personnes condamnées pour un crime poursuivait un but légitime. Dans l’affirmative, elle devait vérifier s’il existait un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but recherché (§ 46). Dans cette affaire, la CourEDH a considéré que l’exclusion du requérant de la profession d’expert-comptable ne poursuivait pas de but légitime et que le refus de le traiter différemment des autres personnes reconnues coupables d’un crime n’avait aucune justification objective et raisonnable. En adoptant la législation pertinente sans introduire les exceptions appropriées à la règle excluant de ladite profession les personnes condamnées pour crime, l’État avait enfreint le droit du requérant de ne pas subir de discrimination dans la jouissance de son droit au regard de l’art. 9 CEDH (§ 47s). La CourEDH a, dans cette affaire, admis la violation de l’art. 14 CEDH combiné avec l’art. 9 CEDH, sans examiner de surcroît une éventuelle violation de l’art. 9 CEDH pris isolément.

4.6 En l’espèce, le fait en soi de payer la TEO n’affecte pas la liberté de conscience du recourant, opposé au service militaire en raison de ses convictions. En effet, vu la décision d’inaptitude prononcée par les autorités compétentes, qui n’est pas contestée, il n’est pas tenu d’accomplir le service militaire. Sous cet angle, l’art. 9 CEDH n’est pas enfreint dans la mesure où cette disposition lui permet, à certaines conditions, de s’opposer à l’obligation d’effectuer le service militaire pour des motifs d’objection de conscience conformément à la jurisprudence de la CourEDH précitée.

Cela étant, la décision litigieuse refuse au recourant, déclaré inapte avec un taux d’invalidité inférieur à 40%, une alternative au paiement de la TEO. Elle le place ainsi dans une situation qui est potentiellement susceptible de l’entraver dans l’exercice de cette liberté qu’il revendique pour expliquer l’absence de demande au sens des art. 6 al. 1 let. c LAAM et ch. 4 de l’Annexe 1 OAMAS, ce qui sera examiné plus bas.

5.             Avant d’examiner les arguments des parties, il convient de rappeler le droit interne applicable au présent litige.

5.1 Selon l’art. 59 al. 1 Cst., tout homme de nationalité suisse est astreint au service militaire (phr. 1). La loi prévoit un service civil de remplacement (phr. 2).

5.1.1 Cette obligation constitutionnelle se retrouve, en tant que principe, à l’art. 2 al. 1 LAAM dont la teneur est : « Tout Suisse est astreint au service militaire ». Elle concrétise le principe de l’armée de « milice » et trouve son fondement dans la considération politique selon laquelle le fardeau du service militaire doit être réparti si possible d’égale façon, de manière à ce que l’intérêt général pour la chose militaire soit ancré dans le sentiment populaire (Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 1ss, p. 242-243). La LAAM est complétée par l’OAMAS et l’ordonnance sur les obligations militaires du 22 novembre 2017 (OMi - RS 512.21).

L’art. 2 al. 2 LAAM indique, sans autre précision, que le service de protection civile, le service civil de remplacement et la TEO sont réglées par des lois fédérales particulières. Le service civil de remplacement (ou service civil) est régi par la loi fédérale sur le service civil du 6 octobre 1995 (LSC - RS 824.0) et par l’ordonnance sur le service civil du 11 septembre 1996 (OSCi - RS 824.01). La protection civile, ancrée à l’art. 61 Cst., est précisée par la loi fédérale sur la protection de la population et sur la protection civile du 20 décembre 2019 (LPPCi - RS 520.1) et ses deux ordonnances, en particulier l’ordonnance sur la protection civile du 11 novembre 2020 (OPCi - RS 520.11). À Genève, ces lois sont complétées par la loi cantonale sur le service civil du 27 juin 2002 (LCSC - G 1 50), la loi d’application des dispositions fédérales en matière de protection civile du 9 octobre 2008 (LProCi - G 2 05) et son règlement d’exécution du 26 août 2009 (RProCi - G 2 05.01).

5.1.2 Hormis trois cas particuliers réglés aux art. 3 à 5 LAAM (service militaire des Suissesses, Suisses de l’étranger et doubles nationaux), l’attribution et l’affectation d’autres personnes que celles visées à l’art. 2 al. 1 LAAM sont réglées par l’art. 6 LAAM. Il s’agit notamment des personnes déclarées inaptes au service militaire et au service de protection civile pour des raisons médicales dont le taux d’invalidité est inférieur à 40% et qui déposent une demande pour accomplir du service plutôt que de payer la taxe d’exemption de l’obligation de servir (art. 6 al. 1 let. c LAAM, entré en vigueur dès le 1er janvier 2018 à la suite de l’ACEDH GLOR). Les personnes visées par l’art. 6 al. 1 let. c LAAM peuvent, à certaines conditions, être incorporées sur demande dans une fonction conformément au tableau d’effectif réglementaire de l’armée (attribution) ou être affectées à l’armée sans occuper une place de l’effectif réglementaire (affectation ; art. 4 al. 1 let. d ch. 1 et 2 OMi).

Les obligations militaires sont décrites au chapitre 2 de la LAAM (art. 7 ss LAAM). En vertu de l’art. 7 LAAM, les personnes astreintes au service militaire sont enrôlées au début de l’année au cours de laquelle elles atteignent l’âge de 18 ans (al. 1). Elles s’annoncent aux autorités militaires compétentes pour être inscrites aux rôles militaires et fournir les données exigées par la loi. L’obligation de s’annoncer s’éteint à la fin de l’année au cours de laquelle elles atteignent l’âge de 29 ans (al. 2). Le service militaire fait l’objet des art. 12 ss LAAM. L’art. 12 LAAM prévoit que les personnes « astreintes au service militaire et aptes au service » accomplissent les services énumérés aux let. a à e, qui peuvent se regrouper en trois catégories (instruction de l’armée [let. a], engagement de l’armée [let. b à d] et devoirs généraux hors du service [let. e]). Les art. 22 ss OMi portent sur le service militaire sans arme (art. 16 LAAM) pour toute personne astreinte au service militaire ne pouvant pas concilier le service militaire armé avec sa conscience, qui doit faire une demande à cet effet.

Selon l’art. 10 al. 1 let. b LAAM, l’aptitude à effectuer le service militaire ou le service de protection civile est appréciée lors du recrutement, ce qui est confirmé par l’art. 13 let. b OMi ainsi que par l’art. 34 LPPCi – qui fait explicitement référence à un recrutement commun à l’armée et à la protection civile (al. 1) – et par l’art. 5 OPCi. En outre, l’art. 14 al. 1 OMi précise le profil des prestations des conscrits sur la base de plusieurs points, notamment l’état de santé (let. a) et le psychisme (let. d). L’appréciation de ces deux points est réglée par l’OAMAS et l’OPCi (art. 14 al. 2 OMi). L’art. 15 OMi traite de l’aptitude à faire du service. Des profils d’exigences existent pour toutes les fonctions de recrutement de l’armée et de la protection civile (art. 15 al. 1 OMi). Est apte au service militaire quiconque, sur la base de son profil de prestations, satisfait aux exigences d’au moins une fonction de recrutement de l’armée (art. 15 al. 3 OMi). Est apte à servir dans la protection civile quiconque, sur la base de son profil de prestations, est inapte au service militaire, mais satisfait aux exigences d’au moins une fonction de recrutement de la protection civile (art. 15 al. 4 OMi). Est inapte au service quiconque est inapte au service militaire et inapte à servir dans la protection civile (art. 15 al. 5 OMi). En matière de protection civile, cette question est réglée par les art. 2 ss OPCi.

Enfin, l’art. 20 LAAM dispose qu’une nouvelle appréciation de l’aptitude au service militaire peut être ordonnée d’office par le service médico-militaire (al. 1) et prévoit les cas où elle peut être demandée (al. 1bis), notamment par les personnes concernées (let. a). Cette possibilité existe aussi en matière de protection civile (art. 8 s OPCi). L’incorporation et l’affectation de tout militaire peuvent être modifiées en tout temps (art. 20 al. 2 LAAM). En matière de protection civile, la question de l’aptitude, précisée par les art. 2 ss OPCi, fait aussi l’objet d’une décision (art. 6 et 12 OPCi) sujette à recours interne (art. 84 LPPCi)

5.1.3 Quant au service civil, l’art. 1 LSC dispose que : « les personnes astreintes au service militaire, qui ne peuvent concilier ce service avec leur conscience, accomplissent, sur demande, un service civil de remplacement (service civil) d’une durée supérieure au sens de la [LSC] ».

Le service civil sert des fins civiles et se déroule hors du cadre institutionnel de l’armée (art. 2 al. 2 LSC). L’art. 5 LSC règle l’équivalence avec le service militaire en prévoyant que le service civil ordinaire doit représenter, pour la personne qui y est astreinte, une charge globalement équivalente à celle que représentent les services d’instruction pour un soldat. La durée du service civil équivaut, sous certaines réserves, à 1.5 fois la durée totale des services d’instruction que prévoit la législation militaire et qui ne seront pas accomplis (art. 8 al. 1 phr. 1 LSC). Les obligations découlant de l’astreinte au service civil sont prévues à l’art. 9 LSC. L’art. 15 al. 1 LSC prévoit que tout homme astreint au service civil qui ne remplit pas, ou ne remplit qu’en partie, ses obligations sous forme de service personnel, doit fournir une compensation pécuniaire. Cela correspond aux art. 1 et 2 al. 1 LTEO évoqués plus bas. L’organe d’exécution informe le public et les personnes intéressées sur le service civil (art. 15a al. 1 LSC). Les autorités compétentes informent les conscrits sur le service civil, notamment lors des journées d’information (art. 15a al. 2 LSC).

L’astreinte au service civil commence dès que la décision d’admission au service civil entre en force ; l’obligation de servir dans l’armée s’éteint simultanément (art. 10 al. 1 LSC). La fin de l’astreinte au service civil prend fin dès l’instant où la personne astreinte est libérée ou exclue du service civil (art. 11 al. 1 LSC). En principe, une personne est libérée du service civil (art. 11 al. 2 LSC) douze ans après le début de l’année suivant l’entrée en force de la décision d’admission, si elle n’était pas incorporée dans l’armée (let. a), ou durant l’année au cours de laquelle elle aurait été libéré du service militaire selon la législation militaire si elle était incorporée dans l’armée (let. b). L’organe d’exécution prononce la libération avant terme du service civil dans certains cas prévus à l’art. 11 al. 3 LSC, notamment en cas d’incapacité de travail vraisemblablement durable (let. a), en cas d’atteinte dans sa santé si aucune possibilité d’affectation n’est compatible avec son état de santé (let. b) ou si la personne astreinte a été admise à sa demande au service militaire, à certaines conditions (let. d). Toute personne astreinte qui a été reconnue invalide à un taux d’invalidité d’au moins 70 % par les autorités compétentes est réputée présenter une incapacité de travail durable (art. 18 al. 7 phr. 1 OSCi).

L’admission au service civil est réglée par les art. 16 ss LSC sous le chapitre 2 et les art. 23 ss OSCi. En vertu de l’art. 16 LSC, les personnes « astreintes au service militaire » peuvent déposer, en tout temps, une demande d’admission au service civil. Le requérant doit déclarer dans sa demande qu’il ne peut concilier le service militaire avec sa conscience et qu’il est prêt à accomplir un service civil au sens de la présente loi (art. 16b al. 1 LSC). Est admis au service civil quiconque a pris part à l’intégralité de la journée d’introduction et a ensuite confirmé sa demande d’admission (art. 18 al. 1 LSC). L’organe d’exécution arrête le nombre de jours de service et fixe la durée de l’astreinte au service civil. La décision y relative est notifiée au requérant (art. 18a al. 1 LSC). L’art. 19 al. 1 OSCi prévoit la réincorporation de la « personne astreinte » dans l’armée dans deux situations : à la demande de la personne astreinte (let. a) ou lorsque la décision d’admission au service civil a été révoquée (let. b).

Le chapitre 3 (art. 19 à 24 LSC) traite du déroulement du service civil, notamment de la préparation des affectations (art. 19 LSC) en prévoyant l’appréciation de l’aptitude de la personne astreinte à l’affectation envisagée (art. 19 al. 2 LSC). L’organe d’exécution peut refuser d’approuver la convention d’affectation s’il a des doutes légitimes sur l’aptitude de la personne astreinte à l’affectation (art. 19 al. 8 phr. 2 LSC). La personne astreinte se soumet aux examens médicaux nécessaires pour évaluer sa capacité de travail ou une atteinte à sa santé (art. 33 al. 1 LSC). Ces aspects sont abordés après l’admission au service civil, réglée par le chapitre 2 qui ne fait aucune référence expresse à l’aptitude de la personne concernée (art. 16 à 18d LSC).

Les travaux préparatoires de la LSC précisent que l’introduction du service civil dans la réglementation suisse, à la suite d’une votation populaire l’ayant largement acceptée en mai 1992, repose sur certains principes, notamment la primauté de l’obligation générale de servir (service militaire) et l’absence de libre choix entre service militaire et service civil (Message du Conseil fédéral du 22 juin 1999 concernant la loi fédérale sur le service civil, FF 1994 III 1597, 1598, 1600 et 1614). Il découle de la deuxième phrase de la disposition constitutionnelle (art. 18 al. 1 de l’ancienne Cst) que le service civil s’entend comme un service substitutif du service militaire et non comme alternative à l’obligation générale de servir, son but étant de résoudre le problème de l’objection de conscience. Un service substitutif n’a de sens que s’il y a assujettissement à une obligation de servir. Dès lors, le service civil n’est accessible qu’aux personnes tenues d’accomplir leur service militaire (Message précité, FF 1994 III 1614 s).

5.2 En matière de protection civile, selon l’art. 29 al. 1 LPPCi, tous les hommes de nationalité suisse qui y sont aptes (personnes astreintes) sont astreints à servir dans la protection civile (service obligatoire). Cette norme concrétise l’art. 61 al. 3 phr. 1 Cst. L’art. 29 al. 2 LPPCi énumère les personnes qui ne sont pas astreintes au service de protection civile, à savoir notamment les personnes astreintes au service militaire ou au service civil (let. a). L’art. 34 al. 1 LPPCi précise que l’armée et la protection civile procèdent à un recrutement commun (phr. 2). Le recrutement permet d’apprécier l’aptitude à effectuer le service de protection civile (phr. 1).

L’appréciation médicale de cette aptitude est concrétisée par les art. 5 ss OPCi. Y sont soumises, entre autres, les hommes de nationalité suisse inaptes au service militaire (art. 5 al. 1 let. a OPCi), les personnes dont la demande d’admission au service de protection civile volontaire a été acceptée et qui n’ont encore participé à aucun recrutement (art. 5 al. 1 let. c OPCi) et les personnes recrutées pour le service militaire qui ont été déclarées inaptes après le recrutement et qui n’ont pas encore accompli l’école de recrues (art. 5 al. 3 let. c OPCi). La question de l’aptitude au service de protection civile est réglée par décision (art. 6 OPCi) sujette à recours (art. 84 LPPCi).

À l’instar de l’art. 5a OTEO, l’art. 41 LPPCi prévoit le lien entre la protection civile et la TEO, en ce sens que le calcul du montant de cette taxe prend en compte la totalité des jours de service de protection civile effectués qui donnent droit à une solde. Ont droit à une solde les personnes qui effectuent un service de protection civile (art. 39 al. 1 LPPCi), notamment les jours de recrutement et les services d’instruction ou les interventions suite à une convocation (art. 26 al. 1 let. a à c OPCi), étant précisé qu’en général, un jour de service donne droit à la solde si au moins 8 heures de service ont été accomplies (art. 26 al. 2 OPCi). Les personnes astreintes non incorporées sont enregistrées dans une réserve nationale de personnel et ne suivent pas d’instruction (art. 36 al. 1 LPPCi). Nul ne peut faire valoir un droit à être incorporé et à effectuer un service de protection civile (art. 36 al. 3 LPPCi).

5.3 En vertu de l’art. 59 al. 3 Cst., tout homme de nationalité suisse qui n’accomplit pas son service militaire ou son service de remplacement s’acquitte d’une taxe. Celle-ci est perçue par la Confédération et fixée et levée par les cantons. La TEO est réglée par la LTEO et l’ordonnance sur la taxe d’exemption de l’obligation de servir du 30 août 1995 (OTEO - RS 661.1). À Genève trouvent application la LaTE et le règlement concernant l’application des prescriptions fédérales et cantonales sur la TEO du 17 août 2022 (RaTE - G 1 05.03) qui fonde la compétence du STEO en matière de TEO (art. 1 RaTE).

5.3.1 L’assujettissement à la TEO se définit par rapport à l’accomplissement du « service militaire ou du service civil », en tant que ces derniers représentent deux formes de « service personnel » de l’obligation de servir (art. 1 LTEO), et ce conformément à l’art. 59 al. 3 Cst. Si ni l’un ni l’autre n’a été effectué par le citoyen suisse, ou ne l’a été qu’en partie, ce dernier doit fournir une compensation pécuniaire (art. 1 LTEO). La TEO est le corollaire du non-accomplissement de l’obligation de servir personnelle ; elle présuppose une obligation de servir (Message précité, FF 1997 I 1ss, p. 242-243).

Selon la jurisprudence, cette taxe, qui constitue une contribution de remplacement, a pour but de garantir une égalité de traitement entre les personnes soumises à l’obligation de servir qui effectuent le service militaire ou le service civil et celles qui en sont exonérées (arrêt du Tribunal fédéral 2C_170/2016 du 23 décembre 2016 consid. 4.1 et les arrêts cités ; ATA/925/2021 du 7 septembre 2021 consid. 2a). Son objectif n’est pas de sanctionner un comportement mais d’éviter, parmi les personnes soumises aux obligations militaires, les inégalités criantes entre celles qui effectuent un service et celles qui n’en font pas. Le militaire qui est dispensé d’un service en tire normalement un avantage par rapport aux autres astreints de sa classe d’âge. La perception d’une taxe doit compenser cet avantage, sous la forme d’une prestation financière (ATA/640/2020 du 30 juin 2020 consid. 2a).

5.3.2 En vertu de l’art. 2 al. 1 LTEO, sont assujettis à la TEO les hommes « astreints au service », domiciliés en Suisse, qui, au cours d’une année civile, : a) ne sont, pendant plus de six mois, ni incorporés dans une formation de l’armée ni astreints au service civil ; c) n’effectuent pas le service militaire ou le service civil qui leur incombent en tant qu’hommes « astreints au service ». Sont par ailleurs assujettis à la TEO les hommes astreints au service militaire ou au service civil qui sont libérés de l’obligation de servir sans avoir accompli la totalité des jours de service obligatoires (art. 2 al. 1bis LTEO). L’art. 7 LTEO précise les jours compris en tant que service militaire respectivement service civil.

L’art. 8 LTEO définit le service militaire respectivement le service civil considéré comme « non effectué ». Si l’homme astreint au service militaire n’a pas accompli un service entier au cours de l’une des années qui suivent celle au cours de laquelle il a effectué l’école de recrues, le service militaire est réputé non effectué pour cette année au sens de la présente loi (al. 1). Si l’homme astreint au service civil n’a pas accompli au moins 26 jours de service imputables au cours de l’une des années qui suivent celle au cours de laquelle la décision d’admission est entrée en force, le service civil est réputé non effectué pour cette année au sens de la présente loi (al. 2). En général et conformément à l’art. 3 al. 1 LTEO, l’assujettissement à la TEO commence au plus tôt au début de l’année au cours de laquelle l’homme astreint atteint l’âge de 19 ans. Il se termine au plus tard à la fin de l’année au cours de laquelle il atteint l’âge de 37 ans. La durée de l’assujettissement à la TEO a été allongée dès le 1er janvier 2019 par une modification de l’art. 3 LTEO dont l’ancienne teneur prévoyait l’assujettissement entre les 20 ans et les 30 ou 34 ans suivant le cas.

Le Tribunal fédéral a précisé que les éléments de base déterminants servant de fondement à la TEO sont, outre l’âge et la période d’assujettissement, l’incorporation (ou non) dans une formation de l’armée, la soumission (ou non) à l’obligation de servir dans le civil et l’accomplissement (ou non) du service militaire ou civil pendant l’année d’exemption (arrêt du Tribunal fédéral 9C_648/2022 du 9 janvier 2024 consid. 7.1).

5.3.3 L’exonération de la TEO régie par l’art. 4 LTEO exige entre autres la présence d’un handicap « majeur », hypothèse précisée par l’art. 1 OTEO mais non réalisée en l’espèce sans qu’aucune partie ne le conteste, de sorte que cet aspect ne sera pas développé.

Dans ce domaine, le législateur ne voulait pas instituer une dispense générale du paiement de la taxe pour les personnes souffrant de handicap et exemptées de l’obligation de servir pour cette raison (ATF 124 II 241). Le handicap physique ou mental doit être « majeur », soit présenter une certaine gravité. Cette notion doit être interprétée restrictivement. À teneur de la jurisprudence, seule une atteinte à l’intégrité de 40% et plus peut être qualifiée de handicap majeur au sens de l’art. 4 LTEO (ATF 126 II 275 consid. 4b ; 124 II 241 consid. 4b).

5.3.4 L’art. 5a OTEO fait le lien entre la TEO et les services accomplis dans la protection civile, en prévoyant une réduction de la TEO, à certaines conditions, en faveur des hommes servant dans la protection civile pour chaque jour accompli, et ce dès l’année d’assujettissement 2004.

6.             Dans leur contribution relative à l’art. 59 Cst., Kastriot LUBISHTANI et Vincent MARTENET considèrent que, malgré la modification susmentionnée du droit suisse qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2013 à la suite de l’ACEDH GLOR, les objecteurs de conscience présentant un taux d’invalidité inférieur à 40% sont ex lege astreints au paiement de la taxe et qu’une telle solution est constitutive d’une discrimination contraire aux art. 8 al. 4 et 15 Cst. ainsi qu’au droit international, plus particulièrement les art. 8, 9 et 14 CEDH (Kastriot LUBISHTANI/Vincent MARTENET in Vincent MARTENET/Jacques DUBEY [éd.] Commentaire romand – Constitution fédérale, 1re éd., 2021, n. 43 ad art. 59 Cst.).

6.1 Selon ces auteurs, les exemptions prévues à l’art. 4 LTEO ne permettent pas de tenir compte des atteintes à la santé dites légères, c’est-à-dire celles présentant un taux d’invalidité inférieur à 40%. Pour ces personnes, il existait jusqu’à fin 2012 une double discrimination, par rapport aux personnes qui présentaient un taux d’invalidité supérieur à 40% d’une part et aux objecteurs de conscience ayant la possibilité d’effectuer le service civil d’autre part. Afin de remédier à cette discrimination, le Conseil fédéral a permis, depuis 2013, aux personnes déclarées inaptes au service militaire ainsi qu’au service de protection civile et soumises à la taxe d’exemption, mais désireuses de servir, d’accomplir un service militaire avec des restrictions médicales particulières. Cela étant, selon ces auteurs, cette solution demeure imparfaite à deux égards. D’une part, l’exigence de l’inaptitude au service de protection civile n’est ni adéquate ni nécessaire pour atteindre le but visé, puisqu’il s’agit d’un service différent. D’autre part, cette solution ne tient pas compte des personnes cumulant, en plus de leur handicap, une objection de conscience qui conduirait au service civil. Ce dernier n’est en pratique pas ouvert à ces personnes, en raison de leur inaptitude au service militaire (ibid.).

Sur ce dernier point, ces auteurs rappellent que le service civil suppose en pratique l’aptitude au service militaire, à défaut de quoi seul le service de protection civile peut entrer en ligne de compte. Cette exigence ne découle pas de la Cst. et ne figure pas dans la lettre de la loi. En effet, l’art. 1 LSC se réfère à « l’astreinte au service militaire », notion claire mais interprétée à tort, selon ces auteurs, par le Conseil fédéral comme supposant « l’aptitude au service militaire » et ne rendant pas justice à l’esprit véritable de la norme et de la volonté du législateur. Ils mettent ainsi en doute l’adéquation d’un tel critère pour atteindre le but visé, à savoir permettre à des objecteurs de conscience de s’acquitter de leur devoir constitutionnel autrement que par le paiement d’une taxe, et sa conformité au principe de proportionnalité, compte tenu en outre des conséquences problématiques engendrées par la taxe par rapport au respect du droit international des droits humains ou de l’homme (Kastriot LUBISHTANI/Vincent MARTENET, op. cit., n. 34 ad art. 59 Cst.). Dans la note de bas de page n. 74, ces auteurs mentionnent l’avis du Conseil fédéral, selon lequel le sens et la genèse de l’article constitutionnel relatif au service civil ne permettent pas de l’interpréter dans le sens d’une ouverture aux personnes inaptes au service militaire et que, tant que le service civil est un service substitutif au service militaire, les hommes inaptes au service militaire ne sauraient avoir le libre choix entre la TEO et le service civil (FF 1994 III 1597, 1636). Ils estiment que cette interprétation du Conseil fédéral est discutable, car l’obligation constitutionnelle du service militaire est indépendante de la santé, raison pour laquelle il devrait en aller de même pour le service de remplacement qu’est le service civil (Kastriot LUBISHTANI/Vincent MARTENET, op. cit., note de bas de page n° 74 ad art. 59 Cst.).

6.2 Dans le cadre de la description du cercle des destinataires de la TEO au sens de l’art. 59 al. 3 Cst., ces auteurs indiquent que l’inaccomplissement du service militaire ou du service civil peut avoir diverses causes, notamment la « dispense » de fournir le service personnel en cas d’inaptitude conformément aux art. 12 LAAM et 15 al. 3 OMi (Kastriot LUBISHTANI/Vincent MARTENET, op. cit., n. 39 ad art. 59 Cst.).

6.3 Concernant le service civil de remplacement prévu à l’art. 59 al. 1 phr. 2 Cst., ces auteurs soulignent que cette disposition consacre, en lien avec l’art. 15 Cst., un droit à l’objection de conscience. Elle tire sa raison d’être dans la prise en compte générale de l’impossibilité pour certaines personnes astreintes à servir dans l’armée de concilier leurs convictions personnelles avec les impératifs du service militaire (Kastriot LUBISHTANI/Vincent MARTENET, op. cit., n. 29 ad art. 59 Cst.). Toutefois, cette norme constitutionnelle ne confère pas le droit de refuser de servir dans l’armée, ni le droit subjectif de choisir librement entre le service militaire et le service civil, car le second n’est qu’un substitut au premier. Ainsi, ces auteurs constatent que le service militaire bénéficie d’une primauté constitutionnelle et demeure la règle, tandis que le service civil est l’exception la confirmant (Kastriot LUBISHTANI/Vincent MARTENET, op. cit., n. 30 ad art. 59 Cst.).

L’obligation d’effectuer le service civil de remplacement n’a pour destinataires que les personnes astreintes au service militaire, c’est-à-dire les hommes de nationalité suisse selon l’art. 59 al. 1 phr. 1 Cst. (Kastriot LUBISHTANI/Vincent MARTENET, op. cit., n. 31 ad art. 59 Cst.). Comme déjà évoqué, le service civil suppose en pratique l’aptitude au service militaire (Kastriot LUBISHTANI/Vincent MARTENET, op. cit., n. 34 ad art. 59 Cst.). Ces auteurs rappellent que l’admission au service civil est subordonnée à l’existence d’un conflit de conscience entre le service militaire et des motifs de conscience pouvant être d’ordre religieux, politique, éthique, philosophique, humaniste ou d’une autre nature encore. Pour en attester, le législateur requiert depuis 2009 la preuve par l’acte, soit une déclaration par laquelle une personne indique, d’une part, ne pouvoir concilier le service militaire avec sa conscience et, d’autre part, vouloir accomplir le service civil (art. 16b al. 1 LSC) d’une durée supérieure au service militaire (art. 1 LSC) (Kastriot LUBISHTANI/Vincent MARTENET, op. cit., n. 33 ad art. 59 Cst.).

Enfin, Kastriot LUBISHTANI et Vincent MARTENET soulignent que l’objection de conscience est protégée par la liberté de conscience et de croyance au sens des art. 9 CEDH et 15 Cst. lorsqu’elle est motivée « par un conflit grave et insurmontable entre l’obligation de servir dans l’armée et la conscience d’une personne ou ses convictions sincères et profondes, de nature religieuse ou autre » conformément à la jurisprudence de la CourEDH, notamment son arrêt PAPAVASILAKIS contre Grèce du 15 septembre 2016, req. 66899/14 § 51 ss. Ce qui est décisif n’est pas la nature de la conviction, mais son « degré suffisant de force, de sérieux de cohérence et d’importance » au sens de la jurisprudence de la CourEDH. Sur le fondement de l’art. 9 CEDH, il existe une obligation positive à charge de l’État d’offrir à tout objecteur de conscience une procédure effective et accessible permettant d’accéder à ce statut et donc de bénéficier du service civil de remplacement. Une commission d’examen du conflit de conscience ne saurait être composée exclusivement de militaires, sinon à remettre en doute son indépendance et par là le caractère effectif de la procédure, compte tenu de la jurisprudence de la CourEDH (Kastriot LUBISHTANI/Vincent MARTENET, op. cit., n. 37 ad art. 59 Cst.).

7.             En l’espèce, la décision litigieuse revient à obliger le recourant à payer la TEO pour un double motif lié à la fois à son inaptitude découlant d’une atteinte à la santé présentant un taux d’invalidité inférieur à 40%, non contestée par les autorités fiscales, et à l’allégation de convictions personnelles au sens de l’art. 9 CEDH.

En effet, d’une part, pour accomplir le service militaire, l’art. 12 LAAM pose, à titre de condition supplémentaire à celle d’y être astreint (ce qui implique d’être un homme de nationalité suisse, art. 59 al. 1 Cst. et 2 al. 1 LAAM), l’aptitude au service militaire. En revanche, les art. 16 à 18d LSC (chapitre 2) ne posent pas l’aptitude en tant que condition à l’admission au service civil. L’art. 16b LSC règle le contenu de la demande d’admission au service civil, en prévoyant, à son al. 1, que « le requérant doit déclarer dans sa demande qu’il ne peut concilier le service militaire avec sa conscience et qu’il est prêt à accomplir un service civil au sens de la [LSC] ». Cela étant, selon les travaux préparatoires précités, le service civil est conçu, en droit suisse, comme un substitut au service militaire, et non une alternative à celui-ci, qui vise à résoudre le problème de l’objection de conscience. Il présuppose à la fois l’obligation d’effectuer le service militaire (FF 1994 III 1614s) et en pratique, comme le relèvent Kastriot LUBISHTANI et Vincent MARTENET et comme l’affirment les autorités fiscales dans la présente procédure à l’appui du rapport du Conseil fédéral de 2022 et de sa réponse de 2021, l’aptitude au service militaire, et ce bien que, comme le soulignent ces auteurs, l’art. 1 LSC vise uniquement les « personnes astreintes au service militaire », soit les hommes de nationalité suisse (art. 59 al. 1 Cst. et 2 al. 1 LAAM), sans référence à la question de leur aptitude (à effectuer le service militaire). En l’espèce, aucune partie ne conteste que la voie du service civil de remplacement était fermée au recourant car il avait été déclaré inapte au service militaire lors du recrutement, ce qui découle également du rapport du Conseil fédéral de 2022.

D’autre part, en cas d’inaptitude pour des raisons médicales avec un taux d’invalidité inférieur à 40%, l’art. 6 al. 1 let. c LAAM et le ch. 4 Annexe 1 OAMAS offrent, à la suite de l’affaire GLOR, la possibilité aux personnes déclarées inaptes pour ce motif d’effectuer le service militaire avec restrictions médicales particulières, à titre d’alternative au paiement de la TEO, étant précisé que les personnes présentant une telle inaptitude ne sont pas exemptées de cette taxe par l’art. 4 LTEO. Cette alternative, ancrée désormais à l’art. 6 al. 1 let. c LAAM et au ch. 4 Annexe 1 OAMAS, n’est pas une obligation mais une faculté qui permet, auxdites personnes inaptes qui en font la requête à travers le formulaire 13444 intitulé « Confirmation de la volonté d’effectuer du service militaire », d’être attribuée ou affectée à l’armée (art. 6 al. 1 let. c ab initio LAAM, 4 al. 1 let. d OMi). Elle a pour conséquence, en cas de volonté clairement exprimée par écrit de la personne inapte, de l’incorporer comme « soldat d’exploitation dans une formation de l’instruction et du support » avec la condition que les exigences du service correspondent à l’activité civile et aux capacités physiques et intellectuelles de la personne concernée (ch. 4 Annexe 1 OAMAS ; FF 2014 6743). Or, depuis son arrêt BAYATYAN précité de juillet 2011, la CourEDH reconnaît, à certaines conditions, le droit à l’objection de conscience fondé sur l’art. 9 CEDH, en particulier le droit d’invoquer des motifs de conscience pour s’opposer au service militaire dans le cadre d’une procédure accessible et effective conformément à sa jurisprudence susmentionnée, étant précisé qu’il n’est pas contraire à l’art. 9 CEDH d’exiger un certain niveau de preuve pour justifier du droit à l’objection de conscience. Le fait d’avoir accepté d’accomplir le service militaire avant de revendiquer l’exercice de ce droit n’est pas déterminant selon la jurisprudence de la CourEDH (ACEDH KANATLI précité § 43).

7.1 En l’état actuel du droit suisse, le recourant, inapte avec un taux d’invalidité inférieur à 40% et alléguant une objection de conscience au sens de l’art. 9 CEDH pour s’opposer au service militaire, estime être contraint de payer la TEO, faute d’alternative à celle-ci. Ce dernier point est contesté par les autorités fiscales qui reprochent au recourant de ne pas avoir entrepris toutes les démarches envisageables par le droit suisse, à savoir : d’une part, remplir le formulaire 13444 précité pour faire le service militaire avec restrictions médicales au sens de l’art. 6 al. 1 let. c LAAM et, d’autre part, contester la décision constatant, au moment de son recrutement, son inaptitude au service militaire et à la protection civile par le biais du recours ou du réexamen (demande de nouvelle appréciation médicale). En l’absence de ces démarches, le recourant ne pouvait, selon les autorités fiscales, pas se prévaloir d’une discrimination.

La particularité de la présente espèce réside dans le cumul des deux motifs précités liés à l’atteinte à la santé du recourant présentant un taux d’invalidité inférieur à 40%, l’empêchant d’accomplir le service militaire et, vu la pratique susévoquée, le service civil, ainsi qu’au statut d’objecteur de conscience au sens de l’art. 9 CEDH qu’il revendique pour s’opposer à la voie offerte, aux personnes inaptes comme lui avec un taux d’invalidité inférieur à 40%, par l’art. 6 al. 1 let. c LAAM, dite service militaire avec restriction médicales particulières ou « service militaire adapté » selon le rapport du Conseil fédéral de 2022.

En effet, s’il n’avait pas de motifs de conscience à alléguer, il disposerait du choix entre le paiement de la TEO et la possibilité de faire un service militaire adapté au sens de l’art. 6 al. 1 let. c LAAM, en application des arrêts GLOR et RYSER précités empêchant une discrimination fondée sur un handicap même léger. En revanche, s’il était apte, il pourrait se prévaloir du droit à l’objection de conscience dans le cadre du service civil de remplacement prévu par la LSC et disposer de la possibilité d’accomplir le service civil (en lieu et place du service militaire obligatoire). Il ne serait, dans aucun de ces deux cas, contraint de payer la TEO. Or, en l’état du droit suisse en vigueur (à tout le moins tel qu’interprété à ce jour), le fait d’être inapte pour des raisons médicales avec un taux d’invalidité inférieur à 40% place le recourant, qui revendique le statut d’objecteur de conscience, dans une situation inextricable découlant d’une double différence de traitement fondée sur son atteinte à la santé : payer la TEO ou demander à effectuer le service militaire avec restrictions médicales particulières au sens l’art. 6 al. 1 let. c LAAM, la possibilité de faire le service civil étant réservée aux personnes astreintes au service militaire et aptes à celui-ci comme déjà exposé plus haut.

Ainsi, outre la question du respect de l’interdiction de discrimination entre personnes déclarées inaptes au service militaire pour des raisons médicales fondées sur les art. 8 et 14 CEDH en vertu des arrêts GLOR et RYSER de la CourEDH, le présent cas soulève celle du droit de ne pas subir de discrimination dans l’exercice de son droit à la liberté (et à l’objection) de conscience au vertu de l’art. 9 CEDH, découlant de l’arrêt THLIMMENOS précité de la CourEDH admettant l’application de l’art. 14 CEDH en lien avec l’art. 9 CEDH.

7.2 L’approche juridique pour déterminer s’il existe une discrimination prohibée au sens de l’art. 14 CEDH, que ce soit en lien avec l’art. 9 CEDH ou avec l’art. 8 CEDH, est la même, comme cela découle de la jurisprudence susmentionnée de la CourEDH. Celle-ci exige de vérifier s’il existe une justification objective et raisonnable à la différence de traitement. Elle implique d’identifier, d’une part, si l’État en cause poursuit un but légitime et, d’autre part, s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés par l’État et le but qu’il vise à atteindre. Le caractère raisonnable doit s’apprécier au regard du but et des effets de la mesure litigieuse et implique plus particulièrement d’examiner s’il existe une mesure portant moins gravement atteinte au droit fondamental en cause et permettant d’arriver au même but. Si une telle alternative n’existe pas, la mesure litigieuse peut être considérée comme proportionnée et nécessaire dans une société démocratique, à condition qu’elle repose sur une justification objective poursuivant un but légitime. Il s’agit d’une approche correspondant à celle de la jurisprudence susmentionnée du Tribunal fédéral relative à l’art. 8 al. 1 Cst., étant précisé que celle-ci exige une justification « qualifiée » en cas d’usage d’un critère prohibé par l’art. 8 al. 2 Cst., tel qu’une déficience corporelle, mentale ou psychique, l’intérêt public poursuivi par la mesure litigieuse devant alors être légitime et primordial.

Ce raisonnement rejoint celui de l’examen de la réalisation des deux conditions posées par l’art. 36 al. 2 et 3 Cst., à savoir l’existence d’un intérêt public et le respect du principe de la proportionnalité. Selon le Tribunal fédéral, le principe de proportionnalité ancré à l’art. 36 al. 3 Cst. exige que la mesure envisagée soit apte à produire les résultats d’intérêt public escomptés (règle de l’aptitude) et que
ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et postule un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 148 I 160 consid. 7.10 ; 140 I 218 consid. 6.7.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_87/2023 du 23 février 2024 consid. 7.5.1, destiné à publication). La restriction ne doit pas être plus grave que nécessaire d’un point de vue objectif, spatial, temporel et personnel. Les intérêts antagonistes privés et publics doivent être évalués et pondérés en considération des circonstances de l’espèce et du contexte social actuel (ATF 142 I 49 = JdT 2016 I 67 consid. 9.1 et les arrêts cités ; ATA/1277/2022 du 20 décembre 2022 consid. 12a, confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_87/2023 précité).

7.3 En matière de TEO, la CourEDH a déjà admis l’existence d’un but légitime résultant de la volonté du législateur suisse de rétablir une certaine égalité entre les personnes effectuant le service militaire ou le service civil et celles qui en étaient exemptées (ACEDH GLOR § 82). À cet égard, et comme le souligne la juge suisse dans l’opinion dissidente précitée à l’ACEDH RYSER, la création d’une « armée de milice » n’est pas contraire à la CEDH et la mise en place d’un système d’incitations financières visant à encourager le service militaire ordinaire par rapport aux services de remplacement relève de la marge d’appréciation des États.

En Suisse, le principe de l’armée de milice trouve son fondement dans la considération politique selon laquelle le fardeau du service militaire doit être réparti de manière égale afin que l’intérêt général pour la chose militaire soit ancré dans le sentiment populaire (FF 1997 I 242 s). Comme évoqué plus haut, le but de la TEO n’est pas de sanctionner un comportement, mais d’éviter, parmi les personnes soumises aux obligations militaires, les inégalités criantes entre celles qui effectuent un service et celles qui en sont exemptées, le militaire dispensé d’un service en tirant normalement un avantage par rapport aux autres astreints de sa classe d’âge.

Dès lors, l’assujettissement litigieux à la TEO poursuit un but légitime (ou intérêt public) en visant à rétablir une certaine égalité entre les personnes effectuant le service militaire ou civil et celles qui en sont exemptées.

7.4 Dans l’affaire GLOR, la CourEDH a jugé que la distinction fondée sur l’existence d’un handicap reposait sur une justification objective. Cela conduisait les personnes inaptes ayant un taux d’invalidité inférieur à 40% à être obligatoirement assujetties à la TEO, contrairement aux personnes aptes et aux personnes inaptes avec un taux d’invalidité supérieur à 40%.

Cette différence de traitement a cependant été jugée discriminatoire par l’ACEDH GLOR, faute de justification raisonnable. La CourEDH a retenu à cet égard que la marge d’appréciation des États dans l’établissement d’un traitement juridique différent pour les personnes handicapées était fortement réduite (§ 84) et que le besoin de garantir la défense et la sécurité nationale, par le biais d’une taxe, n’était pas véritablement avéré compte tenu de la tendance des États européens à supprimer complètement la conscription et à la remplacer par des armées de métier (§ 86). Outre l’importance mineure de la TEO, la CourEDH ne comprenait pas ce qui empêchait le droit suisse de mettre en place des formes particulières de service pour des personnes souhaitant faire le service militaire ou le service civil mais déclarés inaptes par les autorités militaires compétentes. Elle était convaincue que des formes particulières de service civil, adaptées aux besoins des personnes se trouvant dans une telle situation, étaient parfaitement envisageables (§ 94s).

Par ailleurs, dans l’ACEDH RYSER, la CourEDH a souligné, d’une part, que la volonté du requérant d’effectuer le service militaire ne devait pas être exprimée de manière expresse ou insistante ; il suffisait que le fait d’être disposé à servir découle du dossier. D’autre part, pareille volonté n’était pas déterminante dans la mesure où les médecins experts de l’armée l’avaient déclaré inapte à servir (§ 56). Cette position était partagée par l’opinion dissidente de la juge suisse, selon laquelle il n’était pas pertinent de savoir si le requérant avait exprimé sa volonté d’effectuer son service militaire dès lors qu’il avait été jugé inapte à le faire par les autorités compétentes de l’État (§ 16 de l’opinion dissidente à l’ACEDH RYSER). Elle ne se ralliait cependant pas à l’argument selon lequel le requérant était aussi dispensé de tenter d’accomplir le service civil (ici le service de protection civile), faute de mesure concrète de sa part à cette fin. Elle estimait qu’il devait y avoir une alternative au service militaire régulier mais que les États jouissaient d’une large marge d’appréciation dans l’organisation des détails du service de remplacement (§ 13 s et 16 de l’opinion dissidente).

Les deux arrêts GLOR et RYSER précités de la CourEDH ont admis l’existence d’une discrimination au sens de l’art. 14 CEDH combiné avec l’art. 8 CEDH, en raison de la différence de traitement entre les personnes déclarées inaptes au service militaire, fondée sur le taux de leur invalidité (inférieur ou supérieur à 40%), les unes étant exemptées de la TEO contrairement aux autres qui y étaient contraintes tout en étant empêchées d’accomplir le service militaire ou de le remplacer par un service civil.

7.5 En l’espèce, les autorités fiscales reprochent premièrement au recourant de ne pas avoir contesté la décision d’inaptitude au service militaire afin d’être déclaré apte, par le biais d’un recours ou d’une demande de réexamen visant une nouvelle appréciation médicale de son aptitude.

Or, dans l’affaire RYSER, la CourEDH a écarté l’argument de la Suisse, selon lequel le justiciable n’aurait pas manifesté de volonté d’effectuer un service militaire, considérant, d’une part, qu’il n’avait pas accompli le service militaire compte tenu de son inaptitude pour raisons médicales, décidée par l’autorité interne compétente, et, d’autre part, que rien dans le dossier n’indiquait qu’il ne fut pas disposé à servir, même s’il n’avait peut-être pas exprimé sa volonté de manière expresse et insistante. La CourEDH a également précisé que la volonté du justiciable d’effectuer le service militaire n’était pas déterminante puisqu’il avait été déclaré inapte pour des raisons médicales par les autorités médicales militaires compétentes (§ 56). Cette position était partagée par la juge suisse dans son opinion dissidente.

Il n’est dès lors pas non plus nécessaire, en l’espèce, que la décision d’inaptitude prise par l’autorité interne compétente soit contestée par le recourant pour bénéficier du droit à ne pas subir de discrimination dans ses droits garantis par la CEDH en vertu de l’art. 14 CEDH combiné avec l’art. 8 CEDH ou l’art. 9 CEDH, en raison de son état de santé. Il ne peut ainsi pas lui être reproché sur ce point de ne pas avoir été actif au sens de la jurisprudence fédérale, sous peine de violer ce droit.

7.6 Deuxièmement, les autorités fiscales se plaignent du fait que le recourant n’a pas fait usage de la possibilité de demander à faire le service militaire avec restrictions médicales au sens de l’art. 6 al. 1 let. c LAAM, en remplissant le formulaire 13444 intitulé « Confirmation de la volonté d’effectuer du service militaire », pour pouvoir effectuer le service civil de remplacement. Or, elles admettent dans le cadre de la présente procédure, comme cela a déjà été indiqué plus haut, que le recourant ne peut pas prétendre au service civil de remplacement en raison de son inaptitude au service militaire, bien que cela soit contestable au regard des art. 16 ss LSC régissant l’admission au service civil, comme le relèvent Kastriot LUBISHTANI et Vincent MARTENET. De plus, cette critique des autorités fiscales soulève la question de sa conformité au droit à l’objection de conscience garanti par l’art. 9 CEDH conformément à la jurisprudence susmentionnée de la CourEDH, eu égard en particulier à l’obligation positive incombant aux États de prévoir une procédure accessible et effective au travers de laquelle un individu peut faire établir s’il peut ou non bénéficier du droit à l’objection de conscience.

En l’espèce, la voie offerte par l’art. 6 al. 1 let. c LAAM est exclusivement destinée à intégrer l’armée, que ce soit par attribution ou affectation (art. 6 al. 1 let. c ab initio LAAM, 4 al. 1 let. d OMi), comme déjà expliqué plus haut et tel que cela ressort du rapport du Conseil fédéral de 2022. En revanche, le service civil de remplacement, prévu par la LSC en application de l’art. 59 al. 1 phr. 2 Cst., se déroule hors du cadre institutionnel de l’armée et sert des fins civiles (art. 2 al. 2 LSC). Il vise, selon les travaux préparatoires susmentionnés, à résoudre le problème de l’objection de conscience et ainsi satisfait l’exigence de la jurisprudence précitée de la CourEDH relative à l’art. 9 CEDH, contraignant les États à avoir un service de remplacement au service militaire obligatoire.

Or, il découle des travaux préparatoires susmentionnés que le service civil n’est pas une alternative au service militaire, mais un substitut à celui-ci et qu’il présuppose l’obligation d’accomplir le service militaire, celle-ci impliquant l’aptitude au service militaire, au regard de l’art. 12 LAAM et de l’interprétation du Conseil fédéral mentionnée par Kastriot LUBISHTANI et Vincent MARTENET et portée par les autorités fiscales dans la présente procédure, à l’appui du rapport du Conseil fédéral de 2022. Cela a pour conséquence de fermer la voie du service civil au sens de la LSC au recourant, déclaré inapte avec un taux d’invalidité inférieur à 40%, bien qu’alléguant des convictions personnelles au sens de l’art. 9 CEDH pour refuser de déposer, comme le lui exigent les autorités fiscales, une demande au sens de l’art. 6 al. 1 let. c LAAM tendant uniquement à intégrer l’armée en tant que « soldat d’exploitation dans une formation de l’instruction et du support » avec des exigences correspondant à l’activité civile comme exposé plus haut (ch. 4 Annexe 1 OAMAS ; FF 2014 6743).

Dans ces circonstances, la chambre administrative ne peut que constater que le recourant est concrètement empêché d’accomplir le service militaire et le service civil en raison de son inaptitude pour des raisons médicales avec un taux d’invalidité inférieur à 40%. À cette différence de traitement fondée sur une atteinte à sa santé s’ajoute la spécificité de la présente espèce par rapport aux affaires GLOR et RYSER, liée à l’objection de conscience invoquée par le recourant pour refuser de faire la demande précitée au sens de l’art. 6 al. 1 let. c LAAM le conduisant à intégrer l’armée, sans qu’une alternative à celle-ci ne soit expressément prévue. Il ne dispose dès lors pas de l’accès à une procédure lui permettant de faire établir s’il peut ou non bénéficier du droit à l’objection de conscience au sens de l’art. 9 CEDH, la voie au service civil au sens de la LSC lui étant fermée pour les raisons précitées. Le fait qu’il ait payé la TEO entre 2015 et 2019 n’y change rien.

Par conséquent, les autorités fiscales ne peuvent imposer au recourant de déposer une requête au sens de l’art. 6 al. 1 let. c LAAM qui n’offre pas d’alternative au service militaire adapté, sous peine de violer son droit à pouvoir, à tout le moins, bénéficier d’une procédure lui permettant de faire établir s’il peut ou non se prévaloir du droit à l’objection de conscience au sens de l’art. 9 CEDH qu’il revendique, conformément à la jurisprudence précitée de la CourEDH. Une telle procédure ne peut s’inscrire dans le cadre d’une requête au sens de l’art. 6 al. 1 let. c LAAM vu le but unique de celle-ci.

7.7 Il convient enfin d’examiner si la décision litigieuse contraignant le recourant à payer la TEO faute d’autre alternative constitue une discrimination prohibée au sens de l’art. 14 CEDH, que ce soit en lien avec l’art. 8 ou 9 CEDH, conformément à la jurisprudence susmentionnée de la CourEDH.

7.7.1 À l’instar des affaires GLOR et RYSER, la décision litigieuse vise, à titre de but légitime (ou intérêt public), à rétablir une certaine égalité entre les personnes effectuant le service militaire ou civil et celles qui en sont exemptées, compte tenu du principe d’armée de milice prévalant en Suisse, qui suppose de répartir de manière égale le fardeau du service militaire entre les personnes qui y sont astreintes.

Contrairement à ces deux affaires, la différence de traitement invoquée en l’espèce par le recourant repose sur un double motif lié à son inaptitude pour raisons de santé avec un taux d’invalidité inférieur à 40%, cumulée à l’exercice du droit à l’objection de conscience au sens de l’art. 9 CEDH qu’il revendique. Elle conduit, compte tenu de la modification du droit suisse intervenue à la suite de l’affaire GLOR et concrétisée par la possibilité offerte par l’art. 6 al. 1 let. c LAAM, à priver le recourant d’une alternative au paiement de la TEO, contrairement aux personnes présentant la même inaptitude que lui pour des raisons médicales mais n’alléguant pas des convictions personnelles au sens de l’art. 9 CEDH pour s’opposer au service militaire adapté prévu à l’art. 6 al. 1 let. c LAAM.

7.7.2 La question se pose de savoir si cette différence de traitement, essentiellement liée en l’espèce à l’exercice du droit garanti par l’art. 9 CEDH, poursuit un but légitime et repose sur une justification objective et raisonnable eu égard au but et aux effets de la décision litigieuse. Cela implique d’examiner si celle-ci est nécessaire au but susmentionné d’égalité entre les personnes effectuant le service militaire ou civil et celles qui en sont exemptées, et en particulier s’il existe une mesure portant moins gravement atteinte au droit fondamental en cause et permettant d’arriver au même but. Il faut aussi vérifier qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le moyen employé (ici l’obligation de payer la TEO) et le but précité visant à assurer ladite égalité en matière de répartition du fardeau du service militaire (ou civil).

Or, l’exercice du droit à l’objection de conscience fondé sur l’art. 9 CEDH ne peut conduire à réinstaurer une discrimination – abolie par les arrêts RYSER et GLOR précités – entre des personnes inaptes pour des raisons de santé, fondée sur l’exercice dudit droit, en contraignant celles qui le revendiquent à payer la TEO alors qu’elles seraient disposées, comme le recourant, à effectuer le service civil de remplacement et à assumer ainsi le fardeau lié au principe d’armée de milice prévu par le droit suisse. Une telle différence de traitement ne sert pas à assurer une égalité entre les personnes effectuant le service militaire ou civil et celles qui en sont exemptées, mais revient à obliger les personnes alléguant des motifs de conscience pour s’opposer au service militaire adapté prévu par l’art. 6 al. 1 let. c LAAM – et conçu pour mettre fin à la discrimination entre les personnes inaptes exemptées de la TEO et celles qui y étaient contraintes faute d’alternative – à devoir payer ladite taxe faute d’alternative respectueuse de leur droit à l’objection de conscience au sens de l’art. 9 CEDH.

La différence de traitement subie en l’espèce par le recourant ne repose dès lors sur aucune justification raisonnable, ni n’est nécessaire audit but d’intérêt public, ce d’autant plus que, malgré la pratique des autorités fiscales et la position susmentionnée du Conseil fédéral, l’art. 16b al. 1 LSC permet d’admettre au service civil au sens de la LSC les personnes inaptes pour des raisons médicales comme le recourant mais alléguant des convictions personnelles au sens de l’art. 9 CEDH pour refuser de déposer une requête au sens de l’art. 6 al. 1 let. c LAAM. Cette lecture ne contredit d’ailleurs pas la volonté du législateur suisse de concevoir le service civil comme un substitut au service militaire, et non comme une alternative à ce dernier, dans la mesure où elle vise uniquement à respecter le droit à l’objection de conscience au sens de l’art. 9 CEDH indépendamment de l’existence d’un handicap de la personne tenue de servir mais revendiquant l’exercice de ce droit fondamental. Le fait qu’il n’existe pas un « droit général au service personnel » comme l’affirme le Conseil fédéral dans sa réponse de 2021, ne s’oppose pas non plus à cette lecture. Enfin, le respect des droits fondamentaux précités ne peut, dans un cas comme celui du recourant et faute d’une justification objective et raisonnable, être entravé par une volonté politique ne souhaitant ni offrir le choix, aux personnes déclarés inaptes au service militaire, entre le paiement de la TEO et la voie du service civil, ni accorder un « droit général au service personnel » comme cela découle de la réponse du Conseil fédéral de 2021.

Par conséquent, la décision litigieuse n’est ni nécessaire au but légitime susmentionné visé par la TEO, ni proportionnée compte tenu de ses effets empêchant le recourant d’exercer son droit à l’objection de conscience au sens de l’art. 9 CEDH, en le privant d’une procédure lui permettant de faire établir s’il peut ou non s’en prévaloir, faute d’alternative au paiement de la TEO et au service militaire adapté visé par l’art. 6 al. 1 let. c LAAM. Elle enfreint dès lors le droit du recourant à ne pas subir de discrimination injustifiée au sens de l’art. 14 CEDH en lien avec l’art. 9 CEDH et l’art. 8 CEDH. Contraire au droit international précité, la décision litigieuse doit être annulée, de même que la décision initiale du 28 janvier 2022. Le recours sera donc admis.

8.             Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée, le recourant n’ayant pas recouru aux services d’un avocat (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 4 avril 2022 par A______ contre la décision sur opposition du service de la taxe d’exemption de l’obligation de servir du 23 mars 2022 ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision sur opposition du service de la taxe d’exemption de l’obligation de servir du 23 mars 2022 ainsi que sa décision du 28 janvier 2022 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______, au service de la taxe d’exemption de l’obligation de servir de l’administration fiscale cantonale et à l’administration fédérale des contributions.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Valérie MONTANI, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Claudio MASCOTTO, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :