Skip to main content

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/326/2023

ATA/1166/2023 du 31.10.2023 ( DIV ) , ADMIS

Descripteurs : CERTIFICAT DE BONNE VIE ET MOEURS;HONNEUR;CONDAMNATION;CASIER JUDICIAIRE;PROFESSION;LIBERTÉ ÉCONOMIQUE;PROPORTIONNALITÉ
Normes : LCBVM.8; LCBVM.10; LCBVM.11.al2
Résumé : Refus de délivrer un certificat de bonne vie et mœurs (CBVM) à un animateur d'enfants et adolescents, au motif, d'une part, qu'une procédure pénale était en cours et, d'autre part, que l'intéressé faisait, depuis 2006, l'objet de nombreuses interpellations, arrestations, plaintes et contraventions. Recours admis : compte tenu de l'absence d'actes d'instruction pendant sept ans, les faits à l'origine de la procédure pénale en cours devaient être considérés comme contestés et non établis au sens de l'art. 10 al. 2 LCBVM. S'agissant des nombreuses interpellations depuis 2006, c'est à tort que l'autorité intimé a renoncé à appliquer l'art. 11 al. 2 LCBVM. Il ressort des travaux parlementaires que la marge d’appréciation de l’autorité chargée de délivrer le CBVM est restreinte s’agissant d’une personne dont la conduite n’a donné lieu à aucun fait pouvant porter atteinte à son honorabilité dans les deux ans précédant la demande. Dans la mesure où le recourant a modifié son comportement dans les deux ans précédant sa demande, l’intérêt public (et privé) de réinsertion des « petits délinquants », à l’origine de la modification de l’art. 11 al. 2 LCBVM, doit primer.
En fait
En droit

 

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/326/2023-DIV ATA/1166/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 31 octobre 2023

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Kevin SADDIER, avocat

contre

COMMISSAIRE DE POLICE intimé

 



EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1987, de nationalité suisse, exerce la profession d’animateur auprès de l'association B______ et la C______ (ci-après : C______).

b. Il est connu des services de police depuis 2006 :

-          Le 23 mai 2006, il a été dénoncé par la police auprès du Service des contraventions ensuite de son interpellation le 31 mai 2006 en raison de sa participation à la « Critical Mass » ; la procédure judiciaire issue de l’opposition formée par A______ à l’amende de CHF 400.- a été classée en opportunité par le Ministère public du canton de Genève (ci-après : MP) ;

-          Le 2 avril 2008, il a été arrêté par la police après avoir tenté d’« entarter » un ancien Procureur général, lors d’un débat public ;

-          Les 14 mai et 4 novembre 2008, il a été arrêté par la police pour avoir pénétré sans droit dans un bâtiment destiné à être rénové, respectivement démoli ; le 28 janvier 2009, il a été condamné par le MP à une peine-pécuniaire de
20 jours-amende à CHF 30.- le jour avec sursis pendant trois ans, et à une amende de CHF 150.- pour violation de domicile ;

-          Le 27 novembre 2008, il a été arrêté pour s’être interposé entre des agents de police et des personnes que ceux-ci cherchaient à contrôler, permettant aux intéressés de s’enfuir et conduisant à l’échec du contrôle que les forces de l’ordre entendaient mener ; prévenu d’infraction à l’art. 286 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), il a été relaxé à l’issue de son interrogatoire ;

-          Par jugement du Tribunal de police du 22 novembre 2010, il a été acquitté du chef d’incendie intentionnel et d’explosion ;

-          Par commission rogatoire intercantonale du 16 décembre 2010, un juge d’instruction fribourgeois a requis son audition en qualité de personne appelée à donner des renseignements, le cas échéant, prévenu, au sujet de sa participation à une émeute du 12 juin 2010, lors de laquelle des personnes cagoulées avaient lancé un nombre important de fumigènes et de fusées de détresse de marine dans toutes les directions ;

-          Le 12 février 2012, il a été interpellé en état d’ébriété dans une arcade sise à la rue de Carouge dans laquelle il se trouvait sans autorisation et avait tenté, en vain, de s’enfuir ;

-          Par ordonnance pénale du 10 mai 2012, le Service des contraventions l’a condamné à une amende de CHF 300.- pour avoir uriné sur la voie publique et tenté d’esquiver son contrôle par les forces de l’ordre ;

-          Le 19 octobre 2016, il a été arrêté par la police et inculpé du chef d’émeute, de voies de fait et d’injures ensuite d’une manifestation non autorisée ayant eu lieu le 19 décembre 2015 dans laquelle d’importantes déprédations avaient été commises ; une enquête pénale est en cours ;

-          Par ordonnance pénale du 4 décembre 2017, il a été reconnu coupable de vol et condamné à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à CHF 30.- le jour avec suris pendant trois ans pour des faits remontant au 16 janvier 2017 ; une ordonnance de classement a été rendue après opposition de l’intéressé ;

-          Par ordonnance pénale du 15 juillet 2019, le Service des contraventions l’a condamné à une amende de CHF 1’000.- pour avoir refusé d’obtempérer à une injonction de la police et avoir porté sur lui une arme ou un objet dangereux alors qu’il participait à une manifestation le 6 mars 2018 ; l’intéressé y a formé opposition ;

-          Par ordonnance pénale du 24 juin 2020, le Service des contraventions l’a condamné à une amende de CHF 300.- pour avoir refusé d’obtempérer à une injonction de la police le 9 juin 2020 ; l’intéressé a retiré l’opposition qu’il avait formée contre cette ordonnance, de sorte qu’elle est entrée en force ;

-          Le 20 septembre 2021, il a été condamné à une amende de CHF 500.- pour avoir dépassé en localité la vitesse maximale de 16 à 20 km/h.

c. A______ a sollicité la délivrance d'un certificat de bonne vie et mœurs (ci-après : CBVM) à plusieurs reprises :

-          Le 14 mars 2017, le commissaire de police a rejeté sa demande en raison de son arrestation, le 19 octobre 2016, pour participation à une émeute, dommages à la propriété, incendie intentionnel, lésions corporelles simples et empêchement d’accomplir un acte officiel ;

-          Le 18 août 2020, le commissaire de police a à nouveau rejeté sa demande en raison d’un refus d’obtempérer à une injonction de police le 9 juin 2020 et un refus d’obtempérer à une injonction de police avec port d’objets dangereux permettant la commission d’une infraction lors d’une manifestation non autorisée le 6 mars 2018 ;

-          Le 17 mai 2021, le commissaire de police lui a délivré un CBVM.

B. a. Le 3 novembre 2022, A______ a déposé une nouvelle demande de délivrance d'un CBVM auprès du service du commissaire de police.

Il a produit un extrait de son casier judiciaire du 19 octobre 2022, indiquant l’absence de condamnation.

b. Par décision du 22 décembre 2022, le commissaire de police a refusé de délivrer le CBVM.

Les renseignements de police n'étaient pas compatibles avec l'obtention du certificat, car l’intéressé faisait l'objet d'une procédure pénale en cours auprès du MP pour émeute, voies de fait et injures.

C. a. Par acte du 1er février 2023 déposé au greffe, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant, principalement, à son annulation et à la délivrance du CBVM, subsidiairement, à son annulation, au renvoi du dossier au commissaire de police et à ce qu'il lui soit ordonné de délivrer le CBVM.

La décision de l'autorité intimée était contraire au droit et consistait en une entrave disproportionnée à sa liberté économique. Les accusations portées à son égard ne pouvaient être qualifiées de fondées, ni établies. Il avait admis avoir participé à une manifestation, qu'il avait qualifiée de festive, et expliqué qu'il ignorait qu'elle n'était pas autorisée. Il contestait toutefois avoir commis une quelconque infraction. Pour les faits retenus par le commissaire de police, il avait été auditionné le 20 octobre 2016, mais n'avait pas eu d'informations sur la procédure pénale en question depuis. L'infraction d'émeute n'avait pas été instruite et rien ne permettait de considérer que les conditions objectives en étaient remplies. Les voies de fait et injures, outre le fait qu'elles étaient contestées et non établies, étaient en tout état prescrites et donc mentionnées à tort dans la décision querellée.

Dans la mesure où son comportement n'avait donné lieu, dans les deux ans qui précédaient sa demande, à aucun fait pouvant porter atteinte à son honorabilité, l'autorité intimée avait tout loisir de délivrer le CBVM, tel que cela avait été le cas au mois de mai 2021, alors que la procédure pénale dont faisait mention le commissaire de police était déjà en cours. Il ne faisait l'objet d'aucune autre enquête pénale, ni condamnation, à teneur de son casier judiciaire.

b. Le 24 mars 2023, le commissaire de police a conclu au rejet du recours.

Son honorabilité pouvait être déniée avec certitude, puisque, depuis 2006, il n'avait eu de cesse de faire l'objet d'interpellations, d'arrestations, de plaintes et de contraventions, notamment, pour participations à des manifestations non autorisées, salissures du domaine public, voies de fait, injures, violations de domicile, émeutes, empêchement d'accomplir un acte officiel et refus d'obtempérer à une injonction de la police.

Il avait été appréhendé en flagrant délit lors de plusieurs interpellations, de sorte que les faits concernés se rapportaient à des plaintes fondées nonobstant ses éventuels contestations, dénégations et refus de répondre. Il avait en outre fait l'objet de contraventions à plusieurs reprises. Les deux dernières, des 15 juillet 2019 et 24 juin 2020, pour refus d'obtempérer aux injonctions des forces de l'ordre, comportement adopté de manière réitérée depuis avril 2008, démontraient l'absence de toute évolution favorable. Quand bien même il ne s'agissait que de contraventions sanctionnées par des amendes, elles ne pouvaient être considérées comme de peu de gravité au regard de l'importance de la bonne exécution des missions par les forces de l'ordre. Il était également toujours prévenu d'émeute.

Les professionnels œuvrant pour la C______ étaient amenés à s'occuper de mineurs, parfois en rupture de liens sociaux, et, en particulier, à prendre part à leur éducation. Ils devaient présenter un comportement irréprochable afin d'assurer la protection due aux mineurs concernés, particulièrement au regard des missions, notamment d'éducation, influence et autorité dont lesdits professionnels bénéficiaient auprès des enfants. Il était donc évident et incontestable que le comportement du recourant était totalement incompatible avec ces exigences morales et comportementales, faisant ainsi primer cet intérêt public. Au surplus, le recourant s'était déjà vu refuser le CBVM par deux fois, les 14 mars 2017 et 18 août 2020, et celui du 17 mai 2021 avait été délivré « en omettant ses antécédents ». Exerçant son activité d'« animateur / moniteur » depuis qu'il avait 18 ans, il apparaissait donc que l'absence de fourniture d'un CBVM ne l'empêchait nullement de continuer à exercer son activité. La violation de sa liberté économique était donc infondée et le refus proportionné.

c. Le recourant a persisté dans ses conclusions le 25 avril 2023.

Pour tenter de justifier son refus le commissaire de police avait dressé une longue liste de faits pour lesquels il avait été « connu des services de police », en remontant jusqu'à 2006 et mentionnant « pêle-mêle » de nombreux faits pour lesquels il n'avait pas été poursuivi ni condamné suite à un classement ou un acquittement. Ce procédé se heurtait au droit à l'oubli ainsi que, sans qu’il n’érige de griefs en la matière, au droit d'être entendu, la décision litigieuse faisant uniquement mention de la seule procédure ouverte depuis 2015 et au point mort depuis octobre 2016. L'infraction d'émeute n'était ainsi nullement établie et était fermement contestée. La seule condamnation à laquelle l'autorité intimée pouvait décemment se référer était celle prononcée en 2020 et ayant donné lieu à une amende non inscrite au casier judiciaire d'une somme de CHF 300.-. Il contestait que cette seule amende puisse faire douter de son honorabilité ou que l'on puisse considérer cette infraction comme importante, les faits datant en tout état d'il y avait plus de deux ans.

L'autorité intimée ne pouvait affirmer que sa liberté économique n'était pas violée pour la seule raison qu'il avait pu demeurer en poste en dépit des refus de CBVM en 2017 et 2020. Ses employeurs lui réclamaient avec insistance ce certificat, de sorte que le refus pourrait engendrer une perte d'emploi. Il avait obtenu plusieurs délais pour le fournir. L’autorité intimée admettait également avoir délivré un CBVM le 17 mai 2021, rendant incompréhensible le refus opposé dans la présente procédure.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige porte sur le bien-fondé du refus de délivrer un CBVM au recourant.

2.1 Quiconque justifie de son identité et satisfait aux exigences du chapitre IV de la loi peut requérir la délivrance d’un CBVM (art. 8 de la loi sur les renseignements et les dossiers de police et la délivrance des certificats de bonne vie et mœurs du 29 septembre 1977 - LCBVM - F 1 25). Le CBVM est délivré par un commissaire de police (art. 15 LCBVM). Il est refusé notamment à celui dont le casier judiciaire contient une condamnation à une peine privative de liberté. L’autorité compétente apprécie librement, eu égard aux circonstances, si certaines condamnations de peu de gravité peuvent ne pas être retenues. Il peut en être de même des condamnations en raison d’une infraction non intentionnelle (art. 10 al. 1 let. a LCBVM) ; à celui dont l’honorabilité peut être déniée avec certitude en raison soit d’une ou plusieurs plaintes fondées concernant son comportement, soit de contraventions encourues par lui à réitérées reprises, notamment pour ivrognerie ou toxicomanie, ou encore s’il s’agit d’un failli inexcusable (art. 10 al. 1 let. b LCBVM). Les faits de peu d’importance ou ceux qui sont contestés et non établis ne sont pas pris en considération (art. 10 al. 2 LCBVM).

Celui qui tombe sous le coup de l’art. 10 al. 1 let. b LCBVM peut recevoir un CBVM si dans les deux ans qui précèdent la demande, sa conduite n’a donné lieu à aucun fait pouvant porter atteinte à son honorabilité (art. 11 al. 2 LCBVM).

L’art. 10 al. 1 let. b LCBVM a été introduit dans le but de saisir les comportements relevant du droit pénal dès leur commission, et de permettre au commissaire de police d’en tenir compte avant la fin de l’instruction pénale et le prononcé judiciaire (Mémoire du Grand Conseil [ci-après : MGC] 1977/V 4774). Celui qui a fait l’objet de plaintes, même si elles sont encore en cours d’instruction, peut ainsi faire l’objet d’un refus de délivrance d’un CBVM (ATA/494/2022 du 10 mai 2022 consid. 2b ; ATA/25/2021 du 12 janvier 2021 consid. 3c). Une plainte est fondée lorsque des faits de caractère pénal, même contestés, sont établis (MGC 1976 30/III 3020).

2.2 Une interprétation littérale de l'art. 10 al. 2 LCBVM viderait l'institution du CBVM de son sens : elle mettrait le requérant non pas au bénéfice du doute, mais du manque d'information. Elle empêcherait le commissaire de police d'apprécier si les faits resteront vraisemblablement et définitivement non établis ou si, au contraire, ils seront susceptibles d'être prouvés. En revanche, une interprétation qui négligerait le but de l'al. 2 porterait une atteinte grave à la liberté individuelle. C'est pourquoi il appartient au commissaire de police d'effectuer ses recherches en tenant compte, notamment, de la gravité de l'infraction, de la complexité des enquêtes et des circonstances particulières ; il devra, dans un délai raisonnable et après avoir procédé à une pesée des intérêts en cause, prendre une décision motivée permettant un contrôle judiciaire (ATA/494/2022 précité consid. 2c ; ATA/25/2021 précité consid. 3d).

Le CBVM vise à assurer la constatation de la bonne réputation de l’intéressé à l’égard des tiers dans certaines situations où il est requis, par exemple pour la prise d’un emploi. L’exclusion d’un tel certificat est attachée à l’existence d’un comportement répréhensible par rapport aux critères éthiques adoptés par la majorité de la population. La bonne réputation peut se définir comme le fait de ne pas avoir enfreint les lois régissant la vie des êtres humains en société, ni heurté au mépris d’autrui les conceptions généralement répandues, conçues comme des valeurs et formant la conscience juridique de la majorité de la population (ATA/786/2021 du 27 juillet 2021 consid. 4a et les références citées). De plus, selon une jurisprudence constante, pour apprécier si une personne peut se voir délivrer un CBVM, il faut prendre en considération l’usage qu’elle entend en faire. L’honorabilité d’un requérant, ou les conséquences qu’il faut tirer de son inconduite, doivent ainsi être appréciées plus ou moins gravement selon l’emploi qu’il entend en faire, c’est-à-dire suivant l’activité professionnelle envisagée. En d'autres termes, l'exigence d'honorabilité doit permettre d'examiner si le comportement de l'intéressé est compatible avec l'activité pour laquelle l'autorisation est requise, même si le candidat concerné n'a pas été condamné pénalement (ATA/515/2020 du 26 mai 2020 consid. 4b et les références citées).

2.3 Les dispositions précitées doivent être interprétées dans le respect du principe de la proportionnalité, qui se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_494/2018 du 10 janvier 2019 consid. 3.3).

2.4 La décision de délivrer ou non un CBVM ne relève pas de l’opportunité, mais repose sur des éléments objectifs et d’autres relevant du pouvoir d’appréciation de l’autorité, dont l’excès et l’abus sont revus par la chambre de céans avec plein pouvoir d’examen (art. 61 al. 1 let. a et al. 2 LPA ; ATA/14/2019 du 8 janvier 2019).

3.             En l’occurrence, l'intimé a refusé de délivrer un CBVM au recourant au motif qu’une procédure pénale portant sur les chefs d'émeute, voies de fait et injures était en cours.

Il ressort certes de la jurisprudence précitée que, malgré sa lettre, l’art. 10 al. 2 LCBVM permet à l’autorité de saisir les comportements relevant du droit pénal avant la fin de l’instruction pénale et un prononcé judiciaire. Dans la mesure où la procédure pénale en cours concerne notamment une émeute, soit une infraction passible d’une peine privative de liberté de trois ans au plus (art. 260 al. 1 CP) et qualifiée de délit (art. 10 al. 3 CP), l’infraction ne peut être qualifiée de peu de gravité. Or, si l’instruction d’une telle infraction peut être complexe, notamment en raison du nombre de plaintes - en l'espèce une quarantaine -, force est de constater que la procédure porte sur des faits remontant au 19 décembre 2015, soit près de sept ans avant le dépôt de sa demande de délivrance d’un certificat. Or, si l’intéressé a admis avoir participé à une manifestation, il a indiqué qu’il ignorait que celle-ci n’était pas autorisée. Il n’a pas reconnu les faits d’émeute qui lui étaient reprochés, affirmant devant le MP n’avoir d’aucune façon participé à une bagarre, commis d’acte de violence ou proféré des injures. Sa dernière audition devant le MP remonte au 20 octobre 2016, ce qui n’est pas contesté. Il n’a, depuis cette date, plus été informé de la procédure pénale en cours. Ainsi, compte tenu de l'absence d'actes d'instruction pendant sept ans et de la contestation des faits par le recourant, il ne peut être retenu que les faits qui lui sont reprochés seraient susceptibles d'être prouvés. Ils doivent, au contraire, être considérés comme contestés et non établis au sens de l’art. 10 al. 2 LCBVM, de sorte que le CBVM ne saurait lui être refusé pour ce motif. La chambre de céans relève au demeurant qu’un CBVM lui avait été délivré en 2021, alors que la procédure en question était déjà pendante.

Dans sa réponse devant la chambre de céans, l’intimé se fonde également sur les nombreuses interpellations, arrestations et contraventions du recourant depuis 2006 pour retenir que son honorabilité peut être déniée avec certitude selon l’art. 10 al. 1 let. b LCBVM. Il ressort certes du dossier que l’intéressé a été interpellé à une dizaine de reprises entre 2006 et 2020. Quatre ordonnances pénales lui ont été notifiées entre 2012 et 2020, dont deux sont entrées en force (l’opposition à l’ordonnance pénale pour vol ayant abouti à un classement par opportunité, l’ordonnance pénale du 15 juillet 2019 ayant été contestée). Compte tenu de ces condamnations, qui relèvent de contraventions (art. 103 CP) non inscrites à son casier judiciaire, on peut retenir que l’intéressé tombe sous le coup de
l’art. 10 al. 1 let. b LCBVM. C’est d’ailleurs pour ces motifs que la délivrance du certificat lui a été refusée les 14 mars 2017 et 18 août 2020. Il appert toutefois qu’exception faite de la condamnation du recourant à une amende de CHF 500.- pour des faits remontant au 10 septembre 2021, dont il sera question ci-après, l’ensemble de ces condamnations se rapporte à des faits qui remontent à plus deux ans. Or, compte tenu de l’ancienneté des faits à l’origine de ces différentes procédures, l’intimé aurait pu se fonder sur l’art. 11 al. 2 LCBVM, pour délivrer un certificat au recourant. La question se pose de savoir si, en ne faisant pas usage de cette possibilité, l’autorité intimée a abusé de son pouvoir d’appréciation.

C’est le lieu de préciser, dans ce contexte, que le délai de deux ans figurant à l’art. 11 al. 2 LCBVM avait, à l’origine, pour but de faciliter la réinsertion professionnelle des prostituées et des petits délinquants (MGC 1988/V.
p. 7297-7298). Il était constaté que, pour changer de profession ou pour s’engager dans une formation, ces personnes avaient souvent besoin d’un certificat. Or, le délai de trois ans (en vigueur à l’époque) constituait un obstacle à leur réinsertion professionnelle et sociale. Ainsi, le CBVM ne pouvait être refusé qu’à trois catégories de personnes : celles dont le casier judiciaire contenait une condamnation non radiée à une peine privative de liberté, celles dont le comportement avait provoqué de nombreuses plaintes fondées ou de contraventions et, enfin, celles qui étaient ivrognes, toxicomanes ou faillis inexcusables. Pour toutes ces restrictions touchant au comportement, le délai d’attente passait à deux ans, délai qui pouvait être abrégé si la conduite méritoire de l’intéressé le justifiait (MGC 1988/V. p. 7299). La marge d’appréciation de l’autorité chargée de délivrer le CBVM apparait ainsi restreinte s’agissant d’une personne dont la conduite n’a donné lieu à aucun fait pouvant porter atteinte à son honorabilité dans les deux ans précédant la demande. Il ressort d’ailleurs expressément des travaux parlementaires qu’il était important que la loi soit très précise, et que la marge d’appréciation de l’officier de police qui octroie les certificats soit la plus faible possible. Le refus de délivrance du certificat avait, en effet, une répercussion très grave sur la vie privée de la personne l’ayant demandé, en ce qu’il rendait public son défaut d’honorabilité. Il avait aussi pour conséquence d’aller à l’encontre de certains intérêts publics importants, en particulier la réinsertion sociale des « petits délinquants » (MGC 1987/III p. 3502).

Ces précisions étant apportées, il convient d’examiner si le refus de délivrer un CBVM au recourant est conforme au droit.

En l’occurrence, l’autorité intimée a estimé que l’art. 11 al. 2 LCBVM ne s’appliquait pas à son cas. Au regard de tous les faits considérés, son comportement ne satisfaisait manifestement pas à l’exigence de ne pas avoir enfreint des lois régissant la vie des êtres humains en société, ni heurté au mépris d’autrui des conceptions généralement répandues, conçues comme des valeurs et formant la conscience juridique de la majorité de la population. Les éléments relatés par la police dénotaient en outre d’un comportement d’obstruction systématique à l’endroit des services de l’État, incompatible avec les exigences de probité requise dans la profession d’animateur auprès d’enfants, d’un âge oscillant de 7 à 12 ans.

On peut certes se demander si le parcours du recourant, en particulier son refus systématique d’obtempérer aux injonctions de la police ne serait pas incompatible avec son activité compte tenu de sa fonction d’influence et d’autorité envers les enfants. Il appert toutefois que l’intéressé a modifié sa conduite dans les deux ans qui ont précédé sa demande. Or, l’intention du législateur était précisément de réduire le délai d’attente imposé aux personnes tombant sous le coup de l’art. 10 al. 1 let. b LCBVM afin de faciliter leur réinsertion sociale et professionnelle. Ainsi, compte tenu du pouvoir d’appréciation - restreint - de l’autorité en la matière, l’intimé ne pouvait renoncer à faire application de l’art. 11 al. 2 LCBVM dans le cas du recourant. Dans la mesure où ce dernier a modifié son comportement, il n’est plus possible de retenir, comme l’a fait l’autorité, qu’un refus de délivrer un CBVM s’imposerait au regard de l’intérêt public à la protection des mineurs et au respect des missions d’éducation de l’État. C’est, au contraire, l’intérêt public (et privé) de réinsertion des « petits délinquants », à l’origine de la modification de l’art. 11 al. 2 LCBVM, qui doit primer. Ainsi, en renonçant à appliquer l’art. 11 al. 2 LCBVM, l’autorité a commis un abus de son pouvoir d’appréciation.

Quant à la condamnation du recourant à une amende de CHF 500.- pour avoir dépassé en localité la vitesse maximale de 16 à 20 km/h pour des faits remontant au 10 septembre 2021, il s’agit d’une contravention, soit d’un fait de peu d’importance au sens de l’art. 10 al. 2 LCBVM, de sorte qu’il ne s’oppose pas à la délivrance d’un CBVM, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté.

Le recours sera donc admis, la décision attaquée annulée et la cause renvoyée à l'intimé pour délivrance du CBVM sollicité.

4.             Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée au recourant, à la charge de l'État de Genève (art. 87 al. 1 LPA).

 

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er février 2023 par A______ contre la décision du commissaire de police du 22 décembre 2022 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision du commissaire de police du 22 décembre 2022 ;

renvoie la cause au commissaire de police pour nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à la charge de l’État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Kevin SADDIER, avocat du recourant, ainsi qu'au commissaire de police.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Valérie LAUBER Eleanor McGREGOR, Catherine GAVIN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :